Advis pour dresser une bibliothèque/Chapitre 6

la disposition du lieu où on les doit garder.

cette consideration du lieu qu’il faut choisir pour dresser et establir une bibliotheque, devroit bien estre d’aussi long discours comme les precedentes, si les preceptes que l’on en peut donner pouvoient estre aussi facilement executez comme ceux que nous avons deduits et expliquez cy-dessus. Mais d’autant qu’il n’appartient qu’à ceux-là qui veulent bastir des lieux exprés pour cet effet d’y observer precisément toutes les regles et circonstances qui dependent de l’architecture, beaucoup de particuliers estans contraints de se regler sur la diverse façon de leurs logemens pour placer leurs bibliotheques au moins mal qu’il leur est possible, il sembleroit quasi superflu d’en prescrire aucuns : et à dire vray je croy que c’est la seule occasion qui a meu tous les architectes à ne rien adjouster à ce qu’en avoit dit Vitruve. Toutesfois pour ne donner cet advis manque et imparfait, j’en diray briefvement mon opinion, afin qu’un chacun s’en puisse servir suivant qu’il en aura le pouvoir, ou qu’il la jugera veritable et conforme à sa volonté.

Pour ce qui est donc de la situation et de la place où l’on doit bastir ou choisir un lieu propre pour une bibliotheque, il semble que ce commun dire, (…), nous doive obliger à le prendre dans une partie de la maison plus reculée du bruit et du tracas, non seulement de ceux de dehors, mais aussi de la famille et des domestiques, en l’éloignant des ruës, de la cuisine, sale du commun, et lieux semblables, pour la mettre s’il est possible entre quelque grande court et un beau jardin où elle ait son jour libre, ses veuës bien estenduës et agreables, son air pur, sans infection de marets, cloaques, fumiets, et toute la disposition de son bastiment si bien conduitte et ordonnée, qu’elle ne participe aucune disgrace ou incommodité manifeste.

Or pour en venir à bout avec plus de plaisir et moins de peine, il sera tousjours à propos de la placer dans des estages du milieu, afin que la fraischeur de la terre n’engendre point le remugle, qui est une certaine pourriture qui s’attache insensiblement aux livres ; et que les greniers et chambres d’enhaut servent pour l’empescher d’estre aussi susceptible des intemperies de l’air, comme sont celles qui pour avoir leurs couvertures basses ressentent facilement l’incommodité des pluyes, neiges et grandes chaleurs. Ce que s’il n’est pas autrement facile d’observer, au moins faut-il prendre garde qu’elles soient élevées de la hauteur de quatre ou cinq degrez, comme j’ay remarqué que l’estoit l’ambroisienne à Milan, et le plus haut exaucées que l’on pourra, tant à raison de la beauté que pour obvier aux incommodités susdites : sinon le lieu se trouvant humide et mal-situé, il faudra avoir recours ou à la natte, ou aux tapisseries pour garnir les murailles, et au poisle ou bien à la cheminée, dans laquelle on ne bruslera que du bois qui fume peu pour l’eschauffer et desseicher pendant l’hyver et les jours des autres saisons qui seront plus humides.

Mais il semble que toutes ces difficultez et circonstances ne soient rien au prix de celles qu’il faut observer pour donner jour et percer bien à propos une bibliotheque, tant à cause de l’importance qu’il y a qu’elle soit bien esclairée jusques à ses coins plus éloignez, qu’aussi pour la diverse nature des vents qui doivent y souffler d’ordinaire, et qui produisent des effects aussi differents que le sont leurs qualitez et les lieux par où ils passent. Sur quoy je dis que deux choses sont à observer ; la premiere, que les croisées et fenestres de la bibliotheque (quand elle sera percée des deux costez) ne se regardent diametralement, sinon celles qui donneront jour à quelque table ; d’autant que par ce moyen les jours ne s’esvanoüyssant au dehors, le lieu en demeure beaucoup mieux esclairé. La seconde, que les principales ouvertures soient tousjours vers l’orient, tant à cause du jour que la bibliotheque en pourra recevoir de bon matin, qu’à l’occasion des vents qui soufflent de ce costé, lesquels estans chauds et secs de leur nature rendent l’air grandement temperé, fortifient les sens, subtilisent les humeurs, espurent les esprits, conservent nostre bonne disposition ; corrigent la mauvaise, et pour dire en un mot sont tres-sains et salubres : où au contraire ceux qui soufflent du costé de l’occident sont plus fascheux et nuisibles, et les meridionaux plus dangereux que tous les autres, parce qu’estans chauds et humides ils disposent toutes choses à pourriture, grossissent l’air, nourrissent les vers, engendrent la vermine, fomentent et entretiennent les maladies, et nous disposent à en recevoir de nouvelle ; aussi sont-ils appellez par Hippocrate, (…), parce qu’ils remplissent la teste de certaines vapeurs et humiditez qui espaississent les esprits, relaschent les nerfs, bouschent les conduits, offusquent les sens, et nous rendent paresseux et presque inhabiles à toutes sortes d’actions. C’est pourquoy au defaut des premiers il faudra avoir recours à ceux qui soufflent du septentrion, et qui par le moyen de leurs qualitez froide et seiche n’engendrent aucune humidité, et conservent assez bien les livres et papiers.