Texte établi par Claude-Bernard PetitotFoucault (p. 376-387).

De la vaine tentative que fit Pierre auprés du roy de Portugal pour en obtenir du secours ; et du prix que Mathieu de Gournay, chevalier anglois, remporta dans un tournoy contre des Portugais.


Pierre voyant toutes ses affaires deplorées, et qu’Henry s’étoit presque rendu maître de toute l’Espagne, il se persuada que le roy de Portugal auroit quelque compassion de son infortune et voudroit bien luy prêter la main pour le rétablir dans ses États. Ce fut dans cet esprit qu’il l’alla trouver à Lisbonne. Il luy exposa l’usurpation pretenduë que le prince Henry venoit de faire en son royaume, assisté des armes de Bertrand du Guesclin, qui s’étoit mis à la tête de grand nombre d’avanturiers pour luy ôter sa couronne. Ille supplia de le vouloir tirer de ce mauvais pas en luy donnant le secours dont il avoit besoin pour reprendre toutes les places que la perfidie de ses sujets luy avoit fait perdre. Le roy de Portugal l’assura que son sort étoit bien à plaindre, mais qu’il n’avoit pas des forces suffisantes pour entrer ouvertement dans son affaire et s’attirer sur les bras une guerre avec les François de gayeté de cœur ; que cependant il pouvoit compter que, s’il vouloit établir son séjour en Portugal, il le feroit servir en roy, luy donnant tous les officiers qui sont ordinairement employez auprés de la personne d’un souverain. Pierre le remercia de ses honnêtetez, et dissimula le chagrin qu’il avoit dans le cœur de se voir éconduit.

Il s’avisa d’une autre ressource : il se souvint que le prince de Galles avoit été souvent aux mains avec les François, et qu’il n’étoit pas leur amy. Cette pensée fut fort soutenue par le roy de Portugal, auquel il s’ouvrit là dessus, et qui luy conseilla de prendre ce party, luy disant qu’il n’étoit pas nécessaire qu’il fit le trajet pour passer en Angleterre, puis qu’il trouveroit dans la Guinne le prince de Galles, qui, selon toutes les apparences, épouseroit ses interêts avec chaleur, ayant avec soy de fort belles troupes, avec lesquelles il avoit remporté de grands avantages contre les François ; qu’il pouvoit compter par avance que son voyage aurait un succés infaillible, puis qu’il y avoit longtemps que les mains luy démangeoient contre cette nation, sur laquelle il ne cherchoit que quelque spécieux prétexte pour faire des conquêtes.

Ces raisons encouragèrent Pierre à prendre le chemin de Bordeaux pour y parler au prince de Galles qui y tenoit sa Cour. Il fit donc preparer un vaisseau sur lequel il chargea ce qu’il avoit de plus riche et de plus précieux, sans oublier sa table d’or, et puis il y monta, suivy de vingt cinq chevaliers, de cinquante écuyers espagnols et de grand nombre de juifs, qui luy faisoient une fort fidelle compagnie. Durant cet embarquement de Pierre pour Bordeaux, Henry, son ennemy, ne s’endormoit pas : il assembla son conseil auquel assisterent Bertrand, le maréchal d’Andreghem, Hugues de Caurelay, le sire de Beaujeu, Mathieu de Gournay et tous les autres generaux les plus distinguez de l’armée. Il leur fit part de la nouvelle qu’il avoit apprise, que Pierre étoit allé mandier du secours auprés du roy de Portugal, et leur demanda quelles mesures il luy falloit prendre pour empêcher ce prince d’entrer dans les interêts de son ennemy. Bertrand prit la parole et declara qu’il étoit à propos de dépêcher en Portugal quelque chevalier au plûtôt, pour apprendre en quelle assiette étoit cette affaire, et que pour détourner un coup si dangereux, il falloit menacer ce Roy d’entrer en armes dans ses États, et de luy donner tant d’exercice chez soy qu’il n’auroit pas le loisir de songer à secourir les autres ; qu’après qu’ils auroient fait la conquête du Portugal, ils pourroient attaquer les royaumes de Grenade et de Belmarin, passer sur le ventre à tant de juifs et de sarrazins, dont ils étoient remplis, et de la pousser jusques dans la Terre sainte, pour se rendre maîtres de Jérusalem, et reprendre sur les Infidelles ce que Godefroy de Boüillon le Grand avoit autrefois emporté sur eux.

