Agrippa d'Aubigné - Œuvres complètes tome troisième, 1874/PREFACE

PREFACE.


Prens ton vol, mon petit livre,
Mon filz qui fera revivre
En tes vers & en les jeuz,
En tes amours, tes feintises,
Tes tourments. tes mignardises,
Ton pere comme je veulx.

Atan’ je te veux aprendre
Quel chemin il te fault prendre,
Premier que de desloger,
Je te veux compter les peines,
Tes rencontres & les haines,
Ta fortune & ton danger.

C’est ainsi qu’un pere sage
Donne à son enfant courage,
Luy prédisant l'advenir,
Et le mal à l’improviste
L’eust rendu beaucoup plus triste
Que quant il l’a veu venir.


Je ne te donne, mon livre,
Un nom pour te faire vivre,
Je renvoie seulement
A ceulx là, mon cher ouvrage,
Qui, aux tretzr de ton visage,
Te congnoistront aisement.

Je ne metz pour ta deffence
La vaine & brave aparence,
Ny le secours mandié
Du nom d’un Prince propice
Qui monstre en ton frontispice
A qui tu es dédié.

Livre, celuy qui le donne
N’est esclave de personne :
Tu seras donc libre ainsi
Et dédié de ton pere
A ceux à qui tu veux plaire
Et qui te plairont aussi.

Si on trouve que ta face
N’ait les beaux traits & la grace,
Ny l'air de tes compagnons
Qui sentent le temps & l’aise,
La faveur, la feinte braize,
L’heur de leurs peres mignons,

Tu es du fons des orages,
Des guerres & des voiages
Avorté, avant les jours,
D’une ame plaine d’angoisse,
Né dessoubz neuf ans de presse
Ny de la patte de l'ours.


Or je veux que tu endures
Les blasmes & les injures
Du sot & du bien apris,
Que bien souvent le passage
Qui sera loué du sage
Du vulgaire soit repris.

S’il t'est force de desplaire
Au plus rude populaire
Pour n’estre d’eux entendu,
Di leur qu’ilz aillent aprendre
La raison à le reprendre
Aux ignorans deffendu.

Garde que les chambrières
De tes rimes familieres
Ne chantent par les marchez ;
Soubz couleur d’estre facile,
Ne fais pas riche ton stille
De proverbes emmanchez.

La nourrice qui devise,
Et la garce qui tamise,
Et l’yvrogne en son repas
Chantent bien des choses belles,
Mais quant il les trouvent telles,
Elles ne me plaisent pas.

Je fuis aux mains en furie
Quant j’entre en l’outellerie
Et j’oy’ chanter les valets
De bons vers ; une tempeste
De fourches volle à la teste
Et de manches de balais.


Une vieille maquerelle
Me dressa une querelle
Passant en poste à Chalon,
Soutenant sa chambrière
Qui parloit d’une courriére
Et de seur d’Apollon.

J’enrage que ma Diane
Passe en la bouche prophane
Du vulgaire sans renom,
Car je n’escris autre chose
Et le plus souvent je n’ose
Par respect nommer son nom.

Pour facille ne te faire,
Mon filz, ne prens le contraire,
Car tu dois plus desirer
De contenter que desplaire,
Et vault beaucoup mieux se faire
Bien entendre qu’admirer.

Ces périfrases obscures
Sont subjectes aux injures,
Et on leur peut répliquer
En les reduisant en cendre :
« Tu ne veux te faire entendre,
Je ne veux pas expliquer. »

Avecq’ plus de patience
Repren' la rude ignorance
D’un mal apris artisan
Qu’une morgue trop ponpeuse
Et la dent anbitieuse
D’un esventé courtisan


Qui en sa main feneante
Traine une parolle lente,
Quant je prononce le vers
Qui vient d’une humeur gaillarde,
Il se sourit, il se regarde
Et n’entend que de travers.

Tantost il branle la teste
Et puis long-temps il s’arreste
Sur le mot le plus aisé,
Il coule le difficile,
Il remarque & fait l’abille,
Le dous, le bien avisé.

Mon filz, je te feray preuve
De pere, si je te treuve
Captif d’un de ces vilains,
Et, fust il suivy de quatre,
A la charge de me battre,
Je t’hosteray de leurs mains.

Que je souffre qu’on te lise
Comme une prose d’Eglise,
Sans me jetter à travers !
Non, j’aime mieux qu’on m’assomme :
Puis je croy qu’un vaillant homme
Ne sauroit mal lire un vers.

Ces sots bronchent à toute heure
Sur la rime la meilleure
Et le vers le mieux polly ;
Enfin toute leur sentence
Ce sera que Monsieur pence
Que cela est bien jolly.


Tandis le moqueur admire
Le vers qu’il ne sauroit lire
Sans à part soy l’estimer,
Ce beau liseur qui efface
Autant comme il peut la grace
Du vers qu’il ne peut aymer.

Prens ton renvoy, ton refuge
A Ronsard ou un tel juge ;
Pour faire ton procès court.
Ta cause est assez obscure,
Et pour juge elle n’endure
Tous les singes de la court.

Ceste Epitette ne blesse
Ceux là desquels la sagesse
Fait les autres singiser,
Les courtisans que le reste
Seullement imite en geste,
Et non point à mespriser.

