L’action paroissiale (p. 269-271).
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XLII


Allie et moi nous nous étions fait une vie qui, pour ne pas différer en apparence de la vie familiale ordinaire, demandait une attention et une vigilance de tous les instants. Il fallait, en effet, la hauteur d’âme d’Allie pour remplir cette tâche toute de devoir, sans les compensations des épanchements intimes que procure l’état matrimonial.

Allie, qui avait beaucoup de doigté, aplanissait les obstacles, arrondissait les angles et conjurait les orages qui montaient à l’horizon. Nos enfants grandissaient, sans que nous songions à nous en apercevoir : Jacques devenait un homme et Cécile, Olive et Marie, de grandes filles.

Jacques, après avoir fait ses humanités, avait étudié le droit et il pratiquait maintenant sa profession à Québec, où il obtenait certains succès de prétoire. Il était toujours fidèle, cependant, à venir passer ses fins de semaine au manoir.

Un soir tiède du mois d’octobre, j’étais à lire mon journal. Allie, assise près de la cheminée, feuilletait un livre, qu’elle semblait lire avec une religieuse attention. Elle s’arrêtait, de temps en temps, pour méditer, et notait ses impressions, en marge des feuillets. Rien ne faisait présager une surprise au foyer. Il est vrai que Jacques avait retardé son départ pour Québec d’une journée, mais je crus qu’il voulait tout simplement se payer le luxe d’un petit congé. Il venait de gagner un procès d’une certaine importance, et je trouvais tout naturel qu’il se reposât un peu sur ses lauriers.

Je l’entendais chuchoter avec Cécile et je devinai, à leur mimique, qu’ils avaient quelque chose à me communiquer. Finalement, ramassant tout leur courage, ils s’avancèrent et vinrent se placer devant nous. Jacques prit la parole et, s’adressant à moi, me dit :

— Cécile et moi, nous nous aimons, et je vous demande sa main !

Je restai interloqué. Je regardai Allie, sans trouver de réponse. Finalement, je saisis un sourire sur sa figure.

— Tu savais ! lui dis-je.

— Je ne serais pas mère, Olivier, si je ne m’étais pas aperçue que l’estime qu’ils se témoignaient dépassait les limites de l’amour fraternel. Ne t’es-tu pas aperçu que je redoublais ma surveillance depuis quelques mois ?

— Vraiment. Allie, je me reposais tellement sur toi, que je n’ai rien remarqué ! Tu vois avec des yeux de mère, toi !

— C’est un compliment !… Nos chers enfants !

— Et que vais-je leur répondre ?

— J’ai donné mon consentement à Jacques !

— Alors, ma réponse sera facile ! Embrassez votre mère, tous les deux ! Cécile, viens m’embrasser !