Anecdotes pour servir à l’histoire secrète des Ebugors. Statuts des sodomites au XVIIe siècle./III/16

Texte établi par Jean HervezBibliothèque des curieux (éditions Briffaut) (p. 90-92).

Bandeau de début de chapitre
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CHAPITRE XVI

UN OFFICIER DES EBUGORS
CASSÉ À LA TÊTE DE SON RÉGIMENT


Separateur-7-Vaguelettes orienté bas
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Kulisber fit un acte de sévérité bien capable de contenir les officiers dans le devoir. Il avait expressément défendu qu’on fît aucun quartier aux Cythéréennes ; malgré cette défense, un capitaine, voyant un des aides de camp de Divutemia au pouvoir d’un Omine, proposa à celui-ci de relâcher sa prisonnière et d’accepter un Chadaber en échange. La proposition fut acceptée. Le capitaine emmène dans sa tente la belle captive et tâche, par toutes sortes de bons traitements, de lui faire oublier la rigueur de son sort. Cette infraction des ordonnances du général parvint bientôt aux oreilles de Kulisber, qui en fut extrêmement irrité ; il fit assembler tous ceux qui servaient sous lui et, leur adressant la parole, il leur dit :

Messieurs,

C’est avec une extrême douleur que je me vois aujourd’hui réduit à vous révéler la honte et l’infamie d’un de vos confrères. Un Ebugor, qui l’aurait jamais cru ? un Ebugor, au mépris de nos lois, a eu la faiblesse d’épargner une de nos plus mortelles ennemies. Que dis-je, d’épargner ? Il l’a comblée de bienfaits. Il soustrait à notre haine, il protège contre nous une personne qui ne devait attendre de lui que les traitements les plus cruels. Quel affront pour notre illustre corps ? Quel triomphe pour les Cythéréennes ! Elles vont désormais nous reprocher que nous sommes aussi faits pour porter leurs fers et que c’est à tort que nous nous vantons sans cesse de n’avoir point, à l’exemple des autres peuples, subi leur ignominieux joug. Je m’aperçois que ces reproches vous font frémir. La juste indignation qui se peint sur vos visages m’est un sûr garant de l’approbation que vous allez donner au châtiment qui va suivre la faute du coupable.

Ainsi parla Kulisber, et toute l’assemblée, par un silence respectueux, témoigna l’horreur que ce forfait inspirait à tous les assistants et fit connaître qu’ils approuvaient la sévérité du général. L’officier fut introduit dans le cercle où, d’abord, on lui arracha la livrée sacrée des Ebugors. Et on la foula aux pieds. À la suite de cette honteuse cérémonie, on le cassa de son office, il fut déclaré incapable de servir. Il fut fait défense très expresse à tous Chadabers non seulement de lui obéir en rien, mais encore d’entretenir aucune liaison avec lui, sous quelque prétexte que ce fût. Après cette dégradation, l’infortuné capitaine se retira à Cythère, où on lui fournit, du mieux que l’on put, les moyens de se consoler de sa triste aventure.