Texte établi par Henri d’Arles, J.-A. K.-Laflamme (Tome 2p. 123-150).

CHAPITRE DIX-SEPTIÈME



Intrigues des Français pour inciter les sauvages à commettre des hostilités. — Lettre de la Jonquière au Ministre. — Les sauvages harcèlent les établissements anglais. — Les Anglais se livrent à des faits de guerre contre les Français. — Procédés de Le Loutre à l’égard des Acadiens. — Il est blâmé par l’Évêque de Québec. — Divers actes de cruauté commis par les Anglais envers les sauvages du Maine.


Nous procédons dans ce travail avec le désir sincère de marquer le degré de responsabilité qui revient à chacune des parties mises en cause ; nous n’avons qu’un but : établir l’exacte mesure de blâme que méritent les Français et les Anglais, la Métropole et les autorités locales, les prêtres et les Acadiens, en un mot tous ceux qui furent mêlés à ce conflit.

Il y a une si grande pénurie de matériaux pour composer cette histoire, tant de lacunes restent à combler, que le seul moyen de suppléer à cette indigence documentaire est d’entrer successivement dans l’esprit de ceux qui y ont joué un rôle, pour tâcher de saisir les motifs qui les ont poussés dans telle voie plutôt que dans telle autre. Il faut se dépouiller en quelque sorte de sa personnalité propre, et se faire tour à tour missionnaire, paysan acadien, anglais et français, catholique et protestant, mettre de côté ses idées, rétrécir ou changer son point de vue, épouser les préjugés de tous. La chose n’est pas aisée ; pour certains, elle présenterait des difficultés presque insurmontables. Mais notre vie s’est écoulée dans des milieux complexes ; et, grâce aux circonstances exceptionnelles qui ont marqué notre carrière, et peut-être aussi à la nature de notre tempérament, il nous semble facile de faire abstraction de nous-même pour bien comprendre les sentiments d’autrui. Disposition heureuse pour bien débrouiller un point d’histoire comme celui que nous étudions, où il est nécessaire de compenser par une observation pénétrante ce que les archives ont d’incomplet. Si d’autres ont compulsé sur la question plus de documents que nous n’avons fait, personne, croyons-nous, n’a apporté plus de méditation pour saisir le sens de ces événements.

Généralement, en matière historique, une simple compilation de matériaux bien agencés, reliés l’un à l’autre par une narration claire et explicative, suffit pour composer une œuvre qui présentera l’image à peu près fidèle de ce qui s’est passé. Pareil procédé est impossible en notre cas, car les matériaux sont peu nombreux ; les pièces les plus importantes ont disparu ; celles qui restent ne donnent le plus souvent que la version de l’une des parties intéressées, dans des lettres officielles raides et compassées où ne paraissent que les dessus ordinairement trompeurs, où l’on ne voit que ce qu’il a plu à leurs auteurs de laisser voir. Les motifs, les intentions, les pensées secrètes, tout ce qui compose les dessous de l’histoire, et qui ne se manifeste que dans les correspondances privées, les journaux intimes, les pièces contradictoires, cela fait ici complètement défaut.

Les circonstances ne permettaient guère de s’en tenir au code d’honneur international qui régissait l’Europe civilisée. La participation des sauvages dans les conflits rendait la paix factice, les luttes doublement cruelles, et portait les haines mutuelles à leur paroxysme. Chacune des deux nations avait ses alliés indiens, qui faisaient parfois la guerre pour leur propre compte, mais qui le plus souvent y étaient poussés par l’une ou par l’autre. Même quand les sauvages agissaient de leur propre mouvement, l’on soupçonnait, d’un côté ou de l’autre, qu’ils obéissaient à des suggestions intéressées. Tel acte d’hostilité commis sur les Grands Lacs était vengé plus tard dans la Nouvelle-Angleterre ou la Nouvelle-Écosse, et vice-versa. Au point de vue du nombre, la France était bien inférieure à sa rivale. Le concours des Indiens était donc pour elle une nécessité d’où dépendait son avenir colonial. Aussi voyons-nous qu’elle cultiva toujours, plus assidûment et avec plus de succès, leur amitié[1]. Son moyen d’action sur eux le plus puissant était le missionnaire. Tandis que celui-ci, détaché du monde, s’enfonçait dans la forêt pour suivre les sauvages dans leurs expéditions de chasse, de traite ou de guerre, partageant leurs privations, s’associant à leur vie et à leurs intérêts ; le ministre protestant, retenu par les liens de la famille, ne pouvait exposer ceux qui lui étaient chers aux duretés d’une pareille existence ni à un pareil contact avec ces barbares ; il restait donc confortablement chez lui. Seul le missionnaire catholique avait assez d’abnégation surnaturelle et se sentait assez libre de toute affection terrestre pour aller leur porter la lumière de l’évangile et les initier à la civilisation, et cela au prix des sacrifices personnels les plus considérables.

L’on comprend que, pour lui, l’intérêt religieux était étroitement lié à l’intérêt national, puisque ses efforts devenaient, ou pouvaient devenir inutiles, du moment que le territoire passait aux mains de l’Angleterre. Il était certes bien naturel que le missionnaire conservât son amour pour la France ; mais Parkman, en le plaçant trop exclusivement sous l’empire de ce sentiment, ne s’est pas suffisamment rendu compte que pour lui la religion était inséparable de la patrie, et que ce double idéal n’en faisait qu’un à ses yeux.

Ces vastes et fertiles territoires, qui n’avaient d’autres maîtres que quelques tribus sauvages, excitant la convoitise, il fallait s’en assurer de bonne heure la possession, sous peine d’être devancé par sa rivale. Rien cependant ne définissait exactement ce qui devait constituer une possession légale acceptée et reconnue ; il fallait aussi compter avec l’amitié des Indiens, laquelle était souvent fragile et facilement troublée par des menées séductrices. En sorte qu’il n’y avait pas de ligne de démarcation nettement tracée où pouvait s’arrêter l’honneur.

En Europe, les actions les plus insignifiantes s’étalaient sous le regard de tous ; l’honneur avait, pour borne et pour frein, l’opinion publique, toujours si puissante. Mais ici, les actions les plus noires étaient souvent sans écho, ou elles restaient ensevelies dans la solitude de la forêt. Il ne faut donc pas s’étonner que les intérêts rivaux aient donné lieu à de nombreux actes de duplicité, et que l’une et l’autre des deux nations aient à leur charge des actes dont elles ne peuvent que rougir. À raison des circonstances de temps et de lieu, il convient d’être indulgent. Cependant, il est des actes tellement blâmables que l’histoire ne peut prétendre les ignorer ; et si la France mérite des reproches, ces reproches s’appliquent plus particulièrement, croyons-nous, à sa conduite dans cette partie du pays et à l’époque dans laquelle nous entrons.

Cette paix de huit années, de 1748 à 1756, ne fut autre, en Amérique, qu’une suite continuelle d’hostilités s’aggravant d’année en année ; et, comme a dit Macaulay, « la paix qui avait été conclue entre l’Angleterre et la France en 1748, n’avait été en Europe rien de plus qu’un armistice ; et elle n’avait même pas été un armistice dans les autres parties du globe[2] ».

