Angéliques/Le Déménagement


Déménagement.


Depuis qu’on a déménagé
Catherine vit dans l’enchantement !
Ne lui demandez pas comment il se fait
que le mobilier ait changé d’aspect
elle ni moi n’en savons rien.
Mais le fait est que dans la nouvelle maison
tout parait frais ou rajeuni.

On pourrait croire que les buffets
ont été repolis,
et Maman montre avec orgueil
les vieux rideaux de la salle à manger
que Papa voulait renouveler
et qui font encore tant d’effet !

— Je n’avais jamais remarqué
comme cette potiche est jolie.
— Ce vase japonais,
est-ce vraiment celui
qui était sur la cheminée
de la chambre d’amis ?
— Et celui-ci ! Vois donc… »
Cent objets nouveaux et brillants
s’échappent du foin des paniers.

Voici les portraits d’Évelyne,
la grande sœur morte à vingt ans
au temps où Catherine
était encore un tout petit enfant.

On a suspendu le plus important
sur la cheminée du salon.
Les autres sont dans l’atelier.
— Il y en a plus de cent !
pense Catherine.
Et, quand personne ne peut la voir,
elle va les contempler, émerveillée,
sur la pointe des pieds.

— Où donc étaient cachés tous ces jolis tableaux ?
interroge la petite fille.
— Est-ce Papa qui les a peints ?
Et pourquoi donc ne nous les a-t-il pas montrés ?
La vieille bonne Sidonie
soupire et ne lui répond rien.

Et Catherine, qui l’avait oubliée,
se met à penser tous les jours
à sa grande sœur Évelyne.
 
Chaque tableau raconte une petite histoire
et, certains, un conte de fées.

— Voici le jardin de grand’mère,
ce jardin où l’on dit
qu’il y avait du lierre d’une espèce si rare.
Évelyne est assise à l’ombre du pommier.
La voici qui essaie
un mantelet devant le miroir.
La voici qui met un collier.
(Comme ses cheveux sont longs !)
C’est le soir, assise au balcon
elle regarde, je crois, le coucher du soleil.
C’est le matin, elle passe un jupon.
Ici, elle porte un poupon dans les bras
(est-ce moi ?)
Ici, elle écrit une lettre.
Elle arrose les plates-bandes.
Elle cueille un bouquet.
Á quoi réfléchit-elle,
debout, toute prête à sortir,
un doigt contre la tempe ?

— Oh ! ces vieilles modes charmantes !
Ces robes de toutes les couleurs,
rose, lilas, fraise écrasée,
chamois, vert-jade, bleu de roy,
les unes à rayures, d’autres semées de fleurs.

Ces tout petits chapeaux
comme des paniers retournés…
Ces nœuds légers et ces rubans flottants.
Et toutes ces ombrelles
ouvertes ou fermées,
avec leurs manches longs et grêlés.

Dans le grand portrait du salon
Évelyne parée
d’une robe à douze volants
déplie un éventail.
Elle regarde gaîment devant elle
et semble dire à quelqu’un qu’on n’aperçoit pas :
— Je viens, je viens ! Attendez-moi !

Le soir, dans son lit, Catherine
rêve à celle qui n’est plus là.

Évelyne… c’est un joli nom.
Pourquoi le lui a-t-on choisi ?
Qui était sa marraine ?…
Maman garde dans un tiroir
ses derniers gants et les petits chaussons
qu’elle tricotait pour moi, dit-on,
pendant sa maladie
et qui ne sont pas achevés…

« Elle toussait, raconte Sidonie,
« elle a passé comme une fleur… »
Comme une fleur… Comme une ancolie…

J’ai entendu Papa, hier,
dire une chose singulière :
« la fille que j’ai perdue… »
Je sais ce que cela signifie.
Et cependant…
Si elle avait été perdue, réellement,
dans un pays lointain ou dans une forêt,
et si elle allait revenir ?

Ce serait un beau soir d’été,
le dîner viendrait de finir…
elle pousserait doucement la porte du jardin,
et serait là, soudain, sans qu’on l’eut entendue
… avec ses longs cheveux,
son petit chapeau, son ombrelle,
et son collier de jais sur sa robe lilas.

Ah ! que j’aimerais me promener avec elle,
comme je serais fière de dire
au jardinier et à la couturière :
― C’est Évelyne, ma grande sœur,

qui a voyagé loin d’ici
et qui est rentrée tout à l’heure. »

Et Catherine, en s’endormant,
voit se pencher sur elle un visage charmant.

Tout en servant le déjeuner
la vieille Sidonie raconte,
avec force détails,
comment elle a enfin remis la main
sur ses aiguilles à tricoter.
Papa a retrouvé
le vieux pinceau à quoi il tenait tant.
Moi, dit Maman, mon dé d’argent.
Et toi, ma petite fille ?
― Moi, rien, » dit Catherine

Et personne ne sait
qu’elle a trouvé, dans la maison nouvelle
l’âme d’Évelyne qui l’attendait.


Blanche Rousseau.