Éditions Prima (Collection gauloise ; no 11p. 49-53).


Gaston, Loulou, mon chéri,
(page 60).

viii

Le vrai Singe… et l’autre



Loulou restait sourd à toutes les avances d’Amélie. Même, il la regardait sans aménité, et ne se laissait approcher qu’avec méfiance.

La jeune femme avait beau lui prodiguer les mots les plus doux ; elle avait beau lui prendre les mains, rien n’y faisait. Il écoutait les paroles calines d’une oreille distraite et recevait les caresses sans entrain.

Amélie enleva son peignoir, pensant que, comme la première fois, le singe allait être troublé et émerveillé.

À sa grande surprise, Loulou s’empara du vêtement, passa ses bras dans les manches, puis se planta devant la glace, faisant mille contorsions, s’admirant…

Sa maîtresse n’en revenait pas…

Elle s’étendit sur le lit et appela le singe :

— Loulou ! Allons… mon joli mignon… Viens…

Mais Loulou la regardait en dodelinant de la tête, et sans avoir l’air de comprendre. Il se coucha… par terre et, à la grande stupéfaction de la jeune femme, il se livra devant elle à des incongruités qu’Amélie trouva complètement déplacées.

— Par exemple, dit-elle… Si c’est tout ce que j’obtiens aujourd’hui… je ne serai guère contente… Vraiment, ce n’était pas la peine qu’il fût si passionné hier…

Elle se leva pour tenter de rappeler son compagnon à une plus juste conception de ses obligations vis-à-vis d’une femme qui lui avait déjà accordé ses faveurs.

Peine perdue ! Loulou restait toujours insensible, et avait l’air de ne pas comprendre ce qu’Amélie lui voulait. Peut-être qu’à la longue cependant, elle serait parvenue à ses fins ; mais le singe bondit vers la porte, avec un grognement hostile.

— Qu’est-ce qu’il a donc ?… se demanda Amélie.

Mais elle n’eut pas le temps d’aller voir ce qui se passait. Alfred Camus entrait.

— Ma chérie, commença-t-il…

Aussitôt, il recula, effrayé…

— Encore un singe ! fit-il… Ah non !… Non !…

Le chimpanzé s’était élancé vers l’ami d’Amélie.

Il n’avait pas l’air commode du tout et le pauvre homme tremblait de tous ses membres.

— C’est qu’il est bien plus gros que l’autre, celui-là… fit-il… bien plus gros… C’est au moins un gorille !…

Et M. Alfred Camus se sauva bravement dans la pièce voisine poursuivi par le singe, qui, atteignant le coussin d’un divan, le jeta à toute volée sur celui qu’il considérait comme un ennemi… il lui jeta même autre chose… Tout ce qui lui tombait sous la main lui servait de projectile, même les objets d’art et les vases de prix…

— Un revolver ! criait l’homme… Donnez-moi un revolver que j’abatte ce singe comme un chien !…

— N’en fais rien surtout, s’écria Amélie… N’en fais rien… C’est un animal d’une très grande valeur…

— Si grande soit sa valeur, je ne veux pas qu’il me tue !…

La femme de chambre s’était sauvée pour aller chercher du secours. Mais comme elle franchissait le seuil de l’appartement, elle se trouva en présence d’Anatole Samuel qui arrivait accompagné du faux singe, c’est-à-dire du vrai Loulou…

Elle ne demanda rien et dégringola l’escalier, affolée… en laissant ouverte derrière elle la porte de l’appartement : ce qui permit à Gaston et à M. Samuel d’entrer.

Disons, pour être plus juste, que M. Samuel entra et que Gaston se précipita… arrivant dans le salon, juste à temps pour recevoir dans ses bras M. Alfred Camus…

— Sauvez-moi ! s’écria celui-ci…

Et il leva les yeux vers le nouveau venu… Il leva les yeux, puis recula, en poussant un cri, un cri indéfinissable dans lequel il y avait tout l’effarement qu’un homme pouvait éprouver en pareille circonstance :

— Un autre singe !… eut-il la force de dire… Mais il y en a donc une ménagerie dans les environs…

Et M. Alfred Camus se sauva à son tour, laissant les deux singes aux prises, sans se soucier du sort que ces animaux pouvaient réserver à sa jeune amie !…

Celle-ci, en voyant survenir Gaston, avait, elle aussi, laissé échapper un cri de stupéfaction :

— Loulou !… Celui-là… c’est bien Loulou !… s’exclama-t-elle.

— Oui, Madame, dit Anatole Samuel qui suivait de près l’homme-singe… On s’était trompé, et l’on vous avait ramené un autre animal à la place…

Le naturaliste, en même temps qu’il parlait ainsi, s’approchait du vrai singe pour essayer de le ramener avec lui.

