L’action paroissiale (p. 197-201).
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XXXI


Au risque d’être accusé de raconter des histoires de revenants, je ne puis m’empêcher de noter l’impression pénible que me causa la visite de la métropole. Quand je quittai le pays, c’était une ville au visage français et au cœur encore français. Il n’y avait pas encore longtemps que des jeunes gens au cœur vaillant avaient fait sauter la colonne Nelson, avec laquelle on voulait déparer un quartier entièrement français !

Vingt ans avaient suffi à métamorphoser la deuxième ville française du monde ! L’Hébreu à la face hirsute avait traversé, non pas la mer Rouge, mais la mer bleue et avait envahi Montréal, où il avait trouvé la « Terre Promise » et où il se conduisait déjà en maître.

Pourquoi Israël se serait-il senti à la gêne au milieu d’une race à l’âme si généreuse et si naïve qu’elle ne soupçonne même pas le danger d’une invasion étrangère ? Pourtant, la mainmise des Hébreux sur certaines branches du commerce aurait dû donner l’éveil ! Trop pris par la partisanerie politique, le peuple canadien-français s’était laissé chasser de chez lui. Jusqu’au portail du Monument National qui portait les traces de l’envahissement d’Israël ! Il n’y avait que le musée Éden, musée des horreurs, qui semblait avoir échappé au naufrage. Évidemment, le meurtre de Sam Parslow et la pendaison de Cordélia Viau n’avaient pas encore attiré l’attention des Juifs !

Je ne blâme pas les descendants d’Abraham de leur conquête pacifique, payée à même les sueurs des Canadiens ! Je me demande plutôt pourquoi nos dirigeants d’alors ont invité cette tourbe envahissante au pays ?

Quand Dieu veut punir un peuple, dit-on, il lui envoie les Juifs. Ah ! Ville-Marie, qu’as-tu donc fait pour que ta mission soit ainsi faussée ? Afin de chasser ces idées sombres, je me dirigeai du côté de la montagne. Là, au moins, me dis-je, je respirerai encore les parfums d’autrefois. Comme l’ascension du mont Royal en auto était défendue, je hélai un cocher de fiacre, qui se tenait en sentinelle près d’une haridelle attelée à une Victoria.

– Combien pour l’ascension ?

– Vous voulez aller à l’Ascension ? Vous feriez mieux de prendre les « chars » !

– Je veux dire l’ascension de la montagne.

– Ah ! Eh bien, je vous grimperai pour deux piastres !

Pourquoi, me dis-je, en escaladant la montagne, faut-il que tous les chevaux de fiacre soient maigres ?

Je fus bientôt arraché à ces réflexions par la beauté du panorama qui commençait à se dévoiler à mes yeux, pendant que la vieille rosse, de son petit trot, gravissait la longue côte en pente douce de la montagne.

Arrivé devant le poste d’observation, je fis arrêter la voiture et je me dirigeai à pied du côté ouest, où je réfléchis longtemps sur la prédiction de Maisonneuve.

Le grain de sénevé était en effet devenu un grand arbre, mais quelle forme monstrueuse il avait prise ! Au lieu de l’émonder, pour lui conserver sa forme normale et sa force, on avait greffé sur son tronc canadien-français une variété de branches exotiques, qui le rendaient méconnaissable. Je restai longtemps à contempler cette absurdité : une ville de près d’un million, dans une province d’à peine deux millions et demi d’habitants. Excroissance dangereuse, qui ferait, un jour ou l’autre, perdre l’équilibre à cet édifice mal assis et incapable de résister à la chute fatale et inévitable ! Je fermai les yeux pour ne pas voir, tant le danger me parut imminent !

Je retournai à la ville, en passant par le champ des morts, les cimetières du Mont-Royal et de la Côte-des-Neiges. Accidentellement, le cocher me signala le tombeau de Chiniquy. Pauvre Chiniquy ! Ah ! si tu savais comme tu m’as fait honte, un jour, quand, dans la bibliothèque de mon beau-père, je trouvai ton livre Quarante ans dans l’Église catholique ! Peux-tu mesurer, pauvre misérable, toute l’étendue du mal que tu causes, même après ta mort, à ta mère la sainte Église ? Ah ! le danger d’une plume qui s’égare dans le champ d’orties ! Comme elle peut commettre de mal, même longtemps après que l’encre en a rongé l’acier. Mon beau-père, homme droit et honnête protestant, condamna heureusement à la peine du feu ton volume pervers, après que je lui eus raconté ton histoire ! Je voudrais bien avoir le courage de faire une prière sur ta tombe ! Je puis tout au plus t’exprimer ma pitié. Pauvre Chiniquy !

Je passai tout près du four crématoire, cet autre monument élevé au paganisme. Je commandai au cocher de filer. J’avais hâte d’arriver chez moi ! Oui, même dans un cimetière, quand il est catholique, on se sent chez soi ! Là reposent nos morts qui, munis des sacrements et réconciliés avec Dieu, sont partis pour un monde meilleur. La croix, signe de la Rédemption, est là qui veille sur chaque tombe, à l’ombre de laquelle dorment les disparus.

Du cimetière, je retournai à mon automobile et filai droit vers Québec, par le chemin situé sur la rive gauche du fleuve. Ma quatre-vingts chevaux dévorait, pour ainsi dire, le ruban d’asphalte ; si bien que, quatre heures et demie après mon départ, j’étais à la traverse de Lévis et que, deux heures plus tard, j’arrêtais en face de la Bastille.