Andromaque/Édition Girard, 1668/Acte II

Th. Girard (p. 19-37).
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ACTE II.



Scène PREMIÈRE.

HERMIONNE, CLEONNE.
HERMIONNE.


Ie fay ce que tu veux. Ie conſens qu’il me voye.
Ie luy veux bien encore accorder cette joye ;
Pylade va bien-toſt conduire icy ſes pas.
Mais, ſi ie m’en croyois, ie ne le verrois pas.

CLEONNE.

Et qu’eſt-ce que ſa veuë a pour vous de funeſte ?
Madame, n’eſt-ce pas toûjours le meſme Oreſte,
Dont vous auez cent fois ſouhaité le retour,
Et dont vous regrettiez la conſtance & l’amour ?

HERMIONNE.

C’eſt cet amour payé de trop d’ingratitude,
Qui me rend en ces Lieux ſa preſence ſi rude.
Quelle honte pour moy ! Quel triomphe pour luy,
De voir mon infortune égaler ſon ennuy !
Eſt-ce là, dira-t’il, cette fiere Hermionne ?
Elle me dédaignoit, vn autre l’abandonne.
L’Ingrate, qui mettoit ſon Cœur à ſi haut prix,
Apprend donc à ſon tour à ſouffrir des mépris ?
Ah Dieux !

CLEONNE.

Ah Dieux ! Ah ! diſſipez ces indignes allarmes.
Il a trop bien ſenty le pouuoir de vos charmes.
Vous croyez qu’vn Amant vienne vous inſulter ?
Il vous rapporte vn Cœur qu’il n’a pû vous oſter.
Mais vous ne dites point ce que vous mande vn Pere.

HERMIONNE.

Dans ſes retardemens ſi Pyrrhus perſeuere,
À la mort du Troyen s’il ne veut conſentir,
Mon Pere auec les Grecs m’ordonne de partir.

CLEONNE.

Hé bien, Madame, hé bien, écoutez donc Oreſte.
Pyrrhus a commencé, faites au moins le reſte.
Pour bien faire, il faudroit que vous le préuinſſiez.
Ne m’auez-vous pas dit que vous le haïſſiez ?

HERMIONNE.

Si je le hais, Cleonne ? Il y va de ma gloire,
Apres tant de bontez dont il perd la memoire.

Luy qui me fut ſi cher, & qui m’a pû trahir !
Ah ! ie l’ay trop aimé pour ne le point haïr.

CLEONNE.

Fuyez-le donc, Madame ; et puis qu’on vous adore…

HERMIONNE.

Ah ! laiſſe à ma fureur le temps de croiſtre encore.
Contre mon Ennemy laiſſe-moy m’aſſurer,
Cleonne, auec horreur ie m’en veux ſeparer.
Il n’y trauaillera que trop bien, l’Infidelle !

CLEONNE.

Quoy ! vous en attendez quelque injure nouuelle ?
Aimer vne Captiue, & l’aimer à vos yeux,
Tout cela n’a donc pû vous le rendre odieux ?
Apres ce qu’il a fait, que ſçauroit-il donc faire ?
Il vous auroit déplû, s’il pouuoit vous déplaire.

HERMIONNE.

Pourquoi veux-tu, Cruelle, irriter mes ennuis ?
Je crains de me connoiſître en l’eſtat où ie ſuis.
De tout ce que tu vois tâche de ne rien croire.
Croy que ie n’aime plus. Vante-moy ma victoire,
Croy que dans ſon dépit mon Cœur eſt endurcy.
Helas ! & s’il ſe peut, fay-le moy croire auſſy.
Tu veux que ie le fuye. Hé bien, rien ne m’arreſte.
Allons. N’enuions plus ſon indigne conqueſte.
Que ſur luy ſa Captiue étende ſon pouuoir.
Fuyons. Mais ſi l’Ingrat rentroit dans ſon deuoir !

