Amours, galanteries, intrigues, ruses et crimes des capucins et des religieuses/00-2

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Tome 1. Introduction.

Introduction.


Des religieuses en général.


Dès les premiers temps du christianisme, il se trouva des femmes qui sacrifiaient à Dieu ce penchant pour les plaisirs que Dieu a donné à leur sexe ; mais ce ne fut qu’au quatrième siècle qu’elles exilèrent leur vertu entre quatre murailles et qu’elles vécurent sous une règle commune. Dans les Gaules, des couvents de religieuses furent élevés dès le cinquième siècle. Saint Léon avait défendu qu’on donnât le voile aux femmes avant l’âge de quarante ans. Les pères du concile de Trente décidèrent qu’une fille pouvait faire ses vœux à seize ans ; mais un édit du mois de mars 1768 fixa à dix-huit ans l’âge de la profession pour les femmes.

Le vœu était la promesse solennelle que faisaient à Dieu les religieuses de vivre pauvres, chastes, obéissantes, et de ne jamais sortir du cloître.

Les faits que nous avons à rapporter au sujet des religieuses n’ont pas de date plus ancienne que le onzième siècle ; ce n’est pas que dans les temps antérieurs il ne se soit trouvé de religieuse qui aient failli ; mais les historiens que nous avons consultés, quoiqu’en grand nombre, n’en ayant pas parlé, nous nous abstenons de rapporter aucune anecdote.


Des capucins.


Jean Bernadion, surnommé François, parce que, dit-on, il apprit facilement la langue française, était fils d’un riche marchand d’Assises, ville d’Italie. Il mena une vie licencieuse pendant sa jeunesse, qu’il passa sous les armes. Ayant été fait prisonnier, il fut mis dans les cachots de Pérouse, où il devait rester un an.

Peu après être sorti du cachot, où il avait fait de salutaires réflexions, le ciel le conduisit dans une église au moment où le prêtre prononçait ces paroles de l’Évangile : Ne possédez ni or, ni argent, ni sacs, ni chaussures. François fut vivement frappé. Il se rendit chez son père, où se trouvaient l’évêque et quelques autres personnages de distinction ; et, foulant à ses pieds toute fausse honte, il se déshabilla entièrement aux yeux de la société. Quelques-uns des assistants s’empressèrent de couvrir sa nudité avec la tunique d’un pauvre berger, et dès cet instant ce misérable vêtement, adopté par le saint, devint l’insigne d’un ordre qui devait remplir toute la terre.

Il fonda un ordre de religieux, sous le nom de frères mineurs, qui fut adopté au concile général de Soissons en 1215.

François, touchant à son heure dernière, laissa un testament contenant les règlements suivants : 1o  un jeûne presque continuel ; 2o  défense d’aller à cheval et de porter des souliers ; 3o  défense de recevoir des femmes ; 4o  défense de dire quoi que ce soit, mien ou tien ; 5o  défense de demander ou de recevoir des lettres ou présents en cachette ; 6o  défense de se faire payer pour les funérailles ; 7o  défense de mander dans les monastères des nonnes, etc. Il termina aussi par une défense expresse de donner aucune dérogation à la règle. Mais l’esprit de chicane ne permit pas cette simplicité. Il se forma deux partis parmi les mineurs, celui des spirituels et celui des observantins.

Enfin, en 1524, l’un d’entre les frères franciscains, Mathieu de Basli ou Baschi, méditant en silence une éclatante réforme, Dieu lui fit trouver miraculeusement le véritable capuchon de saint François.

Transporté de joie et saisi d’un saint respect, Mathieu le baisa plusieurs fois, l’arrosa de ses larmes, en prit la forme, la mesure et la dimension, et alla faire part de sa découverte à ses supérieurs. Ceux-ci, craignant que cette réforme ne les fît rougir de leur propre règlement, eurent la cruauté de le jeter dans un cachot, où, pendant quatre mois, avec deux de ses frères, il fut tourmenté par la faim, la soif et le fouet. Ces trois moines furent relâchés par ordre du pape ; ils en obtinrent un bref en 1526, qui leur permettait de vivre selon le premier esprit de la règle ; et parce que cela paraissait horrible chez les impurs franciscains, ils se retirèrent dans un ermitage. Mais le diable suscita contre eux le ministre provincial des cordeliers, qui, à la tête d’une troupe d’archers, les poursuivit longtemps, les traitant de séditieux et d’apostats. Enfin, persécutés de tous côtés, ils se mirent sous la protection du duc de Camerin, qui les déroba à la fureur des cordeliers, et obtint en 1528 du pape Clément VII une bulle par laquelle il leur était permis de vivre dans les ermitages et de porter la barbe avec un capuchon pyramidal.

Dès lors le rasoir ne passa plus sur leur menton. Les enfants qui les virent passer, frappés de la forme de leur capuchon, les suivirent en criant après eux : capucins ! capucins ! Les bons frères, qui n’avaient pas encore de nom, adoptèrent ce dernier.

Le cardinal de Lorraine, retournant du concile de Trente, amena en France quatre frères capucins ; il les établit, en 1564, dans une partie de son parc de Meudon. Après la mort de ce cardinal, ces moines retournèrent en Italie.

En 1574, Pierre Deschamps, qui de cordelier s’était fait capucin, vint d’Italie établir à Paris une autre colonie de cette espèce. Il forma au village de Picpus un couvent de frères mineurs nommés capucins, à cause de la forme pointue de leur capuchon.

Bientôt après arriva de Venise en France le frère Pacifique, qui, en qualité de commissaire-général de son ordre et favorisé par la faction du pape, du roi d’Espagne et des Guise et par Catherine de Médicis, instrument de cette faction, réunit aux capucins de Picpus douze autres moines de la même espèce, qu’il avait amenés d’Italie, et les établit dans un emplacement que leur donna cette reine au faubourg Saint-Honoré.

Henri III, par lettres-patentes du mois de juillet 1576, les prit sous sa protection et sauvegarde spéciale.

Vie voluptueuse entre les capucins et les nonnes.
Confession d’un frère de l’ordre.


