Amours et Haines (1869)/Souffrir
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SOUFFRIR.
Tu disais : « L’aube en pleurs rougit comme la joue
D’une vierge à l’aveu charmant et redouté,
Et l’oiseau boit l’azur où l’insecte se joue
Dans l’or de la lumière et dans sa liberté.
Et la mer, ciel fluide, avec un bleu sourire,
Ouvre à ses alcyons le vallon de ses eaux
Où croissent les forêts de corail, où se mire,
Se mire en palpitant la voile des vaisseaux.
Et la rose indolente heureuse d’être belle
Mêle aux pourpres du jour les nacres de la nuit,
Et son amant ailé, brillant et beau comme elle,
Se penche sur son cœur, dit : « Je t’aime ! » et s’enfuit.
Et la brise mutine au travers de l’espace
Sème en pollen doré les baisers du glaïeul,
Le vieux mur rajeuni fleurit quand elle passe
Comme, en voyant passer l’enfant, sourit l’aïeul. »
Et tu pleurais, pensant que l’homme seul promène,
Chargé de son néant et de ses vanités,
Le haillon de Nessus de la misère humaine
À travers cette vie et ses sérénités.
Ah ! bénis bien plutôt la souffrance féconde.
Dieu, qui nous la donna, nous a voulu hausser.
C’est la douleur, ami, qui sauvera le monde :
La nature doit vivre et l’homme doit penser.