Si la Foy dans ſon Cœur retrouuoit quelque place !
S’il venoit à mes pieds me demander ſa Grace !
Si ſous mes Loix, Amour, tu pouuois l’engager !
S’il vouloit !… Mais l’Ingrat ne veut que m’outrager.
Demeurons toutefois, pour troubler leur fortune.
Prenons quelque plaiſir à leur eſtre importune.
Ou le forçant de rompre vn nœud ſi ſolemnel,
Aux yeux de tous les Grecs rendons-le criminel.
I’ai déja ſur le Fils attiré leur colere.
Ie veux qu’on viẽne encor luy demander la Mere.
Rendons-luy les tourmens qu’elle me fait ſouffrir.
Qu’elle le perde, ou bien qu’il la faſſe périr.

CLEONNE.

Penſez-vous que des yeux toûjours ouuerts aux larmes,
Songent à balancer le pouuoir de vos charmes ?
Et qu’vn Cœur accablé de tant de déplaiſirs,
De ſon Perſecuteur ait brigué les ſoûpirs ?
Voyez ſi ſa douleur en paroiſt ſoulagée.
Pourquoy dõc les chagrins où ſon Ame eſt plõgée ?
Pourquoy tant de froideurs ? Pourquoy cette fierté ?

HERMIONNE.

Helas ! pour mon malheur ie l’ay trop écouté.
Ie n’ay point du ſilence affecté le myſtère.
Ie croyois ſans péril pouuoir eſtre ſincere.
Et ſans armer mes yeux d’vn moment de rigueur,
Ie n’ay pour luy parler, conſulté que mon Cœur.
Et qui ne ſe ſeroit comme moy declarée,
Sur la foy d’vune amour ſi ſaintement jurée ?
Me voyoit-il de l’œil qu’il me voit aujourd’huy ?
Tu t’en ſouuiens encor, tout conſpiroit pour luy.

Ma Famille vangée, & les Grecs dans la joye,
Nos Vaiſſeaux tout chargez des dépoüilles de Troye,
Les Exploits de ſon Pere, effacez par les ſiens,
Ses feux que ie croyois plus ardans que les miens,
Mon Cœur, toy-meſme enfin de ſa gloire ébloüye,
Avant qu’il me trahiſt, vous m’auez tous trahie.
Mais c’en eſt trop, Cleonne, & quel que ſoit Pyrrhus,
Hermione eſt ſenſible, Oreſte a des vertus.
Il ſçait aimer du moins, & meſme ſans qu’on l’aime ;
Et peut-eſtre il ſçaura ſe faire aimer luy-méme.
Allons. Qu’il vienne enfin.

CLEONNE.

Allons. Qu’il vienne enfin.Madame, le voicy.

HERMIONNE.

Ah ! ie ne croyois pas qu’il fuſt ſi prés d’icy.


Scène II.

HERMIONNE, ORESTE, CLEONNE.
HERMIONNE.


Le croiray-je, Seigneur, qu’vn reſte de tendreſſe
Ait ſuſpendu les ſoins dont vous charge la Gréce ?
Ou ne dois-je imputer qu’à voſtre ſeul deuoir,
L’heureux empreſſemẽt qui vous porte à me voir ?

ORESTE.

Tel eſt de mon amour l’aueuglement funeſte,
Vous le ſçauez, Madame, & le destin d’Oreſte
Eſt de venir ſans ceſſe adorer vos attraits,
Et de jurer toûjours qu’il n’y viendra iamais.
Ie ſçais que vos regards vont rouurir mes bleſſures,
Que tous mes pas vers vous ſont autãt de parjures.
Ie le ſçais, i’en rougis. Mais i’atteſte les Dieux,
Témoins de la fureur de mes derniers adieux,
Que i’ay couru partout où ma perte certaine
Dégageoit mes ſermens, & finiſſoit ma peine.
I’ay mandié la Mort, chez des Peuples cruels
Qui n’apaiſoient leurs Dieux que du ſang des Mortels :
Ils m’ont fermé leur Temple, & ces Peuples barbares
De mon ſang prodigué sont deuenus auares.