Tu verras l’outrecuidance
Des soldats de l’ignorance
Qui superbes, bien vestus,
Qui ne servent que Princesses,
Parent leurs cors de richesses,
Non leur esprit de vertu.

Je voy' l’ignorant bravache
Qui refrisant sa moustache
Et fronçant un hault sourcy
Dit aux Dames qui le fraisent
Que les poètes luy desplaisent,
Mais il leur desplaist aussi.


On voit aujourduy qu’en France
Ceste peste d’ignorence
A l'air & le peuple espris ;
Elle est faite Epidémie,
Elle est des Princes l'amie,
Rarement de leurs espris.

Si plus heureux tu te monstres
En sentences, en rencontres,
Tu es boufon ou badin,
Et celui qui danse agile
De grace, est par la vile
Recongneu pour baladin.

Celui qui en Italye
Usa le tiers de sa vie
Aux armes est escrimeur ;
L’hystorien venerable
N’est qu’un raconteur de fable,
Et le poète un rimeur.

Le vulgaire fasche & pique
Ceux qui aiment la musique
Et poussent le lut divin ;
La philosophique vie
N’est que souffler l'alquemie,
Et l'astronome est devin.

L’Escuyer n’est qu’une fable
A celuy qui n’est semblable,
Et a nom piqueur si bien
Que tous ceulx là que l’on nomme
Digne, honneste ou gallant homme.
Sont ceux qui ne savent rien.


Si quelqu’un trop militaire
En fait plus que le vulgaire,
Ce n’est pour tout qu’un soldart,
Si hazardeux & habille
II surprend chasteau ou ville,
C’est un joueur de petard.

Le vice ha en ceste sorte
Ruiné la vertu morte,
La blasmant de cent façons ;
Ce sont loix de l’ignorance
Que les hommes de science
Ne sont pas mauvais garsons.

Ce point demeure à debatre,
On a veu assez combatre
En ceste horrible saison ;
Là, l’ignorant a fait preuve
Quel cueur au docte se treuve
Par effect, non par raison.

A l’ignorant est ravie
Mourant l’une & l’autre vie,
Le docte prend sur le port
D’Acheron l'ame seconde,
Et toute valleur se fonde
Sur le mespris de la mort.

Les chefz de la vieille Eglise,
David apres un Moise,
Furent poetes & rimeurs
Et nous ont laissé leur gloire
Par les vers & par l'istoire
Et du grand Dieu les faveurs.


Nos braves & leurs bravades
Imitent leur Estacades.
Mais helas ! ilz n’ont pouvoir
D’acoster leur renommee
De la main docte ou armee
De valeur ny de savoir.

J’amais n’a flory empire
Qui n’ait choisi au bien dire
Les Peres & Senateurs :
De ceux là les Capitaines,
Ceux là en Romme, en Athenes
Ont esté les Dictateurs.

Le Conquerant Alexandre
J’amais ne fut las d’aprendre,
Non plus que de conquérir ;
Son chevet fut d’un Homere :
Aussi le temps n’a seu faire
Par la mort son nom mourir.

Les Grecques antiques vies
Qui nous causent tant d’envies
Et la pluspart des Cesars
Sont les subgetz de noz larmes :
Des ars ils armoient leurs armes,
Paroient les armes des ars.

Nous mesprisons la science,
C’est pourquoy en ceste France
Pourrist notre nom pressé.
On nous trouve gallans hommes,
Mais on ne sait qui nous sommes
Quant le Danube est passé.


Du lion l'outrecuidance
Est la valleur sans science ;
L’ours & le tigre estranger
Sont bien plus vaillans que l’homme
Qui court là où on l'assomme,
Sans cognoiftre le danger.

Mon filz, laisse en l’ignorence
L’ignorente outrecuidence,
Ces brutaux entendemens,
Pour faire abaisser leurs mynes,
Je les fais croire par signes,
Et non pas par arguments.

De là tu viens aux Zoilles,
Plus ruzés & plus habilles
A espier en tes vers
S’il fera en leur puissance,
De ta droite intelligence
Tourner le sens de travers.

Je veux que tu tiennes teste
Par chasque responce preste
A ceft afamé troupeau,
Si bien que leur dent chenine
Ne pince, ronge & ne myne
Pour un double, de ta peau.

Les Dieux t'ont esleu, mon livre,
Pour un astre qui fait vivre
Le nom de ton pere aux Cieux :
Ta force n’est pas subgecte
A ceste envieuse secte,
Car tu es eslu des Dieux.


Ce n’est la troupe premiere
Des astres qui la lumiere
Ofusque des survenans,
Mais oui bien les vaines rages
Des inutiles nuages
Que les vens vont premenans.

Ce seront obscurs poetastres,
Non pas les clairs feuz des astres
Qui voudront te faire ennuy ;
Ceux qui desja ont acquise
La gloire & louange exquise
N’en cherchent plus sur autruy.

Donc plumes envenimees,
Nuages plains de fumees,
Le vent vous vient emporter ;
C’est grand honneur à mon livre
Que ceux que l’envie enivre
Peuvent ses faultes compter.