Texte établi par J.-R. Constantineau (p. 35-39).


CHAPITRE II


RÉMINISCENCES DE COUVENT


Titre III


À CHATHAM


Le couvent de Chatham, est une jolie construction assise à quelques cents pieds de la rivière Thames ; de beaux arbres, surtout des pins entourent le couvent ; l’intérieur est riche et respire la propreté et l’aisance ; les Révérendes Sœurs, institutrices de la maison sont, la plupart, des Irlandaises ; les élèves sont particulièrement recrutées parmi la haute classe de la Société ; toutes les prières de la communauté sont faites en Anglais.

Dès les premiers jours après son arrivée, Ninie sentit qu’elle avait choisi le bon endroit pour atteindre son but, se perfectionner dans la langue Anglaise et prendre de bonnes manières, acquérir une bonne éducation au contact de ces élèves, filles pour la plupart, du grand monde, et sous la direction de ces institutrices, dames qui tiennent au premier rang de leur enseignement, une éducation soignée et un savoir vivre distingué.

Cependant, encore bouleversée par tous les souvenirs qu’elle avait laissés au foyer, et encore toute anxieuse de se faire à ce genre de vie passablement différent de celui qu’elle avait vécu au couvent d’Hochelaga dont les mérites de l’enseignement égalent tout de même ceux du couvent de Chatham et n’en diffèrent que par le but que se proposent les élèves. Ninie prit plusieurs jours pour s’habituer à ce nouveau règlement et pour chasser de son esprit tous ses souvenirs qui l’empêchaient de se livrer à ses études ; elle eut à combattre l’ennui, elle se sentait si loin de tout ce qui lui était cher ; mais son tempérament énergique lui fit surmonter, sans trop de difficultés et le chagrin qui envahissait son âme et tous les petits obstacles qu’une jeune fille, en pareille occasion, doit rencontrer inévitablement sur sa route.

Un soir, alors que les élèves étaient rendues au dortoir, Ninie, comme éprise de découragement, le cœur suffoqué par la peine qu’elle ressentait de se voir si loin de sa famille, fondait en larmes ; le sommeil ne pouvait pas venir ; sa tête était remplie de fièvre ; et les sanglots qu’elle étouffait sous l’oreiller, attirèrent l’attention de l’une de ses compagnes qui aussitôt alla prévenir Mademoiselle Howell, l’institutrice de littérature anglaise de Ninie, qui s’empressa d’aller auprès d’elle et lui demanda :

Mais, mademoiselle, êtes-vous malade, qu’avez-vous ? Ninie, reconnut Miss Howell, qui depuis son arrivée avait pris beaucoup d’intérêt pour l’égayer et qui, à la demande spéciale de la Révérende Sœur Supérieure, Révde Mère Claire, lui avait témoigné beaucoup d’estime et cherchait à lui rendre le séjour, très agréable.

Dites-moi, mademoiselle, qu’avez-vous, étes-vous malade ? Non, reprit la jeune fille, je ne suis pas malade, mais je m’ennuie ; je veux m’en retourner chez moi, demain ! c’est trop ennuyeux, ici ! C’est bien, reprit Miss Howell, vous vous en irez demain, mais comme c’est le dernier soir que vous passez ici, venez avec moi, à ma chambre ; nous causerons.

Toute chagrine, les yeux enflés, le mouchoir dans la figure, Ninie suivit Miss Howell, qui conduisit la jeune fille à sa chambre où elle lui fit prendre une bonne tasse de thé ; après l’avoir engagée à vaincre sa gêne et ses ennuis, et faisant miroiter à ses yeux l’avenir brillant qu’elle aurait, si elle continuait ses études ; la Révérende Sœur Supérieure Mère Claire, qui, à l’arrivée de la jeune fille, avait constaté en elle, une brillante intelligence, prévenue par Miss Howell, s’était donné le trouble de se rendre à la chambre de cette dernière, où elle trouva Nini toute désolée.

Oh ! chère enfant, lui dit-elle, en anglais, il faut avoir du


Le Couvent des Ursulines « The Pines » — Chatham, Ont.
Le Couvent des Ursulines « The Pines » — Chatham, Ont.
Le Couvent des Ursulines “The Pines” — Chatham, Ont.

courage dans la vie, pour réussir ; il faut être bien brave ! il

faut se faire violence à soi-même, non pas un seul instant, mais il faut persévérer dans ses résolutions ; car dans la vie, vous rencontrerez d’autres difficultés sur votre route, et si vous ne vous habituez pas à vaincre les difficultés, dès votre jeunesse, les difficultés vous vaincront.

Non, ma chère enfant, mettez cet ennui, de côté, et courage ! après quelques jours, quand vous aurez fait connaissance, avec vos compagnes, vous serez si heureuse ! dans la vie, il se passe bien des orages, il faut porter ses regards bien loin et n’avoir pas peur.

Ninie, en entendant ces paroles qui n’étaient que la répétition des paroles que lui avaient dites sa mère, et qui lui étaient restées gravées dans sa mémoire, reprit son calme et commença à recouvrer force et énergie et espérance et volonté.