La Proclamation de Cornwallis, ordonnant aux Acadiens la prestation d’un serment sans réserve, fut, en ce qui regarde l’Acadie, la cause ou le prétexte d’hostilités sourdes d’abord, puis finalement de guerre ouverte. L’inimitié des sauvages pour les anglais avait toujours été soigneusement entretenue ; c’était cet appoint qui équilibrait les avantages des deux nations dans cette partie du continent. Nous allons voir maintenant, ainsi que le dit avec raison Parkman, que rien ne fut négligé de la part des Français, pour porter les Indiens à commettre des hostilités, soit afin de décourager les colons amenés par Cornwallis, soit dans le but de forcer les Acadiens à traverser la frontière. En effet, quelques temps après cette Proclamation, de la Jonquière écrivait au ministre des colonies, que Cornwallis, à son arrivée, avait lancé une Proclamation exigeant des Acadiens un serment sans réserve ; que cela les avait jetés dans une grande alarme, et qu’il avait donné instruction au capitaine de Boishébert de favoriser leur départ. La Jonquière faisait aussi part au ministre des pourparlers qu’il avait eus avec les Sauvages. Voici les passages essentiels de sa lettre[3] :

« À Québec, le 9 8bre 1749.

« Monseigneur,

« … Les Angiois continuent de molester les habitants françois de l’Acadie et veulent les contraindre à quitter leur religion et se déclarer fidèles sujets du Roy de la Grande Bretagne.

« Ces pauvres habitants qui n’ont jusqu’à présent reçu aucun secours de nous, se voyant comme abandonnés et hors d’état de se soustraire aux persécutions des Anglois, ont pris le parti de présenter une requête à M. de Cornwallis, gouverneur de la Nouvelle-Écosse, le 1er août, par laquelle ils demandent qu’il leur soit accordé des prêtres et l’exercice libre et public de leur religion ; ils conservent même leur attachement pour la France jusqu’au point qu’ils demandent aussi qu’ils ne soient pas obligés de porter les armes en cas de guerre quand même la province seroit attaquée. Sur cette requête le Sr. de Coruwallis a rendu une ordonnance le dix du dit mois portant : Primo : que pourvu que les dits habitants continuent d’être fidèles sujets du Roy de Grande Bretagne, il leur accordera des prêtres et l’exercice public de leur religion, bien entendu qu’aucun prêtre n’officiera sans sa permission et avant d’avoir prêté serment de fidélité au Roy de Grande Bretagne, Secundo : que les dits habitants ne seront point exempts de défendre eux-mêmes leurs habitations, leurs terres et le gouvernement, 3o : qu’ils prêteront serment de fidélité au Roy de la Grande Bretagne avant le vingt-six de ce mois, et que pour cet effet il enverra des officiers sur les établissements françois, savoir à la rivière d’Annapolis, à la Grande Pré et à Chinictou.

« Il est facile de concevoir l’embarras où ont été les dits habitants en recevant cette ordonnance. Le Sr. de Boishébert qui m’en a informé par sa lettre du treize septembre me marque qu’ils ne sauraient être plus consternés, qu’ils désirent de trouver asile chez nous à PetKeKoudiac, Memeramcouqc et Chipoudy et qu’ils sont très disposés à s’y réfugier.

« Je lui ai fait répondre le 29 septembre qu’il devoit non seulement recevoir les dits habitants, mais même les inviter à venir s’établir dans les terres de son poste ou en dessus du portage de la baye verte, et leur donner tout secours et assistance quand ils y seroient. Je lui marque aussi d’en user de même avec les Mikmak s’ils sont obligés de quitter l’Acadie, mais je lui recommande d’agir avec toute la circonspection possible pour ne pas nous compromettre avec les Anglois.

« La lettre que le R. P. Germain m’a écrite est dans les mêmes termes, celle de M. l’abbé le Loutre me paroit si intéressante que j’ai l’honneur de vous en envoyer copie. M. Bigot auquel cet abbé a écrit pour le même sujet, vous en rendra compte.

« Les trois sauvages qui m’ont porté ces dépêches m’ont parlé relativement à ce que M. l’abbé le Loutre marque dans sa lettre[4], je n’ai eu garde de leur donner aucun conseil là-dessus et je me suis borné à leur promettre que je ne les abandonnerois point. Aussi ai-je pourvu à tout, soit pour les armes, munitions de guerre et de bouche, soit pour les autres choses nécessaires.

« Il seroit à souhaiter que ces sauvages rassemblés pussent parvenir à traverser les Anglois dans leurs entreprises, même dans celle de Chibouctou. Ils sont dans cette résolution, et s’ils peuvent mettre à exécution ce qu’ils ont projeté, il est assuré qu’ils seront fort incommodes aux Anglois et que les vexations qu’ils exerceront sur eux leur feront un très grand obstacle. Ces sauvages doivent agir seuls, il n’y aura ni soldat ni habitant, tout se fera de leur pur mouvement et sans qu’il paraisse que j’en aie connaissance.

« Cela est très essentiel, aussi ai-je écrit au Sr. de Boishéber d’observer beaucoup de prudence dans ses démarches, et de les faire très secrètement, pour que les Anglois ne puissent pas s’apercevoir que nous pourvoyons aux besoins des dits Sauvages.

« Ce seront les missionnaires qui feront toutes les négociations et qui dirigeront les pas des dits sauvages. Ils sont en très bonnes mains. Le R. P. Germain et M. l’abbé le Loutre étant forts au fait d’en tirer tout le parti possible et le plus avantageux pour nos intérêts, ils ménageront leur intrigue de façon à n’y pas paroître… »

Le résultat qu’il attendait de tout cela, poursuivait la Jonquière, était d’empêcher les Anglais de faire aucun nouvel établissement, de leur enlever les Acadiens, de les décourager en les faisant sans cesse attaquer par les sauvages de façon à les porter à abandonner leurs prétentions sur les territoires du Roi de France.

Rien n’est plus clair. Pour abréger, nous dirons que ces suggestions reçurent l’approbation du gouvernement français. Or, cette conduite était méprisable et sans excuse. À un moindre degré, la participation de Le Loutre et de Germain à toutes ces machinations l’était aussi, et l’histoire a le droit de mettre à la charge de ces derniers les vexations et les atrocités auxquelles se livrèrent les Sauvages contre les colons d’Halifax[5]. Toutefois, en justice, nous ferons observer à nouveau que le Père Germain et l’abbé Le Loutre étaient missionnaires chez les sauvages de l’Acadie Française (Nouveau Brunswick) et non de la péninsule (Nouvelle-Écosse).

