ADDITION III

DEUXIÈME SÉRIE DE « BONS MOTS »

(Anecdotes 17 à 32)

ADDITION III. — Elle occupe les p. 229-232, et s’intercale après : « Combien en a-t-il de fièvres ? » (Mém. p. lxxxv.)

La Consolation à la princesse de Gonty.

Anecdote 17. (P.229.) Il obligea la Princesse de Conty à retourner exprès à Saint-Germain en Laye, pour y recevoir la Lettre de consolation qu’il luy fit sur la mort du Chevalier de Guise son frère, parce qu’elle y estoit quand il la commença, et qu’il l’avoit marqué dès l’entrée ; aymant mieux luy donner la peine de faire ce voyage, que de prendre celle de changer peut estre une période ou deux de cet ouvrage.

La Consolation (en prose ou en vers) était un véritable genre littéraire de l’époque. On sait que Malherbe s’y adonnait avec plus de soin que de célérité (Lal. p. 32, 38, 268 consolation au président de Verdun, qui était remarié quand arriva la pièce sur son veuvage, etc…) La lenteur dans le travail était d’ailleurs un de ses plus graves défauts comme auteur d’à-propos : il savait parfois l’expliquer ingénieusement (t. IV, p. 224-226, cité par M. Souriau, p. 91, n. 2). — Voir une intéressante étude sur Malherbe consolateur dans la thèse de M. Allais, p. 355-368.

La lettre à la princesse de Conty est un véritable ouvrage qui occupe 23 pages de l’édition Lalanne, t. IV, p. 195-218. Elle commence ainsi : « Ne pouvant aller à Saint-Germain sitôt que je désirois… » Plus loin : « Ce que j’en apprends, c’est qu’à Saint-Germain vous soupirez comme vous soupiriez à Paris… ».

M. Souriau, p. 91, cite spirituellement cette autre phrase de la lettre : « Nous ne sommes plus ce que nous étions hier… et déjà, Madame, je ne suis plus celui que j’étois quand je me suis mis à vous écrire cette lettre.. » Lal. p. 206.

Racan avec les autres disciples professait une grande admiration pour cette œuvre (Mémoires, p. lxxxvi). C’est lui qui a pu rapporter ce traita Conrart. —

Chapelain raconte aussi l’anecdote, qu’il dit tenir de Malherbe ; il lui attribue une autre raison presque aussi faible que celle-ci et qui peut bien s’être combinée avec elle : c’était « afin qu’on ne pût pas dire qu’étant en une même ville, il n’avait qu’à lui dire ce qu’il lui écrivait. » I, 573. Lettre à M. de Monstreuil, 12 février 1640 (cité par M. Souriau, 91, n. 2).

V. Revue bleue, p. 732, col. 1. Nous y avons rabaissé par mégarde MMe  la princesse de Conty au rang de duchesse ; nous lui en faisons amende honorable.


À l’hôtel de Rambouillet.


Anecdote 18. (P. 229.) Estant allé un jour à l’Hostel de Rambouillet, où il ne trouva qu’une Demoiselle, auprès de laquelle il s’assit ; une balle de Mousquet passa entr’eux deux. Le lendemain, il y retourna, et Madame la Marquise de Rambouillet luy faisant compliment sur cet accident, Je voudrois, luy répondit-il, qu’elle m’eust tué ; je suis vieux ; j’ay assez vescu ; et puis, quelqu’un n’eust pas manqué de dire que Monsieur le Marquis de Rambouillet m’eut fait tirer ce coup-la. Ce qu’il disoit, parce qu’il avoit été amoureux de cette Dame, pour laquelle il avoit fait plusieurs pièces de vers.

Conrart devait tenir ce trait de MMe  de Rambouillet, qui l’avait raconté dans les mêmes’termes à Tallemant (I, 302]. On sait que Malherbe fut un des adorateurs de la marquise, pour elle il trouva avec Racan le joli anagramme d’Arthénice qui fit fortune : il fut très fâché que Racan l’eût devancé en appliquant le nom à MMe  de Termes qui s’appelait aussi Catherine (Racan, Mém. p. lxxxvi ; Tall. I, 302). Nous l’avons déjà vu faire ses confidences littéraires à MMe  de Rambouillet (an. 5) et ses dévotions avec elle (an. 16).

