Maison Aubanel père, éditeur (p. 140-142).

TROISIÈMEPARTIE

I


La commotion causée par l’arrivée sensationnelle du capitaine Vigneault ne s’éteignit pas de sitôt, et on brûlait du désir de lui poser des questions à chaque fois qu’on le rencontrait. On le savait peu communicatif et pince-sans-rire à ses heures, de sorte que c’était à qui ferait parler les autres malgré leur anxiété et leur curiosité.

On désigna Archélas Meunier comme porte-parole.

— Tu as la réputation de n’avoir pas froid aux yeux, et avec ça que tu sais te tirer d’affaire, quand il s’agit de blaguer ; tu vas aller, tout en faisant semblant de rien, questionner le capitaine, dit un curieux, toujours avide de tout connaître.

Enhardi par cette marque de confiance, Meunier prit un air sérieux et s’approcha du capitaine comme il sortait du presbytère.

— Dites-donc, capitaine, « voula »-vous nous dire de « voussée » que vous êtes tombé ? Personne ne vous a vu arriver, et pas l’ombre d’un aéroplane aux alentours. Vous « étà » peut-être « bian » tombé du ciel.

— Non, Archélas, répondit vivement le capitaine d’un air moqueur ; je suis tombé de la lune, comme Cyrano.

— Cyrano ? Cyrano ? connaissons pas ! Fait-y froid ? là-haut ?

— Le dernier lunatique, qui était mon cuisinier par surcroît, a été gelé à mort le jour de mon départ ; c’est pourquoi je suis parti.

— Vous deviez être en pleine lune pour qu’il fasse si froid, capitaine ?

— La lune chez elle ne fait pas de quartiers.

— J’vovons bian ça, puisqu’elle gèle ses habitants ? Y a-t-il longtemps que vous avez quitté la lune ?

— Je ne sais, le calendrier n’a pas encore été inventé chez notre voisine.

— Attrape, Archélas, dit un villageois qui se tordait de rire aux réponses du capitaine.

— Si vous étiez un pauvre homme comme nous, capitaine, j’vous donnerions cinquante sous pour le savoir ; mais un homme comme vous on achète pas ça pour si peu.

— Écoute, Archélas, lui dit le capitaine en riant : Es-tu bon rameur ?

— Regardez, dit-il d’un air fier, en montrant ses biceps au capitaine.

— Très bien, comme tu es un bon garçon et que tu aimes à tout savoir, tu vas me conduire à la Rivière-Saint-Jean en barque où j’ai laissé mon aéroplane, et je te ramènerai par les airs.

— Brave capitaine, ce n’est pas surprenant qu’on vous aime ! Archélas Meunier ! le petit Archélas ! comme sa mère m’appelait, qui va monter en aéroplane !

— Je vais d’abord t’expliquer comment je suis ici. J’avais appris par Mademoiselle Guillou, qu’un concert serait donné à la Rivière-au-Tonnerre, le lundi de Pâques ; mon aéroplane neuf, que tu verras à la Rivière-Saint-Jean, me fut livré le matin de ce jour-là. Quoi de mieux à faire, me dis-je, que de me rendre à la Rivière-au-Tonnerre ? Et je suis parti comme ça, sans tambour ni trompette, et me voilà !

— Venez-vous encore pour les marsouins ? questionna Archélas, enhardi par les confidences du capitaine.

— Je te le dirai plus tard, si tu sais bien garder le secret que je viens de te confier, car je me suis déguisé en pêcheur pour me rendre ici, et je désire ne rien dévoiler à personne jusqu’à notre retour.