Maison Aubanel père, éditeur (p. 138-139).

XXII


À Pâques, le prône contenait l’annonce d’un concert donné par les amateurs de la localité, dans la maison d’école qui serait transformée, pour la circonstance, en salle de spectacle.

À l’heure fixée, la salle était remplie à déborder, quoique les enfants ne fussent pas admis à la représentation. C’était la première fois qu’un tel événement se produisait dans la paroisse ; aussi, peut-on se faire une idée de l’intérêt qu’il suscita.

Angéline et la garde-malade, qui avaient une certaine expérience de la scène, remplirent leurs rôles à la perfection. Angéline versa de vraies larmes dans la scène de sa séparation de son fiancé et à la mort de son vieux père. Elle eut des accents pathétiques, quand elle retrouva son Gabriel sur son lit de mort dans l’hôpital où elle s’était faite Sœur de Charité.

Les applaudissements ne furent pas ménagés aux amateurs et le curé tout joyeux jubilait du succès remporté par ses paroissiennes.

— Si le capitaine Vigneault était ici présent, dit-il à Angéline, je lui permettrais pour une fois de vous embrasser.

— Qu’à cela ne tienne ! répondit une voix du fond de la salle.

Jacques s’avança pour donner la main au bon curé tout ébahi qui crut voir un fantôme.

— C’en est encore une bonne au compte du capitaine Vigneault, s’exclama le curé. Il me paiera celle-là, ajouta-t-il en riant.

Angéline était tout émue quand Jacques s’avança vers elle pour la féliciter et lui offrir son bras.

— Votre bonne Mère Supérieure avait prédit juste, vous avez fait ce soir une excellente Sœur de Charité. Quant au Père Oblat, il se présente à vous sans soutane.

— Attendez que j’enlève ma livrée de Sœur de Charité ; et puisque je retrouve mon Gabriel, Monsieur le Curé, nous attendons le renouvellement de votre permission ?

Les villageois qui n’avaient pas en connaissance de l’arrivée de Jacques n’en pouvaient croire leurs yeux ; et, comme ils étaient restés sous l’effet des histoires de revenants du père Comeau, ils crurent voir un esprit ; mais il les rassura en leur démontrant qu’il était bien là en chair et en os, en donnant un chaste baiser sur le beau et large front d’Angéline.