Texte établi par Henri d’Arles, J.-A. K.-Laflamme (Tome 2p. 85-121).

CHAPITRE SEIZIÈME



Meurtre d’Edouard Howe. — Ce qu’en dit Parkman. — Il en accuse Le Loutre. — Partialité et ruse de l’historien américain. — Les Mémoires sur le Canada. — Piebon. — Ce qu’était ce personnage.


La Déclaration de Cornwallis avait fait revivre, chez les Français, l’espoir de regagner la sympathie des Acadiens, laquelle avait été très ébranlée par les événements de la dernière guerre. De la Galissonnière, le nouveau gouverneur-général du Canada, espérait qu’il serait maintenant facile de décider ceux-ci à émigrer[1]. Il avait besoin, pour cela, d’un homme actif, déterminé, connu des Acadiens, et pouvant exercer sur eux de l’influence. Il ne fut pas lent à comprendre le parti qu’il pouvait tirer de cet abbé Le Loutre, qui déjà avait pris l’initiative d’un mouvement en ce sens. Depuis lors jusqu’à la chute de Beauséjour, quatre ans plus tard, ce missionnaire, grâce à la faveur dont il jouissait en haut lieu, partagea avec les autorités locales la conduite des affaires dans cette partie du pays. Il paraît avoir été l’instigateur de toutes les opérations dirigées contre les Anglais, dans la péninsule[2].

Se doutant bien que les Anglais ne tarderaient pas à occuper Beaubassin et à y construire un fort, l’on poussa avec ardeur les travaux à celui de Beauséjour. Il fallait se hâter, faire le vide sur le côté anglais de la frontière. N’ayant pu réussir jusque-là à faire émigrer volontairement les Acadiens qui demeuraient en cet endroit, Le Loutre, au printemps de 1750, se détermina, pour y parvenir et pour faire comme un désert autour des Anglais, à une mesure extrême : mettre le feu aux habitations des Acadiens. À l’approche d’un parti d’Anglais commandés par Lawrence, les Sauvages, obéissant sans doute aux ordres de Le Loutre[3], promenèrent en ces régions la torche incendiaire et détruisirent presque la totalité des établissements acadiens. Le joli village de Beaubassin, qui contenait environ cent cinquante maisons, fut ainsi réduit en cendres, y compris l’église. Les habitants, se trouvant sans abri, durent chercher un refuge au delà de la frontière, chez les Français. Lawrence, ne trouvant que des ruines, et trop faible pour résister à une attaque possible, fit rembarquer ses hommes et se retira. En septembre, il revint avec dix-sept vaisseaux et sept cents hommes. Après une légère escarmouche avec les avant-postes français, il s’installa sur l’emplacement qu’occupait le village de Beaubassin, et y érigea un fort qu’il nomma fort Lawrence, à moins de deux milles de celui de Beauséjour, et à quelques cents pieds de la petite rivière Messagouetche, où les Français plaçaient les limites de l’Acadie.

Lawrence fut remplacé l’année suivante par le capitaine Scott, et c’est peu de temps après l’arrivée de ce dernier, en octobre 1751, qu’eût lieu le meurtre d’Edward Howe, lequel fit tant de bruit dans le temps et jeta la stupeur et la tristesse dans les deux camps[4]. Howe était juge de la cour d’amirauté, et, depuis de longues années, commissaire des troupes anglaises en Acadie. Il avait été le premier conseiller du gouverneur Mascarène ; et, lorsque Cornwallis devint gouverneur, il prit place au Conseil en suite de Mascarène[5].

En sa qualité de commissaire des troupes, il avait été pendant longtemps en rapports continuels avec les Acadiens ; et, comme il parlait facilement le français, il fut le principal aviseur de Mascarène, et son intermédiaire dans les efforts par lesquels celui-ci tâchait de les garder fidèles au gouvernement. Son influence auprès des habitants français égalait celle de ce gouverneur même. De l’aveu de tous, c’était un homme de grand mérite, d’une bravoure et d’un dévouement à toute épreuve.

La mission dont l’avait chargé Corwallis, au fort Lawrence, paraît avoir été de négocier le retour des Acadiens émigrés, de conclure un traité avec les sauvages et de retirer de leurs mains les prisonniers qu’ils avaient saisis deux ans plus tôt, à Grand-Pré.

