Texte établi par Henri d’Arles, J.-A. K.-Laflamme (Tome 3p. 393-404).

CHAPITRE QUARANTE-CINQUIÈME


CONCLUSION


Pendant qu’ailleurs on fouille l’histoire pour faire revivre les souvenirs d’un passé depuis longtemps disparu, ici, comme il s’agissait d’un crime, ses auteurs ont essayé de les faire oublier en effaçant tout ce qui pouvait nous les rappeler : Beauséjour, Gaspereau, Grand Pré, Beaubassin, noms si harmonieux, si remplis de souvenirs, si familiers il y a un siècle et demi, n’existent plus que pour les amateurs d’histoire et d’antiquités. Pour retrouver où fut le village de Grand Pré, il faudrait des recherches patientes ; bientôt il ne restera plus rien, et les historiens de l’avenir se disputeront au sujet de l’emplacement de ces lieux, comme on se dispute aujourd’hui sur le site de Babylone, de Troie, et de tant d’autres villes de l’antiquité païenne. Mais il n’en sera pas ainsi de l’histoire de ce peuple. Ce chapitre perdu, détruit par des mains coupables, renaîtra ; l’histoire en sera reconstituée par les fragments échappés à la destruction. Le meurtrier n’échappe pas toujours à la peine de son crime, parce qu’il n’en a pas écrit les détails, parcequ’il les a effacés, ou parcequ’il ne l’a pas accompli à la lumière du jour. La justice, tardive quelquefois, parvient presque toujours à découvrir les trames les mieux ourdies, et à amener l’expiation. Cette expiation, malgré des efforts contraires, est en voie de se faire, et même elle est déjà arrivée, croyons-nous. Ces recherches se poursuivent encore, et, si les circonstances nous le permettent, nous nous efforcerons d’y contribuer pour notre part, et nous ne doutons pas que de nouvelles découvertes ne viennent bientôt déchirer tout-à-fait le voile qui obscurcit encore une partie de la vérité.

Si nous nous laissions entraîner par nos sentiments, nous voudrions que ce petit peuple acadien, dispersé, mais non anéanti, restât ce qu’il était autrefois, avec ses goûts simples et tout ce qui composait sa physionomie particulière chère à nos souvenirs ; mais la loi du progrès est là, se dressant devant lui, inexorable ; elle lui dit : marche ou tu seras distancé, écrasé peut-être ; il faut lui obéir, accélérer le pas, entrer en lutte, conquérir sa part du progrès ; conquête pénible cependant, qui hâtera sa disparition dans le grand tout homogène que prépare l’avenir. Mourir de sa victoire, tel est le sort lointain peut-être, mais inévitable, qui l’attend.

Le passé nous offre une leçon que nous ferions bien de méditer et de profiter. Elle s’applique non seulement au peuple Acadien, mais encore au clergé qui avait mission de le guider dans la voie spirituelle, et qui avait pouvoir pour le guider également dans la voie intellectuelle et le progrès. Avoir fait de lui ou contribué à en faire le peuple moral, sobre, laborieux, que nous connaissons, c’était certainement mériter grandement ; mais n’oublions pas que l’éducation est essentielle à l’avenir d’un peuple, elle l’était alors et l’est plus encore aujourd’hui. C’est cette simplicité naïve, résultat de l’ignorance, qui a été cause des projets formés contre lui et qui en a fait le jouet d’ambitieux sans conscience[1]. On ne s’attaque pas ainsi à toute une population, si elle est éclairée et trempée pour la lutte par une éducation convenable, qui lui permet de discerner les motifs de ceux qui veulent s’attaquer à ses intérêts, et de soutenir vigoureusement ses droits. Ce qui était vrai alors l’est bien davantage aujourd’hui. Il nous faut cette éducation virile et pratique qui permet à l’homme de compter sur sa propre initiative, ses propres forces, et, quand arrivera l’occasion solennelle, l’heure du danger, nous aurons des hommes qui, façonnés pour le rude combat de la vie, sauront braver les difficultés, et déjouer les desseins pervers que l’on pourra former contre eux : si vis pacem para hélium. Que l’intelligence soit aguerrie et robuste comme le corps, une intelligence formée pour toutes les luttes, une intelligence qui trouvera en elle-même l’appui dont elle a besoin, et nous marcherons de l’avant, et nous grandirons, et nous serons respectés ! Si nous suivons la marche du progrès des peuples modernes, nous verrons que leur développement, leur grandeur, leur richesse, leur influence, ont été en proportion de leurs efforts pour promouvoir l’éducation. Nous avons notre choix, entre prendre notre part dans le progrès général et partager la fortune publique, la considération, l’influence qui en découlent, ou être entraînés à la remorque des uns et des autres, nous condamnant à être le bras qui travaille et peine, lorsque nous pourrions être la tête qui commande. En retour de cet épuisement de nos forces physiques, nous n’aurons que les miettes, alors que le travail de l’intelligence se sera donné la part du lion. Nous avons à choisir entre la position de maître ou celle de serviteur ; c’est notre degré d’éducation, et particulièrement le caractère de cette éducation, qui nous permettra ce choix.

