Analyse du Kandjour/Mdo/06

Csoma de Körös
Traduction par Léon Feer.
Texte établi par Musée Guimet, Paris (Tome 2p. 241-244).


VOLUME VI. — (Cha)

Il y a dans ce volume trois traités.

Le premier (folios 1-76) a pour titre sanskrit : Arya ghana ryûha nâma mahâ-yâna-sûtra. Tib. Hphags-pa-rgyan-stug-po-bkod-pa-jes-bya-va-theg-pa chen-pohi mdo. འཕགས་པ་རྒྱན་སྟུག་པོ་བཀོད་པ་ཞེས་བྱ་བ་ཐེག་པ་ཆེན་པོའི་མདོ. « Vénérable Sûtra de grand Véhicule, appelé : l’ornement ou le système, la construction épaisse ou dense[1]. »

Discussion entre Bcom-ldam-das (Çâkya) et plusieurs Bodhisattvas sur divers sujets métaphysiques relatifs à Buddha, à ses attributs, à sa résidence et à l’âme en général ; distinction entre le corps et l’âme rationnelle ; quels moyens ont, pour arriver à la délivrance finale, ceux qui ont commis beaucoup d’actes immoraux (folios 11-13). L’ignorance est la cause de tous les liens par lesquels l’âme est enchaînée (folio 3 ?). — Comment elle peut être délivrée de ces chaînes. Exacte distinction des choses. — La plus grande partie de ce texte est en vers ; il y est traité de l’âme en général.

2. Le second traité (folios 76-187) a pour titre sanskrit : Arya-mahâ Karunâ-pundarika-nâma mahâ-yâna-sûtra. Tib. Hphags-pa sñing-rje-chen-po-pad-ma-dkar-po-jes-bya-va-theg-pa chen-pohi-mdo. འཕགས་པ་སྙིང་རྗེ་ཆེན་པོ་པད་མ་དཀར་པོ་ཞེས་བྱ་བ་ཐེག་པ་ཆེན་པོའི་མདོ. « Vénérable Sûtra de grand Véhicule appelé Pundarika, le grand miséricordieux. »

Prononcé par Çâkya dans un bois d’arbres Çâla près la ville de Kuça (Kâma-rupa en Assam), le soir de sa mort. S’adressant à Kun-dgah-vo (Sk. Anandâ) il lui ordonne de préparer le lit où il doit mourir, il lui raconte ce qu’il a fait de grand et lui expose la substance de sa doctrine. Son entretien avec Ananda. Miracles qui se produisent pendant qu’il est couché (entre deux arbres Çâla) sur le côté droit comme un lion. Tous les arbres, arbrisseaux et herbes s’inclinent de son côté ; tous les fleuves et cours d’eaux s’arrêtent ; toutes les bêtes, les oiseaux restent tranquilles et ne se mettent plus eu quête de nourriture : tous les corps luisants et brillants sont obscurcis ; toutes les souffrances des enfers sont adoucies ; tous ceux qui sont dans la peine sont soulagés ; tous les dieux éprouvent du malaise dans leur résidence. Ts’angs-pa (Sk. Brahmâ), ཚངས་པ, avec toute sa suite, vient rendre hommage à Bcom-ldan-bdas. Conversation entre eux (folios 81-90) au sujet de la création, pour savoir qui a fait le monde. Çâkya pose à Brahmâ plusieurs questions : si c’est lui qui a fait ou produit telle et telle chose, l’a bénie ou douée de telle et telle vertu ou propriété ; si c’est lui qui a causé les diverses révolutions par lesquelles le monde a été détruit et reconstitué. Brahmâ nie avoir jamais rien fait pour cela. À la fin il demande lui-même à Çâkya comment le monde a été fait et par qui. — La réponse est que tous les changements du monde doivent être attribués aux actes moraux des êtres animés, et il y est établi que, dans le monde, tout est illusion, qu’il n’y a point de réalité dans les choses ; tout est vide. Brahmâ, bien instruit dans cette doctrine, devient son adhérent. Çâkya, réclamant pour lui l’Univers, le confie aux soins de Brahmâ, et lui prescrit ce qu’il doit faire pour accroître la vertu et le bonheur dans le monde (folio 90).

Conversation de Çâkya avec Ded-dpon, fils de Kâma-deva ; དེད་དཔོན​ ; instructions qu’il lui adresse, conférence avec Indra (tib. Brgya byin) བརྒྱ་བྱིན​ et avec les quatre grands rois des géants (tib. Lhamayin). Il donne plusieurs leçons à ces quatre grands rois et leur recommande de vivre contents, sans faire la guerre à Indra. Ils promettent d’obéir à ses injonctions. Folio 100, lamentation d’Indra à l’approche de la mort de Çâkya.

Folio 109. — Kun-dgah-vo est consolé par Çâkya qui lui prescrit ce qu’il faudra faire après sa mort (folios 110-112). Hod-srung (Sk. Kâçyapa), successeur immédiat de Çâkya. Ses qualités. Çâkya annonce à Ananda l’accroissement du nombre de ceux qui croiront à sa doctrine, il la grande vénération dont les lieux où l’on aura déposé ses reliques seront l’objet. Folio 124, grandes qualités de Kun-dgah-vo ou Ananda. Instructions que Çâkya lui adresse.

