Alton (p. 273-287).

L’Adoration matinalle des Orbitans. La description du temple, et la maniere d’y prier et sacrifier. Le preschement de l’Archier Grand Presbtre et l’oraison commune de tous en chantant d’accord Musical. Chapitre XXII.



Lendemain après Soleil levé, l’Archier mena Franc-Gal au temple, duquel les portes estoient jà ouvertes et le peuple y confluoit en grande multitude pour l’adoration matutinalle. Franc-Gal se rengea à un costé de l’autel, se mettant à genoux pour prier, et l’Archier demoura devant l’autel, prosterné en longue oraison taisible et de coeur sans bouche. Semblablement tous les entrans au temple incontinent adoroient ce qu’ilz ne voioient, en prieres de seulle pensée, sans remuement de langues ne de levres, les yeux elevez en hault, en tresprofond et admirable silence, pour l’auguste reverence du lieu, qui estoit en parfaicte rondeur elevé sur treize piliers seullement, mais si grandz et si massifz pour leur hauteur (qui sembloit s’elever au Ciel) que les treze arcz en estoient tresamplement spacieux, avec son comble et pinacle rond, pertuisé au mylieu et, par un grand trou rond de trois coudées en diametre, donnant veüe et regard au Ciel ouvert, et les cortynes des murailles composées à treize portiques de galleries elevées l’une sur l’autre, où l’on montoit par quatre vistes de degrez recerchées au troisiesme, septiesme, dixiesme, et treiziesme pilier, et en ces galleries fenestrées à verrines claires en derriere et à sesquipedalles balustres en devant, estoient disposez sieges de marbre pour s’asseoir et pulpites en devant pour s’encliner ou prosterner. Le plan aussi estoit tout autour chafaudé de sieges et bancz de Cedre, Hebene, Cyprès, Arable blanc, Noyer brun et tout autre bois propre à ouvrage de menuyserie, dans lesquelz bancz et sieges bas estoient designées les places des femmes.

Quant à la beauté et magnificence interieure du temple, il n’estoit point semblable à une grange ou maison desolée, vuyde d’aornement, ains estoit de toutes pars embelli et reparé de plusieurs et diverses et belles figures, simulacres, statues et plates peinctures, de pierre, bois, taille, fonte, yvoire et autre matiere, dorées, argentées, azurées et coulourées de tous beaux et illustres pigmens, esmaux et mestaux. Lesdictes images et statues, representans naturellement et au vif, non seullement les heroiques personnes des hommes et femmes de vertu, mais aussi tous les animaux, oyseaux, bestes, poissons, qui volent, cheminent, ou trainent et nagent, en l’air, en la terre et ès eaux. Et non seullement y estoient pourtraictz les animaux, mais aussi les creatures insensibles qui sont ès deux elemens inferieurs, avec chescun sa divise en brieve inscription apposée selon leur propriété naturelle, en attestation de la grandeur, puissance, gloire et grace du souverain Dieu, qu’ilz nommoient JOVA.

Exemple : sur la statue de l’homme estoit escript ce dicton



Droict tu es, pour aux cieux
Avoir levez les yeux.


Sur la statue de la femme,



Grace et beauté as tu
Pour y loger vertu


Sur la mole de l’Elephant,



Bonté en grand puissance,
Telle est de Dieu l’essence.


Autrement,



Dieu aux bons ne denie


Force, prudence et vie.


Sur la figure du serpent,



En terre est condamné
Qui à mal faire est né.


Sur l’oyseau Phenix,



Un seul de par soy vit,
Que nul homme onc ne vit.


Sur le Daulphin portant Arion sur les mers,



L’ami de l’homme est Dieu,
Le sauvant en tout lieu.


Sur le portraict du Rossignol,



Tout esprit jusqu’à l’Ange
Chante au Seigneur louange.


Sur l’arbre de Palme,



Plus fortune t’est greve,
Plus vers le Ciel t’eleve.


Sur la fleur de lis,



Qui a blanche vertu,
D’honneur est revestu.


Sur la Rose,



Pur esprit adorant
A Dieu rose odorant.


Sur la fleur de Solsie,



Vers le divin Soleil
Tourne l’esprit et l’oeil.