Nous avons déjà parlé brièvement des efforts de Le Loutre pour faire émigrer les Acadiens de Grand-Pré et de tout le Bassin des Mines ; nous avons également signalé les moyens qu’il employa dans le même but à l’égard de ceux qui habitaient à Beaubassin, près de la frontière. Pour plus amples détails quant à ces derniers, nous laisserons parler Parkman, non que l’on doive croire à l’exactitude absolue des faits qu’il rapporte, — car ses renseignements proviennent en grande partie des autorités suspectes dont il a été question au chapitre précédent, mais parce qu’à défaut de toute autre source d’information, il peut être acceptable de s’en tenir à ses données, pour le fonds de vérité qu’elles peuvent contenir, et à la condition bien entendue que le lecteur ne perde jamais de vue leur origine douteuse ni la sorte de crédit qu’elles méritent[6].

Au chapitre quatrième, page cent vingt-et-une du tome premier de son ouvrage sur Montcalm et Wolfe, Parkman dit : « Déterminé à soustraire les habitants de Beaubassin à l’influence anglaise, Le Loutre, de sa propre main, mit le feu à l’église paroissiale, forçant ainsi la population à chercher refuge du côté français de la rivière[7] ».

Parlant des habitants de Cobequid, (maintenant Truro), il dit : « Ils ne commencèrent à déménager que lorsque les Sauvages les y obligèrent[8]. »

Quand Lawrence opéra son débarquement pour fonder le fort Lawrence sur la frontière, il restait encore, dans le voisinage du village de Beaubassin qui avait été détruit quelques mois auparavant, bon nombre de maisons et de granges qui avaient échappé à l’incendie : « Les Sauvages de Le Loutre, dit Parkman, menacèrent alors de massacrer les habitants s’ils ne prenaient pas les armes contre les Anglais. Quelques-uns obéirent, mais le plus grand nombre s’enfuit dans les bois. Sur ce, les Indiens et les Acadiens qui s’étaient joints à eux mirent le feu aux maisons et aux granges, ruinant tout le district, et ne laissant à la population d’autre alternative que d’aller demander aux Français le vivre et le couvert[9]. »

À la page 125, Parkman dit : « Le Loutre, craignant qu’ils (les Acadiens de Beaubassin) ne retournassent sur leurs terres et ne se soumissent aux Anglais, envoya quelques-uns d’entre eux à l’Île Saint-Jean. Ils refusaient d’y aller, mais il les y détermina enfin, en les menaçant de les faire piller par les Indiens, de faire enlever leurs femmes et leurs enfants et même de les faire massacrer sous leurs yeux[10]. »

Que si l’on modifie la narration de façon à atténuer les exagérations dans les détails, nous ne sommes pas loin de croire que les choses se sont passées substantiellement telles qu’elles viennent d’être décrites. Mais nous devons ajouter, et cela fait paraître la conduite de Le Loutre sous un jour moins défavorable, que ce missionnaire agissait avec la promesse que les Acadiens seraient pleinement indemnisés de toutes leurs pertes. Et si ces promesses ne reçurent pas leur entière exécution, la faute en est à l’Intendant Bigot, à Vergor et à leurs complices, qui détournèrent à leur profit les secours destinés aux émigrés.

Les exaltés du sentiment religieux, comme l’était Le Loutre, sont presque toujours des hommes dangereux lors qu’ils abdiquent leur rôle pour entrer dans les conflits humains. Les menées de ce missionnaire pour faire émigrer les Acadiens auraient dû cesser, dès l’instant qu’il rencontrait de leur part une forte résistance ; et puisque ceux d’entre eux qui résidaient près de la frontière s’opposaient à ses projets, il semble qu’il n’eût dû rien espérer de ceux que l’éloignement à l’intérieur du pays plaçait en dehors de ses moyens d’action. Ses efforts et ses machinations ne pouvaient qu’aggraver une situation déjà assez pénible.

Bien que les Acadiens, ainsi que nous le verrons, n’aient jamais rien fait qui justifiât leur déportation, ni qui méritât aucune sévérité comparable, de près ou de loin, à celle-là, néanmoins, lorsqu’on fait le compte des responsabilités, les Acadiens ne peuvent fermer les yeux ni oublier que la conduite de la France à leur égard a été impolitique, cruelle et égoïste ; qu’en avivant contre eux des préjugés et des antipathies elle a occasionné les malheurs qui ont suivi[11].

La lettre suivante de l’Évêque de Québec à Le Loutre fait bien voir ce que l’autorité religieuse pensait alors des agissements de ce missionnaire :


« Vous êtes enfin tombé précisément dans le trouble que j’avais prévu, et que j’ai prédit depuis longtemps. Les réfugiés ne pouvaient manquer de tomber tôt ou tard dans la misère et de nous accuser d’être la cause de leurs malheurs… La cour a cru nécessaire de faciliter leur départ de leurs terres, mais cela n’est pas du ressort de notre profession. C’était mon opinion que nous ne devions rien dire, soit pour nous opposer au projet en question, soit pour y engager. Je vous ai rappelé, il y a déjà longtemps, qu’un prêtre ne doit pas se mêler aux affaires temporelles, et que s’il le faisait, il se créerait toujours des ennemis et occasionnerait le peuple à être mécontent.

Avez-vous droit de refuser les sacrements (à ceux qui veulent retourner sur leurs terres,) de les menacer d’être privés des services d’un prêtre, et que les Sauvages les traiteront comme des ennemis ? Je leur souhaite consciencieusement d’abandonner les terres qu’ils possèdent sous le gouvernement anglais ; mais est-il bien prouvé qu’ils ne peuvent en conscience y retourner secluso perversionis periculo[12]

Cette lettre montre bien toute la distance qui sépare un prélat distingué d’un fougueux abbé de la trempe de Le Loutre.

Si l’on ne s’en rapporte qu’aux documents qui exposent les faits, il serait fort difficile de prouver que les hostilités commises par les sauvages eurent pour instigateurs les Français et Le Loutre ; de dire lesquels, des Français ou des Anglais, furent les agresseurs. Mais la lettre plus haut citée de La Jonquière fournit la réponse à la question et résout tout doute sur ce point. Elle montre que les Français avaient prémédité le plan de se servir des Sauvages pour des fins d’hostilité ; et, comme nous savons d’autre part qu’ils avaient tout intérêt à mettre obstacle à une colonisation britannique, tandis que les Anglais avaient pour l’instant un égal intérêt à s’abstenir de toute agression, il convient de s’appuyer sur cette lettre, — encore qu’elle constitue une preuve imparfaite, puisqu’elle a précédé les événements, — pour tenir les Français responsables de ce qui a suivi.

Les premières hostilités eurent pour auteurs les Sauvages et furent commises le 19 août 1749, six semaines environ après l’arrivée de Cornwallis à Halifax : ils firent prisonniers, à Canso, vingt hommes dont cinq étaient des colons qui étaient venus là pour se procurer du foin. Ces prisonniers furent emmenés du côté de Louisbourg, mais bientôt relâchés, grâce à l’intervention du commandant français. « Les Indiens, dit Cornwallis, allèguent comme excuse de leur action, qu’un certain Ellingwood, de la Nouvelle-Angleterre qui les avait rançonnés pour la somme de £100, et leur avait laissé son fils en garantie du remboursement de cet argent, n’avait jamais rempli ses promesses, bien que le colonel Hopson lui eût avancé les fonds[13] »

En septembre, les Sauvages, dit encore Cornwallis, sous prétexte de faire la traite, attaquèrent deux vaisseaux à Chignecton (Beaubassin :) trois anglais et sept indiens furent tués ou blessés à mort. Le 30 de ce même mois, sur six hommes qui avaient été envoyés par le major Gilman, couper du bois pour un moulin à scie, (lequel était situé dans la Baie de Chebucto, près de Darmouth Cove,) quatre furent tués et un cinquième fait prisonnier par les sauvages, tandis que le dernier fut assez heureux pour s’échapper[14].