Enfin ie viens à vous, & ie me voy reduit
À chercher dans vos yeux vne mort, qui me fuit.
Mon deſeſpoir n’attend que leur indifférence,
Ils n’ont qu’à m’interdire vn reste d’eſpérance.
Ils n’ont, pour auancer cette mort où ie cours,
Qu’à me dire vne fois ce qu’ils m’ont dit toûjours.
Voila depuis vn an le ſeul ſoin qui m’anime.
Madame, c’eſt à vous de prendre vne Victime,
Que les Scythes auroient dérobée à vos coups,
Si i’en auois trouué d’auſſi cruels que Vous.

HERMIONNE.

Non, non, ne penſez pas qu’Hermionne diſpoſe.
D’vn ſang, ſur qui la Gréce aujourd’huy ſe repoſe
Mais vous-meſme, eſt-ce ainſi que vous executez
Les vœux de tant d’Eſtats que vous repreſentez ?
Faut-il que d’vn tranſport leur Vangeance dépende ?
Eſt-ce le sang d’Oreſte enfin qu’on vous demande ?
Dégagez-vous des ſoins dont vous eſtes chargé.

ORESTE.

Les refus de Pyrrhus m’ont aſſez dégagé,
Madame, il me renuoye, & et quelque autre Puiſſance
Luy fait du Fils d’Hector embraſſer la défence.

HERMIONNE.

L’infidelle !

ORESTE.

L’infidelle !Ainſi donc il ne me reſte rien,
Qu’à venir prendre icy la place du Troyen :
Nous sõmes Ennemis, luy des Grecs, moy le voſtre,
Pyrrhus protege l’vn, & ie vous liure l’autre.

HERMIONNE.

Hé quoy ? Dans vos chagrins ſans raiſon affermy,
Vous croirez-vous toûjours, Seigneur, mon Ennemy ?
Quelle eſt cette rigueur tant de fois alleguée ?
I’ay paſſé dans l’Épire où j’eſtois reléguée.
Mon Pere l’ordonnoit. Mais qui ſçait ſi depuis,
Ie n’ay point en ſecret partagé vos ennuis ?
Penſez-vous auoir ſeul éprouué des allarmes ?
Que l’Épire iamais n’ait veû couler mes larmes ?
Enfin, qui vous a dit, que malgré mon deuoir,
Ie n’ay pas quelquefois ſouhaitté de vous voir ?

ORESTE.

Souhaitté de me voir ? Ah diuine Princeſſe…
Mais de grace, eſt-ce à moy que ce diſcours s’adreſſe ?
Ouurez les yeux. Songez qu’Oreſte eſt deuant vous,
Oreſte ſi long-temps l’objet de leur courroux.

HERMIONNE.

Oüy, c’eſt vous dont l’amour naiſſant auec leurs charmes,
Leur apprit le premier le pouuoir de leurs armes ;
Vous que mille vertus me forçoient d’eſtimer,
Vous que i’ay plaint, enfin que ie voudrois aimer.

ORESTE.

Ie vous entens. Tel eſt mon partage funeſte.
Le Cœur eſt pour Pyrrhus, & les vœux pour Oreſte.

HERMIONNE.

Ah ! ne ſouhaittez pas le deſtin de Pyrrhus,
Ie vous haïrois trop.

ORESTE.

Ie vous haïrois trop.Vous m’en aimeriez plus.
Ah ! que vous me verriez d’vn regard bien contraire !
Vous me voulez aimer, & ie ne puis vous plaire,
Et l’Amour ſeul alors ſe faiſant obeïr,
Vous m’aimeriez, Madame, en me voulant haïr.
Ô Dieux ! Tant de reſpects, vne amitié ſtendre…
Que de raiſons pour moy, ſi vous pouuiez m’entendre !
Vous ſeule pour Pyrrhus diſputez aujourd’huy,
Peut-eſtre malgré vous, ſans doute malgré luy.
Car enfin il vous hait. Son ame ailleurs épriſe
N’a plus…

HERMIONNE.