Ainsi de telles images, statues, simulacres d’hommes, d’oyseaux, beste, serpens, poissons, arbres et plantes, et autres choses naturellement et au vif pourtraictes, gravées, enlevées, taillées et diversement figurées, et en oultre peinctes, colourées, dorées, argentées et gemmées, estoit tant illustre, enrichi et decoré l’interieur pourpris du temple, qui le rendoient tant lumineux, tant beau, delectable et venerable au regard, et tant instructif ès inscriptions que la contemplation de ces belles choses exterieures demonstrantes et narrantes la gloire de Dieu, et par les fenestres des yeulx entrantes dans l’entendement pour le illuminer, ravissoient les espritz interieurs à une ineffable admiration de la bonté, grandeur et puissance de Dieu. Rendantz le temple tant devot, religieux, reverential, adorable et auguste que ceux qui y entroient se trouvoient tous transmuez et divinement raviz, comme en enthousiasme.

Tel estoit l’aornement du temple interne. Au mylieu duquel estoit l’are elevée sur treize degrez de marbre et porphyre de toutes couleurs ; et par dessus estoit drecé l’autel basti et massonné à la rustique de toutes pierres rudes en leur propre façon naturelle, sans taille, ouvrage ne polissure de main d’homme. Mais par dessus estoit posée à droict nyveau et juste equalibre une belle, grande et large table d’Esmeraude artificielle de fonte, en figure quadrangle equilateralle, ayant treize piedz en chescune quarreure, assise et posée justement soubz la claire-voye du comble, par où miraculeusement jamais ne tomboit eau du Ciel, ne penetroit vent, tempeste ny orage. A l’entour de l’autel, estoient disposées neuf chaires de laicton doré, couvertes et garnies de tapis de soie veloustée, pour sieges des ministres servans à l’autel. Et au costé devers Orient, à l’opposite de la grand porte, qui estoit occidentalle, y avoit troys pilliers de Jaspe, haux de neuf piedz, posez en forme triangulaire, en telle maniere qu’il en y avoit un en devant vers l’autel et deux en derriere, sur lesquelz piliers estoit posé un tabernacle de bois odorant, lambrissé, feuillagé et doré de fin or battu, ayant ouverture par le derriere ; et au dedans une belle chaire d’ivoyre. Ce tabernacle estoit le Suggest, d’ond estoit la parolle prophetique annoncée au peuple par le Pontife Archier.

Tel estoit le Dome et temple du grand JOVA en la cité d’Orbe, que cy après nous descrirons. Après donc que l’Archier, premier Sacerdot, et ses neuf ministres, semblablement Franc-Gal et les populaires, entrez au temple, prosternez en face, et de fois à autre elevans les yeux et les mains au Ciel, eurent continué leurs adorations et oraisons mentales, environ une bonne heure en tresgrand silence, le Pontife Archier se leva et après se estre tourné vers le peuple et icelluy universellement salué et beneict, il fut par trois de ses ministres elevé au suggest, sur les trois piliers, où estant surhaucé, après avoir quelque petit de temps levé les yeulx au Ciel en haute conception de pensée, il adressa au peuple sa parolle clairement entendue, en telle maniere :

« Hommes Orbitains, qui cy estes assemblez pour ouyr de moy (qui ne suys que la voix cryant au temple) les grandes magnificences de Dieu, icelles entendre, en vos espritz comprendre, les regracier, louer et exaucer, la grace de ce faire par luy infuse vous soit donnée, avec sa benediction.