Le lendemain, 1er octobre, le gouverneur et son conseil s’assemblèrent à bord du Beaufort, et rédigèrent une « Proclamation ordonnant à tous les officiers, tant civils que militaires, et à tous les sujets de Sa Majesté, de saisir et de détruire tous les Micmacs, et promettant une récompense de dix guinées pour tout Indien tué ou fait prisonnier ».

À propos de tous ces faits, dont la responsabilité, d’après nous, retombe en grande partie sur les Français, nous croyons cependant juste de référer aux contre accusations consignées dans les archives françaises ou ailleurs. Invariablement, les pièces officielles de l’une et de l’autre nation ne contiennent que la condamnation de la partie adverse ; en sorte que l’histoire qui ne se base que sur les témoignages de l’une des intéressées, comme cela s’est fait plus particulièrement pour l’Acadie, ne peut manquer d’être tout à fait partiale et incorrecte.

« Il est notoire, écrivait à la cour de France le comte de Raymond, commandant à Louisbourg, qu’il ne s’est guère passé de mois depuis l’année de la dernière paix (1748,) sans que les Anglais aient envoyé visiter les côtes de cette colonie par des corsaires armés en guerre. »

« Depuis la fin de l’année 1749, temps auquel les Anglais ont commencé à se rendre en foule à Chibouktou (Halifax,) pour s’y établir, les Français n’ont pu naviguer en sûreté le long de la côte de l’Est, et même aux environs de l’Île de Canseau… à cause des menaces fréquentes qu’ils faisaient. Ils ont continué de prendre les bâtiments de toutes espèces, de s’emparer de tout ce qu’ils trouvaient, et de se saisir en même temps des navigateurs, ce qu’ils ont effectivement exécuté en plusieurs rencontres[15]. »

« Le comte de Raymond, dit Casgrain[16], appuyait ces accusations d’une foule de faits accompagnés des détails les plus précis. Il disait entr’autres que les Anglais avaient pris, cette même année 1749, dans un port de l’Ile Royale (cap Breton,) trois chaloupes ainsi que les équipages et ne les avaient relâchés qu’après avoir pris toutes les morues de ces trois chaloupes… Ils attaquèrent et prirent des bateaux français qui allaient et venaient de l’Île Royale à l’Île Saint-Jean (Prince-Édouard,) en maltraitèrent les équipages et s’emparèrent de leurs cargaisons, souvent même de leurs bateaux, quoiqu’on leur montrât des passeports dans la meilleure forme[17].

« Un fait plus grave encore fut la prise (16 octobre 1750) d’un brigantin appartenant à la Marine française, nommé le Saint-François, qui "était chargé de vivres, d’habillements et d’armes destinés aux postes français de la rivière Saint-Jean[18]. »

Dans les Lettres et Mémoires sur le Cap Breton (Pichon [19],) il est dit :

« Vers la fin de juillet 1749, temps où l’on ne savait point encore dans la Nouvelle-France la suspension d’armes entre les deux couronnes, les Sauvages avaient fait des prisonniers anglais sur l’Île de Terreneuve ; mais ces prisonniers leur ayant appris cette suspension signée l’année d’auparavant à Aix-la-Chapelle, ils les crurent sur leur simple parole… les traitèrent en frères, les dégagèrent de leurs liens, et les menèrent dans leurs cabanes pour leur donner l’hospitalité ; mais malgré tant de bons traitements, ces perfides hôtes massacrèrent, pendant la nuit, vingt-cinq (Sauvages) tant hommes que femmes… »

« Vers la fin du mois de décembre 1744, M. Ganon[20], commandant un détachement de troupes anglaises… trouva à l’écart (près de Port-Royal) deux cabanes de sauvages Micmacs. Dans ces cabanes il y avait cinq femmes et trois enfants, dont deux de ces femmes étaient enceintes ; mais malgré ces objets si propres à exciter l’humanité, les Anglais non-seulement pillèrent et brûlèrent ces deux cabanes, ils massacrèrent encore les cinq femmes et les trois enfants. On trouva même que les femmes qui étaient grosses avaient été éventrées. »

Nous n’avons pas l’intention de mettre en parallèle les actes accomplis par les deux nations, pour établir à laquelle il faut décerner la plus grande part de blâme, dans les cruautés qui sont à la charge des Indiens, et auxquelles ces derniers se sont livrés, lors des guerres que la France et l’Angleterre eurent l’une avec l’autre ou avec les Sauvages. Eu égard aux circonstances, l’histoire doit fermer les yeux, du moment que les autorités se sont raisonnablement efforcées de réprimer ces barbares. Il faut aussi faire une distinction entre la conduite des subalternes et celle des officiers supérieurs. Mais les atrocités commises par les blancs envers les Sauvages n’ont pas d’excuse, et celles qui sont imputables aux autorités du Massachusetts à l’égard des Indiens du Maine, dépassent de beaucoup toutes celles qui ont eu lieu ailleurs, elles l’emportent même en horreur sur tout ce que les sauvages ont jamais fait. Nous ne pensons pas que les Français se soient jamais rendus coupables d’actes qui approchent de ceux que nous allons reconter. Nous les trouvons reproduits de la même manière par nombre d’historiens. Nous nous en rapporterons de préférence à Hannay, que nous avons sous la main :

« Les Indiens de l’Est rouvrirent les hostilités en juin 1689, par la destruction de Dover, New-Hampshire, où le Major Waldron et vingt-deux autres furent tués et vingt-neuf faits prisonniers. Waldron avait amplement mérité son sort ; car, plus de douze ans auparavant, il avait bassement trahi les Indiens, et cet acte honteux avait sans doute depuis fait répandre beaucoup de sang innocent. En 1676, vers la fin de la guerre du Roi Philippe, (King Philip’s War,) Haldron, alors commandant de milice à Dover, avait fait la paix avec quatre cents Indiens, qui avaient campé près de la maison. Peu après arrivèrent à Dover deux compagnies de soldats, et avec leur aide Waldron machina un plan dans le but de s’emparer de tous ces sauvages et de les faire prisonniers. Il proposa donc aux Indiens de prendre part à une revue et à une bataille simulée, à la mode anglaise, la milice et les soldats devant se tenir d’un côté, et les sauvages de l’autre. L’on avait déjà exécuté quelques manœuvres, quand Waldron incita les sauvages à tirer la première salve : au même moment, les soldats les entourèrent et les firent tous prisonniers. Quelques-uns furent remis en liberté, mais plus de deux cents d’entre eux furent emmenés à Boston, où l’on en pendit sept ou huit, tandis que les autres étaient vendus comme esclaves. Ce fut pour venger cet acte méprisable que Waldron fut assassiné en 1689[21]. »