Ce n’est plus le temps de s’attarder dans la contemplation infructueuse d’un passé qui a disparu pour ne plus revenir. Autre temps, autres mœurs. Révérons le passé, étudions-le, mais plutôt en vue de mieux comprendre ce qui est aujourd’hui et ce que sera demain. Ce qui favorisera nos intérêts dans le présent sera autant d’acquis pour l’avenir.

Du passé au présent, et du présent à l’avenir, il y a un enchaînement souvent difficile à distinguer, mais invisible à celui dont l’amour réside dans ce passé, à l’exclusion du présent. C’est la perception de cet enchaînement qui nous détachera du passé, en nous faisant comprendre que, dans l’ensemble, l’humanité ne rétrograde pas, et surtout qu’elle ne rétrograde pas avec l’éducation et l’usage de la liberté. Mais, quelle que soit notre opinion sur la valeur de ce qui a été et de ce qui est, il convient de se soumettre à la réalité et de regarder en face l’inévitable.

C’est la liberté et la science qui nous emportent ainsi avec une vitesse accélérée vers un avenir qui se transforme sans cesse ; c’est l’absence de ces choses qui retenait l’humanité stationnaire et comme rivée au sol ; or l’oppression et l’ignorance ne peuvent être un bien ; la liberté et la science ne sauraient être un mai. Il faut, il est vrai, diriger celles-ci dans le sens supérieur des intérêts moraux, mais, pour le faire avec fruit, il faut comprendre et aimer ces forces, admirer la Providence bienfaisante qui relève graduellement l’humanité de la misère et de l’abjection dans lesquelles elle croupissait. Tout s’enchaîne dans l’œuvre de Dieu. La science naturelle[2] est le recueil des lois de la nature, et la science appliquée, c’est le progrès. Ces lois venant de Dieu, répudier le progrès serait répudier l’œuvre de Dieu. Chaque génération marque une étape du progrès pour l’ensemble ; ce progrès de l’ensemble est irrésistible, il entraîne les masses, en même temps qu’il modifie et transforme en instruments de régénération les erreurs d’un passé appelé à disparaître. Tout se tient ; tout est solidaire dans la nature : sciences, croyances, législations, moyens d’action, avec le développement de la science et des idées, tout, à l’exception du petit nombre de vérités immuables définitivement acquises, doit progresser autour de l’homme. Ce mouvement s’accentue de jour en jour, et il est irrésistible parce qu’il est la loi de l’existence des êtres. Tout ce qui fait obstacle à cette transformation, est mis de côté comme des vêtements qui ne sont plus à la taille, et, finalement, emporté par le flot qui monte. Il faut avancer ou être écrasé, marcher ou être devancé, suivre ou disparaître.

C’est faute de bien comprendre la haute portée morale du progrès matériel, que certains esprits sont portés à ne voir que confusion et décadence dans ce qui se passe sous nos yeux ; pour eux, l’humanité a subi un progrès constant jusqu’à telle ou telle époque, pour de là entrer dans une voie où tout est menaces et dangers. Combien plus sage, rationnel et harmonieux ne doit-il pas paraître de voir une évolution constante, prenant l’homme à la barbarie, et le conduisant graduellement vers mi progrès indéfini qui ne s’arrête nulle part, ou ne s’arrête que pour mieux permettre aux hommes, à travers leurs tâtonnements, d’étudier et de comprendre la route à suivre.