Le Souverain Dieu JOVA, QUI EST, FUT, ET SERA, nom qui est sur tout nom, et qui à autre que à luy seul n’appartient, premierement de rien vous a faict estre, qui est un don especial de sa puissance merveilleuse, que devez avant toute autre chose cognoistre, que de luy vous tenez vostre estre et premiere essence. En après il vous a creez, non immobiles corps comme pierres et metaux, non insensibles plantes comme herbes ou arbres, non brutalles, diformes, cruelles ou monstrueuses bestes comme, s’il luy eust pleu, ilz vous eust formez asnes brutaux, laidz marmotz, villains crapaux, cruelz loups ravissans, ou monstrueuses chimeres, mais vous a creez homme beaux et droictz, vers le Ciel elevez, d’ond vous tenez racine de la raison qu’il vous a donnée, par laquelle estes faictz semblables à luy et par icelle formez à son image. Et en outre, a créé toutes creatures et les elemens, et mesmes les corps celestes et les Cieux, pour vous et à vostre usage et service : la terre pour vous soustenir et nourrir vivans, et vous recevoir mors, l’air pous [l.. pour] vous entretenir l’esprit de vie, les eaux pour l’usage et mondification, et navigation, le feu pour vivification, chaleur et lumiere, les astres pour esclairemens et influences, le Ciel pour recevoir voz purs espritz, qu’il vous a donnez immortelz, par especial privilege sur toutes autres creatures, après lesquelles mortes, rien d’icelles plus ne reste. Et toutes les bestes il a condamnées à teste encline vers terre, en signe qu’elles sont assubjecties et asservies à vous, droict et hault elevez : les unes pour ayde, comme chevaux, boeufz, asnes et chameaux – voire le grand et fort Elephant vous sert et obeyt –, les autres pour viande et nourriture, par leur mort conservans vostre vie. Ne voiez vous pas les bons poissons des fleuves et des mers nager en voz potages, broetz, sauces et jus ? Ne voiez vous pas les chairs, gresses et entrailles des bestes, tant sauvages que privées, entrer en voz cuysines ? Et les oyseaux de l’air tomber en vos platz ? Et tous les arbres, herbes, plantes, semences, fruyctz et racines vous estre baillez, ou pour nutriment, ou pour medicament ? Et le tout de la grace de Dieu et à sa gloire, comme visibles exemples vous en monstrent la fabrique et les figures et statues de ce temple, duquel l’architecture est faicte à l’imitation et patron du Monde universel, qui est le vray temple du Souverain JOVA, la bonté et la gloire duquel toutes ces choses vous tesmoignent et annoncent.

Considerez donc, ô hommes Orbitains, et recognoissez quantes et combien grandes beneficences vous a eslargi la benediction de Dieu tresgrand et tresbon, auquel vous le sauriez ne pourriez rien retribuer ; car quelle chose luy pourriez vous offrir qui ne soit sienne, duquel le throne est le ciel, et la terre est l’escabelle de ses piedz ? Que vous veult donques demander ce tresbon et tresgrand Seigneur qui soit vostre et en vostre puissance de luy retribuer, pour tant d’infiniz biens d’ond il vous a esté auteur et donateur, avec certaine promesse et infallible premonstrance de plus grandz et plus durables, voire pardurables, telz qu’il les dispense aux superieurs et bienheureux espritz qui ordinairement luy assistent en interminable louange et glorification de sa bonté et puissance, devant le throne de sa divine majesté ? Que requiert il de vous ? Que lui pouvez vous retribuer de vostre propre ? Il ne vous demande autre chose (mes amis) que une bien petite retribution et recognoissance, mais il veult qu’elle vienne de vous mesmes et de vostre bon coeur. Il ne veult de vous, pour tant d’infiniz biens, sinon un simple et petit grand mercy, une seulle action de graces, une collaudation et glorification au bienfaicteur, ce que l’on feroit bien à un mortel homme pour quelque petit plaisir qu’il auroit faict. Mais il veult ceste recognoissance, ceste action de grace et retribution de gloire luy estre donnée du propre, du pur et meilleur du coeur sans feincte ne simulation, qui ne luy peut estre cachée. Car sans nulle comparaison, plus clair il voit dans nos pensées que nous ne voyons les choses exterieures, où nos sens corporelz peuvent estre deceuz ; mais luy non, d’autant qu’il est trespur et tressimple esperit, et pource veult il estre adoré en pur et simple esprit. Parquoy, mes amis, en humble et cordial remerciement, en reverente action de grace pour tant de biens qu’il nous a faictz et faict quotidianement, et promet et premonstre à l’avenir, mesmes à ce joud’huy [l.. jourd’huy] qu’il vous revele par moy que ceste cité et Republique aujourd’huy sera delivrée d’un grand mal qui y est. Pour ceste infinité de beneficences, rendons luy tous ensemble, d’un mesme coeur et vray zele, d’une mesme foy, pensée et volunté, et d’une mesme parolle et voix, graces, honneur, gloire et louange eternellement ès siecles des siecles. Ce sermon fini, le Pontife Archier et ses neufs ministres, à diverses voix acordantes musicallement en Dessus fleurtizans, Bassecontres barytonnantes, Tailles douces et agues Haultecontres, aussi avec Orgues, Lucz, Violes, Harpes, Psalterions, Nables et toutes sortes d’instrumens de Musique, autant harmonieusement que religieusement, les mains et sons concordans aux voix, chantarent un cantique de tel verbe et sentence que s’ensuyct :



