Texte établi par Henri d’Arles, J.-A. K.-Laflamme (Tome 3p. 149-205).

CHAPITRE TRENTE-TROISIÈME[1]



Esquisse du caractère de Parkman. — Ses idées et ses procédés. — Murdoch, Haliburton, Campbell, Brown, Longfellow, le Compilateur. — Brook Watson. — Moïse de les Derniers.


Cette dispersion de tout un peuple, ce Lost Chapter in American History, — c’est le titre d’un ouvrage dont l’inspiration, l’esprit est digne de remarque, — a été jusqu’ici comme une énigme qui a à la fois attiré et rebuté un grand nombre d’écrivains. Certains d’entre eux, droits et honnêtes, n’ayant aucune idée de la gigantesque fraude qui était à la base de cette affaire, ne pouvant deviner la cause réelle de l’absence des documents qui la concernaient, se sont trouvés, de bonne foi, réduits à exagérer les torts des Acadiens, à leur en supposer même, afin de rendre plausible et légitime un châtiment qui autrement était inexplicable. N’ayant pu percer les motifs qui avaient fait agir Lawrence et ses complices, ils ont accepté sans preuves toutes leurs accusations intéressées. Murdoch, Campbell, Hannay appartiennent à cette catégorie. D’autres, comme Haliburton, Smith, Bancroft, Rameau, Casgrain, plus méfiants, sinon plus perspicaces, ont vu et signalé cette lacune dans les archives de l’époque ; leurs soupçons en ont été éveillés ; et leurs conclusions ont été une condamnation du forfait. Le Dr. Brown est le seul qui, par sa position, le lieu et le temps où il vivait, a pu éclaircir ce mystère. Son manuscrit, retrouvé après un long sommeil, contient la solution du problème qui se posait depuis plus d’un siècle.

Mais nous regrettons de dire qu’il s’est rencontré un écrivain, un seul, il est vrai, superficiel ou malhonnête, qui, renchérissant sur ses prédécesseurs, torturant à nouveau des documents déjà torturés et tronqués, ne tenant aucun compte des règles qui doivent guider l’historien, a eu recours à tous les subterfuges pour justifier ce qui pourtant ne pouvait l’être[2]. Cet écrivain est Parkman. Pour dire toute notre pensée, de tous les auteurs que nous connaissons et qui ont écrit sur la question acadienne, il est le plus subtilement partial, le plus expert en l’art de tromper[3]. Son ouvrage est le premier que nous ayons lu sur le sujet ; et nous avouons, en toute humilité, avoir été sa dupe ; longtemps nous avons cru à sa droiture ; nous l’avons défendu contre des attaques. Ce n’est qu’en poursuivant nos recherches aux sources officielles, et en étudiant de plus près sa manière de procéder, que nous avons pu nous former la ferme conviction que cet ouvrage est une imposture, que la vérité historique y est défigurée. Parkman a fait de la duperie un système ; et il est facile à quiconque observe attentivement sa manière de saisir les artifices de langage sous lesquels cette duperie se cache. L’un des moyens de tromper dont il se sert souvent, — et il en a d’autres plus odieux que nous avons déjà signalés, — consiste à vouloir créer dans l’esprit du lecteur une impression nette et définie, alors que lui-même reste dans le vague et l’indéfini, et qu’il paraît toucher la question avec une candide impartialité. Ainsi, quand il dit : « les uns firent ceci, les autres cela, et le reste rien du tout[4], » ou qu’il emploie des termes équivalant à ces expressions, il faut se méfier ; car presque toujours il y a là-dessous un piège. Il est resté dans l’indéterminé, mais son but est atteint ; le lecteur emporte une impression définie, quoique vague encore, que, sur la question dont il parle, il y a eu division en trois parties à peu près égales. En réalité, Parkman peut être intéressé à procéder de la sorte, mais la division qu’il donne n’a rien qui, de près ou de loin, ressemble à la vérité des choses.

Par tempérament, Parkman était à égale distance de l’historien et du romancier : il lui manquait l’exquise sensibilité nécessaire à celui-ci ; la bienveillance, l’élévation de caractère, l’amour du vrai nécessaires à celui-là. Ne voulant pas rester simple conteur, — comme tel cependant il pouvait se faire une réputation durable, — il a préféré s’élever à l’Histoire, pour laquelle il n’était nullement qualifié, si l’on regarde à ce qui fait le mérite essentiel de l’historien. Ses brillantes qualités de conteur constituaient un appoint fort important pour son succès immédiat ; aussi en a-t-il usé et abusé jusqu’à l’outrance. Intéresser et charmer, tel est l’objet principal qu’il a eu en vue et qu’il a atteint avec un grand bonheur ; son mérite sous ce rapport est à la fois considérable et incontestable. Mais, pour y arriver, il lui fallait laisser de côté les parties arides de l’histoire, se mettre en quête de récits émouvants, d’anecdotes piquantes. Tout ce qui s’offrait à sa vue en ce genre, et quel qu’en fût la provenance, il l’a avidement cueilli, du moment qu’il s’imaginait qu’il suffisait de polir un peu cette pierre pour en faire un joyau dont les facettes brillantes seraient propres à attirer les regards.

En se haussant jusqu’à l’Histoire, Parkman n’a cependant pas changé de nature : conteur il était, et conteur il est resté, charmant au reste. Il est toujours agréable, entraînant, et ses assertions sont, en général, plausibles, grâce à l’adresse avec laquelle il échafaude ses jugements, et aux menues louanges qu’il accorde à ceux qu’il entend écraser de ses pavés. C’est lorsqu’il flatte qu’il devient dangereux. Tout est pour l’effet. Il faut plaire, séduire, et donner à son lecteur au moins une demi satisfaction. Sa disposition d’esprit nous paraît être celle de ces conteurs de société, de ces agréables causeurs, qui ont toujours des anecdotes plus extraordinaires les unes que les autres à raconter. Nous n’avons pas de mépris pour les causeurs ; ils ont quelquefois, à un haut degré, le don de saisir vivement les travers et les ridicules de la société, le piquant d’une situation. On les écoute avec intérêt, ils nous amusent ; mais l’on sait à quoi s’en tenir sur le fond du sujet ; l’on sait que la vérité ne tient pas plus de place dans leurs récits que la graine dans un fruit. Telles étaient, croyons-nous, les aptitudes de Parkman. Le malheur est que, doué de la sorte, et fait pour être conteur, il a voulu devenir historien. Fatalement, celui qui a un pareil tour d’esprit n’aura pas pour la vérité le respect qui lui est dû. Il est obsédé par une idée fixe : intéresser et plaire, — et l’Histoire ne s’y prête que rarement[5]. Une fois entré dans ce domaine, Parkman aurait dû se composer une nouvelle physionomie intellectuelle, adopter d’autres allures, puiser plus largement dans le fond de vérité. Le conteur de salon ne fait pas profonde impression ; sa parole ne laisse guère de traces ; l’on ne lui demande pas de fournir des preuves de ce qu’il avance : des preuves, il en prend là où il lui plaît, ou il n’en cueille pas du tout ; son anecdote racontée, tout est fini. Il n’en est pas ainsi de l’historien, et Parkman ne l’ignorait pas. Mais il ne pouvait se muer en un homme nouveau. Il ne l’aurait d’ailleurs pas voulu, car il tenait avant tout à charmer et à plaire, et la véritable histoire comporte bien des lenteurs et des détails arides. Il suffit de le pratiquer un peu pour s’apercevoir qu’il n’a pas changé de nature en abordant l’Histoire. Il ne peut rester en place, il saute d’une chose à une autre ; il va où son caprice le mène : tantôt il est à Détroit, tantôt à Port-Royal, tantôt en Europe ; l’instant d’après, il est dans les montagnes du Big Horn ou chez les Outagamis. Il va, vient, tourne, en apparence sans but arrêté, cherchant toujours, ne prenant que très peu de ce qu’il trouve. Il ne se pose solidement sur rien ; comme l’abeille, il butine : son miel est l’anecdote, le trait piquant. Il le cherche partout, sur le fumier comme sur la fleur[6]. Le rencontre-t-il ? il s’en empare avec délices. Que si, dans ses tournoiements et ses voltiges, il lui arrive d’effleurer un abbé quelconque, aux allures quelque peu cavalières, sur qui la légende a brodé ses arabesques, comme il est joyeux alors ! Quelle aubaine ! Que l’on vienne lui dire : mais tout cela n’est peut-être pas authentique ; l’autorité sur laquelle cela s’appuie ne mérite pas la confiance ; elle a été rejetée par tous les écrivains sérieux. Oh ! oh ! maître Parkman ne l’entend pas ainsi. Perdre une anecdote aussi savoureuse ? Nenni ! Il y tient comme le chien à son os. N’approchez pas !

Nous n’avons rien d’autre que ses ouvrages pour diagnostiquer le caractère de Parkman et les dispositions particulières de son esprit ; cependant il nous paraît facile de le juger d’après ces réalisations, et, à moins que les symptômes que nous en tirons ne soient absolument trompeurs, nous ne pouvons être bien loin de porter sur lui un jugement véridique. Cet auteur n’est exact en rien. Il trompe par action et par omission, et autant d’une manière que de l’autre. Si l’on soumettait ses écrits à un examen sérieux, il n’en resterait peut-être pas une seule page ; même les titres de quelques-uns d’entre eux devraient-ils être effacés. Ainsi, celui de ses ouvrages qui traite de la dispersion des Aeadiens est intitulé : Montcalm and Wolfe. Et cependant il y est fort peu question de ces deux hommes. Qu’on en juge par les intitulés de la plupart des chapitres : Russia and her Foes ; Birth of the United States ; Siège of Havana ; M. de Choiseul ; The New Czar ; Frederick of Prussia ; George III ; Pitt ; His character ; Conflict for Acadia ; Shirley ; Loudun ; Wm. Johnson ; Removal of the Acadians. Un vrai pot pourri où le titre de l’ouvrage n’est à peu près pour rien ! Avec ses instincts vagabonds, sa fiévreuse instabilité, il lui devenait fort difficile, nous le comprenons, de donner des titres appropriés à ses ouvrages. En cette fin de siècle où il n’est question que d’électricité et de rapide fabrication, Parkman vit que pour atteindre le gros des lecteurs, il lui fallait se mettre à l’unisson du public affairé, qui veut de l’entrain, de la vitesse en tout, des décors nouveaux, des changements de scène fréquents et variés. Cela lui était d’autant plus facile d’ailleurs que son propre goût l’y inclinait, et qu’il n’avait qu’à céder à son propre besoin de mouvement.

Parkman, la chose est évidente, a conçu une véritable antipathie contre les Acadiens. Ses oreilles ont été blessées d’entendre partout, autour de lui, dans la patrie de Longfellow, ses compatriotes plaindre le sort injuste fait à ce peuple ; et l’on dirait qu’en accablant les victimes il s’acquitte d’une promesse qu’il s’était faite à lui-même depuis longtemps. Nous prions le lecteur de ne pas s’étonner de cette assertion : en autant que l’on peut percer le caractère d’un homme, et les motifs qui l’inspirent, d’après ses œuvres écrites, nous maintenons qu’elle est vraie à la lettre[7] Dans le cercle de ses connaissances, Parkman avait dû souvent combattre pour détruire l’effet produit sur elles par le poème de Longfellow. D’abord, sans autre intention peut-être que de ramener les esprits à la réalité des faits, dont les effusions poétiques du chantre d’Évangéline les avaient éloignés. Mais l’on se passionne facilement pour une thèse ; l’homme ardent, exclusif, a vite fait de perdre le calme nécessaire à la considération impartiale d’un sujet. Parkman s’était entraîné vers la défaveur à l’égard des Acadiens : cette disposition d’esprit a pesé considérablement sur sa manière de traiter la question. Pour mieux s’en rendre compte, il faut se rappeler que Longfellow et Parkman vivaient tous les deux à Boston : l’un, beaucoup plus âgé, entouré du respect et de la vénération de ses compatriotes, jouissant d’une renommée assise plus particulièrement sur le poème d’Évangéline ; il était la grande gloire. L’autre, beaucoup plus jeune, était la petite gloire, la gloire en herbe. Pour le caractère, ces deux écrivains étaient aux antipodes l’un de l’autre : le premier était une grande âme ouverte au souffle des plus nobles inspirations, regardant la vie par ses grands côtés ; le second avait des tendances tout opposées. Et lui, la petite gloire, semble avoir éprouvé des sentiments de jalousie au voisinage de l’astre dont l’éclat faisait pâlir tous les autres. Nous nous trompons peut-être ; mais cela paraît ressortir éloquemment de tout ce que Parkman a écrit touchant les Acadiens. L’on y voit comme une revanche. Ce sont ses discussions mises en chapitres, c’est sa thèse cristallisée. La peine qu’il se donne pour nous faire sentir son aversion envers le « moyen âge », « l’humanitarisme », la façon dont il parle de « l’humanitarisme de la Nouvelle Angleterre se fondant en sentimentalité », des « effusions humanitaires de notre temps », — tout cela était la contre partie des idées de son célèbre compatriote, et visait à contrebalancer l’effet produit par son touchant poème[8]. Incapable de frapper les esprits par les mêmes moyens, Parkman crût y arriver par une antithèse éclatante. C’était comme une compensation que se donnait sa vanité blessée. Le ton qu’il emploie nous laisse voir qu’il avait souffert de la proximité du grand homme ; il a voulu s’en venger ; mais sa rancune à l’endroit de son rival est tombée, par une voie détournée, sur le dos des pauvres Acadiens, juste au moment où Longfellow s’éteignait.