Nous laisserons Parkman raconter à sa manière les circonstances de la mort de Howe :

« Parmi les officiers anglais se trouvait le capitaine Edward Howe, homme aimable et intelligent, qui parlait couramment le français et qui demeurait depuis longtemps dans la Province. Le Loutre le détestait ; il redoutait l’influence qu’il pourrait exercer sur les Acadiens, plusieurs d’entre eux le connaissant et l’aimant. Un matin, vers huit heures, les soldats du fort Lawrence virent ce qui leur parût être un officier de Beauséjour, portant un drapeau, et s’avançant à travers les hautes herbes qui s’étendaient au delà de la Missagouetche. À marée basse, cette rivière n’était qu’une coulée de boue rougeâtre épandue en travers du marais, tandis qu’un filet de limon descendait pa- paresseusement tout au fond de son lit ; mais à marée haute, elle se changeait en un torrent opaque qui la remplissait jusqu’au bord et se serait même déversé, s’il n’eut été contenu par des digues. Derrière la digue, sur la rive opposée, se tenait le soi-disant officier, agitant son drapeau pour signifier qu’il désirait avoir une entrevue. En fait, ce n’était pas un officier, mais l’un des sauvages de Le Loutre en uniforme d’officier, Étienne le Bâtard, ou, comme d’autres disent, le grand chef Jean-Baptiste Cope. Howe, portant un drapeau blanc, et accompagné de quelques officiers et hommes, s’achemina vers la rivière pour écouter ce que l’autre pouvait avoir à lui dire. Comme ils approchaient, l’aspect et le langage de cet homme éveillèrent leurs soupçons. Mais il était trop tard ; car un parti d’Indiens, qui s’étaient cachés derrière la digue pendant la nuit, tirèrent sur Howe et le blessèrent mortellement. Ils continuèrent à tirer sur ses compagnons, sans cependant pouvoir les empêcher de traîner le mourant jusqu’au fort. Les officiers français, indignés de cette vilaine action, n’hésitèrent pas à en rendre Le Loutre responsable : car, ainsi que le dit l’un d’entre eux : « De quoi un mauvais prêtre n’est-il pas capable[6] ? »

L’on comprendra l’intérêt tout particulier que nous avons mis à tâcher de pénétrer le fond de cette lugubre tragédie, puisqu’il s’agit ici de l’un de nos ancêtres ; et malgré cela, il nous reste encore bien des doutes sur l’interprétation qu’il serait le plus acceptable d’en donner. Nous ne saurions, certes, avancer là dessus une version quelconque avec la belle assurance qui distingue Parkman. Nous croyons avoir sous les yeux tous les documents qu’il a consultés lui-même, en tout cas, nous avons vu tous ceux qu’il cite. Or, il introduit des détails qui sont nouveaux, desquels nous avons lieu de penser que son imagination seule a fait les frais. L’historien avait à choisir entre trois ou quatre versions différentes, qui se contredisent plus ou moins l’une l’autre. Or, il a accepté celle qui nous paraît le moins probable, le moins honorable. L’autorité sur laquelle il s’appuie est tellement suspecte que les écrivains sérieux ne l’invoquent même pas, ou, s’ils y réfèrent, ils ont du moins la candeur de mettre le public en garde contre elle, en exposant au préalable les raisons pour lesquelles il faut s’en méfier.

L’on pourra se former une idée de la valeur de Parkman comme historien, lorsque l’on saura que, cette source méprisable et que tout le monde rejette, et telle autre presque aussi sujette à caution, constitue la grande base des deux chapitres que, dans son ouvrage Montcalm and Wolfe, il consacre à l’Acadie. Ces deux chapitres intitulés, l’un, Conflict for Acadia, l’autre, The Removal of the Acadians, contiennent quatre-vingt-dix pages. L’auteur, en dix pages, enjambe lestement les événements des quarante premières années, pour en arriver à l’abbé Le Loutre, auquel il consacre la plus grande partie de son récit.

Les faits et gestes de ce bouillant abbé avaient pour lui un attrait trop piquant pour qu’il pût perdre cette belle occasion de les mettre en relief. Quel chapitre, palpitant d’intérêt, ne pouvait-il pas tirer du chaos de l’histoire ! Par malheur, la plupart des renseignements que nous savons sur les agissements de Le Loutre, viennent des deux autorités suspectes dont nous venons de parler. L’une, la moins méprisable, est un auteur anonyme, et le titre de son écrit est : Mémoires sur le Canada, 1749-1760[7]. Parkman se garde bien de dire que cet ouvrage est anonyme, que son auteur professait une haine voltairienne à l’égard du clergé, qu’il devait faire partie de la bande de pillards dont l’intendant Bigot était le chef : à preuve c’est qu’il se montre assez partial envers ce dernier pour le qualifier d’homme probe. L’amertume de cet écrivain envers les prêtres saute tellement aux yeux que Murdoch, qui le cite en passant, sur d’autres faits, a l’honnêteté de mettre en doute sa véracité : « Il est bon de se rappeler cependant que nous avons puisé nos renseignements concernant Le Loutre à des sources hostiles aux prêtres de son Église, — les Français de cette époque étant imprégnés de la philosophie de Voltaire[8] ». C’est ainsi que doit procéder un historien digne de ce nom. Mais Parkman, lui, comme d’habitude, a fait le silence sur toutes ces choses, se contentant de déduire de ces sources des conclusions d’autant plus fortes en faveur de sa thèse que leur origine est française. Sa fraude ne s’arrête pourtant pas là. Comme pour donner plus de poids à l’autorité de ces Mémoires sur le Canada, il en désigne parfois l’auteur sous l’appellation vague de : « A catholic contemporary, Un catholique contemporain. » Pareille désignation déroute le lecteur bénévole, qui ne sait plus bien s’il s’agit de ces Mémoires, ou d’une autorité additionnelle qui les confirme. C’est faire d’une pierre deux coups, multiplier en divisant. De là aux procédés candides de Murdoch, il y a un abîme[9].

