Album des missions catholiques, tome IV, Océanie et Amérique/Océanie orientale
OCÉANIE ORIENTALE
TAHITI. — PAUMOTOUS. — FIDJI.
Nous pénétrons dans le domaine spirituel des Pères de la Congrégation des Sacrés-Cœurs de Picpus.
Tahiti. — Tahiti est située par 17° 39 de latitude sud, et 151° 48, de longitude ouest. Sa superficie est de 104,215 hectares. L'île est de forme ronde, montagneuse au centre, avec des côtes assez basses sur plusieurs points.
A l’est de l’île est la pointe de Vénus, garnie de pics élevés qu'on aperçoit de quatre-vingt-dix kilomètres en mer ; près de cette pointe, la rade de Matavaï, avec son phare, dont la portée n'est que de dix kilomètres.
Une hauteur considérable, appelée le Diadème, marque le centre de l’île et se détache de loin sur le ciel, flanquée du pic de l’Orohéna découpé en deux pitons de plus de 2,000 mètres de hauteur, et des pitons de l’Aoraï et de Pithoiti, qui ne sont guère plus bas.
Nous avons nommé la vallée Fatahoua. Elle est commandée par un pic de ce nom et présente un défilé des plus pittoresques avec une admirable cascade de deux cents mètres de chute, dont le bassin n’a pas moins de quatre cent vingt mètres d’altitude.
Les rivières qui arrosent Tahiti ont un cours peu étendu, mais elles sont pour ainsi dire innombrables, et leurs eaux, fort belles, forment des cascades à chaque pas.
Au point de vue géologique, Tahiti ne présente pas moins d’intérêt. C’est un soulèvement qui l’a fait sortir de l’Océan : l’action volcanique s’y peut constater encore, car les inégalités du sol ne sont autre chose que les ondulations d’une lave refroidie dans sa course.
D’immenses colonnades basaltiques encadrent aussi ses vallées.
Cependant nul pays n’est plus pauvre en minerais. A peine y a-t-on découvert quelques parcelles de fer à l'état de sulfure.
La flore y est, en revanche, des plus riches et des plus luxuriante, car le sol est excessivement fertile. Les arbres y sont magnifiques, surtout les cocotiers, les pandanus, les orangers et les arbres à pain, qui couvrent les plages. Les forêts sont pleines d'arbres précieux pour la construction et l'ébénisterie.
Avec une si riche nature, les mammifères étaient peu nombreux à Tahiti. A l'exception du cochon et du rat qui y sont fort communs, tous les animaux y ont été importés. Les oiseaux y sont encore extrêmement rares. Il y a peu de serpents dangereux et peu de poissons et d'insectes.
Les Tahitiens ont embrassé le christianisme en 1797. Quarante-huit églises ou chapelles et cinquante-deux écoles ont été élevées par les missionnaires dans les principales îles de l'archipel. Un évêque et vingt-deux prêtres de la Congrégation des Sacrés-Cœurs évangélisent actuellement les indigènes.
Paumotous. — A l'est de l'île Tahiti se trouve l'île Anaa, l'une des Paumotous où le zèle des missionnaires s'est exercé avec le plus de succès.
Anaa ou l'île de la Chaîne était encore, en 1849, plongée dans les ténèbres de l’infidélité ou de l'hérésie, ainsi que l'archipel paumotou dont elle est la métropole. Presque tous les habitants étaient païens. Un petit nombre avaient reçu des bibles de prédicants anglais calvinistes ; quelques-uns avaient embrassé la morale prêchée par des matelots américains appartenant à la secte des Mormons. La conduite des Mormons ne différait guère de celle des plus débauchés d'entre les païens. Les Mormons prêchaient la polygamie qui, chez ces peuplades sauvages, n'avait jamais existé. Cet excès d'immoralité a formé le plus grand obstacle à la conversion et à la moralisation des îles Paumotous. Les missionnaires catholiques n'ont pas reculé devant les difficultés de la tâche, et aujourd'hui Anaa est, en grande majorité, catholique.
L'île d'Anaa est divisée en six districts principaux,qui possèdent chacun une belle église en pierres.
Tuuhora, chef-lieu d'Anaa, est aussi la résidence du régent de l'archipel. Placé à l'entrée du lac, autour duquel l'île s'étend comme une ceinture, et dominant la passe du lac, Tuuhora tient la clef de cette mer intérieure. Il est le débarcadère et l'entrepôt général des Paumotous.
