Traduction par Eugène Talbot.
Œuvres complètes de XénophonHachetteTome 2 (p. 455-456).



CHAPITRE X.


Agésilas est le modèle de toutes les vertus.


Voilà pourquoi je loue Agésilas. Ce n’est pas ici un homme qui a trouvé un trésor, et qui devient plus riche, sans être plus économe[1], qui a vaincu ses ennemis affaiblis par une contagion, et qui est plus heureux, sans être meilleur général. Mais le premier par la patience quand il faut travailler, le plus énergique quand il s’agit de combattre, le plus prudent quand il faut délibérer, voilà celui que j’appelle avec raison un grand homme, voilà celui que j’estime un héros accompli ! Si c’est une belle invention pour les hommes que la règle et le niveau pour diriger les bons ouvrages, la vertu d’Agésilas me paraît un beau modèle pour ceux qui veulent s’exercer à l’honnêteté. Le moyen, en effet, de devenir impie, quand on a devant soi le modèle de la piété ; injuste, celui de la justice ; insolent, celui de la modération ; débauché, celui de la tempérance ? Car il était moins fier de régner sur les autres que de se commander à lui-même ; de mener ses concitoyens contre les ennemis que vers toute vertu.

Au reste, parce que je le loue après sa mort, qu’on ne regarde pas ce discours comme une plainte funèbre[2] mais plutôt comme un éloge : ce qu’il pouvait entendre vivant, je ne fais que le répéter ici ; Et d’ailleurs, quoi de moins fait pour une plainte funèbre qu’une vie glorieuse et une mort qui vient à son heure ? Quoi de plus digne d’éloges que de belles victoires et d’importants exploits ? On aura donc raison de le proclamer heureux, lui qui, brûlant, dès sa jeunesse, de se faire un nom, s’est rendu plus illustre qu’aucun de ses contemporains ; lui qui, naturellement avide de gloire, ne fut jamais vaincu, du moment qu’il fut roi ; lui qui enfin, parvenu au plus grand âge accordé à l’homme, est mort irréprochable aux yeux de ses sujets et de ceux qu’il avait combattus.



  1. Allusion à quelque anecdote ou à quelque personnage de fable ou de comédie.
  2. Littéralement un thrène, espèce de chant funèbre.