À la page 238 du même ouvrage, nous lisons encore ceci :

« Cent cinquante Indiens de cette tribu (Penobscot) et un nombreux parti d’Indiens de Kennebec attaquèrent York, en février 1692. La place fut surprise, l’une des maisons fortifiées qu’elle contenait tomba aux mains des assaillants, et tous ceux des habitants (qu’elle renfermait,) et qui ne purent rejoindre les autres, furent ou tués ou faits prisonniers. Environ soixante-quinze personnes furent assassinées, entr’autres, le vénérable M. Dummer, ministre de l’endroit. Les captifs étaient au nombre d’une centaine. Plusieurs femmes âgées et des enfants furent relâchés et renvoyés aux garnisons (garrisoned houses,) pour récompenser les Anglais d’avoir épargné quelques femmes et enfants Indiens, à Pejepscot, un an et demi plus tôt. Ceci prouve que les sauvages ne manquaient pas entièrement de gratitude, et qu’ils avaient plutôt un sens exquis de l’honneur ; car il est notoire qu’à Pejepscot, Church ne fit pas grâce à toutes les squaws et à tous les enfants, mais seulement aux femmes de deux Sagamores, ainsi qu’à leurs enfants, et à deux ou trois vieilles squaws. Toutes les autres femmes indiennes, et les enfants, dont il y avait un grand nombre, ce tueur de Squaws, (Squaw Killer,) de Church les assassina de sang froid. »


En un autre endroit[22] :


« Durant l’hiver (1695-96), les Anglais se rendirent coupables d’un acte de sotte trahison, lequel justifia et au delà tout ce que Villebon avait dit au sujet de leurs intentions réelles à l’égard des Indiens, et exaspéra grandement ces derniers. Stoughton, gouverneur du Massachusetts, envoya un message aux Indiens leur demandant d’amener leurs prisonniers afin de procéder à un échange. Quelques-unes des tribus répondirent par un refus méprisant, mais la tribu des Penobscot était extrêmement anxieuse de ravoir cinq de ses hommes, qui étaient détenus à Boston ; aussi, en février 1696, les Penobscot se rendirent-ils à Pemaquid avec cinq captifs anglais qui devaient être donnés en retour des leurs. Le capitaine Chubb, commandant de Pemaquid, reçut les sauvages délégués avec de grandes démonstrations de bonté, et leur persuada de relâcher leurs captifs, leur promettant d’envoyer chercher immédiatement à Boston les cinq sauvages qu’ils désiraient échanger. Il leur promit même de leur faire des présents, et les sauvages furent si charmés de la manière dont on les traitait qu’ils en étaient presque venus à la conclusion « d’enterrer la HACHE de guerre ». Chubb proposa de tenir une conférence à portée (within sight) du fort, et il fut convenu que neuf anglais et neuf indiens sans armes se rencontreraient à l’endroit choisi. Le parti sauvage se composait de trois chefs — Taxons, Egeremet, Abenquid — et de six autres ; du côté anglais, il y avait Chubb, avec huit hommes de sa garnison, tous armés de pistolets qu’ils avaient cachés dans leur sein. Les Indiens avaient bu plutôt largement la boisson que Chubb leur avait généreusement versée, et comme ils étaient quelque peu ivres, ils ne s’aperçurent pas qu’un parti de soldats anglais les avait cernés à une faible distance. Quand tout fut prêt, Chubb donna le signal. Egeremet, Abenquid, et un autre Indien furent tués sur-le-champ ; le courageux et athlétique Taxons fut saisi par quatre anglais qui s’efforcèrent de le lier ; mais un autre Indien très fort saisissant le mousquet d’un des soldats, passa à la baïonnette trois des assaillants de Taxons, ce qui permit au chef de s’évader. Un autre Indien, après avoir tué trois anglais, fut abattu. Quatre Indiens furent tués dans cette échauffourée, trois faits prisonniers. Taxons et le sauvage qui étaient venus à sa rescousse réussirent seuls à s’échapper. Pas n’est besoin d’insister sur le caractère de cette scandaleuse transaction ; si ce n’est pour faire observer que ce fut un crime, non seulement contre les Indiens, mais aussi contre les colons anglais, qui finalement eurent le plus à souffrir de tous ces actes de traîtrise… Des crimes aussi inexcusables que ceux qui furent commis par Waldron et par Chubb contre la foi et l’honnêteté, ne permirent pas aux Indiens de croire que les Anglais garderaient jamais d’armistice avec eux ; car ces exemples de la tromperie anglaise furent racontés et transmis d’une tribu à l’autre, du cap Breton jusqu’au Lac Supérieur, et dans les années qui suivirent ces trahisons furent payées de la même monnaie. »

Ce ne sera pas un hors d’œuvre de rappeler ici la fin tragique du Père Rasle, qui pendant trente ans, avait été missionnaire sur la rivière Kennebec[23] :

« Ce missionnaire, a dit Smith, était un homme accompli, et sa vie fut, à la lettre, un long martyre. Correspondant et ami du gouverneur du Canada, il passait, aux yeux des anglais, pour être l’instigateur des hostilités que les Indiens commettaient. Le village où ces derniers habitaient fut enlevé d’assaut ; le Père Rasle, dans l’espoir de détourner sur lui l’attention des ennemis et de sauver son troupeau bienaimé par l’offrande volontaire de sa propre vie, tomba mort avec sept indiens qui avaient accouru pour lui faire un rempart de leurs corps. Quand la poursuite eut cessé, les Indiens revinrent chercher la dépouille de leur missionnaire, qu’ils trouvèrent étendue au pied de la croix du village, criblée de balles, la chevelure enlevée, le crâne brisé à coups de hachette, la bouche pleine de boue, les os de ses jambes broyés, enfin méconnaissable[24]. »

« La mort de Rasle fut la cause de grandes réjouissances dans le Massachusetts ; et quand Harmon, le doyen des commandants (de l’expédition,) apporta à Boston les chevelures de ses victimes, (faisceau de sanglants trophées fait de chevelures de femmes et d’enfants et de celle d’un vieux prêtre,) il fut reçu comme s’il eut été un grand général, tout frais sorti d’un champ de victoire[25] »

« Un certain capitaine Lovewell, dit encore Hannay, jaloux de la renommée de Harmon comme enleveur de chevelures, et son patriotisme échauffé par l’espoir du large . butin promis par le Massachusetts pour ce genre d’article, rassembla, en décembre 1724, une bande de 300 volontaires, et commença une chasse aux chevelures sur les frontières du New Hampshire, tuant un Indien, pour la chevelure duquel la compagnie reçut 100 £. Il repartit avec quarante hommes, en février 1725, et à Salmon Falls surprit dix Indiens qui dormaient devant le feu de leur camp et les tua : les chevelures de ces sauvages lui rapportèrent à lui et à ses compagnons 1 000 £. Il aurait dû alors se reposer et ne pas trop se fier à la fortune ; mais la perspective de gain et de gloire le poussa dans une troisième aventure, où il laissa sa propre tête[26]. »

