Albertine de Saint-Albe/Tome I/Chapitre 05

Renard (Tome Ip. 66-92).


CHAPITRE V.


Madame de Genissieux ne manqua pas, selon la stricte étiquette de la province, de nous rendre politesse pour politesse, et de nous inviter à dîner à son tour pour le lendemain. Elle eut la satisfaction d’étaler aux yeux de son neveu le luxe et l’élégance d’une femme qui montrait dans toutes ses actions qu’elle avait fait un voyage à Paris.

Son neveu ne se douta pas seulement de l’intention ; mais il parut content des efforts qu’elle faisait pour lui rendre son séjour agréable, et il devint tous les jours d’une gaieté plus communicative. Il m’inspira plus de confiance ; et il n’y eut pas jusqu’à ce pauvre Adrien qui ne fût charmé de causer avec un homme qui entendait si bien tout ce qu’il lui disait.

La chasse et la pêche étaient les plaisirs de Casimir, qui voulait sans cesse former des parties auxquelles mon oncle donnait une entière approbation.

Depuis l’arrivée de ces messieurs, nous menions une vie beaucoup plus active. Madame de Genissieux, empressée de plaire à ses hôtes faisait naître tous les jours des invitations qui réunissaient toute la société, et lui donnaient cet air d’intimité que l’on trouve presque toujours à la campagne. La belle saison, l’aspect des prairies les plus riantes, de fréquentes visites dans les châteaux du voisinage, tout concourait à rendre Saint-Marcel plus agréable. Je lui trouvais des charmes inconnus jusqu’alors ! Mon oncle, tranquille sur mon sort à venir, me regardant comme établie, ne s’occupait plus autant de moi, et je jouissais d’une espèce de liberté, assez naturelle au milieu de la famille à laquelle j’allais être unie.

Adrien n’était pas toujours avec nous. Plein de tendresse pour sa mère, il lui consacrait une partie de son temps, et priait Henriette Duperay de ne point m’abandonner. Cette excellente sœur, qui avait beaucoup d’amitié pour moi, nous accompagnait partout, et sa gaieté douce tempérait les brusqueries et les étourderies de Rose. Casimir aimait beaucoup à provoquer ses inconséquences. Il prenait plaisir à la contrarier ; et l’aisance avec laquelle il jouait, fit espérer à M. Desmousseaux que Rose, sa fille, pourrait devenir un jour madame de Melvin. Cependant rien n’était moins fondé. L’habitude du monde vous permet quelquefois un air de familiarité que le bon ton sait réprimer aussitôt qu’il en est temps. Ces agaceries, qui pouvaient faire autant d’impression sur la fille que sur le père, furent remarquées de Léon, qui, tout en grondant son ami, nous prévenait de sa légèreté, et nous engageait à ne point nous fier à ce ton doux et hypocrite.

Il dit un jour à Rose, pendant que Casimir arrangeait ses lignes, et que nous étions tous autour de lui sur le bord de la rivière : « Ah ! ne l’écoutez pas ; il est capable de vous tromper. Si vous saviez le tour qu’il a joué à une jeune comtesse, pendant notre séjour en Allemagne, vous ne voudriez pas le revoir. — Quoi ! dit Casimir, vous songez encore à cette folie. Je l’ai payée bien cher : cette belle personne n’a plus voulu entendre parler de moi. C’était une sotte qui ne savait pas plaisanter. — Voulez-vous, Mesdames, répliqua Léon en riant, que je vous conte cette histoire ? Elle vous fera connaître, mon ami ; il n’est pas mal de se prémunir contre ses malices.

« Pendant notre séjour en Allemagne à M***, nous fûmes présentés, Casimir et moi, dans une famille respectable où nous eûmes le bonheur de recevoir l’accueil le plus gracieux ; nous réussîmes si bien, qu’au bout de quelque temps nous étions traités comme les amis de la maison, et y jouissions de cette aimable intimité qui fait le charme de la vie. L’opulence des parens, les talens de deux filles fort jolies, réunissaient une société nombreuse et choisie. L’aînée, très-bonne musicienne, nous demandait sans cesse si nous étions musiciens. Casimir, impatienté de la question, répondit un jour qu’il avait appris autrefois à jouer du piano, mais qu’il croyait l’avoir oublié. — Oh ! je veux vous donner des leçons. Voilà un morceau facile et nouveau, il faut l’essayer. C’était une tyrolienne fort à la mode.