Dans l’évolution qui nous emporte vers un état social nouveau, à travers les tâtonnements de la science et de la pensée, il est des hommes qui se passionnent tellement pour la formule dominante à leur entrée dans la vie, qu’ils s’y trouvent enserrés et comme englués, au point de n’en pouvoir sortir, de ne pouvoir se libérer des entraves intellectuelles qu’elle leur a mises. Lorsque Parkman entra dans la carrière, l’humanité était sur le seuil du grand mouvement de progrès matériel qui illustrera le dix-neuvième siècle. Tout était à cette pensée ; elle absorbait les esprits. Les continents sillonnés de chemins de fer et couverts de réseaux télégraphiques, les océans labourés par les bateaux à vapeur, étaient des réalisations qui laissaient entrevoir des développements prodigieux en ce sens. L’esprit activé multipliait ses efforts dans toutes les directions ; l’industrie prenait un essor rapide ; la richesse publique s’accroissait dans des proportions inespérées. Parkman s’éprit de tout cela, au point d’en mépriser le reste : de là son antipathie pour le « moyen âge » ; de là sa répugnance pour l’humanitarisme de l’avenir[9]. Il s’est rivé à l’idée qui régnait lors de son éveil à la vie ; rien ne l’en a détaché. Et cependant le monde a marché depuis, les idées ont fait du chemin. Ce grand mouvement dont nous venons de parler était bien propre, nous le concevons, à susciter l’enthousiasme, à absorber les esprits ; mais, pour le bien juger, il fallait attendre ses fruits, ses conséquences. Pour la masse, il devait produire la richesse, et cela suffisait ; pour eux, c’était là le grand côté de la question. Parkman semble s’être arrêté à cet aspect, sans pouvoir faire un pas de plus. Oui, ce mouvement a donné la richesse ; mais a-t-il assuré une distribution plus équitable des biens de ce monde ? A-t-il amélioré autant qu’on l’espérait la condition du pauvre ? A-t-il produit dans l’ordre moral un bienfait correspondant à celui qu’il a opéré dans l’ordre matériel ? Voilà les questions que l’on se pose à son sujet, et qui sont à l’étude depuis qu’il est lancé.

L’on peut difficilement douter que le progrès matériel, qui vient de la science, comme la science elle-même vient du créateur de l’univers, ne soit providentiel, ne fasse partie du plan divin élaboré par le grand ordonnateur des choses ; mais encore faut-il l’étudier, l’analyser, le comprendre, le diriger dans le sens des intérêts supérieurs de la morale. Tout progrès humain a ses bonnes et ses mauvaises conséquences : c’est son résultat global qui est le critère de son mérite ; et nous aimons le progrès, parce que, grâce à une sage orientation, il peut servir des fins idéales. Cette poussée soudaine vers le progrès n’a pas encore donné ses meilleurs fruits ; ce qu’on en attend est encore vague et incertain. Jusqu’ici ses résultats n’ont pas dépassé la sphère de la matière. Mais est-ce à cela qu’ils vont se borner ? L’avancement matériel ouvrait la voie ; mais il ne peut être qu’un moyen, l’instrument des desseins de la Providence dans l’expansion de la civilisation véritable et de l’esprit chrétien ; il ne vaut qu’en fonction des intérêts supérieurs de l’humanité. Sans doute, les grands résultats de ce mouvement sont encore dans le lointain ; mais, si nous l’étudions de près, nous ne pouvons fermer les yeux sur ce qui a déjà été accompli, sur la révolution qui s’opère dans les idées[10].

Dans le progrès, nous distinguons les inventions purement ingénieuses de celles qui exercent une influence marquée sur la civilisation. Les plus grandes inventions sont celles qui rapprochent les distances, qui ont pour effet de mettre en contact plus intime les nations et les individus : leur rôle social est de détruire les antipathies et les préjugés, de rendre les guerres de plus en plus rares, de supprimer les barrières entre les diverses classes, d’adoucir les aspérités de toute nature provenant de la diversité de races et de croyances, et de préparer les hommes à mieux accueillir et à mieux comprendre les principes humanitaires qui sont le fruit du christianisme. Auxiliaires puissants de la pensée chrétienne, elles aideront à renverser le paganisme en portant la vraie civilisation sur tous les points du globe ; elles sont déjà en voie de civiliser et de christianiser le Japon ; elles en feront autant de la Chine et de l’Inde. Comme la lumière chasse les ténèbres, ainsi la civilisation que propagent les inventions modernes fera crouler les cultes barbares.

Le christianisme renferme bien l’essence de tout progrès moral ; mais, dans les siècles passés, il a eu à lutter contre l’absolutisme et l’arbitraire ; il n’était pas dans une atmosphère propre à lui faire porter tous les fruits qu’il contient en germe. L’humanité se divisait en oppresseurs et en opprimés. La liberté, et le progrès matériel qui en est la conséquence immédiate, ont brisé l’ancien ordre des choses : ainsi le voulait la sagesse qui préside à la destinée des mondes. Les masses si longtemps opprimées s’élèvent graduellement, s’élèvent sans cesse ; délivrées de la servitude, elles en sont l’ennemie ; la tolérance, la justice, la charité fraternelle imprègnent de plus en plus les cœurs ; au lieu d’être le partage de quelques esprits privilégiés, les grandes maximes du christianisme sont de mieux en mieux comprises des foules. Le Dieu des vengeances, le Dieu terrible, se transforme pour elles en un Dieu d’amour et de miséricorde. De cruels qu’ils étaient, les hommes s’humanisent de plus en plus : nous entrons dans l’ère des idées humanitaires qui sont à la base du christianisme.

Pour en revenir à Parkman, voilà ce qu’il ne paraît pas avoir compris. Il en est resté au progrès matériel pur, gardant une affection marquée pour tout ce qui a précédé et comme pour tout ce qui suivra ses idées bien arrêtées. Il paraît haïr tout autant « l’humanitarisme » et le « sentimentalisme » que le « médiévalisme », c’est-à-dire qu’il englobe dans le même mépris le passé et l’avenir. Il retarde sur les véritables aspirations de son époque, tout comme les Acadiens retardaient sur leur temps, avec cette différence essentielle que l’intérêt supérieur de la morale était pour ceux-ci le motif déterminant de leurs actions, tandis que Parkman est trop absorbé par l’idée du progrès matériel pour s’occuper du progrès moral et tout particulièrement de la diffusion des pensées humanitaires.

Il est des hommes qui s’intéressent à toutes les formes de progrès, surtout au progrès d’un ordre élevé ; il en est d’autres pour qui l’ordre moral est tout, et le reste rien, c’est-à-dire qu’ils ne voient pas la corrélation qu’il y a entre l’ordre physique et l’ordre moral ; il en est enfin pour qui le progrès matériel constitue à peu près le tout de la vie. Parkman semble appartenir à cette dernière catégorie. Il se pâmerait d’aise devant un nouveau procédé qui ferait que l’on prendrait trente secondes de moins pour convertir un porc en saucisson. Le gaz du docteur Ox, qui avait pour propriété d’infuser une activité prodigieuse à la machine humaine, mettrait probablement le comble à ses désirs. Sa bête noire est le « médiévalisme ». Ce mot paraît avoir à son oreille le même son que « diabolisme ». Il en parle comme si, il y a cent cinquante ou deux cents ans, les Acadiens, par une exception rare dans l’histoire, eussent été en proie à ce monstre ; et l’on dirait que cela lui suffit pour les vouer au mépris public et pour justifier leur déportation. Cette haine du « médiavélisme », cette insistance à ramener cette question à tout propos, comme s’il eût fait là une importante découverte destinée à le mettre au rang des grands penseurs, et particulièrement son antipathie pour les idées humanitaires, nous montrent qu’il en est encore à l’A. B. C. de la science sociale. Il nous fait l’effet d’un écolier à ses premiers pas dans le champ de la connaissance. Si l’état d’esprit de Parkman était la plus haute expression de notre civilisation, il nous serait presque indifférent de retourner au moyen-âge, surtout à un moyen-âge fait de droiture et de moralité, — qualités qui ont caractérisé les Acadiens, si étroites qu’on les suppose. Mais il y a, dans tous les rangs de la société, nombre d’hommes amis du progrès sous toutes ses formes, capables de distinguer les grands côtés de notre civilisation, alors que Parkman, lui, ne semble en apprécier que les petits, des hommes qui voient dans l’essor matériel un moyen, un acheminement nécessaire vers une plus haute morale, vers le règne de ces idées humanitaires dont l’historien américain se moque. Considéré sous un autre angle, le progrès matériel n’a plus de sens. Ne pas comprendre, ne pas apprécier les idées humanitaires qui découlent du progrès matériel, et vers lesquelles le monde marche rapidement, est la preuve d’un esprit borné, d’une âme fermée aux nobles inspirations qui rehaussent la nature humaine. Haïr le « médiévalisme » avec autant d’intensité est le signe d’un esprit inquiet, superficiel, incapable de sortir du sillon où rampent les esprits vulgaires. L’homme d’état, le philosophe n’ont pas de ces aversions ; ils savent que tout évolue selon des voies diverses, et que l’évolution rapide n’est pas toujours la meilleure ; ils étudient le passé, le présent, cherchent à saisir les fils invisibles qui relient l’un à l’autre, pour en tirer des leçons utiles qui leur permettent de sonder l’avenir ; ils sont patients, indulgents ; ils savent que quelques années de plus ou de moins comptent pour peu dans l’histoire de l’humanité ; ils savent qu’à travers nos joies et nos déceptions, nos tâtonnements et nos succès, nous marchons toujours de l’avant dans le sens d’un progrès constant, qui nous rapproche de plus en plus de la perfection à laquelle la Providence semble destiner l’humanité.

Parkman ressent quelque sympathie pour les Canadiens des premiers temps de la colonisation française. Cet esprit d’aventure qui portait nos ancêtres vers les Grands Lacs, le Mississipi, les Montagnes Rocheuses, ne laisse pas de le charmer. Il ressent de la sympathie pour les Acadiens du temps de la Tour, de Denys, de Biencourt, alors qu’ils étaient coureurs-de-bois, qu’ils faisaient la traite des pelleteries, qu’ils étaient corsaires. Leur vie n’était ni morale ni civilisée, mais elle était remplie de mouvement. Or, Parkman ne semble pouvoir supporter la vie simple et paisible, fût-elle morale, heureuse, productive ; ce qu’il aime, c’est la vie intense, fût-elle d’ailleurs vicieuse, démoralisante, misérable, inutile. « La morale ! qu’est-ce que c’est ça ? » disait un brillant écrivain français ? « Les idées humanitaires ! qu’est-ce que c’est ça ? » dirait Parkman. Devant le spectacle de la déportation, et les malheurs qui en furent la conséquence, il n’est pas plus ému que le rustre ne l’est d’avoir écrasé une fourmilière. Tout ce qui ne se rattache pas à l’activité fébrile de son époque ne mérite pas autrement son attention sympathique. Ces Acadiens simples et ignorants n’ont aucun droit à sa commisération ; ils pouvaient être moraux, très moraux, mais ils tenaient trop à leur nationalité, à leurs coutumes, à leur langue. Sentimentalisme morbide que tout cela ! Ils auraient dû oublier ces choses, se fondre avec leurs maîtres en une masse homogène. « Vous êtes des ignorants, des arriérés. Faites place à d’autres ! » Voilà comme il raisonne. Il parle fréquemment de hard facts, de durs faits. Les hard facts, cela veut dire, pour lui, écraser un obstacle par n’importe quel moyen. L’audace de Lawrence l’a tout particulièrement captivé : « Il était résolu, inflexible ; sa volonté énergique ne pouvait se laisser affecter par des sentiments plus doux. L’humanitarisme plein d’effusion qui sévit aujourd’hui lui était étranger. » Bravo, Lawrence !

Parkman a pu se croire hors d’atteinte à la justice immanente de l’Histoire ; mais l’impunité n’est jamais éternelle ; elle n’existe pas plus pour l’historien que pour les auteurs des événements qu’il raconte. Tôt ou tard arrive l’heure de l’Expiation : car, si le public est indulgent pour les travers de l’esprit et les écarts de jugement, il ne l’est pas à l’égard de ces fautes qui entachent l’honneur. La manière dont Parkman a apprécié ces « hard facts » se retournera contre lui ; elle sera sa propre condamnation[11].