N’a plus…Qui vous l’a dit. Seigneur, qu’il me mépriſe ?
Ses regards, ſes diſcours vous l’ont-ils donc appris ?
Iugez vous que ma veuë inſpire des mépris ?
Qu’elle allume en vn cœur des feux ſi peu durables ?
Peut-eſtre d’autres yeux me sont plus fauorables.

ORESTE.

Pourſuivez. Il eſt beau de m’inſulter ainſi.
Cruelle, c’est donc moy qui vous mépriſe ici.
Vos yeux n’ont pas aſſez éprouué ma conſtance
Ie ſuis donc vn témoin de leur peu de puiſſance.

Ie les ay mépriſez ? Ah ! Qu’ils voudroient bien voir
Riual, comme moy, mépriſer leur pouuoir.

HERMIONNE.

Que m’importe, Seigneur, ſa haine, ou ſa tendreſſe
Allez contre vn Rebelle armer toute la Gréce.
Rapportez-luy le prix de ſa rebellion.
Qu’on faſſe de l’Épire vn ſecond Ilion.
Allez. Apres cela, direz-vous que ie l’aime ?

ORESTE.

Madame, faites plus, & venez-y vous-meſme.
Voulez-vous demeurer pour oſtage en ces lieux ?
Venez dans tous les cœurs faire parler vos yeux.
Faiſons de notre haine vne commune attaque.

HERMIONNE.

Mais, Seigneur, cependant s’il épouſe Andromaque ?

ORESTE.

Hé Madame !

HERMIONNE.

Hé Madame !.Songez quelle honte pour nous,
Si d’vne Phrygienne il deuenoit l’Eſpoux.

ORESTE.

Et vous le haïſſez ? Auoüez-le, Madame,
L’Amour n’eſt pas un feu qu’on renferme en vne ame.
Tout nous trahit, la voix, le ſilence, les yeux.
Et les feux mal couuerts n’en éclatent que mieux.

HERMIONE.

Seigneur, ie le voy bien, voſtre ame préuenuë
Répand ſur mes diſcours le venin qui la tuë,
Toûjours dans mes raiſons cherche quelque détour,
Et croit qu’en moy la haine eſt vn effort d’amour.
Il faut donc m’expliquer. Vous agirez enſuite.
Vous ſçauez qu’en ces lieux mon deuoir m’a conduite,
Mon deuoir m’y retient, & ie n’en puis partir,
Que mon Pere, ou Pyrrhus ne m’en faſſe ſortir.
Au nom de Menelas allez luy faire entendre,
Que l’Ennemy des Grecs ne peut eſtre ſon Gendre,
Du Troyen, ou de moy, faites-le decider :
Qu’il ſonge qui des deux, il veut rendre, ou garder.
Enfin qu’il me renuoye, ou bien qu’il vous le liure.
Adieu, s’il y conſent, ie ſuis preſte à vous ſuiure.


Scène III.

ORESTE.


Ovy, oüy, vous me ſuivrez, n’en doutez nullement.
Ie vous reſpons déja de ſon conſentement.
Ie ne crains pas, enfin, que Pyrrhus la retienne,
Il n’a deuant les yeux que ſa chere Troyenne,
Tout autre objet le bleſſe, & peut-eſtre aujourd’huy
Il n’attend qu’vn prétexte à l’éloigner de luy.
Nous n’auons qu’à parler. C’en eſt fait. Quelle joye
D’enleuer à l’Epire vne ſi belle Proye !
Sauue tout ce qui reſte, & de Troye, & d’Hector.
Garde ſon Fils, ſa Veuue, & mille autres encor,
Epire, c’eſt aſſez qu’Hermionne renduë
Perde à jamais tes bords, & ton Prince de veuë.
Mais vn heureux deſtin le conduit en ces lieux.
Parlons. À tant d’attraits, Amour, ferme ſes yeux.


Scène IV.

PYRRHVS, ORESTE, PHOENIX.
PYRRHVS.