On ne connaît que deux pièces de vers faites par Malherbe en son honneur — Lal. 1. 1, p. 247 et 264.

Sur la satiété de la vie chez le vieux poète, voir aussi son mot à Racan au siège de la Rochelle (Mém. {{rom|lxviii|68).


Le cuisinier ganté.

Anecdote 19. P.229. Comme il alloit un jour disner chez quelqu’un qui l’en avoit convié, il trouva un valet à la porte qui avoit des gans à la main, c’estoit vers les onze heures. Il luy demanda, Qui estes-vous mon amy ? Monsieur, répondit l’autre, je suis le Cuisinier de céans. — Vertuchou, repartit M. de Malherbe, en s’en allant, Je n’aj garde de disner chez un homme dont le Cuisinier a des gans aux mains quand il faut servir.

Tallemant cite le mot en l'abrégeant. I, 283. Paulin Paris note en marge qu’on dînait alors à midi.

C’est un des numéros de la liste interminable des originalités de Malherbe. Celle-ci est assez méchante pour le bourgeois qui l’avait invité, et qui n’avaitsans doute en tout qu’un maître Jacques pour le servir.


Les répétitions.

Anecdote 20 P.229. Il mettoit assez souvent une mesme pensée en divers endroits, et vouloit qu’on le trouvast bon, disant, que quand il avoit mis un tableau sur sa cheminée, il lui estoit permis de le mettre sur son buffet quand il vouloit. Mais Racan lui disoit, que ce portrait n’estoit qu’en un lieu à la fois ; et que la pensée qu’il répétoit demeuroit en même temps en toutes les pièces où il l’avoit mise.

Malherbe ne pouvait pas répliquer par la vraie raison, à savoir que sa galerie de tableaux n’était pas assez riche pour qu’il pût en mettre un sur sa cheminée et un autre sur son buffet.

Ménage remarque à la p. 528 : « Malherbe a plus d’une fois emploié les mesmes pensées en différens endroits… : et quand ses familiers lui en faisoient reproche, il leur répondoit, qu’il estoit permis de mettre sur sa cheminée, ce qu’on avait mis sur son cabinet… » Voir l’opinion de Ménage, p. 329, sur la sécheresse de Malherbe, qui le fit mal juger du Cavalier Marin (anecd. suivante).

Tallemant, t. I, p. 293, raconte, dans les mêmes termes que Conrart, ce trait relatif aux répétitions de Malherbe. Ce n’était pas d’ailleurs le seul différend que Racan avait avec son maître : voir Mémoires, p. lxxi, lxxxiv, lxxxv. Ce fut un disciple moins servile qu’on ne le croit communément, ainsi que nous essaierons de le montrer dans sa biographie.

Il n’y a guère que lui qui puisse être l’auteur de cette historiette.


Portrait de Malherbe.

Anecdote 21. (P.229.) Il estoit grand et bien fait, mais il crachottoit toujours ; ce qui faisoit dire au Cavalier Marin, qu’il n’avoit jamais veû un homme si humide, ni un Poète si sec.

Voilà un des mots les plus connus sur Malherbe, grâce au 37e entretien de Balzac publié dès 1657 : « … il crachoit pour le moins six fois en récitant une Stance de quatre Vers. Et ce fut ce qui obligea le Cavalier Marin à dire de luy, etc. » Notons qu’il y a toujours de la charge, ou de la rhétorique (ce qui revient au même) dans les traits que Balzac prête à Malherbe : le poète a été vengé de main de maître par Sainte-Beuve (p. 416-420).

Ménage en 1666 cita aussi le mot de Marin, p. 329.