La seconde autorité à laquelle l’historien américain a recours est bien pis encore. En passant de l’une à l’autre, il tombe de Charybde en Scylla[10]. Cette fois, il s’agit d’un officier français subalterne, du nom de Pichon. Après avoir passé plusieurs années à Louisbourg, ce Pichon fut transféré à Beauséjour en 1753, à savoir deux ans après l’époque dont nous nous occupons. Le capitaine Scott était alors commandant du Fort Lawrence. Pichon trouva le moyen de se ménager une entrevue avec lui, au cours de laquelle il offrit ses services, s’engageant, moyennant finances et promesses de protection, à lui transmettre tous les renseignements qu’il pourrait plus ou moins subrepticement se procurer sur les agissements et les projets des Français, ainsi que copie de tous les documents qui pourraient lui tomber sous la main. Pichon s’acquitta de son rôle odieux avec beaucoup d’assiduité, d’abord en communiquant avec Scott, et plus tard avec le capitaine Hussey, qui, peu de temps après, remplaça Scott dans le commandement du Fort Lawrence. Le triste sire continua dans la suite son métier à Halifax, à Louisbourg, à Philadelphie, après quoi il se retira en Angleterre, où il publia une brochure ayant pour titre : Letters and Memoirs relating to Cape Breton[11].

Tel est cet homme quant au rôle qu’il a joué. L’on devinera aisément qu’un individu de ce calibre ne constitue pas une autorité d’un bien grand poids, alors même que nous ne posséderions sur son compte aucun renseignement de nature à le discréditer davantage. Mais nous sommes loin de manquer de tels témoignages. Le capitaine Hussey, en communiquant au gouverneur les informations qu’il en recevait, donnait ses raisons d’y ajouter foi ou d’en douter ; et plusieurs fois il fit voir les inconséquences de Pichon et le peu de créance que méritaient ses révélations, si bien qu’à la fin il émit l’opinion qu’il serait préférable de cesser tout rapport avec lui. Le Dr Brown discute également les écrits et les renseignements venant de ce personnage, et relève avec beaucoup de sagacité la bassesse de caractère dont ils font preuve. L’amiral Boscawen ne voulut pas leur accorder de valeur ; et Murdoch, tout en le citant au sujet de la prise de Beauséjour, s’en excuse sur l’absence de toute autre source d’information[12] .

Sans les « Mémoires sur le Canada », et les renseignements fournis par Pichon, Parkman aurait été privé de toutes ses anecdotes sur Le Loutre, et la partie la plus intéressante des deux chapitres qu’il consacre aux choses acadiennes eût été manquée. Or, il devinait que tout cela serait lu avec avidité ; que, grâce à son talent de beau conteur, un pareil récit ferait prime sur le marché. Que faire ? La situation était délicate à l’extrême, pleine de tentations et de dangers. Fallait-il laisser tomber un si beau fruit ? Quand il l’avait là sous la main, pourquoi ne pas le cueillir ? Il est bien vrai que personne avant lui n’avait osé y toucher, mais il n’en était que plus tentatif et plus savoureux. Se non e vero e beue trovato[13]. Enfin, ce qui devait arriver s’est produit : Parkman a succombé, il a cueilli le fruit. Nous lui devons cependant cette justice de dire qu’il a longtemps hésité avant de faiblir : et cela se voit à la peine qu’il s’est donnée pour déguiser l’identité de Pichon et pour taire tout ce qui pouvait le déprécier.

Rien n’est plus intéressant que d’étudier l’embarras de l’historien américain à ce propos : l’on y saisit sur le vif les voies et les moyens, les ruses et les expédients auxquels peut avoir recours un écrivain sans vergogne ; l’on y assiste aux fluctuations d’une âme balancée entre la joie et la détresse, ruminant l’une après l’autre toutes les combinaisons fournies par un esprit fertile.

Pour ce qui est des Mémoires sur le Canada, Parkman paraît en avoir pris assez facilement son parti. Après tout, pensait-il, il n’était pas de rigueur de suivre l’exemple de Murdoch ; il n’était pas absolument nécessaire de dire que cet ouvrage est anonyme, qu’il suinte la haine du clergé, etc. — Mais, pour Pichon, la chose était autrement scabreuse : force était bien de mentionner le rôle que cet individu avait joué.

