Maison Aubanel père, éditeur (p. 17-19).


III

LA RIVIÈRE-AU-TONNERRE


La Rivière-au-Tonnerre, nom dérivé d’une cataracte de cent cinquante pieds de hauteur, d’où l’eau s’échappe et tombe en bruit de tonnerre dans sa chute vertigineuse, est un humble hameau situé sur la rive gauche du Golfe Saint-Laurent, à mi-chemin entre la Baie des Sept-Îles et Havre-Saint-Pierre, parcours de cent mille marins. Quelques tronçons de route relient certains postes de pêche entre ces deux points ; mais les communications ne se font que par eau en été et par cométique[1] en hiver.

Le bourg est composé d’une agglomération d’à peu près quatre-vingts maisons disséminées çà et là sans ordre ni symétrie. Une clôture, en perches d’épinette ou de cèdre, entoure les habitations. Des barrières rustiques de même confection s’ouvrent devant chaque demeure ; mais on communique généralement entre elles au moyen de petits escaliers de planche de trois ou quatre marches, par-dessus les clôtures. Il n’existe ni trottoirs ni chemins proprement dits.

La pêche à la morue y est la seule industrie en été. La population tout entière y est par conséquent occupée. Une flottille d’une centaine de barques est habituellement ancrée dans la petite anse en face du village le dimanche, quand, après une semaine de dur labeur, les rustiques pêcheurs prennent un repos bien mérité.

Une coquette petite église, blanche à l’extérieur, offre, à l’intérieur, cette particularité de panneaux, corniches, bas-reliefs et chapiteaux, sculptés sur bois par des paroissiens.

Le presbytère, situé tout près de l’église, loge convenablement son digne curé, de l’Ordre des Pères Eudistes, missionnaires français qui, aidés de quelques Pères canadiens, desservent presque toute la Côte du Saint-Laurent, avec Vicariat Apostolique à Havre-Saint-Pierre.

À côté de l’église, le modeste cimetière, où reposent ceux qui, ayant fini leur pèlerinage sur ce coin de terre isolé, sont partis pour un monde meilleur.

Le curé constitue à peu près la seule autorité que l’on consulte sur tous les sujets et dont on suit généralement les conseils sages et éclairés.

Les serrures aux portes sont inconnues dans ce pays, où la malhonnêteté n’existe pas. S’il n’y a pas de grandes fortunes, il n’y a pas non plus de grandes ambitions. On ne se fatigue pas l’esprit avec les inquiétudes du lendemain. C’est le curé qui doit tout prévoir et s’occuper même de leur confort matériel. Grâce au dévouement de ce dernier, une école, sous la direction d’une institutrice expérimentée, pourvoit à l’instruction rudimentaire des enfants. Toujours grâce aux efforts de l’homme de Dieu, un octroi du gouvernement a permis la construction d’un dispensaire pour les malades, sous la direction d’une garde-malade diplômée qui remplace le médecin dans les cas les plus urgents, vu qu’il n’en existe pas entre Havre-Saint-Pierre et les Sept-Îles. Grâce à cette fondation, les traitements de sages-femmes ont pu être remplacés par des méthodes plus modernes.

En majorité, les habitants sont d’origine acadienne, descendant pour la plupart des Acadiens chassés de leurs villages et de leurs fermes par la cruauté anglaise et dispersés par toute l’Amérique du Nord.

Quelques-uns étaient venus s’échouer comme des épaves sur cette terre inhospitalière, et leur présence y fut longtemps ignorée ; sauf des missionnaires Oblats. Ceux-ci avaient précédé les Eudistes dans ces missions lointaines, toujours attirés par cette solitude qui, à d’autres, n’offre aucun attrait.

  1. Espèce de traîneau tiré par des chiens esquimaux.