Tallemant reproduit notre anecdote en deux fois, t. I, p. 274 et 287, et il ajoute : « À cause de sa crachotterie il se mettoit tousjours auprès de la cheminée[1]. »

Malherbe était « un poète sec » surtout au regard d’un Italien qui estimait avant tout la facilité et la fluidité sans profondeur. Il est certain néanmoins qu’il ne brilla jamais par l’abondance et la variété (voir entre autres l’an. précédente sur ses redites). —

Le mot de Marin était de notoriété publique ; quant au début de l’anecdote sur les avantages extérieurs de Malherbe, il émane plus ou moins directement de l’un des trois membres de la société de Conrart qui avaient connu le poète, Balzac, Chapelain ou Racan.

Voir l’étude intéressante de M. Lalanne, t. I, p. cxxiv-cxxviii, sur les portraits authentiques de Malherbe.


Les parodies.

Anecdote 22. (P. 230.) Dans l’Édition de toutes ses Œuvres, qui fut faite après sa mort, on a recueilly bon et mauvais, sans aucun choix, ni aucune distinction ; tesmoin cette pièce si chétive, qu’il fit sur le mariage du Roy Louis XIII. et qui commence,

Cette Anne si belle

Qu’on vante si fort,
Pourquoi ne vient-elle ?

Vray’ment elle a tort !

Pour s’excuser, il disoit qu’on l’avoit trop pressé. Une autrefois il disoit qu’il l’avoit faite ainsi exprès, pour empescher qu’on ne lui demandast trop souvent des vers. Tantôt il alléguoit, qu’il les falloit ainsi pour l’air ; et enrageoit de ce qu’il n’avoit pas de meilleures raisons à dire. Théophile, qui le picottoit toujours, en fit une parodie, qui commençoit,

Ce divin Malherbe,

Cet esprit parfait.
Donnez-luy de l’herbe,

N’a-t-il pas bien fait ?

Luy mesme, ou quelque autre, en fit aussi une de cette pièce de quatrains où le second vers est :

Cela se peut facilement,


et le quatrième,

Cela ne se peut nullement.

I. Dans la première partie de l’anecdote il s’agit de l’édition médiocre des Œuvres de Malherbe qui parut en 1630, in-4°. Elle donnait à la p. 191 la chanson : Cette Anne si belle… (Lal. t. I, 234), faite par le poète pour le ballet du 19 mars 1615, qui précéda le mariage de Louis XIII.

Racan avait rapporté à Ménage (Ménage, 513) « que Malherbe fit ces vers à la prière de Marais, porte-manteau — (et bouffon ) — de Louis XIII sur un air qui couroit, et qu’il les fit en moins d’un quart d’heure ». Nous le croyons facilement. Racan ajoutait que ces vers « ne furent point estimés » et que « Malherbe lui-même ne les estimoit pas ». — L’air était d’un musicien, nommé Guesdron.

Racan, selon Ménage, citait la parodie de Théophile en des termes un peu différents :

Ce brave Malherbe

Qu’on tient si parfait.
Donnez-lui de l’herbe,

Car il a bien fait.

Nous ne pouvons dire quelle est la vraie leçon, n’ayant pas trouvé ces vers dans l’édition moderne des Œuvres de Théophile, donnée par Alleaume, Bibl. elz., en 1856.

Malherbe se vengeait de ces « picottements » par le peu d’estime qu’il faisait de Théophile : voir sa lettre à Racan du 4 nov. 1623, Lal. t. 4, p. 8.

Tallemant rapporte également toute cette anecdote dans les mêmes termes que notre manuscrit, sauf qu’il attribue la parodie à Bautru, t. I, 296.

Ces renseignements paraissent bien avoir été transmis à Tallemant et à Conrart par Racan, comme ils l’ont été par lui à Ménage.

II. La seconde pièce parodiée est une chanson qui fut faite sur une chanson espagnole en collaboration par Malherbe, Racan et surtout madame de Bellegarde dans la chambre de celle-ci ; c’est Racan qui l’apprit à Ménage (Ménage, 496). Elle commence ainsi :

MALHERBE
5
Qu’autres que vous soient désirées,

Qu’autres que vous soient adorées,
Cela se peut facilement.
Mais qu’il soit des beautés pareilles
A vous, merveille des merveilles,

Cela ne se peut nullement.
(Lal. t. I, p. 96.)

Racan ajoute qu’on la mettait sur le compte de Malherbe, ce qui était confirmé par la parodie de Berthelot.

