Almageste/Livre I/Avant-propos

Almageste
Traduction par Nicolas Halma.
Librairie scientifique J. Hermann (1p. 87-91).

Mathêmatikhês Suntaxeôs (De la composition mathématique)
Mathêmatikhês Suntaxeôs (De la composition mathématique)


PREMIER LIVRE

DE LA COMPOSITION MATHÉMATIQUE

DE CLAUDE PTOLÉMÉE.

AVANT-PROPOS.

Cest avec raison, ce me semble, mon cher Syrus, que, dans la saine philosophie, la théorie a été distinguée de la pratique. Car s’il est arrivé que la pratique soit précédée de la théorie, on ne trouvera pas entre l’une et l’autre une moins grande différence, non seulement en ce qu’il peut se rencontrer quelques-unes des vertus morales en plusieurs personnes qui n’ont rien appris, tandis que sans instruction il est impossible de rien savoir ; mais encore en ce que la théorie et la pratique tirent leur plus grande perfection, celle-ci, d’un exercice constant et assidu dans les mêmes travaux, l’autre de ses progrès dans la découverte des régies à suivre. Voilà pourquoi nous avons jugé convenable de conformer tellement nos opérations aux principes, que nous ne perdions jamais de vue, pas même dans les moindres choses, ce qui peut contribuer à la beauté de l’ordre et de la méthode et d’employer la plus grande partie de nos méditations la recherche de ces principes si beaux et si nombreux, de ceux surtout qui composent la science mathématique.

En effet, Aristote divise très-bien les sciences spéculatives en trois principaux genres, celui de la physique, celui des mathématiques, et celui des choses divines. Car tout ce qui existe, consistant dans la matière, la forme et le mouvement, quoiqu’aucune de ces trois choses ne puisse être vue, mais seulement conçue séparée des autres, dans son sujet, si l’on cherche particulièrement la cause première du mouvement primitif de l’univers, on trouvera que c’est Dieu invisible et immuable ; et sa forme, genre qui est l’objet de la science des choses divines, ne doit être cherchée qu’au-dessus du monde matériel, parce que nous n’en connoissons que l’action seule absolument distincte de tout ce qui tombe sous nos sens. Mais la forme qui embrasse la qualité matérielle et toujours variable, comme la blancheur, la chaleur, la doucheur, la mollesse, et autres de ce genre, s’appellera physique, la substance en étant comprise généralement parmi celles qui sont corruptibles et sublunaires. Quant à la forme expresse de la qualité, dans les espèces et les mouvemens trajectoires, la figure, la quantité, la grandeur, le lieu, le temps, et autres choses semblables, comme ce genre, est l’objet de nos recherches elle constitue la science mathématique qui tient, pour ainsi dire, le milieu entre les deux autres ; non-seulement parce qu’elle peut s’acquérir et par le moyen des sens, et sans le secours des sens ; mais encore parce qu’elle embrasse tous les êtres, sans exception, tant ceux qui sont sujets à la mort, que ceux qui en sont exempts ; les premiers, dans les mutations de formes, qui en sont inséparables ; les autres, qui sont éternels et d’une nature éthérée, dans leur invariabilité constante. On voit par là que, de ces spéculations, il y en a deux dont les objets sont moins palpables qu’ils ne sont sentis intimement. Telles sont, celle qui traite des choses divines, attendu qu’elles sont invisibles autant qu’incompréhensibles ; et celle qui s’occupe des choses naturelles, parce que l’instabilité de leur matière empêche de les bien connoître en sorte qu’il n’y a nulle espérance que jamais les philosophes s’accordent dans ces sciences. Les mathématiques seules donnent à ceux qui s’y appliquent avec méthode, une connoissance solide et exempte de doute, les démonstrations y procédant par les voies certaines de calcul et de mesure. Nous avons résolu d’en faire aussi le sujet de nos méditations et de nos travaux, et nous avons choisi de préférence la science des mouvemens célestes, comme la seule dont l’objet soit immuable et éternel, et la seule qui soit susceptible de ce degré d’évidence, de certitude et d’ordre qui la met à l’abri de toute variation ; ce qui est le caractère de la science. Elle ne contribuera pas moins que les deux autres, à nous instruire de ce qu’elles sont. Car elle nous ouvrira la voie aux choses divines par la connoissance que nous donnera de la force éternelle et distinguée de toute autre, le rapport qu’elle seule peut découvrir entre les substances éternelles et impassibles, et celles qui sont sensibles, mobiles et mouvantes, par les incidents, l’ordre et la disposition de leurs mouvements. Elle ne servira pas peu dans l’étude de la physique, en ce que ce qui est propre à la substance matérielle, se connoit par sa manière d’obéir aux impulsions du mouvement ; par exemple ce qui est corruptible, par le mouvement en ligne droite ; ce qui est incorruptible, par le circulaire ; la pesanteur et la légèreté, ou l’activité et la susceptibilité d’action, par le mouvement tendant au centre ou s’éloignant du centre. Elle contribuera même plus que toute autre chose nous rendre meilleurs, en nous rendant plus attentifs à ce qu’il y a de bon et de beau dans les actions morales. Car la conformité que trouvent entre les choses divines et le bel ordre de ces propositions, ceux qui les étudient, les rend amoureux de cette beauté divine, et les accoutume à la prendre pour modèle de leur conduite, par une sorte d’influence qui lui assimile les facultés de l’ame.

Et nous aussi, instruits par les travaux de ceux qui avant nous se sont appliqués à cette science, nous nous efforçons d’augmenter ce goût pour les vérités éternelles ; et, en nous proposant de rassembler ce qu’il sera possible de recueillir encore des découvertes qui ont déjà été publiées, nous entreprendrons des les présenter avec la brièveté dont cette matière est susceptible, et d’une manière facile à saisir par ceux qui déjà y sont initiés. Enfin, pour atteindre le but de cet ouvrage, nous exposerons dans un ordre convenable, tout ce qui pourra servir à la théorie des corps célestes ; et, pour abréger, nous nous contenterons de rapporter ce qui a été suffisamment expliqué par les anciens, et nous de tout notre pouvoir ce qui n’est pas exactement conçu, ni assez bien démontré.