Guillaume Brown (1p. 55-57).

AVIS.

On convient généralement que c’eſt folie de bazarder la perte d’un ami plutôt que de perdre un bon mot. Mais peu de gens font attention combien il eſt aiſé par là de perdre un ami. Se repoſant ſur les égards que leurs amis ont pour eux, les railleurs prennent plus de liberté avec eux qu’avec les autres, ſans faire reflection qu’un affront reçu d’une perſonne que nous aimons bleſſe bien plus vivement. La plus étroite intimité ne permet jamais de ſemblables libertés ; et il ſeroit abſurde de penſer autrement, à moins que nous ne ſupoſions, que les injures ſont moins mauvaiſes lorſqu’elles nous ſont faites par nos amis que lorſqu’elles viennent de la part d’autres perſonnes.

Les plaiſanteries ſatiriques faites à quelqu’un ſur ſa perſonne ou ſur ſes mœurs, quoique difficiles à eſſuier, le ſont peut-être moins que celles qui touchent la religion. En général les hommes ont fortement à cœur ce qui regarde leur croïance en matière de religion, religion, ſoit par délicateſſe de conſcience ou par la haute idée qu’ils ont de leur jugement. Les gens de probité regardent le ſalut comme une choſe de trop grande importance pour en badiner ; et ceux qui ont une religion ſpéculative, qu’ils profeſſent plutôt par conviction que par ſoumiſſion, ne ſont pas moins véhémens que les véritables bigots. Celui qui dit quelque raillerie ou quelque choſe qui choque leur foi, leur paroit mépriſer leur jugement, et s’attire par là leur haine, ce que nulle perſonne de ſens commun ne voudroit riſquer d’encourir pour une expreſſion ſpirituelle ; bien moins une perſonne bien éduquée, qui doit avoir pour but principal de vivre en bonne intelligence avec tout le monde.

D’où vient la couleur azure du firmament.

Aïant contemplé pluſieurs fois le firmament ſans faire aucune attention à ce qui cauſe ſa couleur bleue, il me prit à la fin fantaiſie d’examiner d’où provient cette couleur. Si je ne me trompe, la cauſe en doit être attribuée à ces corps céleſtes diſperſés dans la vaſte étendue, qui jettent de l’ombre dans les eſpaces qui ſont entr’eux, de ſorte que chacun de ces corps aïant quelques parties illuminées et quelques autres opaques, ce mélange fait paroitre le firmament ou l’étendue autour de notre atmoſphere, d’une couleur d’azure. On connoit dans la peinture que le bleu eſt un compoſé de noir et de blanc. Je vais ajouter un exemple de philoſophie expérimentale, qui me confirme plus que tout autre dans mon opinion. Prenez dans le jour une groſſe chandelle alumée (car la nuit ne feroit pas un tems propre, parce qu’elle n’a point de raïons) poſez la ſur une table : mettez devant cette chandelle une feuille de beau papier blanc, enſuite tenez quelque choſe entre la chandelle et le papier, et vous verrez que l’ombre que ce corps interpoſé projette ſur le papier paroitra couleur de ciel.

Si vous voulez vivre tranquilement dans le monde ;

Ne vous entremettez point avec vos ſupérieurs, ſoit d’écrit ou de parole ; car les Grands ont les mains longues ; et celui qui ſe familiariſe avec eux eſt ſemblable à un papillon, qui ſe brule les ailes à la chandelle et quelquefois s’y fait mourir. N’écoutez point les rapporteurs, et ne vous mêlez point des querelles des autres.