L’action paroissiale (p. 37-39).
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IV


J’avais laissé levés les stores de ma fenêtre, afin de pouvoir jouir des premiers rayons du soleil levant. Le propriétaire de la Bastille ne m’avait-il pas dit que le soleil se levait dans ma fenêtre ?

Je ne devais pas regretter cette précaution. En effet, à peine le soleil eut-il dépassé, dans un demi-cercle lumineux, la crête des montagnes qui semblent protéger la vallée du Saint-Laurent de leurs forts et contreforts, que ses rayons diaphanes inondèrent ma chambre, apportant avec eux le doux arôme du trèfle sur lequel butinaient déjà des milliers d’abeilles. Je me levai aussitôt et m’approchai de la fenêtre. Comme une sentinelle montant la garde, je regardai l’astre s’avancer lentement dans le firmament. Lui aussi était bien resté le même, quoique plus ardent qu’au jour de Pâques, lorsque ma mère nous éveillait pour le voir danser. Dans notre naïveté d’enfants, nous le regardions si longtemps qu’en effet notre vue fatiguée lui donnait l’allure d’une marionnette. Nous restions bien convaincus que ce phénomène ne se produisait que le jour de Pâques. Papa, qui était sorti de bonne heure pour aller puiser l’eau de Pâques avant le lever de l’astre-roi, rentrait alors, tout joyeux de posséder cette eau qui avait la même valeur que l’eau bénite, à part ses multiples qualités curatives. L’odeur du jambon et des œufs, déjeuner traditionnel de Pâques, aiguisait déjà notre appétit, réprimé pendant les jeûnes de la semaine sainte.

Pourquoi ces douces illusions de l’enfance ne durent-elles pas toujours ? Heureux sommes-nous, tout de même, d’en conserver au moins le souvenir.

Je résolus d’aller humer l’air frais du matin. Le nord-est de la veille avait fait place à un doux zéphyr venant de l’ouest. La mer, devenue calme, reflétait le globe étincelant de l’astre lumineux dans le lointain, tout près des montagnes abruptes de la côte nord. Tout invitait à une promenade matinale.

— Si j’allais visiter le quai neuf ? me dis-je. Cela m’intéresserait au double point de vue du génie et de la nouveauté !

Je tâtonnai un instant, en inspectant ma garde-robe. Après un peu d’hésitation, j’optai pour un costume de chasse que j’avais jeté dans ma malle sans trop savoir pourquoi. Peu importe, après tout ! me dis-je. Je serai seul ; nul ne remarquera cet habit. Je prendrai une longue marche, après avoir visité le quai, et je reviendrai ensuite faire ma toilette, avant le déjeuner.