C’est ce frère capucin qui parle :

Ayant vécu longtemps parmi les capucins, dit-il, je puis parler savamment des principales ruses de ces fourbes. Quelque temps après que je fus entré au couvent, je fus nommé quêteur du plus grand couvent de France. Il est vrai que j’étais très-propre au métier. Je fus destiné à l’exercice de cet important ministère, sous la direction du frère Félix, qu’on peut appeler le cynisme masqué ou le père des fourbes. C’est lui qui m’enseigna les intrigues du capucinage. Je fus même appelé dans la suite à succéder à ce grand politique.

On me faisait une liste de toutes les maisons où je devais entrer ; je m’y rendais portant une grosse bouteille et deux besaces. On me donnait à l’envi, de sorte que j’étais obligé d’aller me décharger de temps en temps du vin, du pain, de la viande, etc., que l’on m’avait donnés. Comme nous avions des femmes dévotes dans notre ordre, répandues dans presque tous les quartiers, c’était chez elles que je faisais mes dépôts. Le frère Félix ne se donnait la peine que deux fois par an d’aller rendre visite aux personnes qui nous donnaient les vivres. C’est alors qu’il composait son visage pour avoir l’air de paraître changé et défait. Il n’était jamais entré en conversation avec un de nos bienfaiteurs, et nous faisait une peinture de l’extrémité où la communauté se trouvait réduite, mais une peinture si touchante, qu’il accompagnait de larmes, si bien qu’il y a peu de personnes qui ne se laissassent toucher, et consentaient à être inscrites sur la liste des bienfaiteurs du couvent, afin de participer aux prières continuelles qu’il disait qu’on ferait pour leur prospérité.

Il connaissait tous les commissaires de Paris et savait gagner leurs bonnes grâces pour qu’ils donnassent à notre couvent les confiscations de pain et de viande qui se font si fréquemment dans Paris.

Mon devoir était, lorsque le père Félix avait fait sa visite, d’aller avec une copie de sa liste chercher les provisions de bouche. Nous en amassions trois fois plus qu’il ne nous en fallait, quoique le nombre des capucins s’élevât à près de trois cents, répartis en quatre couvents de notre ordre.

Après avoir exercé quatre ans les fonctions de quêteur, je priai le provincial de vouloir bien me donner un autre emploi. Ce révérend père, satisfait du compte exact que je lui rendis de tout ce que j’avais fait, me fit son compagnon extraordinaire, et me promit que je ne ferais rien qu’à ma volonté. J’acceptai avec plaisir ce nouvel emploi, sans en prévoir les suites fâcheuses. De son côté, le provincial ne prévoyait pas que je découvrirais la vie licencieuse et débauchée qu’ils mènent, et les ruses qu’ils emploient pour parvenir à leurs desseins.

Lorsqu’ils sortent, ils ont bien soin d’ordonner leur couronne de bien peigner et friser leur barbe. Ils se lavent les mains, les pieds et les jambes avec des herbes odoriférantes. Ils prennent des caleçons blancs qu’ils appellent mutandes, se rasent le poil des jambes, se munissent de cachets en devises, de tablettes, d’étuis garnis, de ciseaux et d’autres bagatelles pour faire présent aux demoiselles.

Quand ils vont chez une bigote qui a une fille ou une parente, ou une demoiselle bien faite, ils mettent la bigote dans la ruelle d’un lit, dans un cabinet ou dans une antichambre, tandis que le compagnon du père éprouve les inclinations de la belle.

Si le directeur trouve un objet facile et tendre, il lui conte des histoires pour favoriser ses inclinations ; s’il trouve cette fille portée à la dévotion, il lui fait présent de chapelets et d’autres bagatelles de dévotion ; si elle est galante et curieuse, il lui donne des cachets de devises, des tablettes et autres choses semblables ; et s’il voit qu’elle aime les plaisirs qu’il recherche, il lui procure ce qu’elle désire.

Lorsque les capucins trouvent une femme d’une humeur libre, ils s’émancipent, parlent sans garder de mesure, et comme ils connaissent le fond du cœur de ces femmes par le moyen de leurs confessions, ils s’insinuent aisément et obtiennent ce qu’ils désirent.

Lorsque le maître de la maison a de l’estime pour eux, et s’ils en sont les directeurs, ils prennent leur temps pour aller au logis quand il n’y est pas, et s’entretiennent des bonnes intentions que le maître a pour sa famille et du désir qu’il a de l’élever dans des sentiments de vertu.

S’ils voient d’ailleurs qu’une femme est mécontente de son mari, et qu’elle les prie de le disposer à changer de vie, ils lui promettent de faire tous leurs efforts pour le ramener à une meilleure conduite ; et s’ils voient que cette famille ait besoin de leurs services, ils se rendent plus familiers, se lèvent et se promènent dans la chambre, ôtent leurs manteaux, s’approchent du feu ; et s’il y a quelque femme qui les charme, ils lèvent leur robe, font voir une jambe blanche, bien faite, et quelquefois montrent la cuisse et la mutande pour tenter la chair par la chair même.

Lors des premières visites, ils ne s’émancipent pas d’ordinaire tout-à-fait ; ils promettent seulement de venir rendre réponse de ce qu’ils obtiendront sur l’esprit du père ou du mari. On les en conjure et on les laisse sortir avec regret.

S’ils rencontrent quelque bigote dont l’inclination soit portée au vin, ce qu’ils apprennent par leurs confessions, ils abusent de leur faiblesse et se servent des déclarations qu’elles leur ont faites dans leurs confidences, en sorte que les confessionnaux, qui ne sont établis que pour retirer les pécheurs du crime, sont convertis en écoles d’impureté et en rendez-vous pour recevoir des assignations amoureuses.

Ils s’assemblent pour se donner des avis réciproques sur les moyens les plus sûrs pour contenter leur luxure, sans courir le danger d’être découverts.

Ce qui favorise le plus leurs dépravations, ce sont les jours de fêtes solennelles, où une abondance de dévotes viennent à leurs pieds s’accuser de leurs fautes, et amènent avec elles leurs filles, leurs nièces ou leurs parentes. Les capucins les examinent en particulier. S’ils les reconnaissent portées à l’amour, ils leur disent de tâcher de rejeter ces pensées criminelles jusqu’à ce qu’ils aillent en leurs maisons, parce que leurs occupations actuelles ne leur permettent pas de leur donner sur-le-champ des moyens de n’être plus attaquées, mais qu’ils se font fort, étant dans leurs maisons, de leur donner des instructions pour n’être plus attaquées. Ils ne manquent pas de se rendre en leurs demeures, et ils s’entretiennent avec ces dévotes de choses saintes si elles sont scrupuleuses, et au contraire ils cherchent à les séduire s’ils croient pouvoir réussir.


