Texte établi par J.-R. Constantineau (p. 31-33).


CHAPITRE II


RÉMINISCENCES DE COUVENT


Titre II


VERS CHATHAM


Le train filait à toute vitesse ; les chars étaient remplis de voyageurs ; Ninie, était, seule, sur son banc ; occupée à mettre ses petites malles en ordre, elle ne remarqua pas d’abord, les voyageurs qui l’entouraient.

Le firmament était clair ; c’était une belle journée d’été.

Toute sa pensée était de savoir si elle se rendrait sans inquiétudes ; elle repassait aussi dans sa mémoire, les événements qui venaient de se passer et lui apparaissaient comme des rêves ; elle songeait à ces heures qui avaient laissé dans son âme, de profondes impressions qui lui inspiraient moins de goût pour les études qu’elle voulait terminer.

Après quelques heures de marche, le train s’arrêtait à North Bay, où des voyageurs débarquèrent et d’autres parmi lesquels, deux Révérendes Sœurs, entrèrent dans le même char où elle avait pris place ; la jeune fille reconnut en ces religieuses, Révérende Sœur Marie Cornélie et Révde Sœur Marie Épiphane, du couvent des Saints Noms de Jésus et de Marie, à Hochelaga, Montréal ; les religieuses reconnurent aussi leur ancienne élève et remarquèrent la tristesse peinte sur son visage ; elles vinrent s’asseoir près de la jeune fille et la causèrent :

Mais où allez-vous, Mademoiselle, lui demandèrent-elles ? à Chatham repondit Ninie ; au couvent ? oui, mères, au couvent de Chatham !

Nous ne voulons pas vous faire changer subitement, votre décision Mademoiselle, mais pourquoi, allez-vous, au couvent de Chatham ? Nous aurions tant aimé à vous revoir à notre couvent cette année encore ? nous avions même pensé à vous garder avec nous, nous croyions que vous étiez appelée à la vocation religieuse ; vous étiez si bien, chez nous ; et il nous semblait que les succès que vous aviez remportés, devaient laisser en votre cœur, des souvenirs qui vous auraient ramenée cette année, à Hochelaga ! La vie religieuse est la plus belle, de toutes, vous le savez ; et vous avez certainement des signes de vocation religieuse qu’il vous faudra étudier ; bien, reprit la jeune fille, Révérendes mères, j’aurais aimé à retourner au couvent, à Hochelaga, mais je veux aller à Chatham, pour y apprendre surtout l’anglais.

Puis, la conversation roula sur les sujets variés du retour d’anciennes élèves, de la mort de certaines compagnes, arrivée pendant la vacance, des changements des institutrices, et plus tard, on invoqua, à la jeune fille, certains souvenirs entre autres, celui où la jeune Ninie avait été nommée, à la suite d’un concours d’Instruction Religieuse, et en récompense d’une bonne conduite, au couvent, « Reine de mai, le 31 mai 1907. »

Cet honneur signifiait que la jeune fille avait l’estime de ses supérieures, pour cette cérémonie de la proclamation de « Reine de mai, » la jeune fille revêtait une toilette toute blanche, et portait sur sa tête, une couronne de fleurs ; ses supérieures lui donnaient le droit absolu de prendre la direction de ses compagnes qui étaient censées devenir ce jour-là, ses sujets ; c’est ainsi que la jeune fille, en qualité de Reine de Mai, exprima le désir auprès de ses supérieures, de retrancher du bulletin des élèves, toutes les mauvaises notes, telles que les Médiocre, les Passable, et de n’employer que les Très Bien, presque Très bien et Bien.

Le chapelain de l’Institution, qui n’avait pas été mis au courant de l’importance de l’autorité ni des pouvoirs qu’on conférait à la Reine de Mai, vint faire, selon l’usage, la lecture du compte-rendu des notes désignant le succès dans les études et les progrès ou le plus ou moins d’application des élèves dans leur conduite ; qu’elle ne fut pas sa surprise de constater que pas une seule note mauvaise n’apparaissait sur le bulletin des élèves ; alors, tout naïvement, le chapelain de l’institution commença à faire des recommandations aux élèves, les exhortant à continuer leur application au travail, etc, etc., et les félicitant chaleureusement du beau résultat de la semaine, lorsque tout-à-coup, levant les yeux, il aperçut la Reine de Mai, toute vêtue de blanc, et constatant les sourires que s’échangeaient les élèves :

Très-bien, dit le Révérend M. Pyette, je constate avec beaucoup de plaisir, ce beau succès ; mais je suis à me demander si ce n’est pas l’effet des pouvoirs de la Reine de Mai, qui aurait eu l’heureuse idée de me prouver qu’elle a de bons sujets, en ce cas, dit-il, je la félicite de tout mon cœur, et au nom de ses compagnes qui ont bénéficié de sa bonté, et au nom de la Communauté qui doit se sentir honorée par un tel compte-rendu, et à mon nom, car il me fait plaisir de ne lire que des bonnes notes, en ce jour de fête ; ainsi, tout le monde sera joyeux et le congé n’en sera que plus agréable ; ces paroles furent couvertes d’applaudissements et le Révérend M. Pyette tiré d’embarras.

Vous rappelez-vous, mademoiselle, la figure étonnée du chapelain, et l’incertitude avec laquelle, il osait deviner la nature du compte-rendu ?

Ces paroles et d’autres souvenirs assez joyeux qu’on évoqua à la jeune fille, eurent pour effet de lui rendre la gaieté et de dissiper le chagrin qu’elle avait éprouvé en quittant Haileybury et Guigues.

La conversation sur divers sujets, entre les religieuses et la jeune fille continua jusqu’à Montréal, où celles-ci se séparèrent de Ninie, qui prit le train en destination de Chatham.

Remplie des souvenirs évoqués, Ninie trouva la distance relativement courte, toute occupée qu’elle fut à méditer sur ses années passées au couvent de Hochelaga.