On songea donc à choisir un homme de cœur et de talent pour bien s’aquiter de la commission dont on avoit envie de le charger auprés du roy de Portugal. On jetta les yeux sur Mathieu de Gournay, chevalier anglois, qui fut ravy d’avoir cet employ, parce qu’il mouroit d’envie de voir la ville de Lisbonne et la cour du roy de Portugal. Il se mit en chemin luy dixième pour ce sujet. Il arriva dans cette ville un peu devant dîner. Il n’eut pas plûtôt mis pied à terre dans l’hôtelerie, qu’il eût la curiosité de demander à son hôte si le roy de Portugal étoit à Lisbonne, et ce que l’on disoit du roy Pierre. Cet homme répondit que Sa Majesté s’alloit bientôt mettre à table avec une très-belle dame qu’il venoit de marier avec un prince de son sang, et qu’il y auroit le lendemain un superbe tournoy, dont il pouroit être le spectateur et prendre part à cet agreable divertissement ; qu’à l’égard du roy Pierre, il étoit à Bordeaux auprés du prince de Galles, pour luy demander du secours contre Henry, Bertrand et tous les autres chevaliers françois, et que s’il l’obtenoit, il luy seroit fort aisé de faire lâcher prise à ceux qui l’avoient dépoüillé de ses États.

Mathieu de Gournay fut surpris de cette nouvelle, et tandis qu’il se mettoit sur son propre pour se presenter devant le roy de Portugal, il ne put s’empêcher de dire qu’étant Anglois de nation, il ne pouroit plus servir Henry contre Pierre, si le prince de Galles, son maître, se declaroit pour ce dernier. Il se rendit ensuite au palais dans un équipage fort leste. Il rencontra sur les degrez de l’escalier un autre Anglois qu’il connoissoit de longue main, pour s’être trouvez ensemble à la bataille de Poitiers. Après s’être embrassez l’un l’autre, le dernier se chargea d’aller dire au Boy la venuë de Mathieu, luy promettant qu’il auroit de Sa Majesté tout le plus favorable accüeil qu’il pouroit desirer. En effet, il en fit à son maître un portrait fort avantageux, luy disant que ce chevalier qui venoit de la part d’Henry étoit un gentilhomme d’un mérite fort singulier, et qui s’étoit aquis beaucoup de reputation dans les armes.

Quand il eut ainsi pris les devans en sa faveur, il le revint trouver pour le presenter au Roy ; mais il trouva sur sa route les maîtres d’hôtel de Sa Majesté, qui venoient à sa rencontre pour luy faire honneur, et l’introduire fort civilement dans la chambre du Roy, devant lequel Mathieu de Gournay fit mine de fléchir le genou ; mais ce prince ne le voulant pas permettre, le prit aussitôt par la main pour le relever, et luy demanda comment Henry se portoit et tous les braves qui l’avoient secondé dans son expédition d’Espagne, qui luy avoit été plus glorieuse que juste, parce qu’on n’a jamais bonne grâce d’envahir les États d’un legitime souverain. De Gournay voyant qu’il étoit prévenu contre Henry, le desabusa de l’erreur dans laquelle il étoit, luy representant qu’il avoit plus de droit à la couronne d’Espagne que Pierre, et que le sujet de la commission dont on avoit trouvé bon de le charger auprés de Sa Majesté, ne tendoit qu’à sçavoir si dans le fonds il étoit vray qu’elle voulût embrasser les intérêts de Pierre contre Henry ; que si cette nouvelle qui couroit étoit véritable, il avoit ordre de prendre aussitôt congé d’elle et de se retirer. Le roy de Portugal luy dit ingenüment, qu’il s’étoit ouvert là dessus en presence de toute sa Cour ; qu’il étoit bien vray que Pierre luy avoit demandé du secours, mais qu’il étoit encore plus vray qu’il le luy avoit refusé, ne voulant pas troubler le repos de ses peuples, en attirant dans ses États une guerre étrangere dont il se passeroit fort bien.