Plusieurs alternatives se présentaient : citer Pichon, sous la dénomination vague de « Un officier français » ; ou encore, référer simplement à ses lettres, ou, pour celles qui s’y trouvent, à la page du volume des Archives de la Nouvelle-Écosse[14] ; le nommer sans commentaires ; ou bien, déclarer quelle sorte d’emploi il avait exercé, quitte à dire sur son compte un mot favorable, pour atténuer et comme assourdir l’effet qu’une telle révélation produirait ; ou enfin abriter cette autorité plus que douteuse derrière un nom respectable. Or, Parkman, au lieu de choisir telle ou telle de ces alternatives, a cru plus habile de les adopter toutes successivement, en procédant par gradation, de manière à préparer savamment l’esprit du lecteur à gober son homme. De la sorte, il pouvait se dire qu’en cas d’attaque, il aurait cinq portes pour sortir, sans compter les fenêtres. En fait d’astuce, il serait difficile de rien trouver qui égale ceci. Pour lui, il semble que la question consistait à se ménager des issues, au cas où son truc fût éventé. Mais cela était bien improbable. Qui se donnerait la peine de fureter, de scruter, de comparer les textes ? Pas les Acadiens, assurément, ni les prêtres, qui ne verraient que du feu dans tout cela. Que ne nous a-t-il été donné de pouvoir lire dans les pensées de cet historien, et de le voir se pâmer d’aise, devant les trouvailles d’expressions qui lui étaient venues pour donner une couleur honorable à son Pichon : nous aurions assisté à une scène d’un haut comique.

Voici donc comment a procédé Parkman : en premier, le nom de Pichon n’apparaît pas ; il est cité, mais sous couvert d’un officier français. Et ainsi est illustré le proverbe espagnol : Tira la piedra y esconde la mano, lancez la pierre et cachez-vous la main. Un peu plus loin, l’historien réfère au volume des Archives, sans encore nommer Pichon ; troisièmement, il le nomme, mais sans en dire davantage ; quatrièmement, il se décide à noter brièvement ce qu’était cet homme, en s’efforçant par contre de le rehausser : « Au fort Beauséjour (1755) se trouvait un autre personnage de marque. C’était Thomas Pichon, commissaire des magasins, homme de bonne éducation et intelligent, né en France, mais anglais par sa mère. Il jouait maintenant à la trahison, entretenant une correspondance secrète avec le commandant du fort Lawrence, et lui rendant compte de tout ce qui se passait à Beauséjour. » Et en note au bas de la page : « Il était l’auteur de Lettres authentiques et mémoires relatifs au Cap Breton, — ouvrage d’une certaine valeur[15] »

De la sorte, Pichon a été cité une vingtaine de fois, et le lecteur n’en savait encore rien[16]. Ce dernier n’étant pas au courant des procédés de Parkman — et comment l’eût-il été ? — a supposé que l’officier français d’abord cité devait être fort respectable, et que son autorité était d’autant plus convaincante que les faits qu’il relate sont au préjudice des gens de sa nation. Dans le second cas, l’autorité invoquée n’était plus, en apparence, « un officier français », encore moins Pichon, mais bien le volume des Archives, c’est-à-dire quelque document officiel : le lecteur, sûr de son fait, n’aura certainement pas pris la peine de consulter le dit volume ; et la mystification se continuera. Plus loin, le nom de Pichon sera prononcé, sans plus ; et le lecteur, ne soupçonnant rien de ce personnage, l’aura laissé passer en toute bonne foi. Enfin, dans le chapitre The Removal of the Acadians, on lui apprend qu’il y avait à Beauséjour un nommé Thomas Pichon, garde-magasin, qui était traître à son pays. Mais rien ne lui indique qu’il s’agit ici de « l’officier français », cité dans un chapitre précédent, Conflict for Acadia. D’autant plus que Parkman, par un autre truc de sa façon, ne le désigne pas, cette fois, comme officier, mais comme Commissary of Stores. Et chose qui contribue à dérouter davantage le lecteur — en même temps que Pichon est donné comme traître, on en dit du bien et on lui fait des compliments.