Ces actes barbares ne furent pas, comme on le voit, le fait d’individus sans responsabilité, agissant isolément, mais bien celui d’officiers supérieurs stimulés dans leurs étranges ambitions par l’appât d’une prime gouvernementale. Dans la guerre qui venait de se terminer, (1744-1748,) ce même gouvernement du Massachusetts avait offert une prime de 100 £ pour la chevelure de tout indien mâle, et de 50 pour celle de chaque femme ou enfant. Nous n’ignorons pas que, dans certaines circonstances, les Français offrirent également des primes aux sauvages pour les chevelures de leurs ennemis ; mais nous ne sachons pas de cas où pareille récompense ait été promise par eux pour des chevelures de femmes et d’enfants. En outre, et c’est là une différence essentielle, cette odieuse besogne, au lieu d’être exécutée par des blancs, comme cela se pratiquait dans le Massachusetts, était laissée aux sauvages eux-mêmes. Et enfin, pendant les cinquante dernières années du régime français en Amérique, les mœurs des sauvages s’étaient bien humanisées, et très probablement grâce aux missionnaires, à ce point que l’usage d’enlever les chevelures des ennemis fut remplacé par celui de faire des prisonniers que l’on relâchait ensuite contre rançon.

Il est facile de comprendre que les hostilités et les cruautés exercées par les sauvages contre des colons sans défense aient eu l’effet d’exaspérer à un haut degré la population. De bonne foi l’on pensa que le meilleur moyen d’y mettre fin était de porter chez eux la terreur en se servant de leurs propres moyens. C’était une erreur à tous les points de vue, c’était provoquer la répétition de leurs actes, éterniser leurs haines, fausser et retarder leur civilisation. Au moins eût-il fallu leur donner des preuves de vie sociale supérieure en respectant les conventions, en épargnant la vie des femmes et des enfants. Ces sauvages étaient aussi sensibles à la gratitude que prompts à la vengeance ; et jamais les Français n’eussent pu conquérir sur eux l’influence dont ils jouissaient dès longtemps, s’ils n’eussent respecté leurs droits, et s’ils ne se fussent interdit de commettre des actions semblables à celles que nous venons de raconter.

Tous ces sauvages du Nouveau-Brunswick et du Maine : Malécites, Abénaquis, Medoctètes, formaient avec les Micmacs de l’Acadie une grande famille unie par les liens du sang et de l’amitié. Ce qui était fait à l’une de ces tribus était ressenti, et pendant longtemps, par toutes les autres, comme une injure personnelle. Il n’est pas étonnant, dès lors, que les sauvages de l’Acadie aient toujours été les ennemis personnels des Anglais.



  1. L’auteur d’Acadie omet d’indiquer la vraie raison pour laquelle les sauvages s’attachèrent plutôt aux Français qu’aux Anglais, et cette raison est d’ordre psychologique, elle tient à l’essence même du caractère français. Les Français se montrèrent toujours à l’égard des indigènes plus humains, plus loyaux, plus désintéressés que les Anglais, ils s’occupèrent de leur âme pour l’initier aux vérités du christianisme, d’où la sympathie qu’éprouvaient naturellement ces barbares à leur endroit. Tandis que les Anglais ne cherchaient qu’à les exploiter pour des fins de commerce ou de guerre.
  2. « The peace which had been concluded between England and France in 1748, had been in Europe no more than an armistice ; and had not even been an armistice in the other quarters of the globe. » — Macaulay, Frederick the Great. Dans Critical and Historical Essays. Vol. V. p. 302. (Boston & New York. Houghton, Mifflin and Company. The Riverside Press) (MDCCCC).
  3. L’extrait qu’en donne le MS. original — fol. 361 — est bien incomplet, et de plus en anglais. Or, nous avons le texte complet de cette lettre sous les yeux, d’après l’original, et nous en détachons, en justice pour les Français que Richard semble vouloir prendre à partie, tous les passages propres à mettre dans son vrai jour leur conduite en Acadie. Cf. Archives Canadiennes, 1905. Vol. II. App. N. pp. 373-4.
  4. Richard cite la lettre de Jonquière à partir de : « je n’ai eu garde, I did not care… » en sorte que l’on ne sait pas exactement ce dont il s’agit ni à quoi se rapporte ce je n’ai eu garde.
  5. Richard est bien sévère pour la France et les pauvres missionnaires français. Quand les autorités anglaises ne respectaient aucun traité, qu’elles attentaient à la langue et à la religion des Acadiens, qu’elles préparaient sournoisement contre eux l’infamie de la déportation, il aurait donc fallu, d’après l’auteur d’Acadie, que les Français, sous couleur de ne pas manquer à l’honneur ni aux délicatesses internationales, les laissassent agir à leur guise, et ne vinssent pas s’immiscer dans leur politique intérieure !! Quant aux vexations et aux atrocités dont il tient de vertueux prêtres responsables, que n’apporte-t-il des preuves réelles, au lieu de se livrer à des déclamations qui sont l’écho direct de ses lectures d’historiens anglais, trop intéressés à calomnier le catholicisme et la France pour mériter le moindre crédit.
  6. Inutile de relever tout ce qu’il y a d’étrange, et de presque inconcevable dans le procédé auquel l’auteur d’Acadie a recours ici. Comme cela implique contradiction avec ce qu’il a dit dans son chapitre précédent ! Quand une source de renseignements n’a aucune valeur, où à peu près, et que l’on s’est appliqué à flétrir l’historien qui a basé là-dessus tout son récit, ce n’est pas la peine vraiment d’y revenir pour mettre en relief des accusations très probablement fausses.
  7. Voici le texte anglais complet : «  News of their approach (Lawrence avec 450 hommes, vers la fin d’avril 1750) had come before them, and Le Loutre was here with his Micmacs, mixed with some Acadians, whom he had persuaded or bullied to join him. Resolved that the people of Beaubassin should not live under English influence, he now with his own hand set fire to the parish church, while his white and red adherents burned the houses of the inhabitants, and thus compelled them to cross to the French side of the River. »

    Nous faisons remarquer que Parkman met une note au bas de la page dans laquelle il reproduit un passage des Mémoires sur le Canada dont le texte ci-haut n’est que la traduction à peu près littérale. Il y réfère également à Précis des Faits, p. 85, et à une lettre de Prévost au Ministre, en date du 22 juillet 1750.

    Dans le MS. original — fol. 364 — après Le Loutre with his own hand, Richard a mis un ?

