Anecdotes pour servir à l’histoire secrète des Ebugors. Statuts des sodomites au XVIIe siècle./III/17

Texte établi par Jean HervezBibliothèque des curieux (éditions Briffaut) (p. 93-96).

Bandeau de début de chapitre
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CHAPITRE XVII

BELLE ET GLORIEUSE RÉSOLUTION
D’UNE ÉMÉCONDINE


Separateur-7-Vaguelettes orienté haut
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Malgré l’ardeur et le courage des alliés, le siège n’avançait cependant pas beaucoup. C’était en vain qu’on avait déjà fait plusieurs attaques pour tâcher de se rendre maître, soit par force, soit par adresse, des deux tours qui servaient de forts avancés pour couvrir Cythère. Elles étaient si bien défendues qu’on ne pouvait en approcher ; toutes les tentatives que l’on faisait à cet effet restaient vaines et sans succès, de sorte qu’il était à présumer que le blocus durerait encore longtemps. Cette opiniâtre résistance désespérait surtout les Omines, qui s’étaient imaginé que la place ne tiendrait que fort peu devant eux. Ils brûlaient d’envie de se voir possesseurs de la ville, afin de pouvoir s’y livrer à tous les excès dont est ordinairement capable un soldat effréné. Cette troupe fournissait les plus ardents travailleurs de toute l’armée ; quoique, dans l’ouverture de la campagne, on ne comptât pas beaucoup sur eux, ils détruisirent bientôt la prévention où l’on était contre leur corps par une activité invincible dans les travaux.

Cependant, le feu continuait de part et d’autre avec une égale violence et sans relâche. Chacun des deux partis ne respirait que meurtre et que carnage, lorsqu’une Emécondine, enflammée d’un bouillant désir de gloire, résolut d’aller défier en combat singulier les plus vaillants d’entre les Ebugors. Pleine d’un si hardi projet, elle n’en respire que l’exécution. Déjà, elle ne balance plus ; elle va trouver Divutemia : « Princesse, lui dit-elle en la regardant avec des yeux où se peignait la grandeur de son courage, Princesse, jusqu’à quand souffrirons-nous l’arrogance de nos ennemis ? Quoi ! les Ebugors pourront se vanter un jour de nous avoir forcées à nous enfermer dans nos retranchements ? Ils oseront se glorifier de nous avoir réduites à les craindre ! Suffit-il donc à notre gloire de défendre notre domaine contre leurs attentats ? Serions-nous donc trop faibles pour porter le fer et la flamme jusque dans leur camp ? Pourquoi craindrions-nous de les combattre à découvert ? Si mon zèle vous est connu, si, plus d’une fois, vous m’avez vu sacrifier avec joie et mon cœur et mon corps à la gloire et à l’accroissement de notre Empire, il me reste encore du sang dans les veines et ce même cœur est toujours animé du même désir. Permettez que je sorte et que j’appelle au combat leurs plus hardis champions. Il est beau de vaincre quand on a de tels adversaires et la défaite en est moins honteuse pour le vaincu. »

Ainsi parla cette généreuse amazone ; la commandante et toute l’assemblée applaudirent à un si noble dessein. Plusieurs, que tant de grandeur d’âme animait, eurent envie de courir à la même carrière et sollicitèrent fortement pour en obtenir la permission. Mais Divutemia leur représenta qu’il n’était pas à propos de dégarnir tout d’un coup la place de tout ce qu’elle avait de plus brave ; que ce serait une imprudence qui pourrait avoir de très mauvaises suites. Elle leur dit qu’elle leur permettrait une autre fois de signaler tour à tour leur valeur ; mais que pour le présent il était juste d’accorder l’honneur du pas à celle qui avait la première fait une si belle proposition. Ces illustres héroïnes, satisfaites des flatteuses promesses de leur souveraine, se retirèrent et coururent aux remparts, pour y être spectatrices de la gloire dont leur vaillante compagne allait à jamais se couronner.


Vignette de fin de chapitre
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