Aventure d’un capucin-directeur avec une dame
de qualité.


Un de mes plus intimes amis me raconta un jour une aventure arrivée à un père directeur. Il me mena, dit-il, dans un logis, dont il connaissait le maître, comme étant son confesseur ; il avait promis à la femme de le réduire à suivre ses volontés. Arrivés là, il l’attira dans un lieu où ils ne pouvaient être vus de personne. Il entama la conversation ; il feignit d’abord d’avoir vu le mari, quoiqu’en effet il ne lui eût point parlé. Je m’étonne, continua-t-il, qu’un homme dévot ait de si mauvais sentiments à l’égard de sa famille ; mais si vous voulez me promettre par serment de ne rien révéler de ce que je vais vous enseigner, je vous indiquerai un moyen certain d’assurer votre repos. Elle lui jura ce qu’il voulut ; il n’y a rien qu’une femme irritée ne s’engage à faire quand elle croit que l’on veut embrasser son parti et qu’on peut la venger.

Je vous conseille, madame, lui dit-il, de n’avoir plus aucun égard pour lui, de lui retirer toute votre tendresse et de le traiter avec rigueur. C’est un homme qui, sous le voile de l’hypocrisie, ne cherche que votre porte, et dont l’âme est si noire qu’il s’est accusé en confession d’avoir voulu vous empoisonner. J’ai eu toutes les peines imaginables pour le détourner de ce crime horrible. Vous devez vous tenir sur vos gardes, de crainte qu’un jour il ne l’exécute.

Cette femme, d’ailleurs courroucée contre son mari, entra dans une colère affreuse, prononça mille invectives contre son mari, et dit qu’il n’y avait rien qu’elle ne fit pour tirer vengeance de son infamie. J’aurais tort, dit le capucin, de combattre votre ressentiment ; je le trouve si juste que je prêterai volontiers mon appui à votre vengeance ; car, continua-t-il, est-il rien de plus condamnable, de plus infâme, que sa conduite envers vous, envers une femme belle, bien faite, douce et douée des plus rares qualités ? Combien y en a-t-il dont la vertu succomberait et qui chercheraient, sans être blâmables, dans une vengeance douce la punition de ses fautes ? Oui, madame, je connais mille femmes qui n’auraient pas eu tant de retenue, et qui le traiteraient suivant ce que leur ressentiment leur prescrit ; et quand elles viendraient m’en faire la déclaration, je ne les en blâmerais pas.

J’ai été toujours vertueuse, dit alors cette dame, je me suis toujours conduite avec toute l’honnêteté possible ; mais je perdrai dorénavant toute sorte de considération, et ne garderai plus aucunes mesures. Je suis en droit de tout faire contre mon mari, et quand l’occasion s’en présentera, je ne m’en abstiendrai plus. Il y a un an et plus qu’il ne m’a touchée ; mais je jouirai avec un autre des douceurs que je ne puis goûter avec lui.

Le fourbe capucin n’a garde de laisser échapper une occasion si favorable ; au commencement il combat mollement les emportements de la dame avec des exemples pernicieux ; et, excitant ainsi le désir de la vengeance de cette femme, il l’amène au point où il veut en venir. Il y a longtemps, aimable dame, que je vous adore en secret, mais jamais je n’ai trouvé une occasion favorable de vous avouer le feu qui me consume ; enfin, le ciel favorable à mes vœux me fournit cette occasion opportune. Je vous conjure, adorable… de ne pas retarder le moment de mon bonheur ; jamais peut-être un moment plus opportun ne s’offrirait. Ah ! laissez-vous toucher par le plus vif et le plus tendre amour. En finissant ces mots, il pousse la hardiesse à prendre un baiser sur la bouche de la dame. Celle-ci, reprenant un peu ses esprits, lui répond qu’elle ne croyait pas que les capucins eussent des désirs si contraires à ce qu’ils enseignaient. Pouvais-je croire, monsieur, que vous, qui tous les jours dans vos sermons vous déchaînez contre les voluptueux, vous me feriez de semblables propositions ? — Hélas ! madame, que vous connaissez mal les forces de l’amour si vous croyez qu’il soit au pouvoir d’un homme d’y résister. Non, madame, continua-t-il en l’embrassant et la pressant contre son cœur, ne me considérez pas comme un religieux, mais comme un amant fidèle et sincère, qui fait consister son unique bonheur dans la possession de vos charmes.

T. 1.                                                                                                    P. 22.
Amours, galanteries, intrigues, ruses et crimes des capucins et des religieuses, 1788, Figure Tome 1 p. 22
Amours, galanteries, intrigues, ruses et crimes des capucins et des religieuses, 1788, Figure Tome 1 p. 22

Ces paroles tendres surprirent cette dame ; elle vit dans les yeux du moine les preuves du feu qui le consumait. L’espoir de la jouissance dans les bras du capucin amoureux, le désir de la vengeance, les négligences de son mari, firent oublier son devoir à cette dame ; elle céda. Le capucin, étant parvenu à son but, continua longtemps ce train de vie avec elle, en entretenant la discorde dans la maison.

T. 1.                                                                                                    P. 23.
Amours, galanteries, intrigues, ruses et crimes des capucins et des religieuses, 1788, Figure Tome 1 P. 23.
Amours, galanteries, intrigues, ruses et crimes des capucins et des religieuses, 1788, Figure Tome 1 P. 23.



Aventure du frère qui raconte les histoires et d’un
prédicateur de son ordre, dans la maison d’un
riche bourgeois.