Ie vous cherchois, Seigneur. Vn peu de violence
M’a fait de vos raiſons combattre la puiſſance,
Ie l’auouë. Et depuis que ie vous ay quitté,
I’en ay ſenty la force, & connu l’équité.
I’ay ſongé comme vous, qu’à la Grece, à mon Pere,
À moy-meſme en vn mot ie deuenois contraire,
Que ie releuois Troye, & rendois imparfait
Tout ce qu’a fait Achille, & tout ce que i’ay fait.
Ie ne condamne plus vn courroux légitime,
Et l’on vous va, Seigneur, liurer voſtre Victime.

ORESTE.

Seigneur, par ce conſeil prudent & rigoureux,
C’eſt acheter la Paix du ſang d’vn Malheureux.

PYRRHVS.

Oüy. Mais ie veux, Seigneur, l’aſſurer davantage.
D’vne eternelle Paix Hermionne eſt le gage.
Ie l’eſpouſe. Il ſembloit qu’vn ſpectacle ſi doux
N’attendiſt en ces lieux qu’vn Teſmoin tel que vous.

Vous y repréſentez tous les Grecs & ſon Pere,
Puis qu’en vous Menelas voit reuiure ſon Frere.
Voyez-la donc. Allez. Dites-luy que demain
I’attends, auec la Paix, ſon cœur de voſtre Main.

ORESTE.

Ah dieux !


Scène V.

PYRRHVS, PHOENIX.
PYRRHVS.


He bien, Phœnix, l’Amour eſt-il le Maiſtre ?
Tes yeux refuſent-ils encor de me connaiſtre ?

PHOENIX.

Ah ! je vous reconnois, & ce juste courroux
Ainſi qu’à tous les Grecs, Seigneur, vous rend à vous.
Et qui l’auroit penſé, qu’vne ſi noble audace
D’vn long abaiſſement prendroit ſi-toſt la place ?
Que l’on pût ſi-toſt vaincre vn poiſon ſi charmant ?
Mais Pyrrhus, quand il veut, ſçait vaincre en vn moment.
Ce n’eſt plus le jouët d’vne flamme ſeruile.
C’eſt Pyrrhus. C’est le Fils, & le Riual d’Achille,
Que la Gloire à la fin rameine ſous ſes lois,
Qui triomphe de Troye vne ſeconde fois.

PYRRHVS.

Dy plutoſt, qu’aujourd’huy commence ma Victoire.
D’aujourd’huy ſeulement ie jouïs de ma gloire,
Et mon cœur auſſi fier, que tu l’as veû ſoûmis,
Croit auoir en l’Amour vaincu mille Ennemis.

Conſidere, Phœnix, les troubles que j’éuite,
Quelle foule de maux l’Amour traiſne à ſa ſuite ;
Que d’Amis, de deuoirs j’allois ſacrifier.
Quels perils… Vn regard m’euſt tout fait oublier.
Tous les Grecs conjurez fondoient ſur vn Rebelle.
Ie trouuois du plaiſir à me perdre pour Elle.

PHOENIX.

Oüy, ie benis, Seigneur, l’heureuſe cruauté
Qui vous rend…

PYRRHVS.

Qui vous rend…Tu l’as veû comme elle m’a traitté.
Ie penſois, en voyant ſa tendreſſe allarmée,
Que ſon Fils me la duſt renuoyer deſarmée.
I’allois voir le ſuccez de ſes embraſſemens.
Ie n’ay trouué que pleurs mélez d’emportemens.
Sa miſere l’aigrit. Et touſiours plus farouche
Cent fois le nom d’Hector eſt ſorti de ſa bouche.
Vainement à ſon Fils j’aſſurois mon ſecours,
C’eſt Hector, ( diſoit-elle en l’embraſſant toûjours ; )
Voila ſes yeux, ſa bouche, & déja ſon audace,
C’eſt luy-meſme, c’eſt toy cher Eſpoux que j’embraſſe.
Et quelle eſt ſa penſée ? Attend-elle en ce iour
Que ie luy laiſſe vn Fils pour nourrir ſon amour ?

PHOENIX.