Le supérieur de la mission a choisi Tuuhora pour sa résidence ordinaire, pour le centre de l'administration ecclésiastique de l'archipel et pour le rendez-vous des missionnaires et des fidèles à certaines solennités religieuses. En 1851, Mgr Jaussen baptisa dans
l’église de Tuuhora Auguste Teina, alors régent des
îles Paumotous, dont l’exemple entraîna la conversion
de plusieurs autres dignitaires du pays. Cette église
est en chaux ; elle a été bien des fois recrépie et badigeonnée
à neuf. Depuis la construction de l’église
en pierre, elle sert de chapelle pour les catéchismes.
La case en branches de cocotier, que représente la gravure page 13, fut la première demeure des missionnaires catholiques à Témarié.
C’est dans ce presbytère primitif que fut inaugurée la mission d’Anaa ; c’est à l’ombre de ces cocotiers baignés par les flots de l’océan Pacifique,que la Bonne Nouvelle fut annoncée, pour la première fois, aux habitants d'Anaa. Le grain de sénevé a été jeté là ; il s'est développé bientôt, et il couvre maintenant l'île toute entière. En quelques mois, les RR. PP. Clair Fouqué et Benjamin Pépin eurent gagné une soixantaine de néophytes. Le R. P. Albert Montinon, aujourd'hui à Molokai, qui est représenté, p. 13, debout, sous un cocotier, exerça aussi son zèle dans ce district. La chapelle était alors située à une centaine de mètres derrière le presbytère, dans un bois de cocotiers. Comme celle de Tuuhora, elle était en chaux et recouverte en feuilles de cocotier. Le district de Témarié n'est séparé de celui de Tuuhora que par la passe du lac et une bande de récif longue d'environ un mille et demi. C'est le premier village que les navires venant de Tahiti aperçoivent à Anaa.
Dans ce district de Témarié, d'où ils sont partis pour entreprendre la conquête religieuse de l'île, les missionnaires poursuivent aujourd'hui les restes du mormonisme réfugiés au fond des bois de cocotiers.
Iles Fidji. — De ces lointains parages de l'Océanie orientale, portons-nous maintenant au nord-ouest. Nous traversons, sans nous y arrêter, la préfecture apostolique des îles Fidji administrée par les RR. PP. Maristes, îles célèbres par la barbarie de leurs habitants et par le génie de leur roi Çakobau.
Çakobau est la grande figure historique de l'archipel des Fidji ; c'est le Louis XI en raccourci, à la fois violent et rusé, de ces contrées lointaines. Par une politique souvent habile, toujours cruelle, mais dont les missionnaires protestants anglais ont absous les excès par le baptême, Çakobau réussit à étendre sa souveraineté sur la presque totalité des trois cent soixante îles, flots ou rochers qui composent l’archipel et sur 150,000 insulaires qui le peuplent.
Les faits d’anthropophagie et de barbarie abondent dans la vie de ce roi cannibale ; pendant plus de trente ans, il ne passa peut-être pas de semaine sans festin de chair humaine. Aussi n’est-il pas étonnant de l’entendre répondre aux capitaines de navire de guerre, anglais ou américains, qui visitaient de temps à autre ces îles, et qui le sommaient de mettre fin à ses repas d’anthropophages :
« — Vous autres papalagis, vous avez des bœufs, voilà pourquoi vous ne mangez pas les hommes ; pour moi, les hommes sont mes bœufs. »
Jusqu’en 1850 et plus tard encore, telle fut l’existence de Çakobau, qui était roi de fait, quoique son vieux père Tanoa en retint le titre. Les ministres hérétiques eurent à employer toutes leurs ruses et toutes leurs menaces pour s’introduire à Bau, dont le nom commençait à devenir redoutable dans tout l’archipel. Le tigre grinçait des dents contre ceux qui osaient essayer de le faire renoncer au cannibalisme. La gueule des canons qu’il avait l’occasion de voir quelquefois à bord des vaisseaux, l’intimidait cependant, et leurs voix sonores parlèrent hautement en faveur des ministres.
En 1851, Mgr Bataillon, visitant cet archipel, ne put avoir une entrevue avec Çakobau, pour l’engager à recevoir des missionnaires. Les wesleyens n’avaient pas encore pu obtenir cette faveur, et Mgr d’Énos ne fut pas plus heureux. Les premiers parvinrent enfin à pénétrer dans la citadelle en 1853. Il se déclara wesleyen, et tout son royaume eut à le suivre.