Cette immense poussée qui se fait de nos jours dans la voie du progrès matériel, en aiguisant les appétits pour des jouissances qui avaient été le partage d’un petit nombre de privilégiés, a pu un instant faire perdre de vue les progrès moraux qui doivent être sa base et son objet. La soudaineté de la transformation a pu jeter le trouble dans les idées, le bien n’est jamais ou n’est que rarement séparé du mal. Mais tout mal porte son remède, et si l’on veut se donner la peine de pénétrer le fond des choses, on se convaincra aisément que, sous certains côtés déjà, le progrès social et chrétien n’a été guère inférieur au progrès matériel : le règne de la persécution et de la cruauté est à peu près terminé ; les animosités nationales et religieuses sont en voie de disparaître ; l’homme, au lieu de se repaître de la souffrance de ses semblables, tend visiblement à devenir indulgent et sensible aux maux d’autrui. L’esclavage, qui était l’expression la plus évidente de notre barbarie, vient de disparaître. Tous ces progrès, moraux et sociaux, d’un intérêt incalculable pour l’humanité et la religion, sont, on ne peut en douter, le corollaire des progrès scientifiques, de l’éducation, du progrès matériel. Non ! Si le progrès social et chrétien n’a pas encore donné toute sa mesure, il n’en est pas moins une puissante réalité, il n’en est pas moins le gage que l’harmonie existe dans les progrès, qu’elle existe entre la science et la morale, comme elle doit exister dans toute l’œuvre de la nature. Et, comme le disait un écrivain distingué : « Lorsqu’on foule le raisin versé par hottées dans la cuve, qu’obtient-on d’abord ? du gâchis, de l’écume, de la fermentation … Attendez le temps nécessaire, et vous aurez du vin. » Ainsi en est-il quelquefois du progrès matériel.

Il a fallu près de vingt siècles d’incubation et de travail obscur, pour en arriver à pénétrer l’esprit qui se dégage du christianisme, et entrer dans les hautes conséquences sociales qui en découlent. Ces conséquences ont été, sinon amenées, du moins grandement favorisées par les progrès de la science et les progrès matériels, tant il est vrai que tous les progrès sont solidaires ; elles nous conduiront finalement, il est consolant de le croire, au règne du bien, de la vérité et de la justice ; au règne de l’amour des idées humanitaires, de la fraternité dans leur sens le plus élevé, et alors sera réalisée cette prière que nous adressons tous les jours : Que votre règne arrive !

C’est par ces efforts pour s’élever, c’est par ces aspirations constantes vers un état social plus conforme à la justice et à la solidarité, que se révèle ce grand courant humanitaire dont la source est au sommet du calvaire, et dont les flots nous portent vers un avenir qui ne connaîtra plus l’exploitation de l’homme, les hontes du paupérisme, l’ignorance et la guerre. Le monde a été dominé par les menaces et l’épouvante, alors que Jésus voulait régner par l’amour et la charité.

Dans la lutte de la civilisation chrétienne, dans le combat qui se livre contre l’ignorance et l’erreur, l’armée qui combat pour nous se compose d’éléments divers, qui, souvent, paraissent se gêner et se paralyser. Ne récriminons pas trop contre les lenteurs de celui-ci ou l’impétuosité de celui-là ; l’un et l’autre peuvent retarder la victoire, l’un et l’autre peuvent l’assurer. En France, sous la République et l’Empire, les victoires se gagnaient plutôt par l’impétuosité. C’est cette furia francese qui permit à Bonaparte de parcourir l’Europe en vainqueur et d’humilier les souverains coalisés. En 1870, ce fut la sage lenteur, la lourde artillerie qui humilièrent à son tour la France. Le catholicisme est cette artillerie souvent gênante, qui à un moment donné réparera la précipitation des avant-postes et assurera la victoire. La vie des sociétés est un combat comme l’est celle des individus. L’évolution qui entraîne les sociétés vers des mondes inconnus, ou à peine entrevus à travers le voile épais de notre ignorance, entraîne avec elle les éléments les plus conservateurs de la société. Cette évolution, ardemment désirée par quelques-uns, inconsciente chez le grand nombre, combattue par d’autres et subie par tous, trou^a^ dans le catholicisme le soutien le plus déterminé de l’ordre établi, en même temps que l’élément qui offre le plus de résistance à ce courant d’innovation. Il est plus ami de l’ordre et de la stabilité que du progrès ; il redoute ce dernier ; il redoute les mouvements précipités, les enthousiasmes subits, les soubresauts. Quelquefois cependant, par un mouvement opportun, il se portera de l’avant pour décider en la guidant la victoire du progrès chrétien et de la civilisation. C’est ainsi que, de nos jours, Léon XIII, en reconnaissant la forme républicaine de gouvernement, a fait plus pour l’avenir que n’auraient pu faire les plus savantes combinaisons des politiciens et des diplomates ; et cela, parce que tout progrès accompli par un corps conservateur de son essence, est une acquisition plus définitive et plus fructueuse que si ce progrès émanait d’un élément libéral ou radical. Malgré sa lenteur, son caractère immuable et l’apparente rigidité de ses principes, le catholicisme n’est pas sans se prêter aux évolutions que comporte la vie de l’humanité, et, comme le disait tout récemment un éminent orateur catholique, le comte Albert de Mun : « Le Pape Léon XIII s’est posé carrément au premier rang de la démocratie[3]. » Chaque élément contribue sa part au progrès général. Quelques années de plus ou de moins ne sauraient affecter le résultat, et comptent pour peu de chose dans la longue série des siècles. Il nous suffit que, dans l’ensemble, l’humanité ne soit pas trop violemment poussée de l’avant ou jetée en arrière, pour que nous nous accommodions sans récriminations violentes des résultats obtenus.