Conrart, qui devait lui aussi tenir ces détails de Racan, ne se souvenait plus de l’auteur de la parodie. Sa mémoire ne le sert pas mieux quand il parle de quatrains, ce sont des sixains, comme on vient de le voir, et ce n’est pas le 2e et le 4evers, mais le 3eet le 6e qui reviennent en refrains.

Tallemant, t. I, 296, dit que « c’estoient des couplets que M. (sic) de Bellegarde avoit faits, et que Malherbe avoit seulement raccommodez. La parodie en est plaisante ; elle est dans le Cabinet satirique » et en note : « C’est Bertelot qui l’a faitte ». — Paulin Paris pense avec raison que « M. de Bellegarde » est une erreur du manuscrit pour « Madame de B. »

La parodie se compose de sept couplets très mordants, cités en entier par Ménage (497) ; on les trouvera reproduits par Paulin Paris dans Tallemant, t.I, 320. En voici le dernier :

Etre six ans à faire une ode,

Et faire des lois à sa mode,
Cela se peut facilement :
Mais de nous charmer les oreilles
Par sa merveille des merveilles,

Cela ne se peut nullement.

« Malherbe pour réponse à ces vers, dit Ménage, fit donner des coups de baston à Bertelot par un gentilhomme de Caen nommé la Boulardie » — (et non la Boulardière, comme dit Paulin Paris, 321). — Ménage approuve fort ce moyen qu’il voudrait voir revenir quelque jour en usage, afin de se venger de ses ennemis, tels que Boileau et Bussy-Rabutin. —

Ne serait-ce point une réminiscence, d’ailleurs inexacte, de cette aventure qui aurait fait dire à Musset parlant de Mathurin Régnier dans sa pièce Sur la Paresse (Poésies nouvelles) :

Lui qui se redressait comme un serpent dans l’herbe,

Pour une balourdise échappée à Malherbe,
Et qui poussa l’oubli de tout respect humain

Jusqu’à daigner rosser Berthelot de sa main !

— Nous retrouvons ici habilement amenée la rime riche herbe, Malherbe, employée plaisamment par Théophile.


Les camisoles.


Anecdote 23. (P. 230.) Estant un jour chez madame Desloges, en hyver, il fit voir que les camisolles et les doublures qu’il portoit, alloyent jusques au nombre de 14.

Le Bibliophile Jacob a lu par erreur dix-huit au lieu de 14 (R. des provinces, p. 525).

Nous savions déjà par Racan que Malherbe était très frileux et qu’il mettait en hiver 12 paires de bas superposées (Mém. p. Lxxiii). Tallemant nous apprend qu’il portait un manteau doublé tout l’été (t. I, 291, n.). Il cite aussi le présent trait (Ibid.) en ajoutant que ces quatorze épaisseurs étaient « chemises, chemisettes ou doublures ». Malherbe avait d’ailleurs pour maxime que « Dieu n’a fait le froid que pour les pauvres et pour les sots ». Mém. lxxiv.

Ses ennemis raillaient sa manière de se couvrir. Berthelot dit dans une parodie, que mentionne l’anecdote précédente :

Avoir quatre chaussons de laine

Et trois casaquins de futaine,
Cela se peut facilement ;
Mais de danser une Bourrée,
etc. …

Cela ne se peut nullement.
(Paulin Paris, Tallemant, t. I, 320.)

On sait combien Malherbe aimait ce salon de Mme des Loges. (Voir Lal, Table, art. des Loges.)

Ce détail des camisoles a dû être fourni par elle à Conrart.

V. Revue bleue, p. 729, col. 2, et 730, col. 1.


À la Chartreuse.

Anecdote 24. (P.230)

Un chartreux nommé Dom Chazeray, qui estoit homme de lettres, et galant homme, avoit esté fort de ses amis, pendant qu’il estoit dans le monde, ce qui l’obligea de l’aller voir un peu après qu’il se fust fait Religieux. Il y fut donc, avec Racan et du Monstier. On ne leur permit qu’à peine de luy parler un moment ; et on les avertit qu’en entrant dans sa Cellule, il faloit qu’ils dissent chacun un Pater. Ce qu’ayant fait, comme ils pensoyent parler à Dom Chazeray, Vespres sonnèrent, et il leur dit, qu’il faloit nécessairement qu’il y allast ; si bien qu’ils furent contrains de s’en retourner, sans l’avoir entretenu. Malherbe, qui estoit fâché d’avoir fait inutilement ce voyage, dist qu’on lui rendist donc au moins son Pater.