Depuis lors, des relations continuelles avec les Européens finirent par lui donner une certaine teinte de civilisation et les Anglais surent s’insinuer si bien dans ses bonnes grâces qu’il finit par leur abandonner en 1874 la souveraineté de son archipel.
Hercules Robinson, gouverneur de la Nouvelle-Galles du Sud, muni des pleins pouvoirs de la Reine, se rendis à Fidji, pour conclure cette affaire.
L'acte de cession pure et simple fut dressé, le 30 septembre, au palais du gouvernement. Il ne serait pas exact de dire qu'il fut signé par Çakobau. Pour cause, il dut se contenter de faire écrire son nom, fit appliquer son sceau et dit : « — Ceci est ma signature et mon acte. »
Tous les grands chefs présents signèrent le document.
L'acte solennel de cession eut lieu le 10 octobre. La nuit précédente et toute la matinée de ce jour, la tempête faisait rage, la pluie tombait par torrents. A une heure, le temps se rasséréna quelque peu, et les préparatifs interrompus se terminèrent en toute hâte. A deux heures vingt minutes, sur Hercules Robinson arrivait, accompagné d'un brillant état major, salué par dix-sept coups de canon et les hourrahs des matelots montés sur des vergues. L'infanterie de marine et les troupes indigènes l'acclamèrent à son débarquement. Çakobau, entouré des chefs et de ses ministres, l'attendait au palais. Il s'assit ayant à sa droite sir Hercules et à sa gauche le commodore Goodenough ; tout le reste de l'assistance se tenait debout. On lut de nouveau en fidjien et en anglais le traité de cession, auquel les chefs, absent le 30 septembre, apposèrent leur signature.
À ce moment, le premier ministre du roi qui abdiquait présenta au gouverneur un énorme casse-tête et lui fit le discours suivant :
« En cédant Fidji à la reine Victoria, le roi désire envoyer à Sa Majesté, par l'entremise de Votre Excellence, le seul objet auquel il tienne encore et qui puissent l'intéresser, sa vieille et favorite massue de guerre. Le casse-tête avait été, jusqu'à ces dernières années, la seule loi dans les Fidji. En abandonnant cette loi de la force pour adopter les principe des nations civilisées, le roi fait de sa vieille arme de guerre la masse du parlement de Fidji. Comme Votre Excellence le voit, on y a gravé dans ce but les emblèmes de la paix et de l’amitié. Le roi me charge de dire à Votre Excellence que, sous cette vieille loi de force, beaucoup de ses sujets, des tribus entières, ont disparu ; mais il reste encore des centaines de mille Fidjiens pour jouir des bienfaits d’un ordre de choses meilleur. Avec cette arme de guerre, le roi envoie aussi à la reine d’Angleterre l’assurance de son amitié et de son respect. Il compte que Sa Majesté et ses successeurs veilleront au bien-être de ses enfants et de son peuple, qui renoncent à leurs coutumes anciennes pour accepter, sous le drapeau anglais, une civilisation plus élevée. »
Ce casse-tête, vieille arme de guerre, était enrichi de divers dessins et décorations en argent.
Le gouverneur signa l'acte de cession et la copie qui en avait été préparée ; puis il se rendit sur le perron du palais. Il déclara à l'assemblée qu'à dater de ce jour Fidji était une possession de la couronne britannique. On amena en silence le drapeau fidjien, et aussitôt apparut l'étendard des royaume unis de la Grande-Bretagne et l'Irlande. Toute la foule le salua par des applaudissements ; la musique de la frégate joua le chant national : God save the Queen, tandis que l'on tirait une salve de vingt-et-un coup de canon. Parmi les réjouissances de cette soirée, les journaux mentionnent le joyeux carillon de l'église du Sacré-Cœur .
Sir Hercules, avant de quitter Fidji, décréta que Çakobau recevrait annuellement une pension de 900 livres sterling (22,500 fr.).
Mais passons. La terre immense des Papous et les
innombrables archipels éparpillés sur cette partie de
l'Océan pacifique nous attendent. Que de points
obscurs, que d 'îles inexplorées, que des terres vierges
dans ces myriades de petits royaumes polynésiens !