Analyse du Kandjour/Le Kandjour
La grande compilation en cent volumes des livres sacrés du Tibet est appelée Kâ-gyur ou vulgairement Kan-gyur (bkah-hgyur), བཀའ་འྒྱུར c’est-à-dire « traduction du commandement », parce que ces livres ont été traduits du sanscrit, ou de l’ancienne langue de l’Inde (rgya-gar-skad) རྒྱ་གར་སྐད, terme par lequel on peut entendre le prâkrit ou dialecte du pays de Magadha[2], principal siége de la foi bouddhique dans l’Inde, en ce temps-là.
Ces livres renferment la doctrine de Çâkya, Buddha qui, selon la plupart des auteurs tibétains, aurait vécu un millier d’années avant le commencement de l’ère chrétienne[3]. Il en fut fait des compilations dans l’Inde ancienne à trois époques et dans trois localités différentes. La première suivit immédiatement la mort de Çâkya ; la deuxième date du temps d’Açoka, roi célèbre qui résidait à Pâtaliputra, cent dix ans après le décès de Çâkya ; la dernière est du temps de Kaniṣka, roi du Nord de l’Inde, postérieur à Çâkya de plus de quatre cents ans. Les adhérents de Çâkya s’étaient alors partagés en dix-huit sectes formant quatre divisions principales, dont les noms tant sanscrits que tibétains ont été conservés.
Les premiers compilateurs furent trois des principaux disciples de Çakya : Upâli (tib. Ñe-var-hkhor) compila le Vinaya-Sûtram (tib. Dul-ve-do) — Ananda (tib. Kun-Dgâ-vo) le Sûtranta (la classe Do en tibétain), et Kâçyapa (tib. Hod-srung), le Prajñâ-pâramitâ (tib. Çer-Chin). Ces divers ouvrages furent apportés au Tibet et y furent traduits entre le viie et le xiiie siècle de notre ère, mais surtout au ixe. L’édition du Kâ-gyur appartenant à la Société Asiatique[4] paraît avoir été imprimée précisément avec les planches qu’on dit avoir été préparées au dernier siècle en 1731 et qui sont encore d’un usage journalier à Snâr-Thang, vaste construction ou monastère, peu éloigné de Teçi-lhun-po (bkra-çis-lhun-po). ཟཀུ ཤིས་ལྷུན་པོ
La collection dite Kâ-gyur se compose des sept grandes divisions suivantes, qui sont, en fait, des ouvrages distincts :
I. Dul-va འདུལ་བ་ (Sk. Vinaya), ou « Discipline », en 13 volumes.
II. Çer-Chin ཤེར་བིན (Sk. Prajñâ pâramitâ), ou « sagesse transcendante », en 21 volumes.
III. Phal-Chen ཕལ་ཆེན་ (Sk. Buddhavata-sangha), ou « communauté bouddhique », en 6 volumes.
IV. Dkon-seks དཀོན་བརྩགས་ (Sk. Ratna-kûta), ou « amas de joyaux », en 6 volumes.
V. Do-de མདོ་སྡ (Sk. Sûtranta), « aphorismes » ou traités, en 30 volumes.
VI. Ñang-das མྱང་འྡས་ (Sk. Nirvâna), « délivrance de la peine », en 2 volumes.
VII. Gyud རྒྱུད་ (Sk. Tantra), « doctrine mystique, charmes », en 22 volumes, le tout formant exactement 100 volumes.
La collection du Kâ-gyur, dans son ensemble, est souvent désignée sous le nom de Dé-not-sum སྡེ་སྣོད་གསུམ, en sanscrit Tripitaka, « les trois vaisseaux ou réceptacles »[5], désignation qui comprend : 1o le Dul-va ; 2o le Do avec le Phal-chen, le Kon-seks, le Ñang-das et le Gyut ; 3o le Çer-chin avec toutes les divisions ou abréviations. — Cette division tripartite est aussi exprimée par les noms suivants : 1o Dulva (Sk. Vinaya) ; 2o Do (Sk. Sûtra) ; 3o Chos-ngon-pa (Sk. Abhidharma). Ce dernier titre a pour équivalents tibétains Ngon-pa-dsot, Yum et Ma-mo. C’est une opinion commune ou vulgaire que le Dulva est un remède contre la cupidité ou la convoitise ; que le Do en est un contre la colère ou l’ardeur des passions ; et que le Chos-ngon-pa en est un contre l’ignorance[6].
- ↑ J’écris Kandjour contrairement à mes principes d’orthographe, parce que Kandjour est une forme qui imite la prononciation et n’est point du tout le calque du mot tibétain. (L. F.)
- ↑ Pali est le nom usuel de ce dialecte prâkrit, appelé à Ceylan « langue de Magadha ». (L. F.)
- ↑ Les Bouddhistes de Ceylan et de l’Indo-Chine le placent à une époque plus récente, et assignent à sa mort la date de 543 avant de notre ère ; la critique moderne tend à ramener cette date à 478. (L. F.)
- ↑ Il s’agit de la Société Asiatique de Calcutta. (L. F.)
- ↑ On dit aussi « la triple corbeille ». (L. F.)
- ↑ C’est une adaptation des trois divisions du canon bouddhique aux trois péchés de la pensée, appelés aussi les trois taches, les trois souillures. (L. F.)