Le trait est plus court et plus vif dans Tallemant (I, 283). Il est plus complet dans Conrart et ressemble plus à la manière calme dont Racan dut lui conter la chose.

Nous avouons que nous ne pouvons y voir, comme M. Souriau, p. 77, un trait de scepticisme à la Voltaire. Nous avons reconnu (an. 14) que Malherbe n’était ni pieux ni même profondément religieux, mais ce mot ne prouve pas grand’chose, c’est tout bonnement une boutade comme il en peut échapper même aux plus sincères croyants, s’ils sont facétieux.

Du Monstier est le disciple de Malherbe, plus connu comme portraitiste sous le nom de Dumoutier. La véritable orthographe est Dumonstier, c’est ainsi qu’il signait ses portraits. (Lai. t. I, p, cxxv, n. 1.)


La poésie jusque dans les comptes.

Anecdote 25. (p. 231.)

Racan le trouva un jour contant cinquante sols en douzains à un ouvrier qui avoit fait quelque chose pour luy ; et voyant qu’il avoit mis deux rangées de dix sols chacune, et une de cinq, puis deux autres rangées aussi de dix sols, et une autre de cinq ; il luy en demanda la raison ? C’est, lui dit-il, que je songeois à la pièce que j’ay faite pour le Roi (Henry le Grand) qui commence :

Que d’épines, Amour, accompagnent tes roses !

Que d’une aveugle erreur tu laisses toutes choses
A la mercy du sort !
Qu’en tes prospérités à bon droit on soupire !
Et qu’il estmal-aysé de vivre en ton Empire

Sans désirer la mort !

où les vers sont rangés de la mesme sorte qu’il avoit rangé ses sols.

Le maître était à ce point hanté par le rythme qu’il payait en mesure.

C’étaient ces stances amoureuses que Malherbe avait faites pour Alcandre (Henri IV) plaignant la captivité de sa maîtresse (la princesse de Condé) — une des plus belles pièces et des plus honteuses actions du poète.

Il empruntait pour la première fois à Ronsard et à Desportes ce sixain coupé de deux petits vers. Voir l’histoire et les avantages de ce rythme dans Allais, p. 338-340. —

Les douzains étaient les sous qui valaient 12 deniers. —

Tallemant a comme d’ordinaire écourté vivement le trait, I, 283.

Le mot, qui ne peut manquer d’avoir été rapporté par Racan, a dû être prononcé entre le mois de janvier 1610, date de la composition de la pièce, et le mois de mai de la même année, date de la mort d’Henri IV, qui n’est pas traité de « feu roy ».


Soupers à la chandelle.

Anecdote 26. (P. 231.) Quand il soupoit de jour, aux grans jours d’esté, il faisoit fermer ses fenêtres, et allumer de la chandelle ; et disoit, qu’autrement ce seroit disner deux fois.

Tallemant cite cette originalité, I, 286, en employant le discours direct, comme il ne manque presque jamais de le faire. Paulin Paris note en marge que l’on soupait alors à huit heures, comme on dînait à midi (V. an. 19).

Racan, qui avait ses entrées libres dans la chambre garnie de son maître, put surpendre cette habitude et la conter ensuite.


Les chenets.

Anecdote 27. (P. 231.) Comme il se chauffoit un jour en compagnie, il y avoit à la cheminée de ces grans chenets du temps passé, où, au lieu de pommes, il y avoit des figures d’hommes ; ce qui ne luy plaisant pas[2], il dit, Mort d. pourquoi faut-il que ces vieux b. qui n’ont point de sentiment, se chauffent et tiennent la place d’honnestes gens qu’ils empeschent de se chauffer !

Frilosité et sans-gêne, ces deux points chez Malherbe nous sont connus par ailleurs. Sur le 1er cf. anecdote 23.