Un prédicateur, dont le compagnon était par hasard à la campagne, me pria de lui tenir compagnie un jour seulement. Le gardien le permit. Nous partîmes du couvent le matin, après avoir déjeuné. Il fit quelques visites chez quelques-uns de ses amis, et la dernière fut chez un riche bourgeois. Nous trouvâmes sa femme au logis en habit négligé, mais très-propre. Cela lui seyait si bien qu’elle eût tenté l’homme le moins porté à l’amour. Dès que nous arrivâmes, elle montra assez de réserve, ne me connaissant pas ; mais le père lui dit que j’étais de ses amis, et elle se mit dans son train ordinaire. Elle se montra enjouée et galante. Je craignais, dit-elle, que vous ne vinssiez pas, car mon mari ne doit revenir que ce soir. — Peu s’en est fallu, en effet, que je ne vinsse pas, mais heureusement j’ai trouvé un fidèle compagnon et je me suis résolu à venir.

La conversation ne dura qu’un instant ; on servit bientôt à dîner. La partie fut carrée, car la fille de chambre se joignit à nous. Elle était de l’humeur de sa maîtresse et je prévis qu’elle pourrait être mon fait.

Nous dînâmes gaiement, nous bûmes d’excellent vin et en grande abondance, la bonne chère ne fut pas épargnée. Le repas fini, le prédicateur mit son manteau sur des chaises et prit la dame d’une façon qui me fit assez connaître qu’ils étaient très-familiers. Il la porta dans un cabinet voisin où se trouvait un lit de repos fort propre et fort commode pour ce qu’ils voulaient faire. Je me trouvai seul près du feu avec la demoiselle qui, plus jeune que sa maîtresse, me parut plus belle qu’elle. Mais j’avais tant de timidité que malgré mon bon désir je n’osais m’approcher de cette aimable fille. Je me mis dans un coin sans oser lever les yeux, et j’étais en danger de rester dans cet état de stupidité, si cette demoiselle, qui s’aperçut de ma faiblesse, n’eût fait les premières avances. Elle me sourit amoureusement, mais cela n’aurait pas suffi si elle ne se fût jetée à mon cou en me disant : Quoi, mon frère, resterons-nous dans l’inaction tandis que les autres jouissent des plus grands plaisirs ? Ces paroles me tirèrent de ma stupidité ; je la saisis, l’emportai sur le lit, et nous nous livrâmes aux plus tendres ébats.

T. 1.                                                                                                    P. 25.
Amours, galanteries, intrigues, ruses et crimes des capucins et des religieuses, 1788, Figure Tome 1 P. 25.
Amours, galanteries, intrigues, ruses et crimes des capucins et des religieuses, 1788, Figure Tome 1 P. 25.

Nous eûmes plus tôt fini que nos compagnons, et étant forcée par quelque nécessité naturelle, de descendre au bas de la maison, j’entendis frapper à la porte, et ne voulant pas donner à ma belle le temps de descendre, j’allai malheureusement ouvrir. C’était le maître de la maison, que je ne connaissais pas. Il me salua : Bonjour, mon frère, pourquoi vous êtes-vous donné la peine de m’ouvrir ? Après ces mots il monte, ouvre sa chambre, et trouve sa femme et le père endormis entrelacés l’un dans l’autre. Il ferme la porte doucement, de crainte d’éveiller le couple d’amants, et après avoir fait deux tours dans la chambre, il me demanda ce que j’étais venu faire là et s’il y avait longtemps que j’y étais. L’altération que je remarquai sur son visage me rendit interdit, mais la demoiselle lui répondit que nous venions d’entrer. — Vous n’y resterez pas longtemps, dit-il, je vais vous faire changer de logis. Il regarda par la fenêtre, appela un savetier, son voisin, et le pria d’aller quérir le commissaire. Celui-ci étant arrivé, le maître de la maison lui jeta la clef par la fenêtre, parce qu’il voulait rester dans la chambre avec nous pour empêcher le commissaire d’être prévenu et pour que nous ne pussions éveiller les endormis. Aussitôt que le commissaire fut entré dans la chambre. — Monsieur, lui dit-il, je sais que ces charmes n’ont pas de pouvoir contre la justice ; c’est pourquoi je vous ai fait appeler pour vous saisir d’un sorcier qui a pris ma ressemblance sous l’habit d’un capucin afin de jouir de ma femme. Je suis trop persuadé qu’elle est vertueuse pour croire qu’elle pût, sans être surprise, faire quelque chose contre son honneur, et d’un autre côté je ne puis croire que ce soit un véritable capucin. Éclaircissons ce mystère. À ces mots il ouvre la porte et éveille les deux amants.

Le mari est étrangement étonné en voyant que ce capucin est son neveu, et celui-ci ne l’est pas moins de la présence de son oncle ; mais la femme est bien plus surprise qu’aucun de nous lorsqu’elle s’aperçoit que son mari la surprend toute nue, ses bras et ses jambes entremêlés à ceux du capucin.

Le commissaire, qui était un homme d’esprit, nous fut dans cette circonstance d’un grand secours. — Quoi ! dit-il, monsieur, en s’adressant au mari, est-ce ainsi que l’on se joue de la justice ? vous mériteriez que je vous fisse éprouver des marques de mon ressentiment pour m’avoir fait venir chez vous afin de me rendre l’objet de vos railleries. Si quelques considérations ne me retenaient je vous en ferais porter la peine ; et vous, mes pères, dit-il en s’adressant à nous, je m’étonne que vous ayez consenti à suivre les conseils du maître du logis pour une chose semblable ; mais la vénération que j’ai pour votre ordre me fait passer sur les considérations de mon honneur et de mes intérêts, autrement je vous mènerais tous trois au Châtelet, où vous auriez à répondre sur le peu de respect que vous m’avez témoigné quoique je sois revêtu d’une charge que l’on respecte et honore.

Le capucin, connaissant la finesse de son oncle, fit semblant de lui demander pardon, en lui affirmant qu’il ne pensait pas qu’il prît la chose ainsi et qu’il s’imaginait bien qu’il serait le premier à rire de cette aventure.

Le mari jurait et attestait par des serments exécrables que ce n’était pas une raillerie, qu’il venait de la campagne, et qu’il les avait trouvés couchés ensemble. Mais ses serments et ses protestations furent inutiles ; plus il s’obstinait à soutenir ce qu’il avait avancé, plus nous nous obstinions avec le commissaire à soutenir le contraire. Enfin, nous sortîmes de la maison. Le commissaire fit semblant de nous réprimander, et fit des reproches au mari, lui disant qu’il ait une autre fois plus de conduite, et ne s’avisât pas de lui faire de semblables tours. Nous le laissâmes avec sa femme, celle-ci fut mise un peu après aux Madelonnettes. Nous retournâmes au couvent après avoir bien remercié notre libérateur, et l’avoir prié instamment de garder le secret.