  8. Cette citation est fautive. À cet endroit, page 114 du même chapitre, Parkman reproduit entre guillemets un passage d’une lettre de Bonaventure à Desherbiers, en date du 26 juin 1751, lequel se lit comme suit : They leave their homes with great regret, reports the governor of Isle St-Jean, speaking of the people of Cobequid, and they began to move their baggage only when the savages compelled them. — Cf. A. C. (1887) p. CCCLV. Île Royale Corr. gén. 1751 vol. 30. M. Desherbiers, gouv. c. II, june 26. Louisbourg. M. Desherbiers au ministre. Lui envoie copie d’une lettre de M. Bonaventure concernant l’Île S-Jean… » Fol. 13.)
  9. Ceci se trouve à la page 122 du même chapitre. Pour la première partie de ce passage, Parkman réfère en note à une lettre de Prévost au Ministre, en date du 27 septembre 1750 ; pour la dernière au Journal de la Valière, où il est dit : « Les Sauvages et Acadiens mirent le feu dans toutes les maisons et granges, pleines de bled et de fourrages, ce qui a causé une grande disette. » Pour la lettre de Prévost an Ministre d’où Parkman a tiré son renseignement, en voici le résumé, d’après A. C. (1887) p. CCCLII, 1750. Sept. 27, Louisbourg : The English have disembarked 2,000 men at Beaubassin to form a Settlement there. Indians désire to disturb them, but the Acadians oppose this move, and the greater portion fly into the woods while waiting for the settlement of the boundaries… » (Fol. 106, 7 pp.) (Île Boy. C. G. 1750. Desherhiers, gov. vol. 29, c. II.)
  10. Dans ce passage, à partir de : Ils refusèrent d’y aller, they refused to go, Parkman cite entre guillemets les Mémoires sur le Canada, ainsi qu’il le met en note. Dans sa narration, il dit : They refused to go, says a French writer… Le MS. original — fol. 365 — porte un F après les mots : and even kill them before their eyes. (Cf. A. C. (1887.) Refusal of the Acadians to pass to Île St-Jean, because they wait for, as abbé Le Loutre writes, a settlement of the boundaries. P. CCCLV. Île Roy. C. G. 1751. Desherbiers, gouv., vol. 30, c. II. Juin, 17. Louisbourg. Copie d’une lettre de M. Desherbiers à M. de Bonaventure. Fol. 14, ½ p.)
  11. Étrange réflexion ! Les rôles sont en quelque sorte renversés. Ce n’est plus l’Angleterre qui a opéré la déportation des Acadiens, mais la France. Ou plutôt la déportation a été la conséquence nécessaire de principes posés par la France, la suite fatale de sa conduite envers les Acadiens. Et l’Angleterre ne pouvait guère agir autrement qu’elle n’a fait ; elle a été emportée, comme malgré elle, par un flot que la France avait été la première à déchaîner Voilà certes une manière de voir assez originale, pour ne pas dire paradoxale. Nous osons la qualifier d’injuste et de malheureuse : injuste, puisqu’elle est contredite par les documents ; malheureuse, puisqu’elle émane d’un historien qui avait pourtant de bonnes raisons de ne pas accabler une nation de laquelle il descendait. — L’édition anglaise d’Acadie, p. 299, contient ici un passage qui n’a pas son correspondant dans le MS. original — fol. 366. Est-ce une addition faite par le traducteur ? Est-ce l’auteur qui l’a mis sur la version anglaise ? En tout cas, le voici : « and here, as Parkman, in quoting Pichon, states facts of a public nature, which could not be altogether unknown to the Halifax authorities, and which are partly sustained by, or in line with De La Jonquière’s letter, I woudl find no fault, provided he had given out the name of his authority, objectionable though it be. »
  12. Des recherches faites dans les archives de l’Archevêché de Québec n’ont pas abouti à y retrouver l’original de cette lettre-ci, dont on a tant abusé contre Le Loutre. Elle est assez sévère, en effet, mais l’Évêque d’alors, Mgr de Pontbriand ne s’était-il pas involontairement laissé influencer contre ce missionnaire par les énormités que Cornwallis lui avait écrites à son sujet, et aussi par des calomnies émanées de Français même ? Le même Évêque, en nommant Le Loutre Grand-Vicaire, en 1754, a corrigé par de grands éloges ce que sa première lettre avait eu de trop dur. Entre parenthèses, nous ajouterons qu’il y a des historiens qui doutent de l’authenticité de ce document.

    archevêché de québec

    Québec, 7 novembre 1916.

    Je regrette de vous dire, en réponse à votre lettre du 3 courant, que nous n’avons dans les archives, aucune trace de la lettre de Lord Cornwallis à Mgr Pontbriand.

    Quant à la lettre de l’évêque à l’abbé Le Loutre que vous mentionnez, nous n’en avons qu’une copie tout-à-fait récente, texte anglais emprunté aux Tyrrell Papers, au reste, elle ne porte pas de date.

    Lionel Lindsay, Ptre.

    N. B. — Du fait que nos registres ne contiennent pas copie d’une lettre attribuée à l’un ou l’autre de nos évêques, il ne faudrait pas conclure que telle lettre n’a pas été écrite. Dans les temps troublés où vivait Mgr de Pontbriand, il n’était guère facile de tenir à jour toutes les écritures du Secrétariat, si tant est qu’il eût toujours un secrétaire.

  13. Nous ferons remarquer 1o que la lettre de la Jonquière est du 9 octobre 1749, de deux mois postérieure aux hostilités dont il est parlé ici ; 2o la citation que Richard donne comme de Cornwallis est de B. Murdoch, (vol. 2, ch. XII, p. 161) : «  The Indians took 20 Englishmen prisoners at Canso. Five of them were settlers, who went there to procure hay ; the others belonged to vessels from Boston. They also scized one of the English vessels. The Indians alleged they did so, because one Ellingwood, a new England man, who have ransomed his craft from them for 100 £, and left his son as hostage for the payment, did not fulfil his promises, although col. Hopson had advanced him the money… However, they had been in the meanwhile carried to Cape Breton, and the Freneh gov. Desherbiers, sent 16 of them to gov. Cornwallis at Chebuctou, and placed the remaining four on board of their own vessel, then at Louisbourg. »

    Cf. A. C. (1894) p. 145. Sept. 11, 1749. Chebucto. Cornwallis to Lords of Trade. Fol. 89. B. T. N. S. vol. 9.

    Hannay, ch. XX, p. 360. — Arch. Can. (1905) p. 356. Cornwallis à Desherhiers. Chebouctou, 21 sept. 1749. V. S. « … Vous savez ce qui est arrivé à Canso…

    Monsr. depuis que je sçais que les Sauvages se sont retirés à St-Pierre dans

    l’Isle Royale avec le vaisseau anglais qu’ils prirent à Canso, c’est mon devoir de vous en demander la restitution… » — Ibid. (357) : Desherbiers à Cornwallis, à Louisbourg, le 15 octobre 1749. « … Je suis charmé que vous ayés vu La Lettre que J’ai Ecritte aux Sauvages pour les remercier des prisoniers que je vous ay renvoyé. S’ils avaient amené Le Batteau dans le Port de cette Isle… je l’aurais renvoyé… Mais j’ay toujours ignoré ou ils ont menés ce bâtiment. » — Cf. Kingsford. The History of Canada. Book XI. ch. III, p. 428.