D’un air très-gauche, monsieur met ses doigts sur les touches, et ce début promet peu de succès. Cependant l’aimable professeur ne se décourage point. La patience de tous deux s’exerce mutuellement pendant quinze jours de suite. Tous les matins à la même heure, l’écolier docile arrivait timidement prendre sa leçon, recommençait sans cesse le même passage, et plus d’une fois impatienta la douce allemande au point de lui donner l’idée de renoncer à sa tâche pénible. Cependant, découvrant en lui quelques dispositions, elle ne se rebuta pas, et se flatta qu’un jour il pourrait jouer l’air favori, en petit comité.

Enfin après ce terme, arriva le jour d’un grand concert. Les plus fameux artistes y étaient invités ; les amateurs les plus distingués remplissaient la salle ; la musique était divine, ravissante ; et l’on ne se lassait pas d’applaudir un célèbre concerto, lorsque mon ami, s’approchant de son joli maître de musique, lui dit tout bas avec gaieté : « Je crois que voici le moment de vous faire honneur, je vais jouer mon air. — Oh ciel ! s’écria la jeune comtesse, y pensez-vous ? Vous ne pouvez pas jouer devant ces messieurs, vous n’êtes pas sûr de vous. — Allons, dit-il, je ferai de mon mieux ; » et, malgré ses instances, il se mit au piano. Ne pouvant le retenir, elle s’éloigne au fond du salon, en disant à sa sœur : « Il se perdra, il va me faire quelque affront ! »

Chacun reprend sa place, tout le monde écoute dans le plus profond silence : Casimir prélude et joue assez bien sa tyrolienne, et même beaucoup mieux que ne l’espérait le professeur tremblant. Mais voici bien une autre surprise ! Se servant habilement du même motif, il varie l’air à l’infini ; tantôt ses doigts agiles précipitent le mouvement, et peignent les élans de la joie vive et folâtre ; tantôt ralentissant la mesure, ses modulations vont réveiller dans l’ame les passions les plus touchantes. Il parcourt son clavier avec tant de légèreté, tant d’expression, que chacun éprouve une émotion délicieuse, et la salle retentit d’applaudissemens. On s’empresse de payer le tribut d’éloge et d’admiration dû à un talent si merveilleux ; l’on veut savoir le nom du maître qui a développé une si brillante exécution. Casimir se lève, se retourne, et nomme la comtesse.

Mais quelle figure faisait alors l’aimable comtesse ! Il serait difficile de la peindre : debout, l’air stupéfait, les mains élevées, elle s’écriait : « Comment, Monsieur ! pendant quinze jours j’ai été votre dupe ! Vous avez eu la cruauté de me faire répéter tous les matins vingt fois les mêmes notes ! » Casimir répondit en souriant : « Eh ! comment aurais-je obtenu de vous un entretien d’une heure tous les matins sans ce petit stratagème ? Il doit m’obtenir ma grâce. Ah ! madame, accordez-moi mon pardon. » Il pria vainement, rien ne put calmer l’amour-propre blessé de cette jeune personne ; et bientôt nous quittâmes l’Allemagne, Casimir y laissant la réputation d’un trompeur et d’un mauvais plaisant, mais d’un très-bon musicien.

Tout le monde convint que Casimir était un homme dangereux, et qu’il fallait se garder de tomber dans ses filets, lorsqu’il nous fit signe de la main de nous taire, parce que nous faisions fuir le poisson. Il était si occupé de sa besogne, qu’il n’avait pas paru prendre part à la conversation, et nous nous éloignâmes pour le laisser pêcher en liberté.