Dieu Souverain, de puissance infinie,
Par toy benie soit nostre humanité.
Point ne denie entendre l’harmonie
De ceste unie, accordant’compagnie,
Pour estre ouye en ta sublimité.
Benignité de ta Divinité
Nous a monté au poinct hault de bon heur.
Gloire et honneur soit donc à toy, Seigneur,
Qui es donneur de tous biens et grands dons.
Gloire et honneur, et grace te rendons.


L’Archier Pontife et ses ministres ayans chanté ce Psalme pour grace et pour exemple, tout le peuple respondant rechanta en grand devotion les mesmes parolles, en mesmes chants et accordz, avec les sons des instrumens. Après que ce beau cantique en devote priere, magnifiée louange et reverente action de graces envers JOVA le souverain Dieu eut esté universellement chanté de tous les assistans au temple, en harmonieuse concordance, non seulement des voix et parolles en bouche, mais aussi de mesme foy et intelligence en coeur, chescun d’eux vint en grande reverence se presenter à l’autel, en offrant humblement en signe de recognoissance des benefices divins ce que bon leur sembloit : les uns ornemens et vases d’or et d’argent, de crystal, porcelaine, pierrerie, bois precieux et autres matieres de pris, aucuns vuydes, autres pleins de suaves liqueurs, de basmes, myrrhes, encens, parfums et odoremens, de la senteur desquelz tout le temple flairoit ; autres offrirent draps de soie, de laine, de toutes façons et couleurs, et de lin byssin ; les autres y apportoient pains blancz, gasteaux chaux et pasticerie fumante ; autres flascons et vaisceaux de vin, le meilleur qu’ilz eussent ; mais sur tout, ilz offroient voluntiers les primices de tous leurs biens, les premiers venuz au monde, comme leurs premiers enfans, qu’ilz presentoient à Dieu, et l’Archier les leur redonnoit par eschange et redemption de quelques oyseaux ou petites bestes d’innocence, comme d’une paire de colombes ou tourtorelles, ou d’un aigneau ou chevreau blanc ; semblablement offroient les premiers fruyctz de leurs bledz, grains, arbres, vignes, plantes et jardinages, en recognoissance de la benignité de Dieu, qui tous les ans les leur faisoit revenir. Et s’ilz estoient d’art mecanique, ilz presentoient leurs premiers chefz d’oeuvres et les plus excellentes pieces de leurs ouvrages manuelz, en attestation qu’ilz tenoient de Dieu l’invention d’esprit et l’adrece de la main, organe des organes. Tous lesquelz dons posez en offerte sur l’autel, l’Archier Pontife beneist, en priant JOVA estendre sa main dessus en benediction et multiplication annuelle. Puys les ministres les recuillirent, prenant pour l’Archier et pour eux ce que bon leur sembloit (car qui sert à l’autel, de l’autel doit vivre), et le reste le distribuarent aux povres, vieux, malades ou estropiez de corps, ou privez de sens, et aux povres veufves et enfans orphelins, tant de la ville que estrangiers, receuz, logez et nourriz en un grand logis commun, appelé Vaniah ; et le plus beau et le meilleur estoit reservé pour la nourriture et honneste entretien des personnes qui avoient bien merité de la Republique Orbitaine, en quelque chose que ce fust. Car telz personnages qui par vertu, proesse, conseil, donation ou autre acte meritoire avoient faict quelque grand bien à la Republique, ilz estoient honnorablement remunerez par estat, nourriture et entretien public en un Palais appellé Prytan, comme cy après sera dict. Velà comment estoient ordinairement distribuez les biens du Temple par ordonnance du Pontife, lequel ayant faict son office, et après que le peuple fut retiré chescun en sa maison, ou là où bon luy sembloit, s’en alla en son logis, emmenant avec soy son hoste Franc-Gal, d’ond il estoit en grand soucy, et en prenoit tresgrande cure par craincte d’une vision et revelation qui luy estoit apparue le soir precedent, telle ques’ensuyct.