Mathieu luy témoigna que le prince Henry luy sçauroit bon gré de ce qu’il avoit bien voulu ne luy pas être contraire dans la justice de ses armes. Le Roy le fît asseoir à sa table et le regala de son mieux, le faisant entrer dans tous les divertissemens qu’on donnoit à la nouvelle épouse, et dans tous les honneurs qu’on luy faisoit. On n’y épargna pas les joueurs d’instrumens ; mais leurs concerts ne plurent aucunement à Mathieu de Gournay, qui n’étoit pas fait à ces sortes de cacofonies, dont les tons étoient si discordans qu’ils luy écorchoient les oreilles. Il ne put dissimuler le peu de goût qu’il prenoit à cette grossiere symphonie, disant qu’en France et en Angleterre la musique avoit bien d’autres charmes, et que les instrumens y étoient touchez avec beaucoup plus de délicatesse. Le Roy luy fit entendre qu’il avoit deux hommes de réserve, qui n’avoient point leurs semblables au monde sur cet art, et que quand il les auroit entendu il en seroit tellement enchanté qu’il conviendroit que dans toute l’Europe personne ne pouvoït enchérir sur le talent qu’ils avoient d’enlever le cœur par l’oreille. Le chevalier luy témoigna qu’il s’estimeroit heureux s’il pouvoit avoir part à ce plaisir.

Ce prince les fit appeller ; ils entrerent dans la salle avec une fierté qui surprit Mathieu de Gournay, car outre qu’ils étoient vétus comme des princes, ils avoient derrière eux chacun un valet qui portoit leurs instrumens. Ce chevalier s’attendoit à quelque chose de fort rare, mais il ne put se tenir de rire quand ils commencèrent à joüer comme ces vielleurs, qui vont en France par les villages quémander par les tavernes et les cabarets. Le Roy voulut sçavoir le sujet de sa raillerie ; mais ce prince fut encore bien plus déconcerté quand le chevalier l’assura que ces instrumens étoient le partage des aveugles et des gueux, à qui l’on donnoit l’aumône, quand ils avoient joüé deux ou trois fois de la sorte que venoient de faire ces deux hommes qu’il estimoit tant. Il en eut tant de confusion, qu’il jura qu’il ne s’en serviroit plus. En effet il leur donna congé dés le lendemain, ne voulant plus retenir à sa cour de ces sortes de gens, qui luy faisoient affront devant les étrangers, qui seroient capables de le tourner en ridicule, quand ils diroient par tout que le roy de Portugal n’avoit point de plus agréable concert, ny de plus charmant plaisir que celuy d’entendre des vielleurs, qui sont par tout ailleurs si communs et si méprisez dans toute l’Europe.

Le roy de Portugal crut qu’il se tireroit mieux d’affaire en donnant au chevalier de Gournay le spectacle du tournoy, dans lequel il le voulut même engager et le mettre de la partie, luy disant qu’il avoit appris que les Anglois excelloient par dessus toutes les autres nations dans ces sortes d’exercices, et qu’il luy feroit plaisir de montrer son adresse et sa force dans cette lice, en présence de toute sa cour ; qu’une si belle assemblée meritoit bien qu’un chevalier aussi galant que luy, s’en donnât la peine. Il le cajola si bien, luy vantant la valeur des Anglois, que rien n’étoit capable d’étonner, et qui sortoient avec un succés admirable de toutes les expeditions qu’ils entreprenoient, que ce discours enfla le cœur du chevalier et luy donna tant de vanité, qu’il ne feignit point de répondre qu’il prêteroit le colet à qui oseroit mesurer ses forces avec luy ; que depuis qu’il s’étoit mis sur les rangs dans ces sortes de combats il avoit toujours remporté l’avantage, et que tout le monde luy faisoit la justice de croire qu’il avoit eu beaucoup de part au gain que les Anglois avoient fait de la bataille de Poitiers. Cette repartie donna plus d’ardeur au Roy de le voir entrer dans cette carrière avec les autres ; et pour l’echaufer davantage à condescendre à son désir, il luy déclara qu’il destinoit un prix pour celuy qui feroit le mieux et sortiroit de cette lice avec plus de succés, que le plus adroit auroit pour recompense une belle mule qui valoit cent marcs d’argent, dont la selle étoit toute d’yvoire et le harnois d’or. Il la fît même mener soûs les fenêtres de son palais, afin que tout le monde la vît, et qu’elle excitât davantage l’envie de ceux qui seroient en competance pour remporter un si riche prix.