L’historiette est racontée d’une façon un peu différente par Tallemant, t. 1, 284, n. 1. « Une fois il osta les chesnets du feu. C’estoient des chesnets qui représentoient de gros satyres barbus : Mort Dieu ! » dit-il, « ces gros bougres se chauffent tout à leur aise, tandis que je meurs de froid. » La même scène a pu être rapportée par ses différents témoins.

L’anecdote qui précède celle-ci dans Tallemant semble indiquer que le fait eut lieu chez M. de Bellegarde. La chose est très vraisemblable ; là plus qu’ailleurs Malherbe avait son franc parler. Ce fut peut-être même dans la chambre de Mme  de Bellegarde, où étaient des chenets assez hauts pour que Racan, un jour de distraction, ait pu prendre pour eux deux grandes dames assises au coin du feu. Tallemant, t. II, 361.

Racan, qui vivait à l’hôtel Bellegarde, serait sans doute alors le rapporteur de ce trait.


Le faisan.


Anecdote 28. (P. 231.) Un jour on servit à la table de M. de Bellegarde un Faisant, avec ce grand ornement de plumes que l’on a accoustumé d’y mettre. M. de Bellegarde, qui l’avoit devant luy, les arracha, et comme il les voulut jetter, le Me d’Hostel l’en empescha, et luy dit, Monsieur, je vous supplie de ne point oster ces plumes ; cela est nécessaire à ce faisant, pour le discerner d’avec les chapons. — Sur quoy M. de Malherbe lui répondit brusquement, à sa façon ordinaire, Mettez-y plutôt un écriteau dessus, et y écrivez que c’est un faisant, si vous avez peur qu’il ne soit point reconnu. Cela fut cause que M. de Bellegarde défendit de mettre plus de plumes aux faisans que l’on servoit à sa table.

Voilà une des rares réformes du législateur qui ne lui aient pas survécu. Les cuisiniers ont vaincu Malherbe.

Tallemant rapporte l’histoire plus vivement (I, 283). « Chez M. de Bellegarde, on servit un jour un faisan avec la teste, la queue et les aisles ; il les prit et les jeta dans le feu. Le Maistre-d’hostel luy dit : « Mais on le prendra pour un chapon. — Eh bien ! mortdieu ! » respondit Malherbe, « mettez-y donc un escriteau et non pas toutes ces viédazeries. »

Tallemant a bien l’air de dire que c’est Malherbe et non Bellegarde qui commença par dépouiller le faisan. Ce serait vraiment trop grossier. Probablement hanté par Tallemant, le Bibliophile Jacob a lu faussement dans le ms. de Conrart : « M. de Malherbe qui l’avait devant lui, les arracha… » R. des provinces, p. 526.

L’anecdote venait sans doute de Racan qui habitait chez M. de Bellegarde où Malherbe avait aussi sa table. Ils y prenaient chaque jour leurs repas ensemble. Cf. Mém. p. Lxxiii, avant-dern. I.

Dans Conrart, le ton général est bien celui de Racan ; quelle différence avec celui de Tallemant ! De plus, ce mot se retrouve plusieurs fois dans les Mémoires : « M. de Malherbe lui répondit brusquement, à sa façon ordinaire… » Voir Introduction, p. 18, ii.


Musique et gants.

Anecdote 29. (P.230.)

M. de Malherbe n’estoit délicat ni en musique, ni en gans, et il aymoit autant ouyr chanter une chanson du Pont-neuf, que le plus bel air du monde ; et avoir des gans de 10 sols, que des meilleurs et des mieux préparez.

Notre manuscrit éclaire ici Tallemant, t. I, 289, que l’on comprenait généralement dans un sens diamétralement opposé. « Malherbe disoit qu’il se connaissoit en deux choses, en musique et en gants. Voyez le grand rapport qu’il y a de l’un à l’autre. » Le mot du poète est donc ironique, à moins par hasard qu’une négation n’ait été omise dans la lecture du manuscrit de Tallemant des Réaux.

