Album des missions catholiques, tome IV, Océanie et Amérique/Océanie centrale

Collectif
Société de Saint-Augustin (p. 11-15).

OCÉANIE CENTRALE

La voie lactée des eaux. Les îles Tokelau. Samoa. Futuna. Le B. Chanel. Wallis. Mort de Mgr Bataillon. L'archipel des Amis.


ATONS-NOUS de reprendre la mer pour fuir ce séjour d’horreur. Là-bas, là-bas, dans l’hémisphère austral, un peu au-dessous de la ligne équatoriale, des milliers et des milliers d’îles, joyeuses et brillantes, nées de l’écume des eaux, émergent du sein des ondes. C’est la voie lactée des eaux, selon l’admirable expression de Reclus. Dans ces pléïades d’étoiles marines, la première nébuleuse qui arrête notre course, sera le groupe des Tokelau.

Il y a quelques centaines d’années, les navires auraient pu facilement naviguer à l’endroit même où se trouve cet archipel ; mais les coquillages, ayant construit leurs innombrables maisons les unes sur les autres, en ont fait un pays pour les humains. Ce même travail des coquillages se remarque actuellement entre Wallis et Samoa ; il est déjà parvenu à deux brasses au-dessous du niveau de la mer ; et dans un certain laps de temps, on verra aussi en cet endroit surgir de la même façon un nouveau pays.

Les îles Tokelau. — Rien de plus curieux que la genèse de ces îles toutes de formation madréporique. Sur la pointe des roches sous-marines, des millions de polypes ont bâti leurs demeures et formé de vastes bancs de corail blanc qui s’est bruni à l’air. En passant et repassant, les vagues ont enlevé les arêtes du corail et apporté sur ces bancs des débris qui s’y sont


ARCHIPEL DES NAVIGATEURS. — JEUNES FILLES SAMOANES.


peu à peu superposés. Le tout est devenu un terrain aride. Pas d’autre terre végétale que ce sable rebelle à toute culture. Pas d’autre verdure que de rares cocotiers qui poussent dans quelque fissure de corail, ou dans quelque coin du sol moins sec et moins dépourvu de sucs nourriciers.

Plusieurs des îles Tokelau sont totalement inhabitées, d’autres renferment soixante, cent, deux cents âmes. Le type, le langage, les traditions de ces indigènes les rattachent aux grands archipels voisins. Égarés sur l’Océan ou poussés par la tempête, quelques Samoans auront rencontré ces îles, s’y seront réfugiés sans plus oser en sortir et les auront peuplées.

Rien de plus misérable que les peuplades de Tokelau. Elles n’ont pas d’autres nourriture que la noix de coco et le poisson. Comme ces îles sont formées de corail, les sources sont rares, et encore l’eau est-elle saumâtre. Plusieurs îles sont même privées complètement de sources d’eau douce.

Les habitants, pour se procurer leur boisson, recourent à une industrie.

Les cocotiers sont tous inclinés par le vent qui souffle presque toujours dans la même direction. Du côté opposé au vent, les indigènes pratiquent des ouvertures allant jusqu’à l’intérieur de l’arbre, sans nuire à son développement. Au-dessus de ces ouvertures et le long du tronc, ils creusent de petits sillons destinés à recevoir et à conduire l’eau de la pluie dans ces citernes en miniature. Quand elles sont pleines, on les entoure de feuilles pour empêcher l'évaporation et pour maintenir la fraîcheur. C'est là que ces malheureux peuples vont chercher l'eau nécessaire, qui, en temps de sécheresse, peut finir par leur manquer. L’eau ainsi recueillie appartient au propriétaire du cocotier, comme l’arbre lui-même, et chacun doit veiller à ne pas mettre la main sur le trésor de son voisin. On se demandera s’il ne serait pas plus simple de creuser des citernes dans le sol. Qu'on n’oublie pas que le sol est madréporique et qu'il laisse suinter l’eau de la mer. Le ciment pourrait bien obvier à cet inconvénient grave, mais le ciment est encore inconnue à Tokelau, et il n'y a que les missionnaires qui le feront connaître à ces pauvres gens.

Deux jours de navigation séparent les Tokelau des îles Samoa.