Folio 181. — À la demande de Kun-dgah-vo, Çâkya prescrit ce qu’il faudra faire pour compiler sa doctrine. Énumération des douze espèces d’écritures bouddhiques. Quand les prêtres ou Gelongs demanderont où telle parole a été prononcée, il faudra répondre ainsi : Hdi-skad-vdag-gis-thos-pa dus-gcig-na… « Voici ce que j’ai entendu de mes oreilles dans un certain temps, Bcom-ldan-hdas étant en tel et tel endroit, ses auditeurs étant tels et tels » ; — la leçon finie, il faut ajouter que tous les assistants en furent grandement réjouis et approuvèrent sa doctrine.

Les principaux endroits où Çâkya a prononcé le Sûtra y sont énumérés. Ce sont :

Byang-chub-sñing-po བྱང་ཆུབ་སྙིང་པོ (Sk. Bodhimanda ou Gayâ en Magadha), sous un arbre Nyagrodha ;

Vârânasi dans le parc appelé Drang-srong-lhang-va-ri-dags-kyi-nags ; དྲང་སྲོང་ལྷུང་བ་རི་དགས་ཀྱི་ནགས​.

Râjagṛha et les lieux voisins Bya-rgod-phung pohi-ri et le Hod-mahi ts’al ; འོད་མའི་ཙལ​ ;

Mñan-yod མཉན་ཡོད​ (Sk. Çrâvasti) ;

Yangs-pa-can ཡངས​་པ་ཅན​ (Sk. Vaiçâli ou Prayâya , Allahabad)

Campa, sur le bord de l’étang creusé par Garga ;

Kauçambhi ;

Çaketana (tib. gnas-bcas) ; གནས་བཅས​.

Pataliputra ou Patna (Tib. Skya-nar-gyi-bu) ; སྐྱ་ནར་གྱི་བུ ;

Mathura (tib. Bcom-rlag) ; བཅོམ་རླག​ ;

Kuçinagara, etc.

Ensuite il lui est ordonné de faire une introduction aux Sûtras, d’expliquer le sujet en développant les causes et les effets, avec exactitude, en employant des termes ou mots appropriés, et en arrangeant le tout de telle et telle manière.

Ce Sûtra compte six bam-po et treize chapitres. Il a été traduit par les pandits indiens Jina-Mitra et Surendra Bodhi et le Lotsava tibétain Bande ye çes-de[2].

3. Le troisième traité (folios 187-443 et dernier) a pour titre sanskrit Arya-Karunâ puṇḍarika nâma-mahâ-yâna-sûtra[3]. (tib. Hphags-pa-sñing-rje-padma-dkar-po-jes-bya-va theg-pa chen pohi mdo). འཕགས་པ་སྣྱིང་རྗེ་པད་མ་དཀར་པོ་ཞེས་བྱ་བ་ཐེག་པ་ཆེན་པོའི་མདོ

« Le miséricordieux pundarika (Çâkya) sur le Bya-rgod-phung-pohi-ri en présence de soixante-deux mille prêtres, etc., etc. Le sujet est : charité, moralité, patience et autres vertus transcendantes. — Provinces ou champs de plusieurs Tathâgatas ou Buddhas ; leurs perfections. — Bodhisattvas : — leurs prières et vœux pour la prospérité de tous les êtres animés. Le tout forme un mélange de sujets variés. Il y a beaucoup de salutations et d’éloges à plusieurs Tathâgatas. Il y a aussi des Dhâranis et des Mantras.

Traduit par les pandits indiens Jina-Mitra, Surendra-Bodhi et Prajñâ varma et le Lotsava tibétain Bande-ye-ces-sde.

  1. « Nom d’un empire situé au delà des limites des trois mondes existants (quelque chose comme un domaine pur). — L’enseignement principal y est celui de l’Alaya : il y est exposé un moyen de conversations entre Bodhisattvas : en quoi consiste la substance ou la plus haute idée de l’enseignement (Paramârtha) ? — Puisque le cœur (la substance) du Tathâgata n’est pas né et ne périt pas, il se réfléchit en toute chose comme la lune dans l’eau. — Qui a créé le monde ? L’Alaya peut tout produire, le Tathâgata est en état de bien expliquer tout ; les cinq Skandhas ne sont pas véritables ; rien n’existe que dans la pensée ; pour naître dans le pur domaine du Buddha, il est indispensable et nécessaire de se former la vraie notion (des choses). L’Alaya se trouve en rapport avec les objets purs et les objets obscurcis, mais il n’y a que les hérétiques qui identifient l’Alaya avec le moi ; le Nom repose sur des signes distinctifs et ne forme rien de substantiel ; en jugeant d’après cela, on se trompe ou l’on juge droitement, on est un être vulgaire ou un saint. (Vassilief, 160-1.)
  2. J’ai donné la traduction intégrale du premier chapitre de ce sutra, chapitre dont nous devons à Csoma une analyse si complète et si exacte. (Séance du premier congrès des Orientalistes, Paris).(L. F.) 
  3. Le texte sanscrit de ce sutra existe, tandis que celui du Mâhâ Karuṇa semble perdu. — Dans le Karuṇa-puṇḍarika « on parle beaucoup des formules mystiques ; on y raconte des légendes relatives aux mille Buddhas et on explique comment il est possible de devenir Buddha. Dans le 6e chapitre, tous les Buddhas des dix royaumes sont représentés comme une création magique de Çâkyamuni et lui envoient des Bodhisattvas », (Vassilief. p. 154). (L. F.)