Il faut admettre que tout cela est « very smart »[17] C’est, avec l’attrait du style, le genre de mérite que l’on ne saurait refuser à Parkman. Il semble cependant avoir eu honte de son action, ou plutôt, il a craint peut-être que ses ruses ne fussent découvertes, car, et c’est une autre de ses inventions, la dernière et non la moins habile : il ajoute, en citant à nouveau Pichon : Pichon, cited by Murdoch. Parkman n’était donc pas rassuré sur le crédit que l’on prêterait à ce témoin, après avoir dû confesser que ce dernier était un traître ; aussi a-t-il senti la nécessité de s’abriter derrière un nom respectable. Il est vrai que Beamish Murdoch invoque Pichon à plusieurs reprises, mais ce n’est pas sans avoir au préalable parlé au long de cet homme, et avoir dit tout de suite et sans subterfuges qui il était[18]. Il le cite, en particulier, au sujet du siège de Beauséjour, sur des faits de peu d’importance ; et encore il semble en avoir éprouvé des scrupules, car il s’en excuse sur l’absence d’autres matériaux : « Dans le récit qui va suivre du siège de Beauséjour, nous ne pouvons nous aider d’aucun document anglais, officiel ou privé : … la plus grande partie de nos renseignements est tirée du journal manuscrit de Pichon, alias Tirel (sic), — lequel, avec ses lettres, etc., forme l’un des volumes reliés et conservés par le commissaire des Archives de la Nouvelle-Écosse[19]. »

Dans ces conditions, la conduite de Murdoch n’a rien de blâmable ; elle nous donne, au contraire, une haute idée de son caractère. Celle de Parkman est tout autre : en se réclamant de Murdoch pour faire passer Pichon, il n’a fait qu’aggraver sa faute première, bien loin de l’atténuer ou de la couvrir.

Quelque pénible que soit la tâche que nous avons entreprise relativement à Parkman, nous croyons qu’il y va de l’intérêt de l’histoire à l’accomplir. Nous laissons à d’autres le soin de la compléter. Pour nous, nous nous en tiendrons aux quelques quatre-vingt dix pages qu’il a consacrées au sujet qui nous occupe.

Après cette longue parenthèse, revenons au meurtre d’Edward Howe, et au récit qu’en fait Parkman, — récit tiré de Pichon, qui, au moment du drame, demeurait à Louisbourg : nous avons vu, en effet, qu’il vint à Beauséjour seulement deux ans plus tard, en 1753 ; il n’était donc pas témoin oculaire de ce qu’il raconte ; il résidait même loin de la scène où la tragédie s’est passée.

Parkman, racontant le meurtre de Howe, a donc dit : « Les officiers français, indignés de cette vilenie, n’hésitèrent pas à en rendre Le Loutre responsable, car, ainsi que s’exprime l’un d’entre eux, « de quoi un mauvais prêtre n’est-il « pas capable ? »

Maintenant, passons à la version que fait Pichon de ce meurtre, — laquelle se trouve à la page 195 du volume des Archives :


« Ç’a été bien à tort, et avec la plus grande injustice, que les Anglais ont accusé les Français d’avoir trempé dans les horreurs commises chaque jour par Le Loutre et ses Indiens. De quoi un mauvais prêtre n’est-il pas capable ? Il avait revêtu un sauvage nommé Cope[20] d’un uniforme d’officier ; … et, après avoir mis ses indiens en embuscade près du Fort, il envoya vers celui-ci Cope, qui agitait dans sa main un mouchoir blanc, signe en usage quand les Français voulaient avoir accès au Fort anglais, pour y traiter d’affaires avec son commandant. Le Major du Fort, homme de mérite, chéri de tous les officiers français, prenant Cope pour un officier français, vint au devant de lui avec sa politesse ordinaire. Mais il s’était à peine montré que les sauvages cachés dans l’embuscade firent feu sur lui et le tuèrent. Tous les Français conçurent la plus grande horreur et indignation des actes barbares de Le Loutre ; et j’oserai dire que si la Cour de France les eût connus, elle eût été loin de les approuver. Mais Le Loutre avait à tel point gagné les bonnes grâces du marquis de la Galissonnière, qu’il était devenu un crime d’écrire contre lui. Pas n’est besoin de s’étendre plus longuement sur la conduite exécrable de l’abbé Le Loutre. Cruauté et inhumanité ont toujours été le fait des prêtres dans tous les temps[21] »

Si l’on met le récit de Pichon en regard de celui de Parkman, il est aisé de voir que l’un est issu de l’autre : Parkman n’a fait qu’endosser Pichons’s regimentals, l’uniforme de Pichon, en y ajoutant seulement quelques broderies tirées de sa propre imagination. Sur un point, l’historien américain a manqué de prudence. Pour avoir cédé à la tentation de rapporter textuellement la phrase de Pichon : « De quoi un mauvais prêtre n’est-il pas capable ? » — il nous a fourni la preuve indiscutable que la source de ses renseignements était bien ce Pichon, que c’était sur ce dernier qu’il se basait pour mettre en avant les officiers français. Était-il possible de douter de la culpabilité de Le Loutre, quand les officiers français eux-mêmes avaient témoigné contre lui ! « Ceux-ci, dit Parkman, n’hésitèrent pas à charger ce missionnaire de ce crime ; car, selon la parole de l’un d’entre eux : what is not a wicked priest capable of doing ?  » Il y a beaucoup d’habileté dans tout ceci ; et le public se montre indulgent quand on le trompe avec art. Qui nescit dissimulare nescit regnare, a dit quelque part Machiavel[22]. L’esprit qui animait Pichon se révèle d’ailleurs plus clairement par cette autre phrase : Cruauté et inhumanité ont toujours été le fait des prêtres dans tous les temps. L’hypocrite et traître personnage croyait flatter par une telle parole les préjugés de ceux à qui il s’adressait et augmenter ses chances d’en être récompensé. Remarquons, en passant, qu’Edward Howe n’était pas major du Fort Lawrence, ainsi que l’affirme Pichon, mais capitaine[23].