Mais Joko était furieux… Il passait sa colère sur tout ce qu’il trouvait et avait déjà cassé une multitude de choses.

La vue d’un autre singe augmenta encore sa fureur, et il s’élança vers le nouveau venu…

On a beau être brave, il y a des moments où, malgré tout, on n’est pas très à son aise.

C’était le cas de Gaston, dans sa peau de singe, en face de ce véritable chimpanzé, qui n’avait pas le moins du monde l’air de vouloir lui céder la place…

Cet animal était tout de contradiction. Il se montrait à présent jaloux des caresses d’Amélie qu’il repoussait l’instant d’auparavant.

M. Anatole Samuel s’interposa entre Gaston et Joko. Il s’approcha de celui-ci et l’appela doucement par son nom.

Il faut croire que le chimpanzé connaissait bien le naturaliste, car il s’arrêta, regarda celui qui venait vers lui et cessa de menacer son rival.

Gaston en profita pour courir à Amélie, la prendre dans ses bras et l’entraîner vers la chambre.

La jeune femme défaillait :

— Ah ! mon Loulou ! C’est toi ! Quelle différence !

Gaston avait eu le temps de refermer la porte. Précaution utile, car Joko, échappant à Anatole Samuel, bondissait vers le groupe amoureux, furieux de voir son congénère emporter Amélie avec lui.

Le naturaliste avait heureusement l’habitude des singes. Il réussit à calmer le chimpanzé et, lui passant une corde autour de la cuisse, il l’entraîna vers la porte.

Bon gré mal gré, Joko fut obligé de le suivre en grognant.

Et il ramena le singe chez Valentin Troubelot.

Celui-ci fut stupéfait de voir réapparaître son pensionnaire.

— Comment ?… dit-il… Vous avez été rechercher Joko ?…

— Non… Figurez-vous que je passais dans la rue lorsque j’ai vu le singe sortir de la maison de cette femme. Pour éviter qu’on l’emmenât à la fourrière, j’ai affirmé qu’il m’appartenait…

— Mais… mon expérience ?

— Votre expérience a réussi…

— Vous en êtes sûr ?…

— Oui… Seulement l’ami en titre de Mme Amélie l’a surprise avec Joko… Alors, vous comprenez le scandale que ça a fait.

« Heureusement, cette femme est très intelligente. Elle a raconté que le singe avait voulu la violenter, mais qu’elle lui avait résisté.

— C’est peut-être vrai.

— Puisque je vous dis que non.

— J’irai moi-même vérifier ce que vous me dites.

— Gardez-vous-en bien… L’amant de la dame vous tuerait. C’est un homme terrible. Il vaut mieux ne plus vous montrer.

« Ayez confiance en moi. Je conduirai dorénavant, si vous le voulez, chaque jour Joko chez elle, et vous tiendrai au courant.

Le professeur ne se méfiait nullement de son collaborateur et il accepta sa proposition. L’important n’était-il pas que son expérience se poursuivit ?

Cependant, tandis que Joko réintégrait sa cage, Gaston et Amélie goûtaient à nouveau les joies de l’amour partagé…

La jeune femme avait fait à « son singe chéri » tout un discours, lui disant :

— Pauvre Loulou aimé ! Je te retrouve enfin !… Crois-tu, ce vilain gorille qu’on m’avait envoyé à ta place. C’est qu’il était méchant comme tout !…

Le « Loulou aimé » était inquiet. Il aurait bien voulu savoir s’il ne s’était rien passé entre sa maîtresse et le vrai singe.

Hélas ! Il ne pouvait le lui demander… puisqu’il lui était interdit de parler. Il en avait bien envie pourtant et il allait se faire reconnaître et dénoncer la supercherie, lorsque Amélie prit les devants :

— Mais rassure-toi, va… Je ne t’ai pas trompé avec lui… Tu n’as pas de raisons d’être jaloux, mon beau singe à moi… Il me répugnait, ton remplaçant !…

Gaston poussa un soupir et fit entendre un grognement, seule façon qu’il eut de manifester sa satisfaction.

— Comme il est gentil ! fit Amélie… On dirait qu’il me comprend ! Ah ! Loulou… je suis folle de toi…

L’homme-singe, pour la remercier, resserra son étreinte, et se penchant sur la jeune femme, il la mordit doucement à l’épaule… chose qui lui était permise à présent, grâce au mécanisme combiné par Anatole Samuel.

— Tu me mords… Oh ! Comme ça me fait plaisir, Recommence un peu pour voir !

Il recommença… Et, ainsi que la première fois, Amélie se donna à lui avec une fougue et une passion qu’augmentaient encore l’aventure du vrai singe et l’émotion qu’elle avait éprouvée.