Aujourd’hui, des actes de cruauté comme ceux que nous avons signalés dans cet ouvrage ne seraient plus possibles, Dès le premier mouvement d’un nouveau Lawrence, le cri de douleur qui s’échapperait de la poitrine des témoins de son forfait, se répercuterait en un instant aux quatre coins du monde civilisé.

Instruits par l’expérience à l’école du malheur, comprenons, nous, les fils de ces infortunés Acadiens, qu’il convient de vouer nos efforts à la noble cause de l’éducation ; entrons résolument dans la voie du progrès, qui nous assurera une place honorable au milieu des populations avec lesquelles nous sommes appelés à vivre. Soyons amis de l’ordre, aimons notre pays, vivons en paix et en harmonie avec nos compatriotes d’une autre origine, mais, par sus tout, conservons cette haute moralité qui nous a assurés tant de sympathie pour nos infortunes, chez ceux mêmes qui pouvaient avoir intérêt à nous condamner. N’oublions pas que les vrais motifs qui ont provoqué nos malheurs étaient ignorés, que ceux qui épousaient notre cause, et c’était le grand nombre, avaient à le faire contre leur propres sentiments, en condamnant des actes qu’ils croyaient être ceux de la Métropole, et alors nous pourrons plus facilement pardonner et oublier. En même temps, consolons-nous par la pensée que tôt ou tard, la vérité entière sortira lumineuse de la fosse dans laquelle nos persécuteurs croyaient l’avoir à jamais ensevelie.

Oh ! si tant de souvenirs cruels pouvaient enfin s’effacer de notre mémoire ! Que n’est-il encore, comme au temps du paganisme, un fleuve dont l’eau aurait la vertu de faire oublier le passé ! Ce que l’on est convenu d’appeler le bienfait de l’éducation est justement ce qui aggrave nos chagrins ; c’est elle qui, en nous ouvrant ses portes, en affinant nos sentiments, ressuscite et avive en nous les douleurs de ce passé inoubliable. Les peines et les misères qui sont le résultat des péripéties ordinaires de la vie ou de nos fautes, s’oublient facilement, mais il n’en est pas ainsi de celles qui ont leur source dans l’injustice, et surtout dans l’injustice d’un gouvernement duquel on dépend. Si encore, cette autorité à laquelle nous devons respect et obéissance, mais à laquelle, dans l’état actuel des choses, nous ne pouvons donner notre amour, avait la magnanimité de reconnaître l’injustice de son passé et de chercher à le réparer dans une mesure quelconque, ce serait beau, ce serait grand, ce serait noble, et, ce qui n’est pas sans importance, ce serait hautement politique. Un acte de cette nature ferait disparaître du coup toute l’amertume de nos souvenirs ; tout serait effectivement oublié, effacé ; le levain de haine qui fermente peut-être encore dans plus d’un cœur, se transformerait en un ferment de reconnaissance et d’amour, en un concert de louanges qui trouveraient un écho dans tout le monde civilisé ; et l’Angleterre en recueillerait les fruits bienfaisants chez tous les peuples qu’elle a conquis sans se les assimiler par les véritables liens, qui ne peuvent être que ceux qui émanent du cœur et de la reconnaissance. On tire grand orgueil parceque le soleil ne se couche jamais sur ses terres : cet orgueil ne tire sa satisfaction que d’un sentiment, celui de la force. Arrivera-t-il un temps où la civilisation aura fait assez de progrès, pour que l’Angleterre trouve plus d’orgueil à pouvoir se dire que le soleil ne se couche jamais sur une injustice commise par son gouvernement ? Arrivera-t-il un temps où tous ces emblèmes de bêtes féroces : dents, cornes, griffes, etc., etc., que l’on déploie orgueilleusement sur des chiffons, blancs, bleus, rouges, disparaîtront pour y être remplacés par des emblèmes plus en rapport avec une civilisation vraiment chrétienne !