[Parkman, dans son Montcalm and Wolfe, parlant du vasselage clérical auquel sont soumis les canadiens-français, dit que « cela est excellent pour contenir des forces domptées qui requièrent la présence d’une sentinelle pour les empêcher de dériver ; mais que cela est fatal à la robustesse de l’esprit et au courage moral[12] ». Ceci sonne bien, certes ; je ne veux discuter aucune des opinions de Parkman qui peuvent prêter à diversité de vues, ou quand il est avéré que l’auteur pèche seulement par exagération ; mais « quelle belle robustesse d’esprit et quel superbe courage moral », chez ceux qu’il admire tant, Lawrence, Shirley, sans compter lui-même ! Cher Parkman vous dites : « s’il est permis d’appeler vertu une qualité qui a besoin de la surveillance constante d’une sentinelle pour ne pas s’oublier » en des mouvements dangereux ; je vous remercie, tout ainsi que Gratiano remerciait Shylock, de m’avoir fourni une formule[13]. Ah ! quand un historien a besoin de l’œil vigilant d’un gardien pour ne pas s’égarer hors du sentier de la vérité, ses qualités faciles de description verbale et de sémillante narration méritent-elles vraiment le nom de qualités ? J’ai exercé à votre égard ce rôle de sentinelle, ou plutôt j’ai suivi vos pas, et j’ai remarqué que chaque fois que vous pouviez le faire en toute sûreté, vous ne manquiez pas de vous évader loin du domaine du vrai ! Est-ce là ce que vous entendez par « robustesse d’esprit et par courage moral ? » ]

Il ne faut pas une longue étude pour se convaincre qu’un esprit tout différent animait Brown, Haliburton et Murdoch. En lisant ces derniers, l’on ne tarde pas à se sentir en présence d’hommes dont le caractère est fait de large bienveillance, de droiture et d’amour du vrai. Ils ne sont pas d’aimables conteurs, ils n’ont même pas songé à le devenir : leur seule préoccupation, on le voit sans peine, était la recherche de la vérité, qu’ils ont exposée sans artifices, avec simplicité et candeur. Haliburton possédait toutes les qualités requises pour devenir un agréable anecdotier, mais il les a négligées pour s’en tenir à un simple récit des événements. Pour lui, l’histoire n’était pas une série de mouvements fébriles et désordonnés, une course échevelée à travers deux continents : elle était au contraire une œuvre de ment et de patience, où les parties arides ont leur place à côté de celles qui sont plus émouvantes. C’est pourquoi l’on le lit sans arrière-pensée[14], sans méfiance ; l’on se sent conduit par un guide sûr, un esprit élevé et perspicace qui recueille, analyse, expose sans fard ; et les documents habilement enchâssés viennent se ranger en pleine lumière dans un ordre parfait.

Il n’en est guère autrement de Murdoch, encore qu’il n’ait pas eu au même degré qu’Haliburton le tempérament et certains dons indispensables au bon historien. Comme valeur morale, (cela ressort de son ouvrage, et nous ne pouvons juger de lui que par là,) Beamish Murdoch ne le cédait à personne ; il serait difficile de concevoir un citoyen réunissant plus de précieuses qualités qu’il n’en avait ; mais quelques-unes de ces qualités, appliquées à l’histoire, devenaient des défauts. Ainsi, son extrême indulgence et son aimable bonhomie le portaient à tout excuser, à ne voir partout que de bonnes actions, ou du moins de bonnes intentions. Rarement trouve-t-il à blâmer, et quand il s’y décide, il cherche encore à amoindrir le poids de ses accusations par toutes les circonstances atténuantes que sa nature douce et bienveillante peut lui suggérer. Quelquefois même, il pousse cette disposition jusqu’à en devenir ingénieux : par exemple, après avoir montré Armstrong sous un jour qui en fait un odieux tyran, par un exposé franc et honnête de tous les documents qui le concernent, voilà qu’il l’excuse par des pertes d’argent subies douze ou quinze ans avant son suicide. D’une façon générale cependant, il se tait sur les défauts et les fautes et ne se prononce que sur les qualités ou les traits de caractère susceptibles d’une interprétation élastique, et qui peuvent être considérés comme bons ou mauvais selon les circonstances. De l’expulsion, et de Lawrence, il se borne à dire :

« Lawrence fût engagé à fond dans l’expulsion (des Acadiens), et l’éloge ou le blâme, peut-être les deux à la fois, que mérite cet acte, lui sont surtout dûs. C’était un homme inflexible en ses desseins, et qui tenait le pouvoir en des mains qui étaient loin d’être faibles. Énergique et résolu, c’est avec un succès marqué qu’il s’attacha à établir et à consolider l’autorité britannique en ce pays. Il conquit le respect et la confiance de son gouvernement et des colons de la province[15]. »

Des Acadiens, il n’a que de l’admiration pour leurs qualités en même temps que de la pitié pour leur triste sort :

« … Le destin mélancolique des Acadiens, chassés violemment de leur pays, dispersés en des terres étrangères, parmi des populations qui ne pouvaient les comprendre, offre un tableau qui n’est rien moins qu’agréable à contempler. S’il nous faut admettre que l’Angleterre ne pouvait espérer exercer un contrôle réel sur leur province tant qu’ils l’habitaient, d’autre part tous nos sentiments d’humanité sont choqués par la déportation même, et davantage encore par la manière dure selon laquelle elle a été opérée. Expédiés dans les autres colonies sans que celles-ci eussent préalablement consenti à les recevoir, et où peu ou point de mesures avaient été prises pour subvenir à leurs besoins dès leur arrivée, jetés ça et là au sein de communes à qui leur religion était odieuse, privés de tous leurs biens sans qu’aucune compensation leur eût été offerte, — il est tout naturel que leurs souffrances aient servi d’inspiration au poète et au romancier. Les Acadiens ont été les victimes de leur propre erreur, non moins que des mensongères aspirations que de faux amis avaient semées dans leur esprit ; et les soubresauts de l’ambition nationale et de la jalousie ont précipité leur destin. Il nous est cependant doux de savoir que, dans les années qui ont suivi ces événements, un grand nombre de ces exilés revinrent dans leur terre natale, où, bien qu’ils ne fussent pas rentrés en possession de leurs fermes, ils sont devenus partie intégrante et respectée de notre population, donnant sous les divers régimes l’exemple de ces vertus simples dont ils avaient hérité, se distinguant par ces mêmes dispositions modestes, humbles et paisibles qui avaient toujours brillé en leurs pères[16]. »

Comment ne pas estimer un tel homme dont les défauts, s’il en eût, venaient de l’excès même de ses qualités ? Il pousse même le scrupule jusqu’à nous dire qu’il compte des ancêtres parmi les conseillers de Lawrence, comme s’il se fût cru obligé à cet aveu, afin de mettre le lecteur en garde contre la partialité possible de ses jugements. Néanmoins, et malgré le respect sans bornes qu’il nous inspire, nous ne pouvons nous empêcher de remarquer que cette extrême indulgence, pour tout et pour tous, conduit souvent à fausser l’histoire et à la rendre méconnaissable. Il est permis de douter que Murdoch possédât la sagacité pénétrante d’un Brown et d’un Haliburton : ceux-ci avaient toute la bien veillance que l’on peut désirer chez l’historien, mais ils avaient en même temps ce mâle courage qui fait affronter les obstacles, cette fermeté de caractère qui fait que l’on s’empare d’une question, si ardue qu’elle soit, pour la peser, la mûrir, l’éclaircir et prononcer fermement sur les responsabilités, les intentions et les résultats, Murdoch passe rapidement sur les événements de la déportation, comme si son esprit n’était pas assez vaste ni assez perspicace pour embrasser et débrouiller le chaos qui s’offrait à lui, ou comme si la délicatesse de ses sentiments en recevait un coup trop violent pour lui permettre de s’y appesantir. En ce qui regarde la déportation, il n’avait pas eu l’avantage qu’a eu Parkman ; il écrivait avant la publication des Archives et avant que le manuscrit de Brown fût connu. Ce dernier surtout l’eût éclairé puissamment sur le caractère de Lawrence et les motifs de la déportation. Quoi qu’il en soit, il ne fausse rien de ce qu’il connaît, et surtout il n’a recours à aucun subterfuge pour déguiser la vérité. S’il est partial, il l’est inconsciemment. Son Histoire n’est qu’un simple journal des événements. Cependant, elle survivra à son auteur, et grandira, alors que Parkman, discuté et compris, s’en ira de plus en plus, malgré les attraits de son style et le piquant de ses anecdotes, sur la pente qui mène à l’oubli[17].

Si notre ouvrage revêt plutôt la forme d’un plaidoyer que celle de l’histoire ; si nous discutons longuement les documents publics ; si nous cherchons à enchaîner les faits, pour en tirer, au meilleur de notre jugement, le sens exact, c’est que nous nous y voyons forcé, c’est qu’en ce cas particulier l’histoire ne peut s’écrire autrement[18]. L’homme le plus impartial qui se contenterait de mettre devant le public un simple abrégé des pièces qui ont échappé à la destruction, se rendrait coupable de grave injustice, et n’aurait rien écrit qui ressemblât à l’histoire. Il en serait surtout ainsi, s’il s’en tenait exclusivement au volume des archives, car cette compilation, ainsi que nous l’avons surabondamment démontré, n’est que le recueil partial et tronqué de la partie adverse, quand déjà cette partie même avait fait disparaître avec le plus grand soin de ses propres documents tout ce qui était propre à jeter de la lumière sur le sujet. Elle est donc éminemment, quoi qu’elle n’en ait pas l’air, un plaidoyer exparte. Si cela est, et l’on ne peut raisonnablement en douter, que penser alors du rôle de ces écrivains, peu nombreux heureusement, qui, non contents de pouvoir puiser à pleines mains à cette source contaminée et malhonnête, n’y cueillent que ce qui peut paraître étayer les prétentions extrêmes qu’ils osent soutenir ! Même si cette source était intacte, elle ne représenterait encore que la Aversion (le Lawrence et des autorités, et peu ou point celle des Acadiens ; et quand, à cette insuffisance native, s’ajoute pour elle le fait d’avoir été tronquée par Lawrence et ses complices, et encore tronquée par le compilateur même, nous nous demandons ce qu’il en reste après que Parkman lui a appliqué à son tour ses procédés de mutilations à outrance[19].


Pour mieux saisir notre pensée au sujet de l’injustice qu’il y aurait à écrire l’histoire de cette province d’après ces documents tronqués, et même si nous les avions au complet, que l’on se rappelle les malversations dont Lawrence est accusé, les humiliations, la tyrannie qu’il fit subir aux colons anglais d’Halifax, ainsi qu’il appert par les requêtes de ces derniers. Que font voir de tout cela les documents officiels ? Rien, absolument rien. Et cela se comprend. Lawrence, qui avait tout pouvoir en mains, n’était certainement pas assez naïf pour faire verser aux archives les plaintes portées contre lui par le peuple, encore moins pour les transmettre aux Lords du Commerce. Tous ces faits si importants ont été ignorés du public pendant plus d’un siècle ; et, sans la découverte du manuscrit de Brown, ils le seraient encore. Nous nous trompons : il y a un document officiel qui pouvait jeter un flot de lumière sur la tyrannie et les malversations de Lawrence, c’est la lettre des Lords du Commerce à Belcher, en date du 3 mars 1761, que nous avons citée. Mais le complaisant compilateur l’a tout simplement supprimée[20].


[Beaucoup seront peut-être portés à croire que le travail auquel nous nous sommes livré, pour enchaîner ainsi les faits, a dû être immense. Ce serait une erreur. La chose nous a été facile, au point qu’il nous en revient peu de mérite. Il nous a suffi, en premier lieu, de comprendre le caractère des Acadiens, leurs intérêts, et ceux de la France et de l’Angleterre quant à la question de leur départ de la province ou à la prolongation de leur séjour dans le pays, leurs habitudes paisibles, leur esprit de soumission, tel que nous en avons la preuve dans les documents publics eux-mêmes, pour deviner les motifs d’ordre matériel qui ont amené la déportation, y ne fois ces motifs trouvés, nous avons cherché à les appuyer sur des faits positifs, qui se sont présentés en abondance ; et alors tout document, qu’il se trouvât au volume des Archives ou qu’il en fût éliminé, venait confirmer nos prévisions avec une force qui nous laissait toujours dans l’étonnement. Pas une seule fois ne nous est-il arrivé de tomber sur une pièce qui pût détruire ou seulement affaiblir l’enchaînement de nos déductions, si bien que nos recherches que nous nous proposions de poursuivre pendant plusieurs années, ont été abrégées du coup.] Nous projetions, entr’autres, de recourir aux originaux des documents publiés dans le volume des Archives, afin d’en comparer les textes et de rétablir les endroits omis. Avec l’expérience que nous avions acquise, nous savions fort bien ce que signifiaient les astérisques qui figurent dans la compilation préparée par Akins. Chaque fois qu’il nous a été donné de rencontrer ailleurs tel passage remplacé ici par des astérisques, nous avons toujours remarqué que la partie omise avait plus d’importance que celle qui était produite, qu’elle annulait ou infirmait les idées que le compilateur paraissait vouloir imposer. Entreprendre de relever tout cela devenait oiseux, du moment que nous avions sous la main plus qu’il ne nous en fallait pour convaincre le public du système adopté par Akins. Nous ne pouvons douter que de plus amples recherches n’eussent conduit à des découvertes curieuses ; mais alors, il eut fallu surcharger notre travail par l’exposé ad nauseam des fraudes commises par le compilateur[21]. Si notre ouvrage suscite la contradiction et que nous soyons obligé de reprendre nos recherches, nous le ferons ; loin de redouter la critique, nous l’invitons à se montrer, car, autant que nous pouvons en juger, une enquête plus minutieuse sur les procédés chers à Akins n’aurait d’autre résultat que d’infliger à celui-ci de nouvelles humiliations[22].