Soit, dit la jeune fille, je resterai et j’essayerai encore huit jours ; je vous remercie Mère Claire, vous êtes bien bonne ; je me sens mieux maintenant ; vos paroles m’ont reconfortée et je me sens plus courageuse et plus ferme j’aimerais à ne pas m’ennuyer, j’aimerais à y rester, car c’est un si beau couvent !

Les huit jours écoulés, Ninie était heureuse ; elle aimait le couvent de Chatham ! elle aimait la localité ! elle aimait le programme des études et elle obtenait des succès marqués ; elle y réussit audelà, de toutes ses espérances.

Mgr Fallon qui était l’évêque du diocèse, venait de temps à autre, en qualité officielle d’évêque, et aussi en qualité de visiteur, à ce couvent où il avait ses appartements privés ; Ninie croyait, par avoir entendu dire que Mgr Fallon, était l’ennemi des canadiens-français, qu’il était sévère et ne saurait regarder qu’avec mépris, les deux seules canadiennes-françaises qui étaient cette année-là, élèves au couvent de Chatham ! car, il avait l’habitude de faire venir à sa chambre, les élèves nouvelles qui venaient de loin ! Quelle ne fut pas sa surprise, quand invitées par la Révde Mère Claire, Maria-Anna Bélanger et Ninie à venir aux appartements de Mgr Fallon, pour y recevoir sa bénédiction, elle vit cet évêque, à la tête chauve, à la figure ronde, l’œil exercé et ferme, le sourire intelligent et moqueur sur les lèvres, prendre dans ses mains, les mains de ces deux petites canadiennes et en un français absolument correct quoique teint de l’accent anglais, leur demander d’où elles venaient, qui elles étaient, si elles se plaisaient et leur dire en plaisantant : « Mes bonnes enfants, quand je reviendrai, si vous n’avez pas été de bonnes élèves, vous savez, moi, que je les déteste les Canadiens-français, hé bien, je saurai être bien sévère pour vous ! »

Ninie, pensait souvent à son ami Rogers qui lui avait promis de lui écrire ; que fait-il, se demandait-elle ? Elle ne savait que penser de cette absence de nouvelles !

À maintes reprises, elle avait réussi à lui écrire, du couvent et à faire maller ses lettres par des élèves externes, qui prenaient leur pension au dehors du couvent ! mais toutes ses lettres étaient restées sans réponse ; croyant que son ami Rogers l’avait oubliée ou qu’il avait changé ses amours, Ninie en éprouva beaucoup de chagrin ; sa figure était devenue triste et ses études ne furent pas aussi bien faites que d’habitude ; aussi, la Révde Sœur Directrice, se doutant que quelque chose d’anormal se passait chez la jeune fille, chercha la cause de cette tristesse qui lui semblait mystérieuse, et en faisant l’examen, un soir, de son pupitre, trouva une lettre que Ninie avait écrite à son ami Rogers, et qu’elle se préparait à lui faire envoyer secrètement, le lendemain ; la Révde Sœur Directrice remit cette lettre, au Révd Père Hermann, bon et saint prêtre, chapelain du couvent, qui fit demander Ninie et l’exhorta à mettre ces correspondances et ces amours de côté, chercha à lui faire comprendre qu’elle ne devait pas perdre son temps, à des correspondances inutiles et qui l’exposaient à se faire renvoyer de la Maison où elle avait commencé à remporter de beaux succès dans ses études.

Malgré ces exhortations du Revd Père Hermann, Ninie qui ne pouvait se résigner à voir son bon Rogers s’éloigner d’elle, et à vivre sans aucune nouvelles de lui, essaya encore de lui faire parvenir à Haileybury, trois ou quatre autres lettres, demandant des explications, protestant de la plus vive sincérité de son amour et lui dépeignant tout le chagrin qu’elle éprouvait de ne pas recevoir de nouvelles de lui.

Enfin, après de longs mois d’attente, après certaines demandes dans des lettres envoyées secrètement à sa mère, elle apprit que le jeune homme avait quitté Haileybury pour on ne savait où.

Ninie crut, à une séparation, à un abandon volontaire, de sa part, fit taire son cœur, se livra courageusement de nouveau à ses études et se résigna à ne plus revoir cet ami sur qui elle fondait l’espérance d’un avenir heureux ; elle revint de Chatham, après avoir passé une année fructueuse dans son étude de l’Anglais et de la musique, au milieu de sa famille qui l’attendait avec hâte, depuis surtout qu’elle lui avait annoncé, deux ou trois mois auparavant que sa santé n’était pas des meilleures.

Mais, elle était heureuse de prouver à son père que son argent n’avait pas été gaspillé, qu’elle avait employé son temps à acquérir les connaissances qu’elle désirait un an avant, avoir ; aussi, s’empressait-elle de montrer à ses parents, tous les prix qu’elle avait rapportés du couvent ; elle s’efforçait de parler Anglais, et de jouer ses plus beaux morceaux de piano.

Toute la famille était fière des succès de leur petite Ninie qui n’en éprouvait pas moins d’orgueil.