Malherbe, en effet, a prouvé qu’il ne s’y connaissait pas en musique : il ne réussit que deux fois à composer des strophes qui se puissent chanter. Voir Souriau, p. 98 (en mettant de côté la méprise inévitable due à Tallemant et en ajoutant à la note 3 une autre pièce, celle de la p. 234 de l’éd. Lalanne). — Néanmoins il créa ou restaura un grand nombre de rythmes avec un vrai sentiment de l’harmonie : ce fut un des principaux points où il porta ses laborieux efforts. Voir dans Allais des pages très fines sur l’harmonie colorée de Malherbe, p. 134 et s., sur les divers rythmes employés par lui : Chap. X, lre et 2eparties ; XII,

3epartie ; XIII, 4e partie, etc., et la Note inédite du même auteur insérée à la fin du présent travail, p. 85.

En fait de musique, ce qu’il aimait à « ouyr chanter » et à chanter lui-même, c’étaient les chansons du Pont-Neuf : voir an. 8 et note.

Musique et gants… Malherbe, qui avait le goût naturel des antithèses, se plaisait à ces rapprochements imprévus et irrévérencieux.

Celui-ci put être rapporté par Racan qui l’avait entendu répéter plus d’une fois.


L’Ermite.

Anecdote 30. (P. 232.) Un nommé Chaperonnaye, qui se faisoit appeller le Chevalier de la Madelaine, par ce qu’il avoit obtenu permission du Roy Louis xiii d’instituer un Ordre de ce nom-la, eust d’abord le dessein de bastir une Maison dans la forest de Fontainebleau, pour ceux qui voudroyent estre de cet Ordre. Mais, ayant changé d’avis, il demanda permission au Roy de faire dresser une espèce d’oratoire dans la Galerie du Louvre où sont les portraits des Roys. S. M. la lui ayant accordée, il fit dresser un grand Pavillon dans cette galerie, en forme de petit hermitage, de velours Supraris, doublé de toile d’argent. Il passoit là les jours et les nuits, sans sortir, à ce qu’il disoit, avec un sien compagnon, tous deux vestus d’une robbe d’Hermite de Drap gris, en broderie de laine rouge. Un jour, le Roy estant allé dans la galerie, et M. de Malherbe l’y ayant suivy avec beaucoup de Noblesse ; il demanda à ce prétendu hermite, qui disoit qu’il ne sortoit point |de ce lieu-la, où il faisoit donc ses nécessitez naturelles ? A quoy n’ayant pas répondu nettement, le Roy luy commanda de quitter sa galerie, disant, Je croy que ce vilain-la est si impudent qu’il c… dans ma galerie ; je ne veux plus qu’il y soit. M. de Racan le vit depuis, avec son camarade, qui avoyent quitté l’habit d’hermite, et estoyent vestus de deux habits qu’ils s’estoyent fait faire du velours du Pavillon, avec les manches et la doublure de toile d’argent. Et il ouït dire, au bout de quelque temps, qu’il estoit allé à Rome, où il tenoit une table qui estoit quelquefois de 50 couverts, et toujours la meilleure et la plus délicate de la Cour. Cela dura longtemps, sans qu’on seût où il prenoit de quoy fournir à cette dépence, et à toutes les autres qu’il faisoit à l’avenant de celle-là. Puis, tout d’un coup il disparut, sans qu’on ayt jamais appris ce qu’il estoit devenu.

Il serait intéressant de retrouver ailleurs quelques renseignements sur cet « irrégulier ».

Si l’on estimait que le mot de L’ouis XIII n’est point d’une noblesse royale, on n’aurait qu’à parcourir le Journal d’Héroard pour s’édifier sur le vocabulaire qui lui fut enseigné dès son âge le plus tendre. —

Afin de savoir ce qu’était le Velours supraris, nous avons fait une petite enquête, qui est restée sans résultat, dans les filatures de Reims et les fabriques de soieries de Lyon. Il nous a été répondu que « le velours supraris n’est plus un type bien défini de l’article, et le nom semble en effet être de convention. Qui pourra dire d’ailleurs dans 300 ans ce qu’est le satin soleil, le drap Montagnac, l’armure royale, etc. ou comme nuances le Magenta ou le Solférino ? » — Le nom indique apparemment une qualité supérieure. — Ce serait une question de « nouveautés » anciennes à poser l’Intermédiaire des Chercheurs. En tous les cas le manuscrit donne bien du « velours Supraris » et non du velours préparé, comme a lu le Bibliophile Jacob (Revue des provinces, p. 526).