Deux mois s’écoulèrent ainsi : je vivais dans un vague d’idées dont je ne me rendais pas compte ; mais je me trouvais assez heureuse. Je jouissais du présent : un voile s’étendait sur l’avenir. L’air de satisfaction répandu sur la personne de Léon lorsqu’il s’approchait de moi, me causait un doux saisissement qui embellissait toute ma journée ; enfin je m’occupais de lui, et j’allais en épouser un autre !

Ma future belle-mère ne guérissait point, et M. Desmousseaux attendait le retour d’une santé si chancelante pour célébrer le mariage de son fils.

Mon oncle, contrarié d’attendre, et prévoyant que la malade succomberait, voulait que la noce se fît de son vivant sans cérémonie.

Adrien le désirait vivement, et m’en parlait quelquefois. Je rougissais et répondais toujours : « Votre mère est si mal ! Attendons encore. »

La maladie empira tellement que madame Desmousseaux touchait à ses derniers momens, et qu’elle n’avait plus que quelques heures à vivre. Elle me demanda. Son fils tout en alarmes accourut chez mon oncle, et me prenant par la main : « Venez, Albertine, me dit-il les yeux baignés de pleurs, venez embrasser ma mère, la vôtre ! Elle est bien mal et veut vous voir. » Je frémis, je devins pâle, je n’avais pas la force de marcher : Adrien me soutint et me conduisit au chevet du lit de sa mère. Elle était entourée de ses enfans et de son mari. Aussitôt qu’elle m’aperçut, elle dégagea une de ses mains que tenait sa fille aînée, et me la tendant avec sensibilité : « Chère Albertine, chère fille, dit-elle, en serrant la mienne, recevez la bénédiction de votre mère, rendez mon fils heureux, et je meurs tranquille. »

Ce spectacle, les larmes, les sanglots qui seuls interrompaient le silence après ces mots redoutables, me firent une impression si forte que je me jetai à genoux, je saisis ses mains tremblantes, je les arrosai de mes larmes en m’écriant : « Vivez ! vivez ! » Et je tombai sans connaissance sur le parquet.

Mon évanouissement prouva à tout le monde que je me croyais déjà de la famille, que j’étais aussi affligée qu’elle, et personne ne devina la véritable cause de mon désespoir.

Madame Desmousseaux mourut dans la nuit, heureuse de laisser sur la terre un fils dont elle venait d’assurer le bonheur !

Madame Blanchard entra dans ma chambre le lendemain matin, et me dit d’un ton emphatique : « Eh bien ! Mademoiselle, les jours se suivent et ne se ressemblent pas ! Chacun son tour dans ce monde : madame Desmousseaux est morte cette nuit, quelque temps après votre départ. Je n’ai pas voulu qu’on entrât chez vous, désirant vous préparer moi-même à ce triste évènement. On ne sait que trop tôt les mauvaises nouvelles. » J’étais levée depuis long-temps, je n’avais pas fermé l’œil pendant la nuit ; je m’attendais à cette nouvelle, et cependant j’en fus accablée. « Les filles de madame Desmousseaux sont bien affligées, reprit-elle ; mais M. Adrien, oh ! c’est un chagrin ! Il n’y a que son mariage qui pourra le consoler. Ma foi, si celui-là est aussi bon mari que bon fils, il y aura du bonheur à être sa femme. À propos, votre oncle est furieux. Il dit que vos noces auraient dû se faire il y a un mois, que le deuil va en retarder la cérémonie. Ne voilà-t-il pas un contretemps bien fâcheux ? Mon Dieu, on ne saurait trop se presser de marier les demoiselles quand elles sont promises ; on ne sait jamais ce qui peut arriver. » La circonstance d’un deuil ne s’était point encore présentée à mon esprit. Cette idée me causa un grand soulagement. J’entrevis sur-le-champ la perspective d’un délai certain, et je dis en moi-même, selon mon habitude : Espérons ; gagner du temps est un grand avantage.

