Œuvres complètes de François Arago, secrétaire perpétuel de l’académie des sciences1 (p. 188-195).
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NAISSANCE DE VOLTA ; SA JEUNESSE ; SES PREMIERS TRAVAUX. – BOUTEILLE DE LEYDE. – ÉLECTROPHORE PERPÉTUEL. – PERFECTIONNEMENTS DE LA MACHINE ÉLECTRIQUE. – ÉLECTROMÈTRE CONDENSATEUR. – PISTOLET ÉLECTRIQUE. – LAMPE PERPÉTUELLE. – EUDIOMÈTRE.


Alexandre Volta, un des huit associés étrangers de l’Académie des Sciences, naquit à Come, dans le Milanais, le 18 février 1745, de Philippe Volta et de Madeleine de Conti Inzaghi. Il fit ses premières études sous la surveillance paternelle, dans l’école publique de sa ville natale. D’heureuses dispositions, une application soutenue, un grand esprit d’ordre, le placèrent bientôt à la tête de ses condisciples.

À dix-huit ans, le studieux écolier était déjà en commerce de lettres avec Nollet, sur les questions les plus délicates de la physique. À dix-neuf ans, il composa un poëme latin, qui n’a pas encore vu le jour, et dans lequel il décrivait les phénomènes découverts par les plus célèbres expérimentateurs du temps. On a dit qu’alors la vocation de Volta était encore incertaine ; pour moi, je ne saurais en convenir : un jeune homme ne doit guère tarder à changer son art poétique contre une cornue, dès qu’il a eu la singulière pensée de choisir la chimie pour sujet de ses compositions littéraires. Si l’on excepte en effet quelques vers destinés à célébrer le voyage de Saussure au sommet du Mont-Blanc, nous ne trouverons plus dans la longue carrière de l’illustre physicien que des travaux consacrés à l’étude de la nature.

Volta eut la hardiesse, à l’âge de vingt-quatre ans, d’aborder, dans son premier Mémoire, la question si délicate de la bouteille de Leyde. Cet appareil avait été découvert en 1746. La singularité de ses effets aurait amplement suffi pour justifier la curiosité qu’il excita dans toute l’Europe ; mais cette curiosité fut due aussi, en grande partie, à la folle exagération de Musschenbroek ; à l’inexplicable frayeur qu’éprouva ce physicien en recevant une faible décharge, à laquelle, disait-il emphatiquement, il ne s’exposerait pas de nouveau pour le plus beau royaume de l’univers. Au surplus, les nombreuses théories dont la bouteille devint successivement l’objet, mériteraient peu d’être recueillies aujourd’hui. C’est à Franklin qu’est dû l’honneur d’avoir éclairci cet important problème, et le travail de Volta, il faut le reconnaître, semble avoir peu ajouté à celui de l’illustre philosophe américain.

Le second Mémoire du physicien de Come parut dans l’année 1771. Ici on ne trouve déjà presque plus aucune idée systématique. L’observation est le seul guide de l’auteur dans les recherches qu’il entreprend pour déterminer la nature de l’électricité des corps recouverts de tel ou tel autre enduit ; pour assigner les circonstances de température, de couleur, d’élasticité, qui font varier le phénomène ; pour étudier soit l’électricité produite par frottement, par percussion, par pression ; soit celle qu’on engendre à l’aide de la lime ou du racloir ; soit enfin les propriétés d’une nouvelle espèce de machine électrique dans laquelle le plateau mobile et les supports isolants étaient de bois desséché.

De ce côté-ci des Alpes, les deux premiers Mémoires de Volta furent à peine lus. En Italie, ils produisirent au contraire une assez vive sensation. L’autorité, dont les prédilections sont si généralement malencontreuses partout où dans son amour aveugle pour le pouvoir absolu elle refuse jusqu’au modeste droit de présentation à des juges compétents, s’empressa elle-même d’encourager le jeune expérimentateur. Elle le nomma régent de l’école royale de Come, et bientôt après professeur de physique.