[Oui, et nous le répétons avec toute l’assurance que donne une conviction assise sur les plus solides raisons, ce volume des Archives n’est que le recueil des faits qui, dans l’esprit du compilateur, pouvaient justifier la déportation.] Le plus souvent, Akins ne tire de la correspondance des gouverneurs que ce qui lui paraît défavorable aux Acadiens ; le reste est remplacé par des astérisques ; quelquefois même aucun signe n’indique qu’il y a eu suppression. Les réponses des habitants français, celles de leurs prêtres ou des gouverneurs français du cap Breton sont presque invariablement omises. Quels griefs invoque-t-on contre eux ? Lorsque ces griefs sont spécifiés, ce qui n’est pas toujours le cas, ils se réduisent ordinairement à ceci : un retard à répondre à une communication ; résistance passive à l’injonction de prêter un serment sans réserve, ou bien efforts et négociations pour y substituer un compromis. Jamais l’on ne voit rien de plus grave. Et pourtant ces habitants avaient affaire à une autorité dont la puissance était dérisoire et qui n’avait pas les moyens de faire respecter ses volontés ! Néanmoins, comme, dans certaines de ses parties, ce volume contient exclusivement les documents qui énumèrent ces griefs, lesquels y sont qualifiés avec toute l’emphase propre au style militaire, le lecteur non averti ou préjugé est naturellement porté à en tirer des conclusions défavorables aux Acadiens. Il est rare qu’un lecteur s’occupe sérieusement des dates ; il prend les documents tels qu’ils viennent, dans l’ordre où il les trouve, sans regarder à l’intervalle qui sépare les faits dont il y est parlé. Ces documents venant à la suite l’un de l’autre donnent l’impression de la même succession dans les événements. Cependant il arrive parfois qu’un laps de temps considérable s’est écoulé entre deux ; et nous avons l’exemple de toute une période enjambée prestement sans qu’une seule dépêche émanée des Lords du Commerce ou des gouverneurs nous signale son existence. C’est ainsi que, pour les trois dernières années qui ont précédé le suicide d’Armstrong, alors que celui-ci avait à peu près perdu la tête, et qu’il était trop absorbé par ses querelles avec son conseil et son entourage pour s’occuper des Acadiens, le volume des Archives ne contient quoi que ce soit.

Bien différente est la partie de la compilation qui a trait à la fondation et au développement d’Halifax. Ici l’auteur se donne un peu plus de latitude, il se montre moins exclusif, mais les lacunes sont encore considérables et importantes. Il évite généralement de mentionner tout ce qui pourrait trahir, chez les nouveaux colons, l’esprit d’insubordination ou un état moral inférieur à celui des Acadiens : dans l’ensemble cependant il est plus circonstanciel ; et si les plaintes qu’ont pu formuler les habitants n’arrivent pas jusqu’à nous, l’on assiste du moins à leurs occupations ; l’on se rend un compte plus ou moins exact de leurs désappointements, de leurs différends, car tout n’est pas paix et harmonie au sein de la nouvelle société. Le régime militaire, dont s’accommodaient les Acadiens depuis quarante ans, semble peser lourdement sur les épaules des habitants, et pourtant on le leur avait adouci. Loin de nous l’idée de vouloir déprécier cette population ; mais l’on conçoit que, recrutée un peu partout, sans choix particulier, il a dû se trouver parmi elle, à l’origine de cette fondation d’Halifax, des éléments de peu de valeur, comme il s’en dût trouver également chez les Acadiens du temps de La Tour. Sans vouloir agir dans un esprit de censure, l’on nous permettra bien de constater certains cas extraordinaires qui ne paraissent pas indiquer un haut degré de moralité. Ainsi, nous voyons qu’à Halifax, six mois après sa fondation, lorsqu’il y avait vingt-cinq licences pour vente de spiritueux, quarante personnes comparaissaient devant les grands jurés pour en avoir vendu illégalement, et cela, quand le gouvernement avait distribué dix mille gallons de rhum, de juillet à décembre. Nous voyons aussi que les officiers d’Annapolis, qui étaient une douzaine au plus, en avaient consommé trois mille gallons dans un espace de temps qui n’est pas défini, mais qui n’a pas excédé une année[23].

Haliburton nous donne un étrange exemple de l’état des mœurs à Halifax : « … nous pouvons nous faire quelque idée de l’état des mœurs publiques à Halifax par une mesure extraordinaire portée par le gouverneur Cornwallis, laquelle, après avoir constaté que les morts n’étaient accompagnés à la tombe ni par les parents, ni par les amis ou les voisins, et qu’il était même difficile de se procurer les porteurs nécessaires, enjoignait aux juges de paix, à la mort d’un colon, de convoquer douze personnes prises dans le voisinage du dernier lieu de résidence du défunt, afin de les faire assister à ses funérailles et porter son corps en terre ; en cas de désobéissance à ces ordres, le nom du délinquant devait être effacé du registre public, et toute allocation et support de la part du gouvernement devaient lui être retirés[24] … »

Le complaisant compilateur ne reproduit que la dernière partie de cet ordre, en omettant les considérants[25]. De cette manière, l’ordre en question ne paraît avoir été porté que pour prévenir la possibilité de faits tels que relatés dans les considérants, tandis qu’il l’a été parce que de pareils faits s’étaient produits. C’est là exactement l’un des procédés favoris de Parkman : couper en deux une citation pour en faire disparaître la partie gênante. Cette méthode peut convenir au chirurgien qui ampute un membre, mais pas à l’historien.

Dans une lettre des Lords du Commerce à Cornwallis, en date du 16 octobre 1749[26], répondant à quatre lettres de ce dernier, les Lords réfèrent à « l’esprit d’irrégularité et à l’indolente disposition d’une grande partie des colons », dont s’était plaint Cornwallis dans ses dépêches. Or, si nous consultons ces quatre lettres de Cornwallis telles qu’elles se trouvent au volume des Archives, nous n’y voyons rien de cela ; seulement, à un endroit de la lettre du 11 septembre, il y a des astérisques, qui remplacent probablement les plaintes formulées par Cornwallis. Le compilateur eût procédé bien différemment s’il se fût agi de griefs contre les Acadiens. À preuve, c’est que, dans la partie de son ouvrage qui concerne la fondation d’Halifax, il répète contre les habitants français toutes les plaintes qui se trouvent déjà dans la partie intitulée : Acadian French, et cela contrairement à ce qu’il fait ailleurs, car Akins n’a pas l’habitude de revenir sur les mêmes sujets. Excellent moyen de grossir le dossier des Acadiens ! L’on croirait qu’il a emprunté à Parkman son truc : multiplier en divisant, si sa compilation n’était antérieure aux ouvrages de Parkman ; et alors c’est plutôt celui-ci qui est redevable à l’autre. Arcades ambo[27].

Non content d’insérer les lettres du traître Pichon parmi les documents officiels, Akins a encore eu l’idée d’introduire dans son ouvrage une lettre complètement étrangère à l’objet qu’il avait en vue : à savoir, une dépêche adressée de Québec, le 12 septembre 1745, au ministre, le comte de Maurepas, par messieurs de Beauharnois et Hocquart, officiers français[28] et cela, parce que cette lettre contenait trois ou quatre lignes défavorables aux Acadiens. Ces messieurs avaient-ils du moins raison ? Parlaient-ils en connaissance de cause ? Nous ne le croyons pas. Peut-être avaient-ils résidé à Louisbourg, mais bien certainement ils ne vinrent jamais en Acadie ; cette permission ne leur en eût pas été donnée. Ce qu’ils y disaient des Acadiens pouvait avec raison s’appliquer aux habitants de sang mêlé qui vivaient un peu partout et qu’ils purent rencontrer sur les côtes de l’île du cap Breton, mais non aux français de la péninsule établis sur leurs propres terres. La lettre représentait que « les maisons des Acadiens étaient de misérables cabanes de bois sans aucunes commodités ni ornements, et contenaient à peine les meubles les plus nécessaires », et ajoutait que les « Acadiens étaient extrêmement ménagers de leur argent[29] ». En vingt endroits, soit dans les archives, soit dans les relations de l’époque, il est dit unanimement que les Acadiens vivaient dans l’aisance[30], que leurs maisons étaient spacieuses et confortables. Cependant, le compilateur ayant inséré dans son ouvrage un document où il y a une affirmation à l’encontre, plusieurs écrivains se sont hâtés de reproduire cette pièce : tant il est vrai que le but que s’était proposé Akins — bâtir un arsenal où l’on trouverait tout plein des armes contre les Acadiens — a été atteint. Et pourtant, il est évident que les officiers, auteurs de cette lettre, n’étaient pas dans une situation leur permettant de se former un jugement éclairé en la matière ; et, s’il fallait ramasser tout ce qui s’écrit à la légère, il serait toujours possible de défigurer l’histoire au point de la rendre méconnaissable. Même si messieurs de Beauharnois et Hocquart eussent parlé en connaissance de cause, ce qu’ils ont affirmé au sujet des Acadiens, ils auraient pu le dire aussi bien des anglo-américains ; en fait cela peut se dire de toutes les colonies nouvelles. Un jugement de cette nature vaut plus ou moins, suivant le point de vue auquel on se place, et selon les circonstances de temps, de lieux et de personnes. Aux yeux de ces gais viveurs, énervés par la splendeur des cours, étrangers à la vie simple et rude du laboureur et du colon, et qui foulaient pour la première fois le sol d’Amérique, les demeures des Acadiens, si tant est qu’ils aient été à même d’en juger, devaient paraître bien modestes en effet. Il n’y avait parmi eux ni architectes ni tapissiers ; les riches brocarts, les tentures aux couleurs variées, les tableaux ne se trouvaient pas dans leurs rustiques habitations. « Ménagers de leur argent », — ils l’étaient et devaient l’être, comme le sont et doivent l’être tous ceux qui subsistent du travail de leurs bras, comme le sont tous ceux qui ne comptent pas pour vivre sur les capitaux amassés par d’autres, ou sur le labeur de ceux qu’ils exploitent, comme le sont les travailleurs ruraux.

S’il est un point sur lequel l’on ne puisse différer d’opinion, et sur lequel tous les historiens soient d’accord, c’est bien celui des mœurs douces et paisibles des Acadiens. L’on sait, à n’en pouvoir douter, qu’ils étaient industrieux, qu’ils vivaient dans l’aisance malgré la subdivision forcée de leurs terres, que leur moralité était très haute, que leur entente mutuelle était aussi parfaite qu’il est possible de l’espérer en ce monde, que leurs différends étaient réglés à l’amiable, que les pauvres étaient fort rares parmi eux et qu’ils étaient secourus avec empressement par la communauté. À ce concert unanime des écrivains, il fallait une voix discordante, et personne n’était mieux qualifié pour la faire entendre que Francis Parkman. Si l’on divisait l’humanité en deux camps : ceux qui voient plutôt les qualités, et ceux qui voient plutôt les défauts, en d’autres termes, si les hommes se partageaient en bienveillants et en grincheux, Parkman occuperait un rang distingué parmi ces derniers. Pareille manie conduit forcément à la partialité, sinon à la mauvaise foi. Le champ d’opération est vaste, et il est si facile de donner une tournure défavorable aux actes les plus innocents. Que vous fassiez ceci ou cela, il en est qui trouvent matière à blâme, même s’il vous était impossible d’agir d’une autre manière que vous n’avez fait. « Les Acadiens, dit Parkman, étaient des paysans simples et très ignorants, industrieux et frugaux, jusqu’à ce que les jours de malheur fussent venus les jeter dans le découragement[31] ; ils vivaient isolés du monde, et montraient peu de cet esprit d’aventure qui s’était développé chez leurs frères du Canada, grâce à la facilité avec laquelle ils avaient pénétré dans ces vastes régions de l’intérieur où abondaient les fourrures ; ils avaient peu de besoins et encore des plus primitifs ; se livrant modérément à la chasse et à la pêche pendant l’hiver, mais surtout adonnés à la culture des prairies s’étendant le long de la rivière Annapolis, ou des fécondes terres d’alluvion arrachées par le moyen de digues au flux et reflux de la Baie de Fundy. »

Nous ne doutons pas que les Acadiens ne se soient sentis abattus en touchant les rivages de la Nouvelle Angleterre ; mais si Parkman avait eu la moindre bienveillance, il eût facilement compris que, dans leur situation désespérée, aucun autre sentiment que le découragement ne pouvait habiter leur âme. Voulait-il qu’ils se fissent colons dans les endroits où on les avait jetés ? À quoi eussent servi des terres à des familles tronquées dont les membres épars pleuraient sur leur séparation, et qui, pendant huit années, jusqu’à la Paix de 1763, n’eurent pas le privilège de se chercher et de se réunir, — car les ordres de Lawrence le leur défendaient ? — Pouvait-on transformer en colons, attachés au lieu de leur exil et au travail, ces gens que l’on avait mis dans une situation d’esprit plus triste que la mort, auxquels l’on avait enlevé tout ce qu’ils possédaient, que l’on avait arrachés du sein de l’abondance et de leurs foyers pour en faire des mendiants parmi des étrangers à leur langue, à leur religion, qui souvent se moquaient d’eux en les accablant de mépris ? Parkman en parle bien à son aise ! Pour ces gens de cœur, si simples et si ignorants qu’ils fussent, que restait-il d’autre qu’à se décourager en face d’une si âpre destinée ? S’il en eût été autrement, ils eussent été indignes de toute sympathie.