Samoa. — Apia est le port le plus fréquenté de l'archipel de Samoa. Situé vers le milieu de la côte septentrionale de l'île d'Upolu, il est de facile abord. Les navires y sont en toute sûreté, pendant la saison des vents alisés, c'est-à-dire depuis la fin d'avril jusqu'au mois de novembre. Le port est moins sûr pendant le reste de l'année, quand il y a grande tempête. C'est à Apia que sont établis les principaux commerçants de Samoa et les îles environnantes


APIA. — ÉTABLISSEMENT DES RELIGIEUSES DE N.-D. DES MISSIONS.


comme Viti, Tonga, Wallis et Futuna. Tous les deux ou trois mois, une goëlette part pour visiter ces îles, revient déposer à Apia sa cargaison et recommence le même voyage. Parmi ces trafiquants, il y a des Américains, des Anglais, des Allemands. Les Allemands se sont adjugé la part du lion ; non qu’ils aient fait des conquêtes à coups de canon, mais ils ont pris une position telle que les autres restent à l’arrière-plan. De Samoa leur action rayonne dans toutes les îles de l’Océan Pacifique, et ni les Anglais ni les Américains ne peuvent rivaliser avec les compagnies de Hambourg, qui font le commerce en grand et leur abandonnent seulement le commerce de détail.

« Apia, écrivait Mgr Elloy, est le siège du gouvernement de l’archipel de Samoa et la résidence de l’évêque. Comme tous les autres villages d’Océanie, Apia n’était autrefois qu’une réunion de cases ouvertes, aux toits en feuilles d’arbres ; maintenant ce pauvre village commence à prendre la tournure d’une ville européenne. Les constructions en pierres et en corail étaient, si l’on en excepte quelques résidences, un luxe réservé jusqu’à présent à la maison de Dieu. Pour la maison des hommes, on remplaçait la pierre par le bois, et au lieu de murs, on avait des cloisons. Un grand nombre de constructions européennes indique que la population blanche accroît de jour en jour son influence. »

Tutuila. — Dans l’île voisine d’Upolu, à Tutuila, coupée par le 173e méridien, saluons la belle église, dernière œuvre de Mgr Elloy, que ce grand évêque a fait bâtir sous le vocable significatif de Sainte-Croix in extremis terræ.

Saluons aussi le monument élevé sur la tombe des infortunés compagnons de La Pérouse massacrés.

Futuna. — Une autre île arrosée également de sang français, Futuna, nous appelle. C’est là que le P. Chanel fut égorgé le 28 avril 1841. Le christianisme a totalement transformé le caractère sauvage et irascible de ces insulaires. Jadis redoutés entre toutes les autres peuplades océaniennes pour leur barbarie, ils étaient à juste titre l’effroi des navigateurs. « Si j'excepte les Fidji, raconte le P. Poupinel, je ne reconnais point d'îles dont on puisse citer des horreurs comparables à celles qui ont été commises à Futuna, depuis le commencement de ce siècle. »

De cette île gagnée au Christ par le sang d’un martyr, de cette île sacrée, centre mystérieux de l’Océanie, portons les yeux sur l’horizon. Leva in circuitu oculos tuos et vide.

Wallis. — Au levant, Wallis encore embaumée des souvenirs de Mgr Bataillon. C’est là que le premier vicaire apostolique de l’Océanie centrale


FUTUNA. — ÉGLISE DE SAINT-JOSEPH A SIGAVE, d'après un croquis de M. Aube, alors capitaine du vaisseau, commandant du Seignelay.


termina son héroïque carrière, le 11 avril 1877 Nous ne pouvons résister à l’envie de mettre sous les yeux du lecteur la dernière page de la vie du vaillant évêque, dévoré jusqu’à la fin du zèle de la maison de Dieu. Elle est tout à la gloire du pasteur et du troupeau.

De l’église de Mua où il avait reçu les derniers sacrements devant tout le peuple assemblé, Mgr Bataillon s’était fait transporter dans son cher collège de Lano. Depuis plusieurs mois, on était occupé à la construction de l’église. Quelques heures avant de mourir, il s’aperçut qu’il n’entendait plus le bruit ordinaire des ouvriers, il dit à un des chefs qui se trouvait près de lui :

« — Je n’entends plus les coups de marteau. Est-ce qu’on ne travaille pas à l’église ?

« — Évêque, répondit le chef, nous craignons de vous troubler à vos derniers moments, et nous avons suspendu tout travail.

« — Non, non, reprit avec énergie Mgr Bataillon, ne vous arrêtez pas. Je veux mourir en entendant ce bruit de marteau ; il me fait tant de bien ! Travaillez, mes enfants. C’est pour le bon Dieu. »

Et les ouvriers recommencèrent ce bruit de


ARCHIPEL DES NAVIGATEURS. — ÉGLISE DE L'IMMACULÉE-CONCEPTION A APIA, ET RÉSIDENCE ÉPISCOPALE, d'après une photographie (Voir p. 10.)