L’anecdote est évidemment de Racan. V. Revue bleue, p, 732, coi. 1 et 2.


La Grand’Messe.

Anecdote 31. (p. 232.) Un Dimanche, M. de Malherbe, estant allé en une Église, pour entendre la Messe, à l’heure que la Grand Messe se dit, M. de Racan y arriva aussi, et le trouva à la Porte de l’Église ; il luy demanda, s’il ne vouloit pas entrer plus avant, pour entendre la Messe ? À quoy M. de Malherbe répondit brusquement, selon sa coustume, pensez-vous qu’une grande Messe ne porte pas plus loin qu’une petite ?

Voilà une 3e boutade religieuse (Cf. an. 14 et 24) qui ne prouve pas encore grand’chose sur la religion de Malherbe.

Evidemment il n’était pas pieux, mais il s’acquittait strictement de ses devoirs religieux, non seulement en public, comme ici, mais même en particulier dans sa chambre garnie. Racan, qui allait le surprendre à toute heure du jour, pour une fois qu’il le voit faire gras un samedi où on ne le doit pas, n’en revient pas d’étonnement (Mém. p. Lxviii).

Ce trait est venu évidemment à Conrart par l’intermédiaire de Racan.

V. Revue bleue, p. 731, col. 1.

La Poudre de Chypre.

Anecdote 32. (P. 232) Estant en voyage, et passant à Auxerre, il luy prit fantaisie d’avoir de la poudre de Chypre, et envoya son valet dire à un homme qui en vendoit, qu’il lui en apportast ; le Marchand luy en ayant montré, qu’il vouloit vendre 50 s. l’once ; M. de Malherbe luy dit qu’il n’en vouloit point, et qu’elle ne devoit pas estre bonne à ce prix-la ; si bien que le Marchand s’en retourna. Le valet, qui connoissoit l’humeur de son Me alla retrouver le Marchand, et l’instruisit de ce qu’il devoit faire, à condition qu’il auroit part au gain qu’il feroit de plus qu’il n’eust fait. Le Marchand revint donc au logis où estoit logé M. de Malherbe, et luy montrant la même poudre que…

(Coupé par le relieur…) quelle valoit cent sols …

Nous proposons une restitution dans le genre de celle-ci : lui montrant la même poudre que [celle qu’il luy avoit montrée auparavant, il luy dit ] qu’elle valoit cent sols [, sur quoy M. de Malherbe en voulut acheter.]

Le Bibliophile Jacob avait fait cette autre restitution un peu plus courte, mais contraire aux derniers mots qu’on peut lire sur le ms. :

i lui montrant la même poudre qu’il avait auparavant apportée, il réussit à la lui vendre cent sols. » (R. des provinces, p. 327.)

Quels que soient les mots adoptés, le dénouement de l'histoire est bien clair,

Il faut avouer que pour un homme positif c’est se faire grossièrement jouer.

Cette anecdote à qui et à que sent bien son Racan ; celui-ci connaissait bien le valet de Malherbe qui lui avait conté la façon plaisante dont son maître le corrigeait (Mém. p. Lxviii), et qui put bien lui faire aussi la confidence de ce bon tour. —

Malherbe passait par Auxerre soit dans un de ses voyages en Provence où étaient restés sa femme et son fils, soit en allant à Dijon, chez le duc de Bellegarde qui était gouverneur de Bourgogne. V. Revue bleue, p. 732, 2e col., et 733, 1re col.



  1. (1) On remarquera qu’à la p. 274 de Tallemant le crochet[ qui indique les passages des Mémoires de Racan devrait être reculé jusque devant les mots : d’une constitution. puisque les premiers mots de la phrase ne se retrouvent que dans notre manuscrit.
  2. Curieux exemple tout latin d’un relatif à l’ablatif absolu.