Cette simplicité et cette ignorance mêmes, unies à leur industrie et aux hautes qualités morales dont furent témoins les compatriotes de Parkman, — voilà justement ce qui a contribué le plus à intéresser à leur malheureux sort tant d’écrivains distingués et d’âmes compatissantes. L’homme doué d’instincts généreux ne se détourne pas de l’opprimé, et surtout il ne l’accable pas, parce qu’il est simple et ignorant. C’est justement à cause de cette simplicité et de cette droiture qu’un despote, avide de richesse, a réduit ces paysans à la misère afin de s’enrichir du fruit de leurs travaux.

L’occupation des Acadiens était l’agriculture et l’élevage des bestiaux ; et, malgré le reproche que semble leur faire Parkman de n’avoir pas tiré parti des ressources que leur offraient la chasse et la pêche, nous considérons que leurs préférences pour l’agriculture prouvaient chez eux une civilisation supérieure à celles qu’ils eussent marquée en cédant à M l’esprit d’aventure ». Il est probable que Parkman eût, dans tous les cas, trouvé matière à critique et surtout s’ils eussent été ce qu’il leur reproche de n’avoir pas été. Nous voyons, dans l’état dressé par Winslow, que la moyenne, par famille, dans le district des Mines, était de vingt-trois bêtes à cornes, trente moutons et quatorze porcs. Cette moyenne serait considérable, croyons-nous, même de nos jours, et devait l’être bien davantage alors : pareille accumulation avait quelque chose d’étonnant, si l’on songe qu’elle était le lent produit de quelques têtes de bétail importées dans le pays soixante quinze ans auparavant. Cinquante ans après que les terres des Acadiens eurent été livrées aux colons anglais, la population du Bassin des Mines n’excédait pas celle qui l’habitait au temps de la dispersion[32], encore que ces colons se fussent implantés en nombre bien supérieur à celui des pionniers Acadiens, et qu’ils se fussent trouvés sur des terres toutes prêtes pour la culture, tandis que les premiers Acadiens avaient eu à accomplir de durs travaux de défrichements et à drainer des marécages. Bien que leurs successeurs fissent grand cas des terres endiguées, il y avait beaucoup moins de ces prairies ainsi conquises sur la mer, cinquante ans après la déportation qu’à l’époque même où elle était survenue ; et cependant, les travaux d’endiguement faits par les Acadiens avaient pu être partiellement utilisés[33]. Lorsqu’on 1765, les colons établis dans cette partie du pays désirèrent refaire ou réparer ces digues, ils s’adressèrent au gouverneur Belcher pour en obtenir la permission de faire exécuter ces travaux aux frais du gouvernement par les Acadiens, et ces mêmes colons avaient cependant eu l’avantage de s’établir sur des terres déjà défrichées[34]

Les Acadiens étaient simples et ignorants, mais ils vivaient à une époque où l’ignorance était presque générale chez les gens de leur classe. Il serait injuste de ne pas tenir compte de leur situation tout-à-fait exceptionnelle. Les cent soixante-quinze familles qui s’implantèrent sur ce coin de terre d’Amérique et qui devinrent la souche de la nation acadienne, vivaient dans un isolement à peu près complet sous la domination française tout autant que sous le régime britannique ; elles étaient sans contact, sans relations avec les centres. Dans ces conditions, elles ne sentaient guère le besoin de s’instruire, ou, si elles en avaient le désir, les circonstances dans lesquelles elles se trouvaient les empêchaient de le satisfaire, et leurs aspirations en ce sens durent s’émousser vite devant les obstacles qui s’opposaient à ce que l’instruction pût fleurir parmi elles. Leur ignorance n’a donc pas de quoi nous surprendre. Mais, eût-elle été sans excuse et aussi profonde que Parkman le donne à entendre si souvent, il n’y aurait pas là de raison d’accabler ces gens, et de leur refuser la sympathie que mérite le malheur immérité[35].

L’acharnement que met Parkman à revenir sur ce point, l’insistance avec laquelle il mêle cette considération au récit de leurs infortunes, semble à tout le moins déplacée : leur ignorance et leur simplicité suffiraient-elles à excuser ou à atténuer le forfait dont ils furent les victimes ! Comme question de fait cependant, nous voyons, par leurs requêtes, que le quart et quelquefois le tiers d’entre eux ont signé leur nom de leur propre main : ce qui ne paraît pas indiquer une ignorance aussi complète que l’historien américain veut le faire croire.

« L’abbé Rayal, dit Parkman, qui ne vit jamais les Acadiens, a tracé d’eux un portrait idéalisé, copié et embelli encore depuis, en prose et en vers, au point que l’Acadie est devenue une Arcadie… Cette humble société avait ses éléments de troubles ; car les Acadiens, aussi bien que les Canadiens, avaient l’humeur litigieuse ; et, entre voisins, l’on se querellait souvent pour des questions de bornes de propriété. Ils n’étaient pas non plus sans avoir une forte dose de jalousie, se livrant à des potins, à des commérages, — ce qui était leur manière de rompre la monotonie de leur existence[36]. »

Parkman a la monotonie en horreur. Et il y fût tombé effectivement s’il s’en fût tenu sur la question acadienne à des idées toutes faites, à des opinions reçues ; il pensait qu’il n’y avait pas grand risque à supposer un état de choses un peu différent. Il est vrai que Rainai n’avait jamais vu les Acadiens, si ce n’est ceux qui se réfugièrent en France : ses opinions ne se basaient donc que sur des on-dits, sur la commune renommée : c’était beaucoup à certains égards, mais c’était trop peu pour arriver à une précision absolue dans ses descriptions. Et pourtant, que dire de Parkman lui-même, qui est si affirmatif et dont les jugements ne s’appuient sur rien de connu, ni sur la tradition orale, ni sur des témoignages écrits ? Sans doute, il lui était permis de supposer que l’état de société dépeint par Raynal, et par tant d’autres après lui, comportait une perfection incompatible avec la nature humaine ; et c’est en partant de là qu’il a mis à son tableau les ombres que lui suggérait son imagination. bien persuadé qu’il ne pouvait errer gravement en apportant ces correctifs à l’œuvre de son devancier. Nous voulons bien croire que la peinture faite par Raynal appelait en effet des ombres ; mais nous pouvons affirmer sans crainte qu’en procédant à cette opération Parkman ne s’est laissé guider par rien de sérieux ; il a promené à travers la toile du maître un pinceau chargé de noir, pour la défigurer ; et c’est ainsi que les travers de son esprit et de son cœur l’ont amené à faire un tableau plus imaginaire encore que n’était celui de Ra^mal. Remarquons que ce qui n’eût pas été possible, dans les circonstances ordinaires, l’était devenu grâce à la situation particulière où les Acadiens se trouvaient placés. Le noyau primitif de la population n’était pas composé d’éléments divers, ainsi que cela s’était vu ailleurs : les premiers colons étaient fils de cultivateurs et cultivateurs eux-mêmes. Les trois-quarts de ce petit peuple remontaient aux quarante-sept chefs de famille qui s’étaient fixés dans le pays un siècle avant la dispersion ; ils étaient tous parents ou alliés ; les riches terres qu’ils possédaient leur donnaient en abondance tout ce qui pouvait satisfaire la simplicité de leurs désirs. Livrés à eux-mêmes, se suffisant eux-mêmes, ils se dispensaient sans inconvénients, sinon avec grand avantage, de tribunaux, de gardiens de la paix, d’huissiers ; ils mettaient leurs intérêts on. commun, réglaient leurs différends à l’amiable. Tout le volume des Archives ne contient pas un seul cas de meurtre, de vol, de voies de faits, d’attentat à la pudeur, porté devant les tribunaux ou seulement mentionné. Ce résultat étonnant doit être en grande partie attribué, nous le voulons bien, aux circonstances exceptionnelles dans lesquelles ils se trouvaient. Qu’on l’explique d’ailleurs comme on voudra, le fait en lui-même est incontestable. Les prêtres n’ont pas été sans contribuer quelque peu à produire cette haute moralité, et comme après tout la morale chez un peuple a bien son importance, il serait peut-être convenable d’être indulgent envers l’autorité qu’ils exerçaient ou pouvaient exercer sur les Acadiens[37]. En s’affranchissant davantage de leur contrôle, que Parkman estime si funeste, ce que les Acadiens eussent gagné en indépendance, en initiative, en progrès matériel, eût peut-être été au détriment de leur moralité. Nous admirons tout autant que Parkman les conquêtes de l’esprit humain, l’essor de la pensée ; nous croyons en une évolution constante et bienfaisante qui pousse les nations chrétiennes à aller de l’avant dans la voie tracée par la Providence ; mais si, en parcourant l’histoire, nous rencontrons quelque part un petit peuple heureux et prospère, vivant dans un état de société quelque peu primitif, mais moral, et tout imprégné du véritable esprit chrétien, nous ne nous arrêtons pas à discourir sur les limites restreintes de son horizon intellectuel, ni sur l’influence plus ou moins grande qu’il subissait de la part de celui-ci ou de celui-là, ni sur les bienfaits douteux qu’eût pu produire une révolution dans ses idées ; nous nous contentons d’admirer le spectacle que nous avons sous les yeux, sans arrière-pensée, sans formuler d’autre désir ; nous laissons au temps le soin de continuer sa lente évolution, bien persuadé que la morale est après tout le bien le plus appréciable qui soit proposé à nos ambitions.

Parkman ne pouvait manquer de reproduire l’opinion des deux officiers français plus haut citée, mais il le fait à sa manière ordinaire, en tâchant de dérouter le lecteur : « Des fonctionnaires français décrivaient leurs maisons comme étant de misérables boîtes en bois, sans ornements ni commodités, à peine fournies des meubles les plus indispensables. Souvent deux familles et même plus occupaient la même maison ; et leur manière de vivre, bien que simple et vertueuse, était loin de se distinguer par la propreté[38]. » Parkman ne met pas sa citation entre guillemets. Où s’arrête-t-elle ? on ne le voit pas clairement. Le lecteur est porté à croire que tout ce que nous venons de rapporter émane de ces officiers français, tandis qu’en réalité la dernière moitié, que nous avons soulignée, est tirée de l’imagination de l’historien, ou repose sur un renseignement connu de lui seul, et qu’il a ramassé on ne peut savoir où[39].

Examinons de plus près, à l’occasion de cette citation, la manière de procéder de Parkman, car ce cas en illustre bien d’autres de la même nature. Sur qui s’appuyait l’historien américain ? Sur deux fonctionnaires français, en réalité sur un seul peut-être, car une lettre, fût-elle signée de deux personnes, ne s’écrit que par une seule ; et, s’il y est question de faits sans importance, celui qui n’a pas tenu la plume, et qui peut-être ignore si ces faits sont exacts, laisse passer sans soulever d’objection. De plus, ces deux fonctionnaires résidaient à Québec, et, en autant que nous avons pu nous en assurer par des recherches ad hoc, ils ne mirent jamais les pieds à Louisbourg ou à Beauséjour ; par conséquent, le fond de la preuve de Parkman, outre qu’elle se basait sur une assertion générale toujours dangereuse, était à peu près sans valeur. Qu’a-t-il fait pour lui donner de l’importance ? C’est bien simple. Il suffisait de taire les noms de ces fonctionnaires, et de se servir de l’expression French officiais, en apparence si anodine. De la sorte, il ne s’agissait plus d’étrangers susceptibles de parler sans connaissance de cause, mais, ainsi que le lecteur était induit à le croire, d’officiers demeurant dans le voisinage des Acadiens, soit à l’Île du Cap Breton, soit à Beauséjour ; et ce terme vague ne donnait pas à entendre un ou deux, comme c’était le cas, mais un nombre indéfini, cinq, vingt, et peut-être tous les fonctionnaires en bloc. Et, comme si ce n’eut pas été assez, par un autre truc de sa façon, il a raccroché à sa citation des accusations plus graves puisées l’on ne sait où ; et, pour faire croire que ceci provenait de la même source que ce qui précédait, il s’est dispensé de mettre des guillemets. Ainsi, avec rien, ou du moins pas grand chose, il a fait boule de neige et constitué apparemment une grosse preuve.

L’on nous pardonnera d’insister aussi longuement sur les accusations de Parkman : en elles-mêmes, elles n’ont que fort peu d’importance ; ce qui leur en donne, c’est la haute position que l’historien a usurpée. La tâche est ingrate, mais une fois armé de patience, et quand on a surmonté le dégoût qu’elle inspire, il peut devenir intéressant de le suivre à travers ses voies tortueuses. L’écrivain qui descend à de si petits moyens, et qui, pour arriver à son but, se condamne à un travail de taupe, n’est guère capable de s’élever, avec son esprit et son cœur, aux hautes régions de la pensée. Il ne nous semble pas que ce soit cesser d’être bienveillant que de travailler à démasquer la fourberie pour faire triompher la vérité. L’œuvre est utile et nécessaire, et nous n’avons voulu que signaler les méthodes de cet écrivain afin d’aider ceux qui pourraient être tentés de pousser plus loin leurs investigations. Pour nous, nous nous en tenons aux quatre-vingt-dix pages qui se rapportent au sujet que nous traitons, et encore ne prenons-nous que le dessus du panier. Comme ceci ne comprend au plus que la trentième partie de ce que Parkman a écrit, on voit par là la quantité de Pichonneries qu’il resterait à dévoiler ; car celui qui a recours à des moyens pareils à ceux que nous avons signalés ne manque pas d’y revenir chaque fois qu’il en a l’occasion. En cette voie, il n’y a que le premier pas qui coûte[40].