Les missionnaires de Pékin, dans l’année 1755, communiquèrent aux savants de l’Europe un fait important que le hasard leur avait présenté, concernant l’électricité par influence qui, sur certains corps, se montre ou disparaît suivant que ces corps sont séparés ou en contact immédiat. Ce fait donna naissance à d’intéressantes recherches d’Æpinus, de Wileke, de Cigna et de Beccaria. Volta à son tour en fit l’objet d’une étude particulière. Il y trouva le germe de l’électrophore perpétuel, instrument admirable, qui, même sous le plus petit volume, est une source intarissable du fluide électrique, où, sans avoir besoin d’engendrer aucune espèce de frottement, et quelles que soient les circonstances atmosphériques, le physicien peut aller sans cesse puiser des charges d’égale force.

Au Mémoire sur l’Électrophore succéda, en 1778, un autre travail très-important. Déjà on avait reconnu qu’un corps donné, vide ou plein, a la même capacité électrique, pourvu que la surface reste constante. Une observation de Lemonnier indiquait, de plus, qu’à égalité de surface la forme du corps n’est pas sans influence. C’est Volta toutefois, qui le premier, établit ce principe sur une base solide. Ses expériences montrèrent que, de doux cylindres de même surface, le plus long reçoit la plus forte charge, de manière que partout où le local le permet il y a un immense avantage à substituer aux larges conducteurs des machines ordinaires, un système de très-petits cylindres, quoiqu’en masse ceux-ci ne forment pas un volume plus grand. En combinant, par exemple, 16 files de minces bâtons argentés de 1,000 pieds de longueur chacune, on aurait, suivant Volta, une machine dont les étincelles, véritablement fulminantes, tueraient les plus gros animaux.

Il n’est pas une seule des découvertes du professeur de Come qui soit le fruit du hasard. Tous les instruments dont il a enrichi la science, existaient en principe dans son imagination, avant qu’aucun artiste travaillât à leur exécution matérielle. Il n’y eut rien de fortuit, par exemple, dans les modifications que Volta fit subir à l’électrophore pour le transformer en condensateur, véritable microscope d’une espèce nouvelle, qui décèle la présence du fluide électrique là où tout autre moyen resterait muet.

Les années 1776 et 1777 nous montreront Volta travaillant pendant quelques mois sur un sujet de pure chimie. Toutefois, l’électricité, sa science de prédilection, viendra s’y rattacher par les combinaisons les plus heureuses.

À cette époque, les chimistes n’ayant encore trouvé le gaz inflammable natif que dans les mines de charbon de terre et de sel gemme, le regardaient comme un des attributs exclusifs du règne minéral. Volta, dont les réflexions avaient été dirigées sur cet objet par une observation accidentelle du P. Campi, montra qu’on se trompait. Il prouva que la putréfaction des substances animales et végétales est toujours accompagnée d’une production de gaz inflammable ; que, si l’on remue le fond d’une eau croupissante, la vase d’une lagune, ce gaz s’échappe à travers le liquide, en produisant toutes les apparences de l’ébullition ordinaire. Ainsi le gaz inflammable des marais qui a tant occupé les chimistes depuis quelques années, est, quant à son origine, une découverte de Volta.

Cette découverte devait faire croire que certains phénomènes naturels, que ceux, par exemple, des terrains enflammés et des fontaines ardentes, avaient une cause semblable ; mais Volta savait trop à quel point la nature se joue de nos fragiles conceptions, pour s’abandonner légèrement à de simples analogies. Il s’empressa (1780) d’aller visiter les célèbres terrains de Pietra Mala, de Velleja ; il soumit à un examen sévère tout ce qu’on lisait dans divers voyages sur des localités analogues, et il parvint ensuite à établir, avec une entière évidence, contre les opinions reçues, que ces phénomènes ne dépendent point de la présence du pétrole, du naphte ou du bitume ; il démontra, de plus, qu’un dégagement de gaz inflammable en est l’unique cause. Volta a-t-il prouvé avec la même rigueur que ce gaz, en tout lieu, a pour origine une macération de substances animales ou végétales ? Je pense qu’il est permis d’en douter.