En province, la durée du deuil est observée sévèrement. Ce n’est pas toujours la preuve d’une véritable affliction ; mais y manquer serait une sorte d’impiété, de sacrilège qui rendrait odieux ceux qui l’oseraient : aucun évènement ne doit en interrompre le cours. Un voyage lointain pourrait seul autoriser la célébration d’un mariage en habit de deuil ; or, je savais qu’Adrien lie devait point voyager ; ainsi je me flattais d’avoir six mois complets avant de songer à notre union. Six mois sont un siècle pour la jeunesse qui redoute, comme pour celle qui espère. Mon ame, un peu remise de ses oscillations, n’éprouva plus que cette tristesse qui me laissait la faculté de m’occuper de celle de mes amis.

Mes amies n’avaient jamais quitté leur mère, et ne pouvaient s’accoutumer à l’idée de ne plus la revoir. On est bien plus uni dans la solitude des champs que dans le tourbillon des villes, où mille distractions séparent ceux qui vivent ensemble : une personne de moins dans une famille y cause un ravage effroyable. Une famille vivant dans la retraite offre l’image d’un vaisseau faisant sa route sur une mer paisible ; s’il survient un orage, une mort, tous les passagers sont en désordre, et le temps seul ramène parmi eux et le calme et la paix.

Adrien, occupé à regretter la meilleure des mères, ne cessait de me répéter qu’elle avait exhalé son dernier soupir en me chargeant du bonheur de son fils ! Je pleurais avec lui ; mon cœur oppressé soupirait tristement, et je pensais tout bas : Hélas ! il est écrit que je serai sa femme !

Mon oncle avait de l’humeur depuis la mort de madame Desmousseaux. Ce grand deuil était pour lui un obstacle insurmontable. Il ne pouvait cependant m’en vouloir : j’étais si soumise, si obéissante, qu’il ne pouvait, au contraire, que se louer d’une nièce occupée à réparer les sottises de sa famille.

Je ne vis point Léon ni son ami les premiers jours de la perte que nous venions de faire ; ils étaient partis plusieurs jours avant l’évènement avec madame de Genissieux pour aller voir une de ses sœurs à quelque distance de Saint-Marcel. Aussitôt après leur retour, madame de Genissieux accourut pour prendre part à mon chagrin. Elle avait toujours aimé sa voisine, quoiqu’elle lui reprochât de n’être jamais sortie de son village, et nous la pleurâmes sincèrement ensemble.

« Je ne suis pas contente de vous, dit-elle en me regardant, vous êtes changée. Que devient Adrien ? Savez-vous que mon neveu le trouve plein de bonnes qualités. Il croit qu’il vous aime beaucoup, mais il ajoute que vous le traitez froidement, et que, s’il était à sa place, votre indifférence le rendrait le plus malheureux des hommes. » Mon excessive rougeur, mon air embarrassé, firent croire à madame de Genissieux que je m’offensais de la remarque de Léon, et elle reprit à l’instant : « Soyez tranquille, je l’ai bien convaincu qu’il avait tort, et il croit à présent que vous aimez Adrien de tout votre cœur. — Il le croit ? repliquai-je. — Oui, ma chère, me répondit-elle étonnée. » Je m’aperçus de ma faute, et je répétai : « Il le croit, et qu’importe, Madame ? — Vous avez raison, s’écria-t-elle, cela vous est très-indifférent ; c’est moi qui ai tort de vous en parler : mais laissons ce sujet, et songeons à la commission dont mon neveu m’a chargée auprès de vous. — Auprès de moi ! — Oui, ma chère amie. Léon est un homme charmant, un homme du monde ; il en connaît tous les usages. Il est impatient de vous revoir ; c’est tout simple, il sait que je vous aime : mais il craint d’être indiscret ; dans ces chagrins de famille, dans ce deuil général, il n’ose pas venir au château. Recevez donc tous ses vœux pour votre bonheur, et sa visite quand vous voudrez. — Je balbutiai : Je serai… Mon oncle sera charmé de revoir M. le baron d’Ablancourt. — Voyez vous, dit-elle en riant, comme elle a l’air fâché contre lui. Allons, ma chère Albertine, oubliez ce que je vous ai dit. Léon sait qu’il se trompait, et que vous aimez beaucoup votre prétendu. Adieu, je vais voir M. de Saint-Albe. » Et elle sortit. Je restai immobile à ma place. Une foule de pensées se pressaient tumultueusement dans mon ame, et absorbaient toutes mes facultés.