Not remarkable for cleanliness, dit Parkman des Acadiens, « ils ne se distinguaient pas par la propreté ». L’historien nous fait l’effet d’un aveugle qui se prononce sur les couleurs. Et nous qui pensions que les Acadiens étaient au contraire remarquables par leur propreté ! Nous avons eu bien d’autres occasions que Parkman d’en juger : malgré cela, nous aurions été loin de nous aventurer dans ces généralisations difficiles, dangereuses et puériles. À moins d’une évidence en quelque sorte palpable, et de s’être trouvé dans des circonstances exceptionnelles qui lui permettaient de se rendre un compte bien exact de la réalité, l’écrivain soucieux de la vérité ne se hasarde pas à des assertions de cette nature. Il est toujours facile à celui qui n’a en vue que de déprécier une nation de trouver quelqu’un qui, par légèreté, par caprice ou par mauvaise humeur, aura exprimé au sujet de cette nation des opinions allant à l’encontre de celles qui sont universellement reçues[41].

À suivre le procédé de Parkman, nous pourrions faire une triste peinture des soldats anglo-américains à cette époque, et cela sans nous donner la peine de sortir de la Nouvelle-Écosse, Parkman doit connaître l’opinion qu’entretenait à leur égard l’amiral Knowles, gouverneur de Louisbourg. Dans ses lettres au Secrétaire d’État, le duc de Newcastle, Knowles dit, par exemple : « Ici, tout le monde, depuis les généraux jusqu’aux caporaux, est vendeur de rhum. » Il traite les soldats de la Nouvelle-Angleterre de paresseux, de sales et d’obstinés ; il déclare se réjouir de voir qu’il va en être débarrassé, et plaint Warren qui a eu à traiter avec eux[42]. Les miliciens dont il parlait, se composaient, croyons-nous, de la fine fleur de la colonie du Massachusetts ; et l’expédition pour laquelle on les avait levés avait été entreprise comme une croisade contre le papisme. Si nous nous autorisions de la déclaration de cet amiral, faite délibérément à un personnage tel que le Duc de Newcastle, Secrétaire d’État et chef du gouvernement anglais, pour conclure à la malpropreté, à la dégradation physique et morale des soldats en question, et par extension, à la malpropreté de toute la population de la Nouvelle-Angleterre, nous ferions exactement ce que Parkman a fait à l’égard des Acadiens, avec cette différence importante toutefois que notre imagination n’inspirerait pas notre jugement, lequel ne serait pas non plus basé sur une source obscure, sans poids et sans autorité. Mais comme nous n’écrivons pas dans l’intention de couvrir de boue qui que ce soit, nous n’hésitons pas à dire, avant tout examen des faits, et sans nous demander quelle était la valeur personnelle de cet amiral, et quels motifs le faisaient parler ainsi, que nous faisons bien peu de cas de ses accusations, pourtant si nettement définies. Il nous semble probable que son jugement était influencé soit par le spleen ou le dépit, soit par son tempérament acariâtre qui froissait les allures indépendantes des troupes américaines. Parkman, qui dans ses courses à travers le continent a ramassé bien des choses, n’a pas, que nous sachions, cueilli celle-ci.

Haliburton aussi avait lu Raynal ; de plus, il avait sur Parkman l’avantage de vivre auprès des Acadiens. Lorsqu’il écrivait son Histoire, soixante-quinze ans après la dispersion, les Acadiens avec qui il était en contact ne possédaient pas l’aisance des anciens jours. La lutte pour l’existence leur était pénible. Tolérés sur des terres de qualité inférieure, ils s’étaient fait pêcheurs, caboteurs. Leur situation n’était pas apte à favoriser un état de société aussi modèle que l’avait été leur passé. Cependant après avoir cité Eaynal, Haliburton ajoute :

« Voilà le portrait de ce peuple, tel que dessiné par Raynal. Plusieurs s’imaginent que nous avons là la représentation d’un état de bonheur social, qui n’est pas en accord avec les fragilités et les passions de la nature humaine, et que ce tableau est plutôt le fait d’un poète que d’un historien. Il est possible que dans sa description d’une scène de félicité campagnarde comme celle-ci, Raynal se soit laissé influencer par cette chaleur de sentiment qui le distinguait ; pourtant son tableau se rapproche beaucoup plus de la vérité qu’on ne le croit généralement. Dans les divers endroits des États-Unis où ils ont demeuré, une tradition fraîche et positive affirme leur caractère sans tache, paisible et scrupuleux ; et les descendants de ceux qui revinrent habiter dans leur terre natale à laquelle les attachaient des liens si chers, méritent toujours le nom de peuple doux, sobre et pieux[43] ».

Bien que cette opinion quasi contemporaine, pour respectable qu’elle soit, n’ait pas daigné attirer l’attention de Parkman, et que le nom de cet auteur si distingué n’ait jamais été cité par lui, nous nous permettons de retourner en arrière, au temps même de la déportation, pour produire l’opinion de personnes qui ont joué un rôle dans ce drame ; et cela, non pour l’information de l’historien américain qui a eu ces documents sous les yeux quand il écrivait, mais pour l’édification du lecteur non préjugé qui désire avoir des éclaircissements puisés aux meilleures sources.

Le Révérend Andrew Brown, avide de se renseigner fidèlement sur le caractère des Acadiens, leurs mœurs, leurs habitudes, s’adressa à cet effet aux personnes qui avaient été le mieux à même de les observer. L’une d’elles était le capitaine Brook Watson, qui avait commandé le détachement envoyé à la Baie Verte pour enlever les habitants, et qui, en une autre circonstance, commanda une flottille de plusieurs vaisseaux transportant les Acadiens d’Halifax à Boston[44] ; l’autre était ce Moïse de Les Derniers, qui a joué un assez triste rôle pendant la déportation. Voici en quels termes s’exprimait celui-ci :

« Les Acadiens étaient le peuple le plus innocent et le plus vertueux que j’aie jamais connu ou dont j’aie lu le récit dans aucune histoire… Ils vivaient dans un état de parfaite égalité, sans distinction de rang dans la société. Les titres de Messieurs n’étaient pas connus parmi eux. Ignorant le luxe et même les commodités de la vie, ils se contentaient d’une manière de vivre simple, qu’ils se procuraient facilement par la culture de leurs terres. On ne voyait parmi eux que bien peu d’ambition ou d’avarice ; ils allaient au devant des besoins les uns des autres, avec une bienveillante libéralité ; ils n’exigeaient pas d’intérêts pour des prêts d’argent ou d’autres propriétés. Ils étaient humains et hospitaliers à l’égard des étrangers, et d’une grande libéralité pour ceux qui embrassaient leur religion. Ils étaient très remarquables pour leur inviolable pureté de mœurs. Je ne me rappelle pas un seul exemple de naissance illégitime parmi eux, même aujourd’hui. Leurs connaissances en agriculture étaient très limitées, quoiqu’ils cultivassent assez bien leurs terres endiguées…

« Ils ignoraient complètement le progrès des arts et des sciences. Je n’ai connu qu’une seule personne parmi eux qui sût lire et écrire ; quelques-uns pouvaient le faire, mais imparfaitement, et aucun parmi eux n’avait appris les arts mécaniques. Chaque cultivateur était son architecte, et chaque propriétaire était un cultivateur. Ils vivaient presque entièrement indépendants des autres peuples, excepté pour se procurer du sel et des outils ; vu qu’ils ne se servaient que de très peu de fer pour les autres objets d’agriculture… Ils cultivaient et confectionnaient eux-mêmes de quoi faire leurs vêtements, lesquels étaient uniformes. Ils aimaient les couleurs noires et rouges avec des lisières aux jambes, des boucles de rubans et des nœuds flottants… Malgré leur négligence, leur défaut de moyens et de connaissances en agriculture, ils amassaient d’abondantes provisions de bouche et de vêtements, et avaient des habitations confortables…

« C’était un peuple fort et sain, capable d’endurer de grandes fatigues, et vivant généralement jusqu’à un grand âge, quoique personne n’employât de médecins. Les hommes travaillaient fort dans le temps des semences et des récoltes, et dans la saison convenable pour faire ou réparer leurs digues, et dans les occasions où l’ouvrage pressait. Ils se procuraient ainsi, pour la moitié de l’année au moins, des loisirs qu’ils employaient en réunions et en réjouissances dont ils étaient très avides. Mais les femmes étaient plus constantes à l’ouvrage que les hommes ; cependant elles prenaient une grande part à leurs divertissements. Quoiqu’ils fussent tous entièrement illettrés, il arrivait rarement toutefois qu’aucun d’eux restât longtemps silencieux en compagnie, ne semblant jamais en peine de trouver un sujet de conversation. Bref, ils paraissaient toujours joyeux et gais de cœur, et unanimes en presque toute occasion. Si quelques disputes s’élevaient dans leurs transactions, etc., ils se soumettaient toujours à un arbitrage, et leur dernier appel était aux prêtres. Quoique j’aie eu quelques exemples de récriminations les uns contre les autres en retour de ces décisions, cependant on découvrait rarement ou jamais panni eux des idées de malice ou de vengeance. Enfin ils étaient parfaitement accoutumés à agir candidement en toute circonstance ; réellement s’il y a un peuple qui ait mppelé l’âge d’or, tel que décrit dans l’histoire, c’étaient les anciens Acadiens[45]. »

La description de Book Watson se lit comme suit :


« C’était un peuple honnête, industrieux, sobre et vertueux ; rarement des querelles s’élevaient parmi eux. En été, les hommes étaient constamment occupés à leurs fermes ; en hiver, ils coupaient du bois pour leur chauffage et leurs clôtures, et faisaient la chasse ; les femmes s’occupaient à carder, filer et tisser la laine, le lin et le chanvre que ce pays fournissait en abondance. Ces objets, avec les fourrures d’ours, de castor, de renard, de loutre et de martre, leur donnaient non-seulement le confort, mais bien souvent de jolis vêtements. Ils leur procuraient aussi les autres choses nécessaires ou utiles au moyen du commerce d’échange qu’ils entretenaient avec les Anglais et les Français. Il n’y avait pas une maison où l’on ne trouvât pas une barrique de vin de France. Ils n’avaient d’autres teintures que le noir et le vert ; mais afin d’obtenir du rouge dont ils étaient remarquablement épris, ils se procuraient des étoffes rouges anglaises, qu’ils coupaient, échiffaient, cardaient, filaient, et tissaient en bandes dont étaient ornés les vêtements des femmes. Leur pays était tellement abondant en provisions que j’ai entendu dire qu’on achetait un bœuf pour cinquante chelins, un mouton pour cinq, et un minot de blé pour dix-huit deniers. On n’encourageait pas les jeunes gens à se marier à moins que la jeune fille ne pût tisser une mesure de drap, et que le jeune homme ne pût faire une paire de roues. Ces qualités étaient jugées essentielles pour leur établissement, et ils n’avaient guère besoin de plus, car chaque fois qu’il se faisait un mariage, tout le village s’employait à établir les nouveaux mariés. On leur bâtissait une maison, défrichait un morceau de terre suffisant pour leur entretien immédiat ; on leur fournissait des animaux et des volailles ; et la nature, soutenue par leur propre industrie, les mettait bientôt en moyen d’aider les autres. Je n’ai jamais entendu parler d’infidélité dans le mariage parmi eux. Leurs longs et froids hivers se passaient dans les plaisirs d’une joyeuse hospitalité. Comme ils avaient du bois en abondance, leurs maisons étaient toujours confortables. Les chansons rustiques et la danse étaient leur principal amusement[46]. »

Nous n’aurions que peu de chose à ajouter à ce tableau des mœurs acadiennes. Dans ses lumières comme dans ses ombres, nous le savons à peu près fidèle, et comme nous ne désirons rien d’autre que la fidélité et la vérité, cela nous suffit. Il y a loin, très loin, de ces témoignages aux phrases décousues que Parkman a puisées ça et là ! Et il est si rare que l’historien ait à son usage des matériaux qui réunissent, au même degré que ceux-ci, les conditions voulues pour inspirer confiance et respect. En effet, les circonstances qui ont donné lieu à leur élaboration sont uniques : ils étaient destinés à figurer dans l’histoire que Brown avait en préparation. Cet homme qui, par l’élévation du caractère, mérite d’être placé à côté d’Haliburton et de Murdoch, avait jeté les yeux autour de lui pour s’assurer qui étaient ceux sur qui il pouvait le plus compter pour se renseigner en vue de cet ouvrage. Nous ne pouvons porter une appréciation sur son choix, mais nous devons supposer que ce choix a été t’ait avec discernement et à sa satisfaction : étant donnée l’intégrité de Brown, une telle conclusion s’impose. Les deux hommes auxquels il s’était adressé pour en obtenir des renseignements dont le but avait une extrême importance, étaient, sans nul doute, parfaitement au courant du sujet ; et il est certain qu’ils avaient pesé et mûri avec soin les opinions qu’ils avaient émises. Il semble même qu’ils avaient conscience de répondre à tout un questionnaire. Ni l’un ni l’autre n’avait intérêt à exagérer dans un sens favorable aux Acadiens : au contraire, en le faisant, ils eussent ajouté à l’odieux du rôle qu’ils avaient rempli à leur égard. L’on pourrait s’étonner que Parkman n’ait pas saisi cette occasion exceptionnelle de se renseigner à bonne source, si l’on ne savait déjà qu’il n’a même jamais mentionné le nom de Brown ou celui d’Haliburton, quand, à la faveur de l’incognito, il a fait la place si large à Pichon.