L’étincelle électrique avait servi de bonne heure à enflammer certains liquides, certaines vapeurs, certains gaz, tels que l’alcool, la fumée d’une chandelle nouvellement éteinte, le gaz hydrogène ; mais toutes ces expériences se faisaient à l’air libre. Volta est le premier qui les ait répétées dans des vases clos (1777). C’est donc à lui qu’appartient l’appareil dont Cavendish se servit en 1781 pour opérer la synthèse de l’eau, pour engendrer ce liquide à l’aide de ses deux principes constituants gazeux.

Notre illustre confrère avait au plus haut degré deux qualités qui marchent rarement réunies : le génie créateur et l’esprit d’application. Jamais il n’abandonna un sujet, sans l’avoir envisagé sous toutes ses faces, sans avoir décrit ou du moins signalé les divers instruments que la science, l’industrie ou la simple curiosité pourraient y puiser. Ainsi, quelques essais relatifs à l’inflammation de l’air des marais, firent naître d’abord le fusil et le pistolet électriques, sur lesquels il serait superflu d’insister, puisque des mains du physicien ils sont passés dans celles du bateleur, et que la place publique les offre journellement aux regards des oisifs ébahis ; ensuite la lampe perpétuelle à gaz hydrogène, si répandue en Allemagne, et qui, par la plus ingénieuse application de l’électrophore, s’allume d’elle-même quand on le désire ; enfin, l’eudiomètre ce précieux moyen d’analyse dont les chimistes ont tiré un parti si utile.

La découverte de la composition de l’air atmosphérique a fait naître de nos jours cette grande question de philosophie naturelle : La proportion dans laquelle les deux principes constituants de l’air se trouvent réunis, varie-t-elle avec la succession des siècles, d’après la position des lieux suivant les saisons ?

Lorsqu’on songe que tous les hommes, que tous les quadrupèdes, que tous les oiseaux consomment incessamment dans l’acte de la respiration un seul de ces deux principes, le gaz oxygène ; que ce même gaz est l’aliment indispensable de la combustion, dans nos foyers domestiques, dans tous les ateliers, dans les plus vastes usines ; qu’on n’allume pas une chandelle, une lampe, un réverbère, sans qu’il aille aussi s’y absorber ; que l’oxygène, enfin, joue un rôle capital dans les phénomènes de la végétation, il est permis d’imaginer qu’à la longue l’atmosphère varie sensiblement dans sa composition ; qu’un jour elle sera impropre à la respiration ; qu’alors tous les animaux seront anéantis, non à la suite d’une de ces révolutions physiques dont les géologues ont trouvé tant d’indices, et qui, malgré leur immense étendue, peuvent laisser des chances de salut à quelques individus favorablement placés ; mais, par une cause générale et inévitable, contre laquelle les zones glacées du pôle, les régions brûlantes de l’équateur, l’immensité de l’Océan, les plaines si prodigieusement élevées de l’Asie ou de l’Amérique, les cimes neigeuses des Cordillères et de l’Himalaya, seraient également impuissantes. Étudier tout ce qu’à l’époque actuelle ce grand phénomène a d’accessible, recueillir des données exactes que les siècles à venir féconderont, tel était le devoir que les physiciens se sont empressés d’accomplir, surtout depuis que l’eudiomètre à étincelle électrique leur en a donné les moyens. Pour répondre à quelques objections que les premiers essais de cet instrument avaient fait naître, MM. de Humboldt et Gay-Lussac le soumirent, en l’an XIII, au plus scrupuleux examen. Lorsque de pareils juges déclarent qu’aucun des eudiomètres connus n’approche en exactitude de celui de Volta, le doute même ne serait pas permis.