Depuis cette aventure, qui aurait du me faire éviter des dangers semblables, je ne laissai échapper aucune occasion où je pourrais prendre des plaisirs, tant l’amour a de puissance sur les jeunes gens. Il est vrai que j’étais poussé par le prédicateur, qui me contait, toutes ses intrigues et celles de plus de vingt de nos pères, qui me reçurent dans leur confidence, et à qui je servis de compagnon en plusieurs bonnes rencontres.


Voyage avec le provincial et son secrétaire.
Aventures agréables de ce voyage.


Le premier voyage que je fis, ce fut pour accompagner notre provincial à dix lieues de Paris. Il avait son secrétaire avec lui. Nous couchâmes chez un gentilhomme, qui se trouva sur notre route. Il avait une femme très-belle et une jeune sœur fort jolie. Nous arrivâmes sur les deux heures, et l’on nous offrit d’abord une collation qui valait un bon dîner. Comme c’était au mois de juin, époque où les chaleurs sont grandes, nous prîmes le frais dans les chambres, jusqu’à ce que le soleil étant près de finir sa carrière, il prit envie à nos pères d’aller dire leur bréviaire dans un bois touffu qui était au bout du jardin. Les dames restèrent dans la chambre, s’occupant à des tapisseries, et le maître de la maison se retira dans son cabinet pour écrire quelques lettres et vaquer à ses affaires particulières.

Avant de laisser sortir les pères, on se mit en devoir de pourvoir au souper. Le cuisinier était malade, et nous étions en danger de n’avoir que la broche, si le provincial, non moins friand qu’amoureux, n’eût dit à madame que j’entendais parfaitement la cuisine. Elle me pria aussitôt d’une manière galante de vouloir faire une tourte de pigeonneaux et une fricassée de poulets. Je m’y offris avec plaisir ; je descendis à l’office et mis une serviette devant moi.

L’on m’apporta ce qui m’était nécessaire, et je me mis en devoir d’exécuter la commission que l’on m’avait donnée.

Au bout d’une demi-heure, mon souper étant presque prêt à être mis sur le feu, je m’aperçus qu’il me manquait des artichauts ; je laissai un petit laquais que j’avais avec moi pour prendre garde à tout et j’allai au jardin en chercher moi-même.

Ce jardin était vaste. Le grand nombre des espaliers qui portaient de très-beaux fruits me fit naître la curiosité de m’avancer pour les considérer et voir si j’en trouverais quelqu’un à mon goût. J’en cueillis un, puis voyant un peu plus loin des cerises, j’y courus pour en manger ; après quoi je me promenai sous un berceau de chèvrefeuille, au bout duquel était un cabinet plafonné de diverses peintures avec des filets d’or. La porte était fermée, mais voyant une fenêtre entr’ouverte, il me prit envie de regarder le dedans du cabinet. J’y aperçus le provincial tenant entre ses bras la dame du logis, dont la jupe était troussée jusqu’au-dessus des genoux, et la main du révérend père était au-dessous. J’eus le plaisir de voir des genoux ronds et aussi blancs que l’albâtre. Je me retirai promptement, de crainte d’être aperçu et de troubler la fête, ce qui m’aurait attiré quelque fustigation. Je cherchai à me cacher en quelqu’endroit du bois, en attendant l’issue de cette aventure et la sortie du provincial ; mais une autre surprise m’attendait. Comme je passais dans un lieu fort couvert, j’aperçus le père secrétaire qui se leva brusquement, me vint trouver tout en sueur et me dit : Ah ! frère Léonor, que je suis ravi de te voir ici, viens participer à nos joies et à nos délices. En même temps il me présenta à la sœur du gentilhomme en lui disant : Mademoiselle, je suis au désespoir de ce que la trop grande ardeur de ma passion s’est opposée à mes désirs et aux vôtres ; vous avez assurément sujet de vous plaindre de moi, mais si j’ai manqué à remplir votre envie, je crois que le frère Léonor, que je vous présente, pourra vous satisfaire pleinement. — Retirez-vous, dit-elle comme en colère, il ne me fallait pas faire naître un désir pour ne pas m’en procurer la satisfaction ; j’espère que ce frère pourra me contenter, et votre présence ne sert qu’à retarder les plaisirs que je m’attends à goûter avec lui.

Le secrétaire se retira, et ces paroles m’ayant instruit du combat que j’avais à soutenir, mes armes furent bientôt en état. Nous nous livrâmes aux plaisirs sans réserve, et je fis avouer à la demoiselle qu’elle était bien aise que j’eusse pris la place du secrétaire et qu’elle avait suffisamment satisfait à ses désirs. Sur ces entrefaites, le provincial arriva. Il fut si surpris de me trouver en posture qu’il pensa tomber en pamoison. Il ne savait comment il devait prendre la chose ; mais la belle lui ayant conté comment l’affaire s’était passée, il se mit à rire et me dit d’un cœur paternel : courage, mon cher frère, ne discontinuez pas ; cette demoiselle est aimable, il faut employer toutes vos forces à la contenter, et vous réjouir de l’heureuse occasion qui s’est offerte.

Bientôt après nous retournâmes à la maison où nous trouvâmes le secrétaire sur un lit de repos, faisant croire au maître du logis qu’il était indisposé pour avoir mangé un fruit. J’allai finir mon souper. Il fut bientôt préparé, et après avoir soupé nous allâmes nous reposer sur de bons lits jusqu’au lendemain matin. Après notre lever, nous déjeunâmes et nous prîmes congé de nos hôtes bienveillants pour nous rendre au couvent des religieuses de Fontevrault.


Aventures des trois capucins au couvent de
Fontevrault.


Nos pères allaient faire dans ce couvent une neuvaine. Il est nécessaire de dire que pendant les neuvaines il est défendu expressément aux nonnes de parler à qui que ce soit qu’aux pères directeurs, afin que pendant ces neuf jours elles soient entièrement attachées à faire ce qu’ils leur ordonnent et toujours attentives à leurs discours à la grille, d’où ils ne se retirent qu’aux heures du repas. Après le repas, ils y reviennent encore jusqu’à minuit, heure des matines.