Le chevalier se promettoit de son expérience qu’elle ne luy échaperoit point. La nouvelle se répandit par toute la cour et toute la ville de Lisbonne qu’un Anglois devoit faire admirer sa force et son adresse dans le tournoy qui se feroit le lendemain, pour rendre les nopces de la princesse d’autant plus celebres. Ce spectacle extraordinaire attira sur la place tout ce qu’il y avoit de gens curieux pour être les témoins de la gloire ou de la honte de ce chevalier. Toutes les dames remplirent les balcons, les fenêtres et les échafaux, ayant encore plus d’envie d’attirer sur elles les yeux de tout le monde, que l’Anglois n’en avoit de faire admirer le talent qu’il avoit de bien manier un cheval et de le pousser contre un autre pour luy faire perdre les étriers et le renverser par terre. Les chevaliers qui devoient être de la partie parurent sur les rangs pour entrer en lice, et faisoient sur la place fort belle contenance. On trouva bon d’ouvrir ce combat à la pointe du jour pour éviter la grande chaleur, qu’il eût fallu necessairement essuyer si l’on eût commencé plus tard. Il y eut dans ce tournoy force casques abbattus, force lances brisées et beaucoup de chevaux renversez.

Mathieu de Gournay remporta toujours l’avantage et renversa plus de cent chevaliers par terre, qui furent culbutez avec leurs chevaux les uns après les autres. Chacun battoit des mains en faveur de l’Anglois, dont les coups étoient portez avec tant de roideur que personne ne pouvoit les parer. Le roy de Portugal voyoit avec chagrin toute cette manœuvre, disant en soy-même que cet étranger, au sortir de sa Cour, parleroit avec mépris des Portugais et decrediteroit leur nation dans toute l’Europe, se vantant qu’aucun d’eux n’avoit pu se defendre de faire devant luy la piroüette et de coucher enfin sur le sable. Ce prince se souvint qu’il y avoit parmy ses officiers un Breton nommé la Barre[1], homme rentassé, qui avoit la réputation d’être un rude joüeur en matiere de joute. Il l’appella pour le pressentir s’il se croyoit assez fort et nerveux pour entrer en lice contre l’Anglois. La Barre répondit qu’il luy prêteroit le colet volontiers, et qu’il esperoit sortir avec succés de cette affaire. On le fit armer pour cet effet ; on luy donna l’un des meilleurs chevaux de l’écurie du Roy, afin qu’il ne luy manquât rien pour agir avec avantage et triompher de son antagoniste. Il se présenta sur les rangs dans cet équipage. Il vit l’Anglois qui paroissoit tout fier de ce qu’il venoit d’abbattre douze chevaliers ; mais sa contenance ne l’intimida point, et luy donna même une plus grande demangeaison de le vaincre.

Tout le monde étoit dans l’attente et dans l’impatience de les voir aux mains. Cette curiosité fut bientôt satisfaite. La Barre fit son manege avec tant d’habileté, mania sa lance avec tant de force et poussa son cheval avec tant de roideur, qu’il fît tomber l’Anglois par terre et mordre le sable à son cheval. La chute de Mathieu fut si lourde, qu’il en eut le bras cassé, demeurant tout étourdy du coup qu’il avoit reçu, jusques là qu’il resta longtemps dans cette posture sans pouvoir remüer ny jambes, ny bras et sans pouvoir parler. Le roy de Portugal ne fut pas fâché que l’on crût qu’un écuyer portugais avoit humilié la fierté de l’Anglois, et qu’il y en avoit dans sa nation d’aussi braves, et d’aussi adroits dans cet exercice que dans l’Angleterre. Il commanda qu’on relevât Mathieu de Gournay pour le faire panser de sa blessure. On luy banda le bras, et ce prince le voyant estropié de la sorte, luy demanda quel sentiment il avoit des chevaliers de sa nation. Mathieu luy répondit qu’il avoit été bien puny de sa vanité ; que celuy qui l’avoit traité de la sorte n’étoit pas un des apprentis dans le métier. On le fît mener au palais avec beaucoup d’honnêteté pour l’y regaler, et cette petite disgrâce ne luy ota rien de l’estime qu’il s’étoit acquise : car le Roy sçachant bien que ce n’étoit pas un Portugais mais un Breton qui l’avoit ajusté de la sorte, ne laissa pas de luy faire present de la mule qu’il avoit méritée, puis qu’il avoit remporté ce prix sur tous les écuyers de sa nation ; mais ce prince luy fit cette petite supercherie pour sauver l’honneur de son païs.