Moïse de Les Derniers et Brook Watson n’étaient ni poètes ni romanciers, et cependant Raynal n’a rien dit de plus qu’ils n’ont fait eux-mêmes. Comme a dit Rameau, « ce dernier a peut-être eu tort d’affubler ses renseignements dans le langage ampoulé du dix-huitième siècle, mais le ton seul en est faux et la chose est bien vraie[47]. » Les poètes, les romanciers, touchés des malheurs dont les Acadiens furent victimes après une longue période d’abondance et de félicité, ont pu les entourer d’une auréole d’idéalisme qui les place en quelque sorte en dehors des circonstances de la vie réelle. En cela, ces écrivains n’ont fait qu’obéir aux meilleurs instincts de notre nature. Les grandes infortunes ont toujours eu le don de les attirer. S’ils ne font pas l’histoire, souvent ils la corrigent ; et Parkman lui-même leur aura rendu leur rôle nécessaire. Ils sont les successeurs de ces anciens chevaliers qui parcouraient le monde à la recherche de misères à consoler, d’injustices à réparer, de tyrans à punir. Il serait cruel de leur arracher des mains l’huile et le vin[48] que, comme le bon Samaritain, ils ont versés sur les plaies des victimes. Nous trouverions notre consolation dans l’oubli des maux qui ont fondu sur nos pères ; mais, comme cela ne se peut, l’amertume de ces souvenirs est cependant adouci par l’évocation du nom chéri de Longfellow et de tant d’autres âmes sympathiques.

Pour descendre à la réalité, nous dirons volontiers avec Rameau : « les Acadiens n’étaient ni poétiques, ni enthousiastes, ni rêveurs ; c’était tout simplement de braves gens, très obligeants les uns pour les autres, très-religieux, très-dévoués à leur famille, et vivant gaiement au milieu de leurs enfants, sans beaucoup de soucis ; on pourrait peindre leur physionomie en deux mots : c’était un peuple honnête et heureux[49] » — en qui il y avait une part plus ou moins grande des faiblesses propres à notre nature.

Aux témoignages non suspects que nous venons de produire, nous pourrions, dans une certaine mesure, ajouter le nôtre. Il nous a été donné, sinon de vivre longtemps au milieu des Acadiens, du moins de les voir très souvent dans la paroisse de St-Grégoire où résidaient nos grands parents. Cet endroit est un des asiles où ils se réfugièrent après les huit années d’exil dans les ports de la Nouvelle-Angleterre. Ils fondèrent cette paroisse, où encore aujourd’hui il ne se trouve peut-être pas cinq familles dont l’origine ne soit pas acadienne. Le sol était très riche, mais très humide et très boisé. Les Acadiens, avec raison, ont toujours préféré les terres basses, malgré les difficultés plus grandes qu’entraînent leur défrichement et leur assainissement. Ceux qui se fixèrent à l’Acadie, près de St-Jean d’Iberville, et à St-Jacques l’Achigan, firent également choix de terres semblables. Ces paroisses comptent parmi les plus prospères de la Province de Québec. Pour ne parler que de St-Grégoire, nous croyons que la peinture de mœurs, faite par Brook Watson et Moïse de Les Derniers, s’applique aussi exactement que les circonstances pouvaient le permettre, à l’état de chose qui régnait là il y a vingt-cinq ans. Sauf cette différence que les parents pourvoyaient seuls à l’établissement de leurs enfants et que l’éducation y était très répandue, tout le reste devait être la représentation fidèle de ce qui existait à Grand-Pré voilà cent trente-sept ans. Les différends se réglaient encore par le moyen d’arbitres ; nous n’avons entendu parler que d’un seul procès, et jamais d’une naissance illégitime ou d’un scandale public. Il n’y a jamais eu, et je crois qu’il n’y a pas encore, à l’heure qu’il est, de débit pour la vente des spiritueux. La coutume y existait toujours de pourvoir à l’automne aux besoins des pauvres pendant l’hiver : l’on portait à leur domicile tout le bois, les provisions, les vêtements qui leur étaient nécessaires jusqu’au printemps. Une compagnie d’Assurance Mutuelle a été fondée, nous dit-on, il y a deux ans : jusque-là, toutes les pertes par le feu étaient réparées en commun ; non seulement l’on fournissait les matériaux, mais aussi la main d’œuvre ; et la règle était de remettre la victime de l’accident dans le même état où elle était avant. Nous nous rappelons que l’on ne fit même pas exception à cette règle pour un riche avare d’assez triste réputation. Et si les maisons de ces Acadiens de St-Grégoire donnent une bonne idée de celles que leurs pères possédaient en Acadie, — vraisemblablement il en est ainsi, car ces gens sont respectueux de la tradition, et un grand nombre de ces logis datent du siècle dernier, — alors les remarques désobligeantes au sujet des demeures acadiennes, consignées dans la lettre plus haut citée de deux fonctionnaires français, n’avaient guère de fondement[50]. finalement découverte ; il y fut arrêté par le Shérif Burns, et emprisonné à Trois-Rivières.

« Quelques années auparavant, un américain de Boston, revenant de Québec, s’arrêtait pour la nuit chez mon grand’père. Boston était un endroit dont le nom était encore tristement familier aux Acadiens de St-Grégoire, mais il n’en était pas tout-à-fait ainsi pour mon grand’père, parce que son aïeul y avait été recueilli et protégé par une dame charitable dont ma famille avait gardé un touchant souvenir. La conversation fut longue et agréable ; il y fut question de la déportation, et finalement de la dame charitable. Que l’on juge de la surprise et de la joie : l’étranger était le petit-fils de la bienfaitrice de mon grand père, et je regrette vivement d’en ignorer le nom. Son séjour fut prolongé, et au moment du départ, on lui offrit une boussole, don de son aïeule, laquelle avait servi à guider mon ancêtre à travers la forêt avec ses compagnons : « Prenez-là, lui dit mon grand père, elle pourra vous être utile à vous qui allez reprendre le même chemin. Si précieuse qu’elle soit pour nous, à titre de souvenir, elle le sera également pour vous, outre qu’elle pourra vous rendre le même service qu’elle nous a rendu. »



  1. Le MS. original — fol. 682 — ne contient rien qui indique qu’ici s’ouvre un nouveau chapitre. C’est l’édition anglaise qui nous l’apprend. Est-ce Richard qui a coupé son texte après coup, ou est-ce le traducteur ? — Le sommaire est traduit de l’anglais.
  2. Voici le texte même du MS. original, — fol. 683 — : « D’autres, nous regrettons de le dire, superficiels ou malhonnêtes, renchérissant sur les autres, torturant des documents déjà torturés et tronqués, ne tenant aucun compte des considérations qui doivent guider l’historien, ont tenté tous les subterfuges pour justifier l’injustifiable. De ce nombre, et à peu près seul, se trouve Parkman. »

    En marge de ce paragraphe, le traducteur a mis la réflexion suivante : « Le pluriel ici est étrange, vu qu’il se réduit à un seul. » — L’on ne s’étonnera donc pas que nous ayons ramené ce texte au singulier, puisqu’en effet la pensée de l’auteur visait un seul homme, Parkman.

  3. Après expert dans l’art de tromper, le MS. original, même fol. contenait ce membre de phrase qui a été subséquemment biffé et vis-à-vis duquel le traducteur avait mis : répétition inutile, — à savoir : « qu’il nous ait jamais été donné de livre. »
  4. Cf. notre tome I, ch. XI, p. 338, note 32 renvoi à Montcalm and Wolfe, vol, I, c. IV, P. 96.
  5. L’auteur prétend que l’histoire se prête rarement à intéresser et à plaire. Il faut s’entendre. Les esprits légers préféreront toujours les contes ou les romans à l’histoire. Mais, pour les esprits sérieux, quelle branche des sciences humaines est-elle plus intéressante et plait-elle davantage que l’histoire ? L’histoire, traitée par un véritable historien, l’histoire à base de recherches scientifiques présentées avec art, intéresse et plaît toujours, même quand elle relate comme c’en est si souvent le cas, les crimes des hommes.
  6. Ce mot, bien français, est pourtant un peu fort. Nous le croyons injuste à l’égard de Parkman. D’ailleurs, l’ensemble de ce jugement sur l’historien américain a besoin d’être adouci. À la page suivante (162) de l’édition anglaise, se trouve la note suivante : «  This was written before Parkman’s death. Since that time, I have, of course, read many panegyrics written by his admirers, which, in no way, alter my opinion of him. »
  7. En marge, vis-à-vis de cette phrase, le M S. original — fol. 688 — porte la. notes suivante au crayon, de la main du traducteur : « Cette répétition agace le lecteur. » — La dite phrase a été supprimée dans l’édition anglaise (II. P. 163,)
  8. En marge de ce passage, le MS. original — fol. 689 — porte la note suivante au crayon, et qui semble bien être de la main de l’auteur, par la comparaison des écritures : — « Ici laisser espace pour les portraits de Longfellow et de Parkman. » Nous ne savons ce que cela peut vouloir dire. Il n’y a rien d’autre dans l’édition anglaise que ce que contient le MS. ; l’ordre en est exactement suivi.
  9. Cette affirmation est bien étrange. L’humanitarisme est bien XIXe siècle. N’est-il pas le produit direct et ridicule de la Révolution ? Qu’étaient les Saint-Simoniens, les disciples de Fourier, si ce n’est les tenants de ce système qui a précisément fleuri en plein milieu du XIXe siècle ? L’humanitarisme n’était donc pas une chose de l’avenir, mais du présent. Seulement, l’on pouvait être de son temps, et ne pas accepter pourtant cette chimère. Pour nous, Parkman n’est pas à blâmer de n’avoir pas versé dans cette lubie, véritable parodie d’un sentiment vieux comme le christianisme, toujours ancien et toujours nouveau cependant, — la charité.
  10. Tout l’alinéa qui suit est bien dans le MS. original, mais sur un demi-feuillet non-paginé ajouté au fol. du texte, 691.
  11. Le paragraphe qui suit n’est pas dans le MS. original. Nous le traduisons d’après la version anglaise (II. 1701.) et le mettons entre crochets.
  12. Voici le texte anglais de Richard : « Parkman, in his Montcalm and Wolfe, speaks of the ecclesiastical tutelage over the French-Canadians, which « aids the tamer virtues » that « need the présence of a sentinel to keep them from escaping », but which « is fatal to mental robustness and moral courage. »

    Nous donnons ci-après toute la page de Parkman d’où ces mots ont été tirés. L’état d’esprit étroit, sectaire et injuste de l’historien américain s’y révèle ouvertement. Cette page est au Chapitre XXXII de Montcalm and Wolfe, conclusion, page 427 : « With the Peace of Paris ended the checkered story of New France ; a story which would have been a history if faults of constitution and the bigotry and folly of rulers had not dwarfed it to an épisode. Yet it is a noteworthy one in both its lights and its shadows ; in the disinterested zeal of the founder of Québec, the self-devotion of the early missionary martyrs, and the daring enterprise of explorers ; in the spiritual and temporal vasselage from which the only escape was to the savagery of the wilderness ; and in the swarming corruptions which were the natural result of an attempt to rule, by the absolute hand of a master beyond the Atlantic, a people bereft of every vestige of civil liberty. Civil liberty was given them by the british sword ; but the conqueror left their religions system untouched, and through it they have imposed upon themselves a weight of ecclesiastical tutelage that finds few equals in the most Catholic countries of Europe. Such guardianship is not without certain advantages. When faithfully exercised it aids to uphold some of the tamer virtues, if that can be called a virtue which needs the constant présence of a sentinel to keep it from escaping ; but it is fatal to mental robustness and moral courage ; and if French Canada would fulfil its aspirations it must cease to be one of the most priest-ridden communities of the modern world.  »

    Cette page de l’historien est tout simplement absurde.

  13. Gratiano. A Daniel, still say I ; a second Daniel !

    I thank thee, Jew, for teaching me that word.

    The Merchant of Venice. Act. IV, Sc. I.