Comme ce couvent est près du château où nous avions été si bien régalés, nous y arrivâmes bientôt. Dès que les religieuses eurent appris l’arrivée de leurs directeurs, elles se rendirent toutes aux parloirs avec une modestie si grande que j’en fus d’abord étonné. Le jour elles sont toutes ensemble et s’entretiennent des affaires du monde, demandent des nouvelles de leurs parents et amis et autres choses semblables ; mais le soir, qui est le temps destiné au silence, elles se retirent en de petits parloirs, dont les grilles sont larges, pour jouir pleinement de leurs directeurs les unes après les autres.

Le père provincial ne me traita pas en novice, mais en ami ; il me donna la liberté de me promener où je voudrais, sans m’obliger à dire mon chapelet, comme font la plupart des sots et stupides compagnons de notre ordre. Je ne faisais donc que me récréer pendant que ces bons pères éprouvaient les esprits et attendrissaient les cœurs de ces jeunes dames. Je ne les voyais ni l’un ni l’autre qu’au dîner, parce que le soir ils ne soupaient pas, à cause des collations particulières qui se faisaient à la grille toutes les après-midi.

Il y avait déjà trois jours que j’étais dans ce couvent sans autre occupation que la promenade ; mais le troisième jour, au matin, je rencontrai un frère de Paris de mes amis qui se promenait seul et était plongé dans une profonde rêverie. J’allai l’accoster et lui demandai la cause de son chagrin. J’aime, répondit-il, et je cherche les moyens de satisfaire à mon amour. — Si je puis vous être utile, lui répondis-je, employez-moi, et je vous servirai de bon cœur. — Je ne crois pas, me répondit-il, que vous puissiez me rendre service. Toutefois, je veux bien vous instruire du sujet de mon chagrin ; car nous manquons souvent de lumière dans les choses qui nous importent le plus, et ceux qui ne sont pas intéressés dans nos affaires y trouvent plus facilement des expédients, parce qu’ils ne sont pas aveuglés par la passion.

Il y a plusieurs jours que je suis ici avec un prédicateur qui est venu pour le même sujet que le père provincial. Nous avons contracté habitude avec trois religieuses fort aimables, qui ne désireraient que de se livrer entièrement aux plaisirs de l’amour. Mais les moyens de se contenter sont difficiles. Les grilles, quoique larges, empêchent que l’on puisse faire ce que l’on veut. Elles se sont avisées d’un expédient qui nous a réussi, quoi qu’il soit assez dangereux. Une de ces filles a entre ses mains les clefs du réservoir au poisson du couvent. Dans ce réservoir, il y a une grille qui s’ouvre à la clef. C’est par là que coule un petit ruisseau qui fournit l’eau ; elle nous en a donné la clef et nous a dit de passer par là à deux heures du matin, en sortant des matines. Nous avons suivi cet avis, et nous avons réussi à passer, et, sortant de là, nous nous sommes trouvés dans le bois qui est dans l’enceinte du couvent. C’est là que nous attendaient trois mignonnes en bonne dévotion. Comme elles étaient préparées à la chose, il ne nous a pas fallu longtemps pour les résoudre, quoiqu’elles nous aient juré qu’elles n’avaient jamais connu d’homme. Mais il est survenu une dispute assez plaisante entre elles, parce qu’elles étaient trois et que nous n’étions que deux. Il y en a eu une plus modérée que les autres ou plutôt qui appréhendait que les différends ne fissent perdre trop de temps, et qui a bien voulu attendre que son amie eût fait. Mais elle n’a pas été la plus mal partagée, parce que de ma vie je ne me suis trouvé plus vigoureux. Après que j’ai eu donné quelque satisfaction à la première, je me suis trouvé en état de donner à la seconde le double de ce que j’avais fait à la première. Mais ce qui fait l’objet de mon chagrin, c’est que le prédicateur s’est saisi de la plus jeune et de la plus jolie, pour laquelle j’ai une si grande passion que je ne serai jamais content que je n’en aie obtenu la plus grande faveur. Je préférerais plutôt rompre avec le prédicateur que de ne pas me satisfaire.

Voilà quatre jours que nous continuons ce train de vie sans avoir pu jusqu’à présent avoir entre mes bras celle que j’adore, et comme je suis obligé de partir demain, je rêvais au moyen de parvenir à mon dessein, lorsque vous m’avez rencontré.

Je suis bien aise, lui répondis-je, que vous m’ayez fait cette confidence, parce que j’imagine un expédient pour vous faire obtenir l’objet de vos vœux, pourvu que vous vouliez m’admettre en votre compagnie. — Pour moi, répliqua-t-il, je le veux bien, mais il faudrait en parler au père, et je ne sais comment lui faire la proposition de vous mettre de la partie. — Au contraire, lui dis-je, il ne faut point lui en parler ; ce serait le moyen de voir votre entreprise avortée ; montrez-moi seulement le lieu, et vous reposez sur moi pour le reste. Nous allâmes reconnaître l’endroit. Il m’instruisit de la manière dont je devais me conduire sans être vu, et où je trouverais les galantes nonnettes. Cela résolu, je ne manquai pas de me trouver avant eux au rendez-vous. Nos trois religieuses y étaient déjà, qui me demandèrent où était le père prédicateur, croyant que j’étais le frère. Je leur répondis tout bas qu’il me suivait, et en même temps je réfléchis au moyen de n’être pas reconnu avant coup-férir. Le prédicateur et le frère vinrent ensuite.

Le frère passa le premier, comme je l’en avais averti, et s’empara de celle qu’il aimait, tellement que le prédicateur fut obligé de s’accommoder de la troisième.

Nous passâmes ainsi deux heures le plus agréablement du monde. Deux de ces jeunes nonnes furent mieux satisfaites qu’auparavant, chacune ayant son chacun. Nous nous retirâmes ensuite en nous raillant du prédicateur, qui avait été frustré de sa proie accoutumée ; mais il se défendit en disant qu’il avait trouvé la dernière aussi bonne que la première. Nous allâmes ensuite vider une bouteille d’excellent vin, et nous nous mîmes chacun sur un lit, où nous nous reposâmes jusqu’à dix heures.

