Actes et Paroles volume1 Notes Secours aux transportés



Actes et parolesJ. Hetzel & Cie1 (p. 214-216).


NOTE 4

secours aux transportés
14 août 1848.

Immédiatement après les journées de juin, M. Victor Hugo se préoccupa du sort fait aux transportés. Il appela tous les hommes de bonne volonté, dans toutes les nuances de l’assemblée, à leur venir en aide. Il organisa dans ce but une réunion spéciale en dehors de tous les partis.

Voici en quels termes le fait est raconté dans la Presse du 14 août 1848 :

« Tous les hommes politiques ne sont pas en déclin, heureusement ! Au premier rang de ceux qu’on a vus grandir par le courage qu’ils ont déployé sous la grêle des balles dans les tristes journées de juin, par la fermeté conciliante qu’ils ont apportée à la tribune, et enfin par l’élan d’une fraternité sincère telle que nous la concevons, telle que nous la ressentons, nous aimons à signaler un de nos illustres amis, Victor Hugo, devant lequel plus d’une barricade s’est abaissée, et que la liberté de la presse a trouvé debout à la tribune au jour des interpellations adressées à M. le général Cavaignac.

« M. Victor Hugo vient encore de prendre une noble initiative dont nous ne saurions trop le féliciter. Il s’agit de visiter les détenus de juin. Cette proposition a motivé la réunion spontanée d’un certain nombre de représentants dans l’un des bureaux de l’assemblée nationale ; nous en empruntons les détails au journal l’Événement.

« La réunion se composait déjà de MM. Victor Hugo, Lagrange, l’évêque de Langres, Montalembert, David (d’Angers), Galy-Gazalat, Félix Pyat, Edgar Quinet, La Rochejaquelein, Demesmay, Mauvais, de Vogüé, Crémieux, de Falloux, Xavier Durrieu, Considérant, le général Laydet, Vivien, Portalis, Chollet, Jules Favre, Wolowski, Babaud-Laribière, Antony Thouret.

« M. Victor Hugo a exposé l’objet de la réunion. Il a dit :

« Qu’au milieu des réunions qui se sont produites au sein de l’assemblée, et qui s’occupent toutes avec un zèle louable, et selon leur opinion consciencieuse, des grands intérêts politiques du pays, il serait utile qu’une réunion se formât qui n’eût aucune couleur politique, qui résumât toute sa pensée dans le seul mot fraternité, et qui eût pour but unique l’apaisement des haines et le soulagement des misères nées de la guerre civile.

« Cette réunion se composerait d’hommes de toutes les nuances, qui oublieraient, en y entrant, à quel parti ils appartiennent, pour ne se souvenir que des souffrances du peuple et des plaies de la France. Elle aurait, sans le vouloir et sans le chercher, un but politique de l’ordre le plus élevé ; car soulager les malheurs de la guerre civile dans le présent, c’est éteindre les fureurs de la guerre civile dans l’avenir. L’assemblée nationale est animée des intentions les plus patriotiques ; elle veut punir les vrais coupables et amender les égarés, mais elle ne veut rien au delà de la sévérité strictement nécessaire, et, certainement, à côté de sa sévérité, elle cherchera toujours les occasions de faire sentir sa paternité. La réunion projetée provoquerait, selon les faits connus et les besoins qui se manifesteraient, la bonne volonté généreuse de l’assemblée.

« Cette réunion ne se compose encore que de membres qui se sont spontanément rapprochés et qui appartiennent à toutes les opinions représentées dans l’assemblée ; mais elle admettrait avec empressement tous les membres qui auraient du temps à donner aux travaux de fraternité qu’elle s’impose. Son premier soin serait de visiter les forts, en ayant soin de ne s’immiscer dans aucune des attributions du pouvoir judiciaire ou du pouvoir administratif. Elle se préoccuperait de tout ce qui peut, sans désarmer, bien entendu, ni énerver l’action de la loi, adoucir la situation des prisonniers et le sort de leurs familles.

« En ce qui touche ces malheureuses familles, la réunion rechercherait les moyens d’assurer l’exécution du décret qui leur réserve le droit de suivre les transportés, et qui, évidemment n’a pas voulu que ce droit fût illusoire ou onéreux pour les familles pauvres. Le général Cavaignac, consulté par M. Victor Hugo, a pleinement approuvé cette pensée, a compris que la prudence s’y concilierait avec l’intention fraternelle et l’unité politique, et a promis de faciliter, par tous les moyens en son pouvoir, l’accès et la visite des prisons aux membres de la réunion ; ce sera pour eux une occupation fatigante et pénible, mais que le sentiment du bien qu’ils pourront faire leur rendra douce.

« En terminant, M. Victor Hugo a exprimé le vœu que la réunion mît à sa tête et choisît pour son président l’homme vénérable qu’elle compte parmi ses membres, et qui joint au caractère sacré de représentant le caractère sacré d’évêque, M. Parisis, évêque de Langres. Ainsi le double but évangélique et populaire sera admirablement exprimé par la personne même de son président. La fraternité est le premier mot de l’évangile et le dernier mot de la démocratie. »

« La réunion a complètement adhéré à ces généreuses paroles. Elle a aussitôt constitué son bureau, qui est ainsi composé :

« Président, M. Parisis, évêque de Langres ; vice-président, M. Victor Hugo ; secrétaire, M. Xavier Durrieu.

« La réunion s’est séparée, après avoir chargé MM. Parisis, Victor Hugo et Xavier Durrieu de demander au général Cavaignac, pour les membres de la réunion, l’autorisation de se rendre dans les forts et les prisons de Paris. »