Mathieu s’estima toujours fort heureux de ce que la mule luy avoit été livrée comme le gage et la recompense de la gloire qu’il avoit aquise dans une si belle carriere. Mais après qu’il eut pris congé du roy de Portugal, il fut un peu mortifié quand on luy vint dire à l’oreille que ce n’étoit pas avec un Portugais qu’il s’étoit battu, mais avec un Breton : ce qui luy fit depuis écrire à ce prince qu’il n’en avoit pas usé dans ce rencontre de fort bonne foy. Ce chevalier reprit aussitôt le chemin de Séville, pour rendre compte au prince Henry du succés de sa commission. Quand on luy vit ainsi le bras en écharpe, on luy demanda d’où luy venoit cette blessure. Il compta toute son avanture, et Bertrand qui se trouva là present fut ravy d’apprendre qu’un Breton luy avoit fait ainsi sentir la force de son bras. Quand l’Anglois eut fait son rapport et témoigné qu’il n’y avoit rien à craindre du côté du roy de Portugal qui s’étoit declaré neutre dans la guerre d’Henry contre Pierre, le premier luy demanda ce qu’étoit devenu le second et ce qu’on en disoit. Mathieu l’assura que Pierre avoit pris le chemin de Bordeaux pour réclamer contre luy le secours et la protection du prince de Galles, et qu’il etoit necessaire qu’il assemblât au plûtôt son conseil là dessus pour chercher les moyens de parer un coup si redoutable. Cette nouvelle n’accommodoit point les affaires d’Henry, qui avoit interêt d’avoir moins d’ennemis sur les bras ; et ce qui luy donna plus d’inquietude ce fut le compliment que luy fit Hugues de Caurelay, l’un des plus braves de son party, luy disant qu’il étoit né sujet du prince de Galles, et qu’il ne seroit plus en état de le servir s’il avoit guerre contre luy, parce que ce seroit un crime de haute trahison s’il étoit pris les armes à la main contre son souverain. Gautier Hüet, Jean d’Evreux, et tous les autres chevaliers anglois luy firent là dessus une même déclaration. Henry convint avec eux qu’ils avoient toutes les raisons du monde de garder la fidelité qu’ils devoient à leur prince ; mais il les pria de rester toujours avec luy, tandis que les choses étoient encore brutes et très incertaines, et de ne le point quiter jusqu’à ce que la guerre eût été tout à fait declarée par l’Angleterre contre luy. Tous ces braves le luy promirent, si bien que toutes les esperances d’Henry ne rouloient plus que sur la valeur de Bertrand Du Guesclin, du Besque de Vilaines et du maréchal d’Andreghem, qui l’assurèrent qu’ils le serviroient jusqu’au bout contre le roi Pierre sans aucune réserve.


  1. Lors demouroit avecques le Roy un Breton de grant renommée, qui estoit nommé La Barre, lequel estoit grant et fort, et avoit dure eschine, les poings gros et quarrez, et de grosse taille par bras et par jambes ; que ledit Roy appella, et lui dist : « Vous avez renommée en Bretaigne, et ailleurs en maint pays, d’estre preux et hardiz. Auroies-tu la char si hardie, que tu osasse jouster à cet Engloiz ? » Et La Barre lui respondi : « Sire, par la vierge Marie, se il me devoit tuer de une lance, si jousteray-je à lui, s’il vous plaist. Oyl, dist le Roy. « Puis le fist armer et monter souffisamment. (Ménard, p. 232.)