Traduction par A.-F. d’Albert-Durade.
É. Dentu — H. Georg (tome IIp. 364-367).

CHAPITRE LV

les cloches du mariage

Un peu plus d’un mois après cette réunion sur la colline, par une humide matinée de la fin de novembre, Adam et Dinah furent mariés.

Ce fut un grand événement dans le village. Tous les ouvriers de M. Burge, ainsi que ceux de M. Poyser, eurent congé, et la plupart se présentèrent à la noce dans leurs meilleurs habits. Je crois qu’il y eut à peine un habitant d’Hayslope nommé dans cette histoire, et résidant encore dans la paroisse pendant cette matinée de novembre, qui ne fût dans l’église pour voir marier Adam et Dinah, ou près de la porte pour les saluer à leur sortie. Madame Irwine et ses filles attendaient vers le cimetière, dans leur voiture (car elles avaient une voiture maintenant), pour toucher la main de l’époux et de l’épouse, et leur offrir des vœux de bonheur. En l’absence de miss Lydia Donnithorne, qui était à Bath, madame Best, M. Mills et M. Craig avaient trouvé convenable de représenter à cette occasion la famille du château. Le chemin à travers le cimetière était complétement bordé de figures amies, plusieurs desquelles avaient été des premières à voir Dinah lorsqu’elle avait prêché sur la Pelouse. Il n’y a rien d’étonnant à ce que tous lui montrassent un vif intérêt au matin de son mariage, car rien de semblable à Dinah et à l’histoire qui l’avait mise en rapport avec Adam Bede ne s’était vu à Hayslope de mémoire d’homme.

Bessy Cranage, dans son bonnet et sa robe les mieux arrangés, pleurait sans savoir précisément pourquoi, car, ainsi que le suggérait judicieusement son cousin Ben le Vif, qui était près d’elle, Dinah ne s’en allait pas ; et si Bessy avait l’esprit découragé, la meilleure chose qu’elle pût faire était de suivre l’exemple de Dinah et d’épouser un honnête garçon qui y était tout disposé. À côté de Bessy, en dedans de la porte de l’église, étaient les enfants Poyser, guettant par-dessus les bancs, pour tâcher d’apercevoir quelque chose de la mystérieuse cérémonie. Le visage de Totty avait un air inaccoutumé d’inquiétude à l’idée de voir revenir sa cousine Dinah la figure plus âgée, car, pour Totty, aucune personne mariée n’était jeune.

Je leur envie à tous la scène qu’ils virent lorsque la bénédiction, étant convenablement terminée, Adam conduisit Dinah hors de l’église. Elle n’était pas vêtue de noir ce matin, car sa tante Poyser ne voulut, sous aucun prétexte, lui permettre d’encourir une telle chance de malheur, et lui avait fait présent de son costume de noce, fait d’étoffe grise mais coupé à la manière des quakers, car, sur ce point, Dinah n’avait rien voulu céder. Sous son chapeau gris de quakeresse son visage de lis montrait une douce gravité sans sourire ou rougir, mais avec des lèvres tremblant légèrement sous le poids de l’impression de ses sentiments solennels. Adam, pressant son bras contre lui, marchait se tenant droit, suivant son ancienne habitude, et la tête plutôt relevée comme pour mieux envisager le monde entier ; mais ce n’était point parce qu’il était particulièrement fier en ce jour, comme c’est la coutume des mariés, car son bonheur était d’une espèce qui dépend peu de l’opinion des hommes. Il y avait dans sa profonde joie une teinte de tristesse : Dinah le savait et n’en était point affectée.

Trois autres couples suivaient les mariés : d’abord, Martin Poyser, l’air aussi réjoui qu’un feu brillant dans cette matinée de brouillards, conduisant la tranquille Mary Burge, l’amie de noce ; puis Seth, heureux et serein, donnant le bras à madame Poyser ; puis, enfin, Bartle Massey avec Lisbeth, Lisbeth en robe et chapeau neufs, trop fière de son fils et trop heureuse de posséder la fille qu’elle avait tant désirée, pour trouver aucun prétexte de doléances.

Bartle Massey avait consenti à être de la noce sur les instances d’Adam, protestant, malgré cela, contre le mariage en général, et, en particulier, contre celui d’un homme sensé. Toutefois, M. Poyser le plaisanta après le repas, sur ce que dans la sacristie il avait donné à la mariée un baiser de plus qu’il n’était nécessaire.

Après ce dernier couple venait M. Irwine, le cœur content d’avoir pu, en cette matinée, bénir cette union souhaitée, car il avait vu Adam dans les jours les plus mauvais de son chagrin ; et quelle plus belle moisson ce triste temps de semence aurait-il pu produire ? L’amour chrétien qui avait porté l’espérance et la consolation dans les heures de désespoir, cet amour qui avait pénétré dans le sombre cachot et dans l’âme encore plus obscure de la pauvre Hetty, cet amour fort et aimable allait accompagner et soutenir Adam jusqu’à la mort.

Il y eut beaucoup de serrements de mains, de « Dieu vous protège ! » et d’autres bons vœux pour les quatre couples, à la porte du cimetière ; M. Poyser répondait pour tous avec une rare vivacité, car il avait à son commandement toutes les plaisanteries appropriées à un jour de noces. Même madame Poyser n’osait se fier à elle-même pour parler aux voisins qui lui serraient la main, et Lisbeth répondit par des pleurs à la première personne qui lui dit qu’elle rajeunissait.

M. Joshua Rann, légèrement atteint de rhumatisme, ne se joignit point à ceux qui sonnaient les cloches en cette matinée, et, regardant avec quelque dédain cette démonstration de joie à laquelle manquait la coopération officielle du clerc, commença à préluder de sa voix de basse : « Oh ! que c’est une chose joyeuse, » pensant à l’effet qu’il comptait produire le dimanche suivant dans le psaume du mariage.

« Voilà une nouvelle qui pourra un peu réjouir Arthur, dit M. Irwine à sa mère en retournant chez lui. La première chose que je ferai en arrivant à la maison sera de lui écrire. »