  14. Pour ces faits, cf. Murdoch, ibid., ainsi que les documents cités dans la note précédente. Dans sa lettre à Desherbiers, en date du 21 septembre 1749, v. s. Cornwallis insinue que Le Loutre est au fond de tous ces actes commis par les sauvages : « Je seais qu’un certain Prêtre nommé Leutre (sic pour Le Loutre) est depuis quelque temps avec les Sauvages et qu’il était à Chinectou quand ils attaquèrent les vaisseaux anglois — comme cet homme est venu de France dans la Chabanne, il dépend de votre gouvernement. Vous me permettrez de vous demander s’il est entré dans cette Province avec votre permission ou contre vos ordres. En tout cas je vous prie de le rappeler et de faire examiner sa conduite… Je fairai tout mon possible pour que ceux qui doivent diriger les consciences des autres soient eux-mêmes honnêtes hommes. Les missionnaires se vantent qu’ils ont converti les Sauvages de ce Pais, si c’est être chrétien que de commettre toutes sortes de crimes de vols et d’assassinats, il vaudrait mieux qu’ils fussent restés toujours sauvages Payens… »

    Et Desherbiers de lui répondre avec dignité :

    Il est vray que M. l’abbé le Loutre a passé de f france icy Sur le Vaisseau le Chabanne et que le missionnaire a été rejoindre les Sauvages de sa mission à l’Accadie je ne scay monsieur si ce missionaire n’étant emploies que pour les Sauvages seulement, a cru estre obligé de ce présenter devant vous, c’est le Roy de ffrance qui l’a envoyé a sa mission, mais je suis très sûr que Sa Majesté ne luy a donné aucun ordre de faire ce dont vous l’accusés… je vois avec horreur et indignation les Cruautés et les Trahisons des Sauvages, mais cette nation malgré les principees de Religion qu’on tache de leur inspirer conserve toujours sa première férocité il serait à souhaiter qu’on put les corriger, mais par le rapport que m’a fait leur Misionaire cela me paroît impossible…" (loc citato).

    Qui ne voit, d’après la teneur de cette lettre, que l’abbé Le Loutre cherchait bien plutôt à réprimer la barbarie des sauvages qu’à la rendre plus féroce encore ? Il était au milieu d’eux pour leur inspirer des sentiments de justice et de douceur. Et à qui faut-il s’en prendre si son zèle d’apôtre n’y réussissait pas toujours ?

  15. Ce passage de la lettre du comte de Raymond se trouve dans Lettres et Mémoires sur le Cap Breton, p. 225 (Pichon). Richard l’a pris dans Casgrain, Coup d’œil sur l’Acadie (C. Fr. Tome I. 1888, p. 124).
  16. Bien, dans le MS. original — fol. 369 — n’indique que Casgrain est ici mis à contribution. Il n’y a même pas de guillemets pour signifier que tout ce qui suit est un emprunt textuel.
  17. Ce passage, depuis ils attaquèrent est entre guillemets, sans plus, dans le MS. Mais les guillemets ont été fermés trop tôt, puisque la citation se continue dans les paragraphes suivants.
  18. Coup d’œil sur l’Acadie. P. 124.
  19. Cet emprunt à Pichon est encore de seconde main, puisqu’il se trouve dans Casgrain (Ibid. p. 130, en note). Cela est aux pages 132, 135 de l’ouvrage de Pichon.
  20. Après ce nom, Richard a mis un ? — La version anglaise, p. 302, au bas, porte ceci : « Towards the end of the month of December, 1744, » says another document… — Ce dit un autre document n’a pas son correspondant dans le MS. original, fol. 370. Le paragraphe « Vers la fin de décembre » s’ouvre par des guillemets tout simplement, indiquant que la citation de Lettres et Mémoires se continue.
  21. History of Acadia (from its first Discovery to its Surrender to England by the Treaty of Paris) by James Hannay. (St. John, N.-B.) Printed by J. & A. McMillan, 1879. Ch. XIII, p. 227.
  22. P. 250-1. Le MS. original, fol. 373, qui cite ce passage de Hannay en anglais, ainsi que les précédents, y fait quelques changements. Nous traduisons au contraire d’après le texte même de cet historien.
  23. Le Père Sébastien Rasle, S. J., natif de la Francbe-Comté, était venu en Canada avec Frontenac, en 1659. Après avoir été missionnaire dans l’Ouest jusqu’aux Illinois, il prit charge, en 1693, des Indiens de Norridgewock, et demeura avec eux jusqu’à sa mort, arrivée en 1724. Il était très versé dans les langues sauvages, possédant couramment trois dialectes algonquins ; il a laissé un dictionnaire de la langue abénaquise. Il avait une grande influence sur les Indiens, dont il connaissait à fond le caractère. En 1724, une force anglaise d’environ 200 hommes remonta la rivière Kennebec, prit d’assaut le village de Norridgewock, massacrant plusieurs de ses défenseurs et dispersant le reste. Au cours de cet engagement, le Père Rasle fut tué. (Cf. John Fiske. New France and New EngJand, p. 215 et seq.) La mort de Rasle eût lieu en août ; c’est un lieutenant, du nom de Jaques, qui le tira à la tête et le tua, malgré les ordres que Moulton, l’un des commandants de l’expédition, avait donnés, de respecter sa vie. (Cf. Murdoch. I, ch. XLVI, p. 411 et seq.) Casgrain, Les Sulpiciens etc., p.144, note. — Cf. Charlevoix, Nouvelle-France, édit. Didot (1744,) Tome IV, liv. XX, de page 109 à page 123 : « Le Père Rasle était d’une bonne famille de Franche-Comté, et mourut dans sa 67e année ; il était d’un tempérament robuste, mais les jeûnes et les fatigues continuels l’avaient fort affaibli… Il sçavait presque toutes les langues qu’on parle dans ce vaste continent… Il ne fut guère moins regretté dans la colonie que parmi les Sauvages, mais on y songea beaucoup plus à exalter son bonheur qu’à faire des prières pour le repos de son âme. » (P. 122-3).
  24. Philip H. Smith. Acadia. — A lost chapter in American History. P. 119. — Le MS. original, — fol 374 — donne le renvoi exact à l’ouvrage de Smith, et en fait suivre l’extrait de la note ci-dessous : « Cet épisode est raconté autrement par Parkman. Nous n’avons pas cherché à le pénétrer, et nous le donnons tel qu’il est. Cependant, il est adopté par tous les historiens que nous avons sous la main. Murdoch attribue ces cruautés, et autres de même nature, aux idées particulières des Puritains : « Nous devons avoir présent à l’esprit, dit-il, que les doctrines professées par les Puritains de la Nouvelle-Angleterre, à cette époque, étaient profondément imprégnées d’idées empruntées à l’Histoire des Juifs, telle que présentée dans l’Ancien-Testament, et que c’est de là aussi qu’ils tiraient leurs maximes de représailles et de talion. » — (Hist. of N. S., vol. I, ch. XLVI, p. 414).

    Tout le chapitre dixième du tome premier de A Half Century of Conflict est consacré au Père Sébastien Rasle. — Cf. aussi Kingsford. Hist of Canada, III, p. 190 et seq.

  25. Hannay, ch. XVII. P. 320.
  26. Ibid., p. 320-1.