Il y a cent trente-sept ans que nous, Acadiens, nous voyons le soleil se coucher sur cette injustice, que le souvenir de ces maux nous poursuit sans relâche. Souvent, il est vrai, les écrivains ont versé un peu de baume sur nos plaies, mais combien plus douce serait la pensée que cette injustice a été réparée ou au moins reconnue par le gouvernement lui-même ! Qu’elle serait grande notre joie si pareille consolation nous était offerte ! Puisque cette déportation fut exécutée sans cause, et contre les ordres de la Métropole[4], de l’autorité compétente, la confiscation de nos biens par l’autorité locale, par le spoliateur, était entachée de nullité ; notre droit à réintégration ou à compensation ne pourrait être douteux. Une telle solution serait embarrassante et onéreuse, mais ce qui ne le serait pas, et nous ne demanderions rien de plus, serait d’affecter une certaine somme à la fondation d’un établissement d’éducation supérieure à l’usage des Acadiens des Provinces Maritimes, ou une dotation aux deux institutions de ce genre qui existent déjà. La lutte pour l’existence est encore bien dure pour ces Acadiens ; dépouillés des riches terres qu’ils possédaient, leurs fils eurent à se faire pêcheurs, caboteurs, artisans ; ceux qui se livrèrent à l’agriculture eurent à le faire sur des terres de qualité très inférieure, et ces deux institutions qu’ils parvinrent à fonder le furent au prix de grands sacrifices. Ce serait réparer, faiblement mais noblement, le passé que de mettre ces deux institutions sur un pied qui rendrait leur rôle plus efficace ; en même temps, ce serait s’attacher par la reconnaissance toute la jeunesse qui profiterait de cette libéralité, toute la population instruite qui dirige, l’opinion. Et, si ce peu était encore trop, nous serions heureux de toute déclaration, de tout acte comportant admission, regret ou réparation des iniquités dont nous avons été l’objet. Est-ce trop espérer ? Les corporations n’ont pas d’âme, dit-on. En serait-il ainsi des gouvernements ?


FIN DU TOME TROISIÈME ET DERNIER
  1. Il y a là un avancé qui nous semble risqué. Que Lawrence et Cie aient abusé de la simplicité des Acadiens, cela est sûr ; que cette simplicité des Acadiens ait été cause de leurs malheurs, cela n’est pas juste. L’édition anglaise apporte à cette proposition un correctif important. — Nos lecteurs sauront, croyons-nous, accepter avec discernement bien d’autres propositions émises dans la première partie de ce chapitre.
  2. Le texte du MS. portait seulement science. Le traducteur y a joint l’épithète naturelle et mis en marge cette note : Ce mot est nécessaire ; autrement la proposition est ridicule, car elle attribue le titre de science à une seule branche des sciences et exclut la plus haute des sciences, la philosophie.
  3. Cf. Discours et Écrits d’Albert de Mun (Paris, Poussielgue, 1905,) Tome V, p. 42 et seq., et le Discours prononcé à Lille, le 6 juin 1892, devant les Associations Catholiques de Jeunes Gens de la Région du Nord, p. 178 et seq.
  4. En terminant, l’auteur revient à sa thèse favorite, oubliant jusqu’à la fin qu’il a omis de la prouver. Les documents que nous avons apportés à notre tour démontrent tout le contraire. Et la question est bien jugée, croyons-nous. Mais les très belles idées qu’il y a dans ce chapitre, un peu déparées cependant par des notions vagues ou douteuses, et le grand souffle qui le traverse, en font un des meilleurs de l’ouvrage. Édouard Richard avait l’étoffe du véritable écrivain.