En se levant, ils allèrent dire adieu à leurs nonnes, et après avoir dîné ils me manifestèrent le désir de prendre congé du provincial, parce qu’ils voulaient partir dans une heure, afin d’être le lendemain matin à Paris. Je les invitai à m’attendre, et allai trouver le provincial à la grille, où il avait dîné ce jour-là, pour lui demander s’il était disposé à recevoir leurs adieux et à leur donner sa bénédiction.

Je montai au parloir de la prieure où il s’entretenait ordinairement avec quelqu’une de ces filles. J’ouvris la porte sans heurter, quoique ce soit la coutume parmi les moines et parmi les moinesses ; mais j’avais ma tête si échauffée par le vin que je n’y songeai pas. J’aperçus, en ouvrant la porte, le dirai-je, notre révérend père dans l’attitude la plus lascive du monde. Il était couché sur le dos tout de son long, sur la planche placée devant la grille, sa robe levée et sa mutande abaissée ; de l’autre côté était une de ces belles nonnettes dont les jupes et la chemise étaient troussées et dont… Ce spectacle me surprit si fort que je tirai la porte à moi avec beaucoup plus de précaution que je ne l’avais ouverte et courus chercher le secrétaire, sans savoir pourquoi ; j’étais pris de vin et étourdi de ce que je venais de voir. J’entrai si brusquement dans le parloir où il était que je rompis les verrous qu’il avait eu la prudence de fermer, de crainte de surprise. Mais si mon étonnement avait été grand à la vue du provincial, il ne le fut pas moins en voyant l’état où était le secrétaire. Il était couché sur deux chaises, le visage pâle, la corde défaite, ses sandales éloignées de lui, son habit levé négligemment, et une dame lui tenait la main à la grille. Je courus d’abord pour le secourir ; mais la posture où je vis la dame en m’approchant me fit bien voir qu’il n’était mort que pour revivre. Je les laissai faire, après qu’elle m’eut assuré que ce ne serait rien. J’allai dire à mes deux amis que le père provincial leur souhaitait un heureux retour au couvent, et qu’il se recommandait à leurs saintes prières, mais qu’il ne pouvait les voir, à cause d’une affaire à laquelle il était occupé.

Nous bûmes le vin de l’étrier et nous nous quittâmes. Rendu ainsi à moi même, j’avisai à finir ma neuvaine aussi gaîment que je l’avais commencée.

Je contractai une liaison plus étroite avec nos trois jardinières, et j’allai toutes les nuits au rendez-vous du réservoir, où je goûtais avec ces charmantes filles toutes les délices de l’amour.

Cette agréable neuvaine finie, il fallut reprendre la route de Paris. En chemin, nous revîmes nos belles hôtesses, qui nous régalèrent de nouveau, et ce fut là que se terminèrent les plaisirs de notre voyage.

Arrivé à Paris, je suivis l’exemple de mon provincial, et j’envoyai à ces religieuses certaines eaux pour servir à la guérison des hydropisies que l’amour peut engendrer.


Aventure du gardien du couvent de Provins.


Un capucin des plus célèbres de l’ordre, par sa qualité et par sa science, trouva moyen, par ses intrigues, de se faire élire gardien du couvent de Provins, si renommé à cause des crimes que les franciscains ont commis avec une foule de religieuses qu’ils ont débauchées. Ce révérend père, qui était gardien en 1676, fut cause des égarements de ces pauvres filles. Ce capucin était le mieux fait de notre ordre. Il avait l’esprit subtil et persuasif ; si la mémoire ne lui avait pas manqué, il aurait été un des plus habiles et des plus recherchés prédicateurs de son temps.

Comme il ne souhaitait d’arriver au gardienat que pour suivre impunément ses désirs effrénés, sans appréhender la censure, il s’abandonna entièrement aux plaisirs, ne négligea rien de ce qu’il croyait propre à y contribuer, mit toute son application à trouver les moyens de ne rien refuser à sa satisfaction. À cet effet, il se servit d’un frère qui avait passé une partie de sa vie dans des intrigues amoureuses, et avouait presque publiquement sa prostitution. Il avait de si rares talents dans ce commerce qu’il avait été toujours recherché de ceux qui étaient adonnés à cette passion. J’en parle avec certitude, puisqu’il ne faisait pas mystère de ses actions, et que c’est de lui que je tiens cette histoire.

Au commencement des vendanges, époque où il envoyait quêter du vin dans les villages voisins, il eut envie de savoir à combien pourrait s’élever la quantité qu’il pouvait espérer d’avoir. Allant pour cela de côté et d’autre dans les vignobles, il aperçut une jeune fille villageoise, âgée d’environ dix-huit ans, qui, dans son vêtement assez propre pour une personne de son état, faisait briller une beauté capable de rivaliser avec les charmes des plus belles dames de la cour. Le gardien en fut d’abord épris ; ce loup ravisseur de la pudeur des vierges forma sur-le-champ le projet de la posséder, et ce fut pour y pourvoir qu’il lui demanda d’où elle était et à qui elle appartenait. Elle lui montra la maison de son père, où aussitôt il alla voir cet homme, qu’il pria, avec cet air d’hypocrisie qui séduisait tout le monde, de lui prêter quelque temps un lieu pour mettre le vin de sa quête. Ce bonhomme, qui ne jugeait des choses que par l’apparence, crut que c’était par un effet de la bénédiction divine que le bon religieux s’adressait à lui ; il lui accorda ce qu’il lui demandait. Il offrit donc une cave, et lui dit même qu’il pouvait disposer de sa maison et de tout ce qui lui appartenait. Il le pria ensuite de prendre un verre de vin pour se rafraîchir, et de vouloir accepter une petite collation. Le père gardien accepta ; ils se mirent à table, et celui-ci, pour prévenir l’esprit de ce bonhomme en sa faveur, ne l’entretint que de choses saintes. Pendant le temps qu’ils étaient à table, la fille arriva ; et, par ordre de son père, elle présenta à boire au capucin. Celui-ci fut si transporté en la voyant qu’à peine se put-il retenir de lui déclarer son amour, et ce ne fut qu’avec une grande violence qu’il ne lui en donna pas de marques ; mais il voulut se réserver une occasion plus favorable.