J’entendis un peu de bruit à ma porte : elle s’ouvrit, et je vis entrer les deux sœurs d’Adrien. Frappées de me voir dans une si grande agitation, elles me prirent par la main et me forcèrent de m’asseoir à côté d’elles. « Vous n’êtes pas raisonnable, Albertine, me dit l’aînée d’un ton plein d’amitié ; ne pleurez pas seule notre mère, mais pleurons-la toutes les trois ensemble. — Mon frère, dit la cadette, serait trop affligé, s’il vous voyait si accablée. »

Nous descendîmes dans le jardin où nous retrouvâmes madame de Genissieux et mon oncle. La conversation était établie sur les préjugés de la province, auxquels il faut se soumettre malgré soi. Ce temps de deuil paraissait trop long à madame de Genissieux ; elle aurait voulu l’abréger pour nous, et regrettait Paris, séjour délicieux, où la société sait se mettre au-dessus d’une infinité d’usages puérils et ridicules, pays où le deuil n’est un obstacle à rien, où l’on fait ce qui plaît, où personne ne se mêle de vos affaires. « Moi, j’y étais comme dans mon pays natal ; c’est tout naturel, j’ai toujours aimé le grand monde. La province me fait mal au cœur. Vous avez habité Paris, vous, mon voisin, voilà pourquoi je vous aime. » Elle continua long-temps sur un sujet si agréable, et son raisonnement me prouva que, malgré son aversion pour les préjugés, il y en avait quelquefois d’utiles à quelque chose.

Pendant que je faisais cette réflexion, je vis arriver ces trois messieurs. Léon tenait Adrien par la main, et le conduisant devant moi : « Permettez-moi, Mademoiselle, me dit-il en me saluant, de vous présenter mon excuse ; c’est M. Desmousseaux qui nous amène avant de savoir si vous voulez recevoir notre hommage. » Je le saluai en répondant que nous étions charmés de les revoir. « Très-bien, très-bien, dit madame de Genissieux à son neveu, c’est adroit ; il faut s’adresser à Adrien pour réussir. — Cela ne vous surprend pas, Madame, répondit Adrien. » Puis se tournant vers moi, il ajouta, pour me remettre de l’émotion où il me voyait : « J’ai rencontré ces messieurs qui faisaient des façons pour venir vous voir, et je les ai obligés à agir sans cérémonie comme à la campagne. » Mon oncle s’empara d’eux, selon son habitude, et nous les perdîmes bientôt de vue.

« Adrien est le meilleur des hommes, me dit madame de Genissieux quand nous fûmes seules, il vous aime de tout son cœur ; je crois que vous serez très-heureuse avec lui. Je suis bien contrariée pour lui de ce deuil éternel. J’ai beaucoup parlé à votre oncle sur ce sujet. Vous voyez que je suis l’avocat d’Adrien. — Vous avez bien raison de plaider pour lui, Madame, dit madame Duperay. Albertine est si réservée qu’on croirait quelquefois qu’elle est indifférente ; mais elle est si bonne qu’on lui pardonne, et qu’on l’aime chaque jour davantage. — Pour moi, répliqua Rose, je ne conçois pas cette cruelle Albertine. À sa place je serais si contente de devenir une dame ! Oh ! je ne lui ressemblerai pas, moi : il est vrai que je suis trop étourdie. Mais savez-vous une chose, Mesdames ? c’est que mon frère admire tout dans Albertine, et qu’il ne voudrait pas qu’elle fût autrement ; ainsi de quoi nous plaignons-nous ? Laissons-la telle qu’elle est, et retournons près de ces messieurs. Les contes que me fait M. Casimir m’amusent beaucoup. »

Nous nous réunîmes, et la journée s’écoula rapidement.