Moins d’un mois après l’événement, le 27 novembre 1751, Cornwallis, écrivant au duc de Bedford, disait[24] : « …Je dois maintenant porter à votre connaissance une affaire d’une nature bien extraordinaire. Le capitaine Howe, qui connaissait bien la région, et qui avait de bonnes relations à la fois avec les sauvages et avec les habitants, faisait partie de l’expédition de Chignecto. Le malheureux se flattait d’être en bons termes avec les Français, et particulièrement ces canailles de La Corne et Le Loutre. Tout son but et tout son effort tendaient à apaiser les indiens et à retirer de leurs mains nos prisonniers. À cette fin, il avait de fréquentes entrevues avec Le Loutre et les officiers français, sous la protection d’un drapeau blanc. Un jour, La Corne envoya un de ses officiers avec un drapeau blanc[25] au bord de la petite rivière qui sépare ses gens de nos troupes. Le Capitaine Howe et l’officier s’entretinrent pendant quelque temps d’un bord à l’autre du rivage. Howe venait à peine de prendre congé de l’officier, qu’un parti qui se tenait caché fit feu sur lui et l’atteignit en plein cœur…[26]»

La version de Cornwallis, comme on le voit, diffère sensiblement de celle de Pichon-Parkman[27]. Mais il y a d’autres versions, que Parkman connaissait, puisqu’il y réfère, en note, sans rapporter toutefois ce qu’elles disent : nouvelle ruse, pour faire croire au lecteur que ces sources ont servi de base à ses assertions. Or, nous allons reproduire ces diverses autorités ; l’on jugera ensuite si elles s’accordent avec le récit que l’historien américain semble en avoir tiré[28]

« Le Sieur Howe, dit Prévost, ennuyant depuis longtemps les sauvages, s’est avisé de s’y risquer encore, nonobstant les avis de l’abbé Le Loutre, et ceux même des sauvages. Il est venu vis-à-vis d’eux avec un pavillon blanc, et le sauvage en ayant un autre rouge, lui a tiré un coup de fusil qui l’a étendu mort[29] ».

L’abbé Maillard paraît confirmer le témoignage de Prévost : « Il fallait, dit-il, que cet homme, (Howe), pour ne pas périr de la sorte, évitât soigneusement toute rencontre des Micmacs. L’avis lui en avait été donné peu de temps avant que ce malheur lui arrivât[30] »

Et nous avons enfin la version du sieur de la Valière, officier qui était alors au fort Beauséjour, et qui a tenu un journal des faits qui se sont passés à cet endroit depuis le 15 septembre 1750 jusqu’au 28 juillet 1751. Voici comment La Valière raconte la mort de Howe[31] :

« Vers le quinze Octobre les sauvages qui s’étoient aperçus et qui étoient informés que Monsieur How commissaire des troupes anglaises, venoient (sic) souvent se promener sur le bord de la rivière, où il avait déjà eu plusieurs conférences avec les officiers et missionnaires, parler aux habitans, et tâcher de les engager à revenir à eux en leur faisant beaucoup de promesses, furent avec des accadiens s’embusquer pendant la nuit derrière une levée qui règne le long de la rivière, et sur les huit heures du matin, Étienne Bâtard sauvage dit Père La Corne fut avec un pavillon sur le bord de la rivière où les sauvages et accadiens étoient embusqués. Monsieur How vint aussy avec un pavillon vis-à-vis de l’autre bord de la rivière, le sauvage après avoir fait quelquestions à Monsieur How jeta son pavillon et donna le signal à ses gens qui firent feu tout de suitte sur Monsieur How et le blessèrent mortellement… » Cf. Arch. Can. 1905. V. 388 et seq.

Ce sont là les seuls témoignages que nous connaissions.

Parkman mentionne de plus, dans une note de son chapitre Conflict for Acadia, page 124, les Mémoires sur le Canada, où il est dit que Le Loutre était présent au meurtre de Howe. D’accord. Mais l’auteur ne l’accuse pas cependant d’y avoir pris part[32].

Quiconque pèsera ces témoignages ne pourra s’empêcher de croire que l’opinion que Parkman a exprimée avec tant 32. d’assurance, et comme étant la seule possible, est de beaucoup la plus improbable de toutes celles que l’on peut se faire sur la question. Nous avions un grand intérêt à tâcher de connaître la vérité ; et cependant, après toutes nos recherches, nous sommes loin de pouvoir en venir à une conclusion certaine. En fait, personne ne le pourrait, en face des témoignages différents et contradictoires qui se présentent.

