Maison Aubanel père, éditeur (p. 48-50).

XVII


Le mois de juillet se passa sans incidents remarquables. Après avoir vaqué aux soins du ménage, Angéline visitait Antoinette Dupuis au dispensaire et s’intéressait beaucoup aux travaux de celle-ci, se renseignant sur tout. De son côté, le plaisir d’avoir enfin rencontré une compagne aussi aimable et intéressante fit paraître moins lourd et plus attrayant à Antoinette Dupuis son séjour à la Rivière-au-Tonnerre. Elle appréhendait moins la venue de l’hiver, son premier qu’elle passerait sur la Côte, et ce n’était pas sans une certaine crainte qu’elle voyait venir la saison froide, bien que le dispensaire fût abondamment pourvu de combustible.

Le dimanche précédant l’Assomption, le curé annonça en chaire un événement sortant de l’ordinaire. Il venait en effet de recevoir du capitaine Bouchard une lettre, lui annonçant que lui-même et ses officiers assisteraient à la grand’messe dans son église le jour de l’Assomption, fête patronale des Acadiens. Il venait remplir le vœu qu’il avait fait, avec Angéline Guillou, d’ériger un ex-voto à Notre-Dame de la Garde dans l’église de la Rivière-au-Tonnerre, pour les avoir sauvés du naufrage dans la nuit du 27 juin.

Le bon vieux curé en profita pour haranguer ses paroissiens et leur citer la piété des marins comme exemple.

Tel que prévu, le bateau jeta l’ancre au large de la baie juste une heure avant la grand’messe. Comme les barques étaient toutes prêtes pour rencontrer le bateau au large, elles étaient de retour une demi-heure plus tard dans la petite anse.

Le curé les attendait, revêtu de ses habits sacerdotaux et accompagné des enfants de chœur, croix en tête.

Toute la paroisse était réunie sur la grève, attendant le débarquement du capitaine et de ses officiers. Ceux-ci déchargèrent leur précieux fardeau qu’ils installèrent sur un boyard, et portèrent la statue de Notre-Dame de la Garde solennellement jusqu’à l’église. Le curé était visiblement impressionné de même que toute l’assistance. Angéline occupait un banc à côté du capitaine, celui-ci ayant insisté pourqu’elle fût à l’honneur comme elle avait été à la peine. Après la bénédiction de la statue le bon Père Curé s’adressa ainsi à ses paroissiens :


Monsieur le Capitaine,
Messieurs les Officiers,
Mademoiselle,
Mes très chers Frères,

« L’événement solennel qui vient de se dérouler à vos yeux, fera époque dans l’histoire de notre humble paroisse. Votre foi déjà si vivace n’en sera qu’accrue par cette manifestation, provoquée par des événements qui font honneur à ceux qui en sont les héros comme à ceux qui se sont associés à eux pour rendre un nouvel hommage à la Reine du Ciel.

Je n’entrerai pas dans les détails des faits qui ont motivé ce bel acte de foi, ils vous sont déjà connus. Une jeune fille estimée de cette paroisse participe aux honneurs, comme vous le voyez, avec les messieurs étrangers qui nous visitent en ce moment. Désormais, aux jours de grande détresse, adressez-vous à Notre-Dame de la Garde. Demandez-lui qu’elle ramène la prospérité d’autrefois sur ce petit coin de terre que nous avons tous appris à aimer malgré la rigueur du climat et l’aridité de son sol. Priez-la de nous procurer un moyen pour que la pêche reprenne au printemps. Nous subissons une dure épreuve, mais Notre-Seigneur envoie sa Mère à notre secours.

Que Notre-Dame de la Garde vous protège !…

À Monsieur le Capitaine et aux autres officiers du bateau, merci pour cette belle statue qui ornera désormais notre église et qui sera certainement une source de bénédictions pour vous tous aussi bien que pour nous-mêmes. »

Le curé n’en disait jamais long, mais il était toujours au point. Les paroissiens paraissaient profondément émus quand ils allèrent reconduire le capitaine et les officiers sur la grève.