  14. Dans le MS. original, — fol. 696, — après arrière-pensée, un trait au crayon conduit à la marge où se trouve la réflexion suivante : « Arrière-pensée convient plutôt à l’historien qu’au lecteur. »
  15. Hist. of N. S. vol. II, ch. XXVII, ad fin. p., 394.
  16. Ibid. ch. XX. ad fin. p. 298-9.
  17. Dans l’édition anglaise (II, 174,) il y a la phrase suivante : « However, with all his ingenuousness, Murdoch could not write a truthful history of these events by making a mere summary of the documents that were left, » — laquelle n’est pas dans le MS. original — fol. 700 —, non plus que le renvoi suivant au bas de la page : « Although too severe, Campbell, in his History of the County of Yarmouth, is in the right direction when he styles Murdoch’s History a valuable repository of facts for some future historian. »
  18. L’édition anglaise a encore ici tout un passage auquel rien ne correspond dans le MS. original, — fol. 700. — Le voici : « When a crime is committed, almost all the évidence must have the same drift, if the culprit stands for judgment. So it is here, and this explains what appears to be spécial pleading. If I could possibly be wrong as to the motives of the deportation and Lawrence’s guilt, then, of course, much of what I have said would fall at the same time. The exceptional circumstances of the case forced me to examine carefully, in all their bearings, the documents I have produced, and to detect, by close comparison and analysis, the hidden connection between apparently isolated events ; no other course is open to a man who tackles a period of history that is so poor in documentary évidence. » (P. 175.)
  19. Le paragraphe suivant est sur un feuillet non paginé ajouté au fol. 701 du MS. original, et auquel l’auteur renvoie par un signe.
  20. Le passage que nous mettons entre crochets est marqué d’un trait au crayon dans le MS. original — fols 701-702 — vis-à-vis duquel il y a le mot omettre. Fidèle à notre méthode, nous croyons devoir l’insérer.
  21. La phrase suivante du MS. original — fol. 702 — a été biffée : « Nous entendions consacrer cinq ans et plus à ce travail, et quinze mois ont été amplement suffisants. »
  22. Vis-à-vis du passage entre crochets, le MS. original — fol. 703 — porte la note marginale suivante : « Omettre, répété trop souvent. »
  23. L’édition anglaise (p. 179.) a ici un renvoi au bas de la page qui n’est pas dans le MS. original. Le voici : Two years later, in may 1760, the Hon. Alexander Grant, member of the Executive Council, writing from Halifax to the Rev. Ezra Stiles of Boston, says : « The inhabitants may be about 3,000 ; one third Irish, one fourth German or Dutch, the most useful and industrious settlers among us, and the rest English, with a very small number of Scotch. We have upwards of 100 licensed houses, and perhaps as many more which retail spirituous liquors without license ; so that the business of one-half the town is to sell rhum, and the other half to drink it. You may, from this single circumstance, judge of our morals, and naturally infer that we are not enthusiastic in religion. »
  24. Hist. and Statis. Acct. of N. S., vol. I, ch. IV. P. 165-6.
  25. Akins. P. 583. Cette proclamation de Cornwallis est du 14 octobre 1749.
  26. Le MS. original, — fol. 706 —, aussi bien que la version anglaise, portent 10 octobre. C’est une erreur. Il n’y a pas de lettre des Lords à cette date, mais bien le 16 octobre. Cf. Akins, P. 587. Can. Arch. (1894) Oct. 16. Whitehall. Lords of Trade to Cornwallis. B. T. N. S.., vol. 34, P. 163. Également, Richard dit que cette lettre des Lords répondait à trois lettres de Cornwallis, tandis qu’il y est spécifié qu’ils accusent réception des lettres des 22 juin, 24 juillet, 20 août, et 11 septembre. Et cela fait quatre. C’est à la page 587 de Akins, que se trouvent les astérisques en question, vers la fin de la lettre de Cornwallis au duc de Bedford, en date du 11 septembre.
  27. L’édition anglaise n’a pas la citation latine ; elle la remplace par la phrase suivante : « They both understand each other like pickpockets in a crowd » — autrement dit : Akins et Parkman s’entendent comme larrons en foire.
  28. Akins, P. 157-8, au bas. Il a emprunté cette lettre aux N. Y. Col. Doc. vol. X. Cette lettre est aux Arc. du Can. Canada. Corr. Gén. 1745, vol. 83. M. de Beauharnois, Gouverneur Général, M. Hocquart, Intendant, c. 11, 1745. Sept. 12, Québec. « MM. de Beauharnois and Hocquart to Minister. They inform him of the taking of Louisbourg by the English, who thus become masters of the Royale Project for the recovery of the Island and of Acadia. Interesting détails as to both countries and as to measures adopted for their recovery. » (This document is most important.)
  29. « … The Acadians have not cxtended their plantations since they have corne under English dominion ; their houses are wretched wooden boxes, without conveniences and without ornaments and scarcely containing the most necessary furniture ; but they are extremely covetous of specie… »
  30. Le texte du M S. original — fol. 709 — porte abondance. C’est un peu fort, croyons-nous. Aisance nous semble plus près de la réalité.
  31. Dans l’édition anglaise, la citation se borne là, tandis que dans le MS. original, — fol. 710, — elle est telle que la donne notre texte. Cf. Parkman. Montcalm and Wolfe. I. ch. VIII. P. 268.
  32. Dans le MS. original — fol, 713 — la phrase s’arrête ici ; nous la complétons d’après la version anglaise (II. P. 184 ;) cela est nécessaire pour faire ressortir toute la pensée de l’auteur, qui établit une comparaison tout à l’avantage des Acadiens.
  33. Le MS. original renvoie : « Voir Haliburton. Hist. of Nova Scotia. » II, 114 et seq.
  34. Note du MS. original : « The Mémorial of the Inhabitants of King’s County, etc. That the Acadians who have hitherto been stationed in this county have been of great use as laborers, in assisting the carrying on our business in agriculture and improvements in general, but particularly in the repairing and making dykes, a work which they are accustomed to, and experienced in, and we find that without their assistance many of us cannot continue our improvements, nor plough, nor sow our lands, nor finish the dyking still required to secure them from sait water, and being convinced from expérience that unless those dyker lands are inclosed we cannot with certainty raise bread for our subsistance. »

    John Burbidge, Samuel Willoughby, Handly Chipman, Elisha Lathrop, Nathan de Wolf, Robert Denuison, Judge Deschamps, Moses de Les Derniers, W. Tonge, Henry Denson, Joseph Wilson, Joseph Baly, Benj. Sanford. In behalf of the inhabitants of Cornwallis, Horton, Windsor, Falmouth and Newport.

    Cf. Can. Archives. Nova Scotia, 1765. March March, 23. Mémorial of the Inhabitants of King’s County, that the Acadians may he allowed to remain for the summer, to assist in carrying on agriculture and improvements. B. M. Add. 19071. Fol. 215. C. F. Doc. in. II. 93.

  35. Le paragraphe qui suit est sur un demi-feuillet non-paginé, ajouté au fol. 714 du MS. original.
  36. Montcalm and Wolfe. I. VIII. 266-7-8. Parkman renvoie à Raynal. Hist. Phil. & Pol. VI. 242. Édition de 1772.
  37. Pour saisir toute la portée de cette phrase, il faut l’entendre dans son sens ironique. Elle constitue un coup droit porté aux affirmations de maître Parkman concernant l’espèce d’esclavage dans lequel le clergé aurait tenu les Acadiens. Tout le reste du passage est de la haute et fine ironie.
  38. Lot. cit. — La justice nous oblige à dire que Parkman ne cite pas entre guillemets, il est vrai, mais qu’après la phrase empruntée aux French officials, et qui se termine ainsi : « scarcely supplied with the most necessary furniture, » une note renvoie au bas de la page où est indiqué le document d’où cette phrase est tirée. Beauharnois et Hocquart au Ministre, etc. — Et le lecteur se rend très-bien compte que la suite, savoir : Souvent deux familles etc. est de Parkman. (P. 268 de Montcalm and Wolfe.)
  39. Les deux alinéas qui suivent sont sur un folio, paginé 718 bis dans le MS. original. Un signe au milieu du fol. 718 indique le renvoi.
  40. Le paragraphe suivant, par lequel l’on revient au fol. 718 est marqué d’un trait au crayon à la marge et annoté comme suit : « J’ai modifié ceci parce que vous ne donnez pas de preuves. » Ceci est une remarque du traducteur ; et il y a sensiblement de différence entre ce que porte ici le MS. original et la version anglaise (II, 191.) Nous nous en tenons au MS.
  41. Nous ne pouvons vraiment insérer dans le texte les deux phrases qui suivent ! — fol. 719 — et vis-à-vis desquelles le traducteur a crayonné : « Trop fort ; cela indiquerait de la passion chez vous. » Voici ces deux phrases : « L’historien n’est pas un vidangeur qui ramasse indistinctement toutes les ordures qu’il rencontre. Ici cependant, l’assertion de Parkman nous paraît être de pure fabrication, c’est-à-dire que l’ordure serait ( ?) tirée de son esprit. »

    Je crois bien que ceci est trop fort !

  42. Cf. Murdoch., II. P. 97, où Richard puise ce renseignement. Murdoch ajoute, après avoir analysé assez au long la correspondance de Knowles, que celui-ci avait été mal impressionné, dès son arrivée, et que sa santé mauvaise n’avait pas peu contribué à lui faire voir tout en noir. C’est le 22 mai 1746 que l’amiral arriva à Louisbourg. Cf. Can. Arch. (1894) 1746. Louisbourg, July 8th, et toute la suite de sa correspondance.
  43. Hist. of N. S, I. P. 102-3.
  44. « In 1755 I was a very humble instrument in sending eighteen hundred of those suffering mortals out of the Province. »

    Watson to Brown. London, 1st July 1791. Coll. N. S. H. S. vol. II, p. 133.

  45. Le MS. original n’indique pas la source où il a puisé ce document. Cela vient de Casgrain, Pèlerinage… App. no III. P. 384-5. — L’auteur le fait suivre de la note ci-dessous : « Cette description des mœurs du peuple acadien n’a été citée, que je sache, par aucun historien. Le Mémoire d’où je l’ai extraite a été écrit par Moïse de Les Derniers à la demande du Dr. Andrew Brown. J’en ai obtenu une copie grâce à l’obligeance de M. F. B. Crofton, bibliothécaire de la législature de la Nouvelle-Écosse. » Rameau, Une Colonie. II, 94, cite également ce témoignage, qu’il dit avoir emprunté à Casgrain.
  46. Le MS. original — fol. 726 — porte le renvoi suivant : « Collections of N. S. H. S. vol. II, p. 132, « et ajoute : » Voici ce que nous détachons d’une lettre adressée au duc de Nivernais, le 2 décembre 1762 : » « Les Acadiens vivaient comme les anciens patriarches au milieu de leurs troupeaux, dans l’innocence et l’égalité des premiers siècles. Tous ceux qui les ont connus parlent encore avec attendrissement de leurs vertus et de leur bonheur. »

    La version anglaise d’Acadie ajoute au renvoi du MS. concernant la provenance de la lettre de Brook Watson ces mots : This is taken from Casgrain’s translation. En effet, cette traduction se trouve au bas des pages 115-116 du Pèlerinage… Dans les Coll. of N. S. H. S., la lettre de Watson, qui est datée de Londres, 17 juillet 1791, va de page 129 à page 134 du vol. II. Quant à l’extrait de la lettre au duc de Nivernais. Cf. Pèlerinage… Appendice no. 14, où cette lettre se trouve reproduite en grande partie, d’après Arch. des Aff. Étrangères, Paris.

  47. Le MS. original — fol. 728 — oublie de signaler qu’il emprunte cette phrase à Rameau : il n’a ni guillemets ni référence ; cet oubli est réparé dans l’édit. anglaise (II, 198) où le renvoi est fait. Cf. Une Colonie, II, 97.
  48. Le MS. original — fol. 728 — dit « le baume », mais la version anglaise met avec raison « l’huile et le vin ».
  49. Ici, même observation exactement qu’à la note 47. — Cf. Une Colonie
  50. Au bas de cette page très-belle et très-vécue, l’auteur a mis la note suivante, non moins intéressante, ni moins personnelle, ni moins précieuse pour toute notre famille : « Mon grand’père, Joseph LePrince, était marchand à St-Grégoire, en société avec son frère François. Tous les deux étaient mariés aux deux sœurs, Julie et Henriette Doucet. Ils eurent chacun dix enfants, en tout quatorze filles et six garçons. Ils vivaient dans une communauté absolue et dans la même maison, qu’ils agrandirent plusieurs fois. Ils avaient avec eux leurs vieux parents et firent instruire leur plus jeune frère qui devint Évêque de St-Hyacinthe. Ils adoptèrent une jeune fille irlandaise, Mary Walsh, — dont les parents étaient morts du choléra à Québec. Tous ces enfants reçurent une bonne éducation, soit au collège, soit au couvent ; deux des fils sont prêtres : l’un est chanoine du diocèse des Trois-Rivières, et l’autre de celui de St-Hyacinthe. Lorsque la maison ne put convenablement s’agrandir (davantage,) ils en firent construire une nouvelle à côté, mais elle resta plus d’un an inoccupée, tant répugnait l’idée d’une séparation après quarante ans de cette vie en commun. Vers 1836, le gouverneur de la Province, se rendant à Sherbrooke, avec sa suite, demanda et reçut l’hospitalité de mon grand’père. Plus tard, une hospitalité d’une nature bien différente était accordée au frère de l’honorable L, J. Papineau : c’était pendant les troubles de 1837-38. Sa retraite fut