Maison Aubanel père, éditeur (p. 43-45).

XV


Après la cérémonie funèbre, Angéline retourna à la maison, mais elle dut s’aliter pour se remettre de ses émotions.

Antoinette Dupuis, la garde-malade du dispensaire qui avait compati aux malheurs de la famille, mais qui s’était surtout occupée d’Angéline, continua à lui prodiguer ses soins et ses consolations. Comme la maladie ne fut pas considérée grave, on ne manda pas le médecin, sa science ayant suffi aux besoins présents. Elle passait de longues heures avec Angéline, causant du couvent de Sillery où elle avait elle-même fait ses études. Elles se sentirent moins isolées toutes les deux et une solide amitié ne tarda pas à les lier.

Le bon curé ne négligea pas non plus la famille et ne perdait aucune occasion de distraire Angéline durant sa convalescence. Il aborda même une fois la question de son avenir auquel il s’intéressait beaucoup, n’ayant pas été étranger à la poursuite de ses études à Sillery.

— Vous êtes-vous découvert de la vocation ? hasarda-t-il un jour qu’Angéline avait l’air bien disposée.

— « Si ». J’y ai pensé, Monsieur le Curé, d’ailleurs ma regrettée mère m’en parlait souvent sur ses lettres, et je devinais que les grands sacrifices que mes parents s’imposaient à mon égard n’étaient pas sans intention de cette sorte. Ma digne supérieure avait aussi abordé le sujet, et je n’ai pas été tout à fait sourde à son appel, sans toutefois lui donner de réponse définitive. Je désirais revoir ma famille, mais dans des circonstances moins tristes que je l’ai revue, dit-elle en essuyant une larme.

— Laissons de côté ce sujet,… n’y pensons plus, reprit le curé tout ému. Nous le reprendrons plus tard, quand vous serez complètement remise.

— Vous pouvez continuer, répondit Angéline plus forte que le curé, mais les circonstances sont si changées. Les événements se sont succédés avec une telle rapidité que je n’ai pas encore mis d’ordre dans mes idées. Je me dois d’abord à mon père jusqu’à ce qu’il soit tout à fait remis, car vous ne l’ignorez pas, sans doute, il est tout bouleversé, et je constate qu’il passe de grandes nuits sans sommeil. Je l’entends souvent soupirer de ma chambre et cela me cause de l’inquiétude.

— Mais fait-on de l’insomnie, Angéline ?

— Non… non,… dit-elle en rougissant, mais je m’éveille souvent, car je dors inquiète.

— Vous avez raison,… c’est ça : vous avez raison ma fille, répondit le bon curé très ému. Vous vous devez d’abord à votre père, à vos frères et sœurs et, ensuite… après… le bon Dieu arrangera tout cela.

— Je me suis en effet confiée à la Providence. J’ai réfléchi beaucoup depuis notre malheur et je continuerai à réfléchir encore.

— Vous agissez sagement mon enfant, car la Providence voit à tout, vous savez. Si la vie religieuse est un état à peu près parfait pour acquérir des mérites pour le ciel, la vie conjugale est aussi très noble en soi, et qui sait si un jour un prince charmant ne viendra pas faire votre bonheur !

— Passe pour le prince charmant, répondit Angéline avec un léger sourire, mais je crois qu’ils sont plutôt rares à la Rivière-au-Tonnerre.

— Eh bien ! on sourit, c’est bon signe, dit le curé plus joyeux, je vais essayer de vous en trouver un.

— Dormez tranquille, Monsieur le Curé, ça ne presse pas, allez !

— Pas assez pour en faire commande d’un aux magasins Dupuis Frères ? répondit le curé qui devenait badin.

Sur ce, il souhaita une bonne nuit à Angéline et à toute la famille et retourna au presbytère.