Almanach de Québec (1780)/Bons mots

Guillaume Brown (1p. 57-59).
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BONS MOTS.


Deux amis, qui depuis longtems ne s’etoient point vus, ſe rencontrerent par hazard. Comment te portes-tu, dit l’un ? Pas trop bien, dit l’autre ; et je me ſuis marié depuis que je t’ai vu — Bonne nouvelle ! — Pas tout-à-fait, car j’ai épouſé une méchante femme — Tant pis ! Pas trop tant pis, car ſa dot etoit de deux mille louis — Eh-bien, cela conſole : — Pas abſolument, car j’ai emploïé cette ſomme en moutons, qui ſont tous morts de la Clavelée. — Cela eſt en vérité bien fâcheux ! Pas ſi fâcheux, car la vente de leurs peaux m’a rapporté au-delà du prix des moutons. En ce cas vous voilà donc indemniſé ? Pas tout-à-fait, car ma maiſon où j’avois dépoſé mon argent vient d’être conſumée par les flammes. Oh ! voilà un grand malheur — pas ſi grand non plus, car ma femme et la maiſon ont brulé enſemble.

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Un Domeſtique court tout effraïé dans le cabinet du ſavant Bude, lui dire que le feu eſt à la maiſon. Eh-bien, lui répondit-il, avertiſſez ma femme. Vous ſavez bien que je ne me mêle pas du ménage.

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Un Prince défiroit d’avoir le portrait d’une femme

qui etoit très belle. Le Mari ne voulut jamais y conſentir. Si je lui donne la copie, diſoit ce mari prudent, il voudra enſuite avoir l’original.
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Une femme galante devenue vieille et dangereuſement malade, avoit envoié quérir ſon Confeſſeur, qui lui diſoit : il faut oublier votre vie paſſee ; il faut ſonger à n’aimer que Dieu. Helas, reprit-elle, à l’âge où je ſuis, comment ſonger à de nouvelles amours !

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Une amateur conſidéroit les ſept Sacremens peints par Le Poussin, et trouvoit beaucoup à critiquer dans le tableau qui repréſentoit le mariage. Je vois bien, s’écria cet amateur, qui n’etoit peut-être pas content de ſa femme, qu’il eſt mal-aiſé de faire un mariage qui ſoit bon, même en peinture.

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Un ſot mari ventoit beaucoup dans une compagnie, les robes, les dentelles, les bijoux et autres ajuſtements de ſa femme ; quelqu’un qui ſavoit ce qui en etoit, lui dit aſſez plaiſamment : « Si Madame le porte beau, avouez que vous les porter belles. »

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Un Picard étant à l’échelle, pour être pendu, on lui préſenta une femme de mauvaiſes mœurs, qu’on lui propoſa d’épouſer s’il vouloit ſauver ſa vie, comme c’eſt la coutume en quelques endroits. Il la regarda quelque tems ; et aiant remarqué qu’elle boitoit : elle boite, dit-il au boureau ; attache, attache.

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Un amant en danger de perdre ſa maitreſſe, qui etoit malade, cherchoit partout un médecin ſur la ſcience duquel il put ſe repoſer. Il trouve en ſon chemin un homme poſſeſſeur d’un taliſman, par lequel on appercevoit des êtres que l’œil ne peut voir. Il donne une partie de ce qu’il poſſede pour avoir ce taliſman, et court chez un fameux médecin. Il vit une foule d’ames à ſa porte, c’etoit les ames de ceux qu’il avoit tués. Il en voioit plus ou moins à toutes les portes des médecins, ce qui lui ôtoit l’envie de s’en ſervir ; on lui en indiqua un dans un quartier éloigné à la porte duquel il n’apperçut que deux petites ames. Voici enfin un bon médecin, dit-il en lui-même, je vais aller le trouver ; le médecin étonné, lui demanda comment il avoit pû le découvrir ? Parbleu ! dit l’amant affligé, votre réputation et votre habileté vous ont fait connoitre. Ma réputation ! Ce n’eſt que depuis huit jours que je ſuis ici, et je n’ai encore vû que deux malades.

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Un malade interrogé, pourquoi il n’appelloit pas un médecin : « C’eſt, repondit-il, parce que je n’ai pas encore envie de mourir. »

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La veille d’une bataille, un officier vint demander au Maréchal de Toiras la permiſſion d’aller voir ſon pere qui etoit à l’extrémité, pour lui rendre ſes ſoins et recevoir ſa bénédiction. Allez, lui dit ce Général, qui démêla fort aiſément la cauſe de cette retraite, Père et mère honoreras, afin que tu vives longuement.