ARCHIPEL DES NAVIGATEURS. — VUE DU PORT D'APIA ET DU MONT VAÉA, d'après une photographie. (Voir p. 10.)


travail que le missionnaire voulait écouter jusqu’à sa dernière heure. Lorsqu’elle fut proche, l’évêque commanda de le porter dehors, sous un arbre à pain. Là, il se fit étendre sur une natte, le visage tourné vers l’église, et il expira en présence de son peuple, et aussi en présence de cette église et de ce collège, où il avait placé les dernières affections de son cœur et les dernières sollicitudes de sa vie.

Une pierre a été élevée sous cet arbre. Elle indiquera au peuple de Wallis que là est mort celui dont Dieu s’est servi pour les appeler à son admirable lumière.

Rotuma. — Au couchant, Rotuma, l’île aux sept royaumes. Chacun d’eux a un roi. Au-dessus des sept potentats qui gouvernent, est un huitième chef qui porte le titre de roi des rois. La population des sept minuscules empires de Rotuma ne dépasse pas 2,400 âmes.

Tonga. — Au sud, l'Archipel des Amis, où l'abordèrent en 1837 les premiers missionnaires catholiques. Les trois groupes qui composent cet archipel sont ceux de Tonga, de Hapai et de Vavau.

L’île capitale du royaume est Tonga-Tabou, c’est-à-dire Tonga la Sainte ou la Sacrée, île basse, dont la plus grande élévation ne dépasse pas 70 pieds. Elle n’a pas la plus petite source d’eau courante ; néanmoins c’est une terre très fertile, très bien boisée, et couverte d’une brillante végétation. Les courses que l’on y fait sont comme des promenades à l’ombre de bosquets touffus. Sa forme est demi-circulaire ; une ceinture d’îlots verdoyants qui l’entourent vers le nord, et la chaîne de récifs qui la protègent contre les tempêtes de la mer, lui donnent un aspect riant et plein de charmes pour l’étranger. Tonga a de belles baies dans l’intérieur des récifs ; mais les palétuviers qui parent ses rives, le corail et les madrépores qui poussent sous les eaux, remplissent petit à petit


ANAA (Iles Paumotous). — PREMIÈRE DEMEURE DES MISSIONNAIRES A TÉMARIÉ. (Voir p. 24.)


ces rades si gracieuses. Telle baie, où les navires de fort tonnage pouvaient venir mouiller, il y quelques années, n’est plus accessible, même aux chaloupes, lorsque la marée est basse. La longueur de l’île est à peu près de dix lieues, et sa largeur de deux à trois ; sa population, autrefois considérable, ne dépasse guère 7,000 âmes aujourd’hui.

Depuis quelques années, les immigrants envahissent Tonga ; la moitié du littoral est déjà occupée par les trafiquants. Un mouvement irrésistible entraîne Tonga vers les usages européens. « Les constructions, écrivait en 1876 le R. P. Lamaze, aujourd’hui évêque et vicaire apostolique de la mission, surgissent comme par enchantement sur notre rivage. Le palais du roi Georges est vraiment beau ; celui de son fils Uga ne lui cède guère. J’en dirai autant de ceux de nos commerçants ; mais tous sont éclipsés par le palais de Misi Beka, le Révérend Baker. On va construire trois grands temples aux ports de Tonga, de Vavau et de Haapaï. Nous sommes entraînés ; aussi, je suis sûr que, quelque belle que soit notre future église, nous regretterons de ne pas l’avoir faite plus belle. Je dispose tout pour sa construction. Il me faut un char pour les gros transports. Et, lorsque j’aurai les harnais, qui me donnera le cheval ? On m’avait fait cadeau, à Sydney, d’un bon cheval de trait, et on l’avait embarqué sur un trois-mâts. Je le voyais déjà attelé à mon char et traînant les gros bois de mon église. Hélas ! la traversée fut longue, les vents furent mauvais ; la pauvre bête fut blessée, prit le mal de mer, finit par périr, et il fallut la jeter à l’eau. Elle était belle, forte, docile, sans défauts, à ce que l’on m’en a dit pour me consoler. Ce qui est hors de doute, c’est que, au lieu de recevoir ce précieux cadeau, j’ai dû débourser 600 fr. pour le transport, la boîte et les vivres du cheval. »