Sans doute. C’eſt le prix que vous gardoit l’Ingrate.
Mais laiſſez-la, Seigneur.

PYRRHVS.

Mais laiſſez-la, Seigneur.Ie voy ce qui la flatte.
Sa beauté la raſſure, & malgré mon courroux.
L’Orgueilleuſe m’attend encore à ſes genoux.
Ie la verrois aux miens, Phœnix, d’vn œil trãquile.
Elle eſt Veuue d’Hector. Et ie ſuis Fils d’Achile.
Trop de haine ſepare Andromaque & Pyrrhus.

PHOENIX.

Commencez donc, Seigneur, à ne m’en parler plus
Allez voir Hermionne, & content de luy plaire,
Oubliez à ſes pieds iuſqu’à voſtre colere.
Vous-meſme à cet hymen venez la diſpoſer ?
Eſt-ce ſur vn Riual qu’il s’en faut repoſer ?
Il ne l’aime que trop.

PYRRHVS.

Il ne l’aime que trop.Crois-tu, ſi ie l’eſpouſe,
Qu’Andromaque en ſecret n’en ſera pas jalouſe ?

PHOENIX.

Quoy touſiours Andromaque occupe voſtre eſprit ?
Que vous importe, ô Dieux ! ſa joye, ou ſon deſpit ?
Quel charme malgré vous vers elle vous attire ?

PYRRHVS.

Non, ie n’ay pas bien dit tout ce qu’il luy faut dire.
Ma colère à ſes yeux n’a paru qu’à demy.
Elle ignore à quel point ie ſuis ſon Ennemy.
Retournons-y. Ie veux la brauer à ſa veuë,
Et donner à ma haine une libre eſtenduë.

Vien voir tous ſes attraits, Phœnix, humiliez.
Allons.

PHOENIX.

Allons.Allez, Seigneur, vous jeter à ſes piez.
Allez, en luy jurant que voſtre ame l’adore,
À de nouveaux meſpris l’encourager encore.

PYRRHVS.

Ie le voy bien, tu crois que preſt à l’excuſer.
Mon Cœur court apres elle, & cherche à s’apaiſer.

PHOENIX.

Vous aimez, c’eſt aſſez.

PYRRHVS.

Vous aimez, c’eſt aſſez.Moy l’aimer ? Vne Ingrate,
Qui me hait d’autant plus que mon amour la flate ?
Sans Parens, ſans Amis, ſans eſpoir que ſur moy,
Ie puis perdre ſon Fils, peut-eſtre ie le doy.
Eſtrangère… Que dis-je ? Eſclaue dans l’Epire,
Ie luy donne ſon Fils, mon Ame, mon Empire,
Et ie ne puis gagner dans ſon perfide Cœur
D’autre rang que celuy de ſon Perſecuteur ?
Non, non, ie l’ay juré, ma vangeance eſt certaine.
Il faut bien vne fois juſtifier ſa haine.
I’abandonne ſon Fils. Que de pleurs vont couler !
De quel nom ſa douleur me va-t’elle appeller ?
Quel ſpectacle pour elle aujourd’huy ſe diſpoſe !
Elle en mourra, Phœnix, & j’en ſeray la cauſe.
C’eſt luy mettre moy-meſme vn poignard dans le ſein.

PHOENIX.

Et pourquoy donc en faire éclater le deſſein ?
Que ne conſultiez-vous tantoſt voſtre foibleſſe ?

PYRRHVS.

Ie t’entens. Mais excuſe vn reſte de tendreſſe.
Crains-tu pour ma colere vn ſi foible combat ?
D’vn amour qui s’eſteint c’eſt le dernier éclat.
Allons. À tes conſeils, Phœnix, ie m’abandonne.
Faut-il liurer ſon Fils ? Faut-il voir Hermionne ?

PHOENIX.

Oüy, voyez-la, Seigneur, & par des vœux ſoûmis
Proteſtez-luy…

PYRRHVS.

Proteſtez-luy…Faiſons tout ce que i’ay promis.


Fin du ſecond Acte.