Quand il sortit de la maison, il promit qu’il leur viendrait souvent rendre visite, et en effet il n’y manqua presque pas un jour. Il amusait le père et la mère par de belles paroles, faisait des caresses aux enfants et des présents à la fille. C’est ainsi qu’il s’attira tellement l’amitié de toute la famille qu’il était comme le maître du logis.

Il passa ainsi l’hiver sans que les affaires fussent plus avancées, ce qui ne satisfaisait pas trop le compagnon du gardien à cause du grand froid qu’ils éprouvaient en faisant leurs visites.

Lorsque le printemps fut arrivé, ces bonnes gens venaient ordinairement les dimanches et les fêtes rendre visite au gardien ; il les recevait toujours avec les témoignages de la plus vive amitié. Il leur faisait faire bonne-chère ; et pour engager la fille à entrer seule une autre fois au couvent, il y fit entrer un jour toute la famille pour y dîner et voir le couvent.

Il en usa plusieurs fois de la même manière, et l’été se passa entièrement sans qu’il eût pu trouver l’occasion propice à son dessein. Mais dans l’automne, qui est le temps de la récolte des fruits, il recueillit le fruit de ses travaux amoureux. Pour parvenir à ses desseins, le gardien pria cette fille de lui apporter un jour des fruits qui se trouvaient chez son père et dont il n’avait pas chez lui. Elle lui promit de le faire ; et le jour fixé il envoya dix de ses moines hors du couvent, dans des villages situés çà et là ; il ne garda dans sa maison qu’un de ses amis intimes et qui était le compagnon de ses débauches.

La jeune villageoise vint sur les quatre heures sonner à la porte. Le compagnon alla lui ouvrir, et lui dit en riant : entrez, ma fille, je vais avertir le révérend père gardien. Elle ne fit aucune difficulté.

Le frère fit semblant d’aller sonner les complies pour ne lui donner aucun soupçon et pour éviter le scandale, quoiqu’il n’y eût personne pour chanter.

Le gardien vint rejoindre la jeune fille, la salua lui dit : ma belle enfant, je n’ai point de panier pour mettre les fruits ; prenez la peine de venir avec moi, je vous en donnerai d’autres pour remplacer les vôtres. Elle le suivit sans résistance dans sa chambre, où se trouvait une collation bien apprêtée ; il n’eut pas beaucoup de peine à la décider à boire et à manger. Il y avait d’excellent vin d’Espagne, dont elle but largement. Il y avait deux autres moines qui avaient pris part au repas, mais ils se retirèrent, comme on était convenu. Aussitôt que le père gardien fut seul avec la jeune fille, il se mit en devoir d’exécuter le dessein qu’il avait projeté depuis longtemps. Il la jeta en badinant sur sa couchette ; elle fit au commencement un peu de résistance, mais comme elle avait de l’esprit, beaucoup d’amour et un peu de vin dans la tête, elle laissa faire au gardien ce qu’il souhaitait depuis si longtemps. Lorsqu’ils eurent accompli l’œuvre, le gardien la conjura de continuer avec lui ce genre de vie et de venir le voir souvent. Ils passèrent ainsi deux ans dans les plus agréables plaisirs.

Telles sont les ruses les plus communes que les capucins emploient pour satisfaire à leur lubricité. Mais ils ne remplissent pas avec plus d’exactitude leurs vœux d’obéissance. On pourrait faire un gros volume des exemples de leur insubordination. Je me contenterai seulement d’en rapporter quelques-uns qui prouvent leur indocilité.

Nos supérieurs, par principe de politique, envoient souvent dans des villages des prédicateurs pour instruire les paysans, qui nous donnent au temps des récoltes mille sortes de provisions. Ces sortes de missions ne semblent pas aux prédicateurs fort glorieuses, ni capables de leur procurer beaucoup de plaisir ; ils s’en défendent tous avec opiniâtreté ; se renvoient de Caïphe à Pilate ou se disent incommodés de l’estomac. Mais quand il s’agit de prêcher une octave ou de faire le panégyrique de quelque grand saint dans un célèbre couvent de religieuses, tous demandent à y aller ; et les plus vieux, qui sont souvent les plus fous, sollicitent si instamment, que le gardien est forcé, contre son inclination, de se rendre aux importunités de ces religieux.

Si on les envoie assister quelque malade, avec ordre de retourner au logis, ils feignent qu’on n’a pu se passer de leur assistance et ne se rendent pas au temps qu’ils devraient.

Fort souvent ils prétextent qu’il faut qu’ils aillent prêter assistance à des personnes qui n’existent que dans leur imagination ; et pendant ce temps ils vont se livrer à leurs débauches. J’en parle comme savant, puisqu’étant sortis un jour plus de vingt, sous prétexte d’aller assister des malades, nous nous trouvâmes au nombre de quatorze à souper à l’abbaye de Saint Denis en France, où les bons bénédictins nous régalèrent splendidement.

Ce fut dans ce célèbre monastère que j’appris, en conversant avec le père chargé de recevoir les notes, que nos frères s’arrêtent souvent, après deux ou trois heures, sous les arbres qui se trouvent à l’entrée de la ville, pour laisser passer le temps de la réfection des moines, parce qu’ils se réjouissent plus librement et mieux dans les chambres de leurs hôtes que dans le réfectoire ; ce qui est contre la défense de notre ordre, dont la règle porte qu’étant en voyage on doit se rendre dans les monastères au temps des repas, autant que cela se peut, afin de leur être moins à charge.

La plupart des anciens ne sont jamais disposés recevoir d’autres injonctions que ce qui leur est dicté par leur amour-propre ; ils sortent, au gré de leur volonté, pour aller où la volupté les appelle. Cela est très-bien connu des supérieurs, mais le gouvernement des supérieurs de notre ordre ne dure que trois ans, ils sont bien aises de jouir comme les autres de leur liberté quand ils ne sont plus en fonctions.

En un mot, l’esprit d’obéissance est si bien éteint parmi nous, que les gardiens ne se hasardent pas de rien commander qu’il ne soit assuré que le commandement sera bien reçu de celui à qui il s’adresse.