III


 
TU l’as bien dit : je ne sais pas t’aimer.
Tout ce qu’un cœur peut enfermer d’ivresse,
Cacher de pleurs et rêver de caresses,
N’est pas encor digne te charmer.
— Tu l’as bien dit : je ne sais pas t’aimer !

Tu l’as bien dit : mes tendresses sont vaines,
A moi, vaincu que ta grâce a dompté.
Qui ne sais rien qu’adorer ta beauté
Et te donner tout le sang de mes veines.
— Tu l’as bien dit : mes tendresses sont vaines !

Tu l’as bien dit : ce n’est pas de l’amour,
Le feu qui, seul, se consume dans l’âme
Sans allumer ailleurs une autre flamme
Et sans brûler une autre âme à son tour.
— Tu l’as bien dit : ce n’est pas de l’amour !


                      ***

Pourquoi m’avoir donné ce que tu m’as repris ?
C’est d’un cœur moins léger et plus sûr de soi-même
Qu’on devrait seulement dire ces mois : je t’aime !
Les plus sacrés de tous à qui connaît leur prix.

Qui les traite en ce monde avec un tel mépris
Est infâme et qui ment, en les disant, blasphème.
Pourquoi m’avoir donné cette ivresse suprême
Pour l’arracher après de mon cœur trop épris ?

Va ! je ne t’en veux pas. D’un bonheur éphémère
Je porte le regret et la mémoire amère
D’un cœur ferme et que rien ne peut faire ployer.

Qu’importe qu’en saignant ma blessure se creuse !
Je ne veux rien de toi que que te savoir heureuse
Et ne demande rien au temps que d’oublier !

                      ***

Tu ne savais donc pas comme je t’eusse aimée,
De quel culte fervent j’eusse adoré tes pas,
Dans quel monde d’amour je t’aurais enfermée !
Non ! pour m’avoir trahi tu ne le savais pas !

Cruelle, que veux-tu maintenant que je fasse
De ce torrent d’amour qui me brûle le cœur

Tout le sang qu’il contient remonte à la surface
Et crie au ciel ton nom implacable et vainqueur !

Le vide est devant moi : c’est une chose affreuse
Qu’un rêve qui vous prend et qui vous brise après.
Pour meurtrir à ce point mon âme douloureuse,
Tu ne sais pas encor comme je t’aimerais !

                      ***

Comme d’un regard, comme d’un sourire
Tu me reprends l’âme et sais me charmer !
O cruel pouvoir qu’on ne peut décrire !
Ne pouvant plus croire il me faut aimer !

J’avais consumé mon sang dans les fièvres !
Malgré tes rigueurs et tes abandons,

Sur un mot de toi je cours à tes lèvres
Y boire le vin lâche des pardons !

O femme, ta force est notre faiblesse.
Heureux qui, sentant monter sa rancœur
Cesse de baiser la main qui le blesse
Et de tes mépris protège son cœur !

                      ***

Ne souffre plus ! Tu vois que je suis résigné.
Ma peine cependant est égale à la tienne.
Car il n’est, dans mon cœur, rien qui ne t’appartienne
Et le sang que tu perds c’est moi qui l’ai saigné !

Ne souffre plus. Ton mal n’est pas sans espérance.
Tu ne saurais aimer à moins qu’on t’aime aussi.

Mais moi qui t’aime, hélas ! sans retour ni merci,
Mon deuil est plus amer et pire ma souffrance !

Ne souffre plus ! Espère et regarde ces fleurs.
Le printemps t’y sourit, même en ces jours moroses.
Le destin qui te fit belle comme ces roses
Comme elles te fera renaître sous les pleurs !

                      ***

Et comment serais-je rebelle
A ses regrets, à ses serments ?
Double secret de mes tourments :
Je suis lâche autant qu’elle est belle !

Mais ne crois pas, au moins, cruelle
Que je ne sache que tu mens.

O les misérables amants !
Oh ! la trahison mutuelle !

En te revenant, je le sais,
Je cours à des maux insensés.
Tu le veux ! j’obéis. Qu’importe !

Puisqu’il faut à ton pied vainqueur,
Pour le meurtrir encore, un cœur,
Prends le mien, je te le rapporte !

                      ***

Peu m’importe que de la nue
Le voile soit triste ou joyeux.
Depuis que tu m’es revenue,
Je n’ai plus regardé les cieux


Tes yeux d’azur restent les mêmes :
Vers eux seuls montent mes souhaits.
Mon ciel est joyeux si tu m’aimes,
Il est triste si tu me hais.

Dans l’arche, avec toi, ma colombe,
Rentrent les espoirs palpitants…
Qu’importe que la neige tombe
Si, dans mon cœur, c’est le printemps !

                      ***

J’ai respiré, durant une heure,
Le parfum des beaux jours perdus.
Car ces biens, que tout bas je pleure
Quelques instants m’étaient rendus.

                      ***

Ah ! du moins, pour toi je veux être
L’ami que cherchera ta main,
Qui t’empêchera de connaître
La lassitude du chemin.

Cet ami qu’on dédaigne à l’heure
Où tout est comme un printemps vert,
Mais qu’on retrouve, quand on pleure,
Fidèle et le cœur grand ouvert.

Sois heureuse ! que tout soit charmes
Pour la jeunesse et ta beauté.
Mais, du moins, garde-moi tes larmes :
Mon amour l’a bien mérité !