Encore que nous n’ayons pu percer le mystère qui enveloppe cette tragédie, nous en hasarderons timidement une explication.

Howe, comme il appert par la lettre de Comwallis, avait été assigné au fort Lawrence avec mission de conclure une paix avec les sauvages et de retirer de leurs mains des prisonniers anglais. Rendu à son poste depuis quelques semaines, sinon quelques mois déjà, il avait tenu plusieurs conférences avec les sauvages sur les bords de cette petite rivière qui servait de frontière. Il n’avait pas encore réussi dans ses négociations, qu’il continuait avec persévérance. D’autre part, il avait souvent des entrevues, au même endroit, avec Le Loutre et les officiers français. Au jour fatal, Howe a dû venir à la rencontre d’un officier français, qui, probablement, était accompagné de Le Loutre ; Cope et le Bâtard, chefs des tribus sauvages, avec quelques autres indiens, s’étaient embusqués le long de la levée, attendant l’occasion de cette entrevue pour exécuter leur dessein homicide ; après le départ de l’officier français et de Le Loutre, et avant que Howe eût pu regagner le fort, les sauvages agitèrent un drapeau pour signifier à ce dernier qu’ils avaient à lui parler.

Cette interprétation aurait du moins le mérite de concilier des données, qui, autrement, se repoussent l’une l’autre. Pichon affirme que howe descendit à la rivière rencontrer un sauvage que Le Loutre aurait revêtu d’un uniforme d’officier, he clothed in an officer’s regimentals an Indian. Cela n’est guère possible, attendu que Cornwallis, qui ne devait pas se tromper sur un fait qu’il avait été à même de vérifier, dit : « Howe et l’officier se tinrent en conférence de l’un à l’autre bord de la rivière… Howe venait à peine de prendre congé de l’officier que… » Les Indiens avaient eu à se hâter pour profiter de la présence de Howe ; en sorte que l’officier français et Le Loutre, si tant est que ce dernier l’accompagnait, n’avaient pas eu le temps de s’éloigner beaucoup, quand le meurtre s’accomplit. Prévost prétend que c’est Cope qui a tué Howe ; La Valière en accuse Étienne le Bâtard : peut-être faut-il attribuer ce crime à l’un et à l’autre[33].

Cornwallis laisse donc entendre clairement que Howe a eu une conférence avec un véritable officier, qu’il s’est entretenu pendant quelque temps avec lui, et que, la conversation finie, chacun prit congé l’un de l’autre. Il n’en eût pas été ainsi au cas où un sauvage se fut caché sous un uniforme d’officier, car la fraude eût été découverte tout de suite. Le reste du récit de Cornwallis est encore plus explicite : « ce fut, dit-il après que Howe eut pris congé de l’officier français, qu’un parti qui se tenait caché fit feu. » L’absurde histoire d’un Indien déguisé en officier n’est racontée par nul 33. autre que par Pichon, et se trouve être indirectement contredite par Cornwallis. De plus, selon ce dernier, l’officier en question avait été dépêché par de la Corne lui-même, en sorte que, si d’autres que les sauvages s’étaient mis en embuscade, il faudrait impliquer dans l’affaire le commandant du fort français ainsi que l’officier qui a tenu la conférence. Et donc, Parkman, qui, pour tous ces détails, avait le témoignage du gouverneur anglais sur des faits que celui-ci avait été à même de vérifier et de contrôler en partie, a préféré accepter en bloc le conte ridicule et fantaisiste inventé par Pichon : et si l’on cherche le motif de ce choix, il faut le voir, semble-t-il, dans le désir de mieux compromettre Le Loutre dans ce meurtre.

