Amours et Haines (1869)/Melancholia
MELANCHOLIA.
De tes yeux qui s’ouvrent à peine
Des larmes emperlent les cils.
Autant de jours, autant d’exils !
Pauvre enfant, c’est d’où vient ta peine.
De ton matin c’est la rosée ;
Pleure, la plante du malheur
Pour fleurir veut être arrosée.
La vie, enfant, est la douleur.
Qu’a-t-elle fait de ta pensée,
Cette femme aux baisers ardents ?
Ton cœur a séché sous ses dents,
Sa cendre aux vents est dispersée.
Ton bonheur a fui goutte à goutte.
L’âme sans foi, les yeux sans pleur,
Raille, souffre, maudis et doute !
L’amour, jeune homme, est la douleur.
Ne regarde pas en arrière,
Marche ! le vent sèche les yeux.
Ta vie est bien pleine d’adieux,
N’importe ! Longue est la carrière.
Chaque adieu, c’est une conquête.
Marche, sublime bateleur,
Sang au côté, pourpre à la tête !
Le génie, homme, est la douleur.
Mais, toi qu’enfin le temps délivre,
Ris ton rire innocent et doux,
Vieillard ; bientôt, plus tôt que nous,
Tu vas être guéri de vivre.
Souris à ta vie écoulée,
Comme le soleil des coteaux
Sourit le soir à la vallée.
La mort, vieillard, est le repos.