En résumé, la preuve faite par Parkman pour rendre ce missionnaire complice de ce crime, n’avait d’autre fondement que les dires de ce Pichon, qui, à l’époque où cet événement a eu lieu, demeurait à Louisbourg et devait y rester encore deux ans. Directement, ou par voie de conséquence, ou dans les faits essentiels, cette preuve était contredite par Maillard, Prévost, la Vallière, Cornwallis, — à savoir par un prêtre distingué, deux officiers de rang supérieur, et un gouverneur : ensemble de témoignages écrasants pour la version que Parkman cherchait à imposer au public. Dans ces conditions, l’écrivain le plus malhonnête et le plus roué eût abandonné la partie. Parkman non pas. Il lui fallait à tout prix faire avaler son Pichon, donner à cette base plus que fragile un appui solide. L’audace est un appétit qui va vite se développant, pour peu que le succès l’encourage. Le procédé dont Parkman s’était si bien trouvé à l’égard des Mémoires sur le Canada, quand il avait divisé cette source suspecte de partialité et d’irréligion pour la faire reparaître incognito sous le voile de A catholic contemporary, il pouvait, en le variant un peu et en l’accommodant aux besoins de sa nouvelle cause, l’appliquer à Pichon, et sur une échelle d’autant plus grande que l’accusation qu’il s’agissait de faire peser était plus importante. Le premier pas qu’il avait à faire, et qu’il fît, fut 1o de rendre son Pichon respectable en le désignant sous le titre de : « un officier français » : 2o de présenter l’opinion de cet officier comme étant celle de tous les autres. Arrivé là, l’historien américain se trouvait en face d’une difficulté plus sérieuse. Qu’allait-il faire de Maillard, Prévost, la Valière, Cornwallis ? Fallait-il reproduire la partie essentielle de leur version ou affecter de les ignorer ? Ni l’un ni l’autre. Une autre alternative s’offrait ; elle consistait en cette savante combinaison : placer leurs noms au bas de la page, en accordant à chacun un bout de phrase sans importance, et en laissant cependant sous l’impression que la question n’avait pas été touchée autrement par eux, mais que le peu qu’ils en avaient dit allait à confirmer son « officier français ».

Ainsi, avec rien, ou quelque chose de pire que rien, Parkman, contre l’essence des témoignages opposés à sa thèse, a dressé une preuve accablante pour Le Loutre. Il a manipulé et torturé les documents de manière à le faire condamner par tous les officiers français, par Prévost, Maillard, la Valière, les Mémoires sur le Canada, et aussi par Cornwallis.

Avec des procédés pareils, l’on va loin. En moins de vingt-quatre heures, si l’on le laissait faire, Parkman serait capable de convaincre de crime et de faire électrocuter le Président des Etats-Unis. Ne serions-nous pas justifiable de retourner contre lui la phrase de Pichon et de dire : What is not a wicked story’s teller capable of doing ?

Pichon, en réalité, a déjà été cité vingt ou trente fois sous toutes les formes sans que le lecteur ait encore pu deviner qu’il s’agissait de lui. De cette manière, Parkman a pu faire accepter les plus fortes accusations contre Le Loutre, en particulier celle qui l’impliquait dans un crime : après cela, il ne doutait pas que l’on ne fût prêt à croire n’importe quoi au sujet de ce dernier. Il importait peu de divulguer à la onzième heure les nom et qualité de Pichon : le venin qu’il avait extrait de cette source maudite avait déjà fait son œuvre dans la pauvre victime ; et cette divulgation d’ailleurs n’atténuait en rien l’effet de l’affreuse calomnie, puisqu’elle n’allait pas jusqu’à révéler l’identité de « l’officier français » qui l’avait lancée[34].

Il peut être fort difficile de se faire une idée précise des circonstances qui ont entouré la mort de Howe, Mais nous nous refusons à croire qu’un officier ou un prêtre, si grands qu’aient pu être leurs préjugés ou leur fanatisme, aient eu la moindre part dans un crime de cette espèce, quand ils n’avaient rien à gagner, ou plus à perdre qu’à gagner, à s’en rendre coupables même indirectement. Il n’y a que des barbares qui aient pu concevoir et exécuter un tel forfait. Nous ne croyons pas que l’on ait alors, à Halifax, entretenu des soupçons sur la complicité de Le Loutre dans ce meurtre. Et encore qui sait ? Ce pauvre prêtre était, pour les Anglais, « la bête noire » ; on se le représentait depuis longtemps sous de si sombres couleurs qu’il est possible qu’on l’ait chargé de ce crime. Mais si, en fait, ainsi que l’affirment Prévost et Maillard, Le Loutre avait prévenu Howe des dangers qu’il courait, alors, au lieu d’un crime, ce prêtre a commis une action méritoire qui nous le montre sous un jour plus conforme à la raison et à sa qualité de missionnaire.

Dans le but de pénétrer plus à fond cette affaire mystérieuse, nous avons, suivant notre habitude, recherché quels intérêts pouvaient avoir les diverses personnes mises en cause à ce sujet. Et d’abord, nous trouvons bien que Le Loutre était probablement jaloux et inquiet de l’influence que Howe avait prise sur les Acadiens : cela cependant est loin de suffire pour l’impliquer dans le meurtre de ce dernier, attendu qu’il faudrait le supposer en outre foncièrement méchant, ce qui serait en désaccord avec ce que nous savons de son caractère. Abstraction faite d’ailleurs de cette dernière considération, comment cet homme eut-il été assez borné ou assez aveuglé pour ne pas voir les conséquences qui résulteraient, pour lui-même et pour les choses qu’il avait à cœur, d’une pareille action ? Et puis, si l’on implique Le Loutre dans ce meurtre, il faut y impliquer aussi certains officiers français, notamment le commandant de la Corne, et par là les rendre coupables du même aveuglement fatal. Or, nous savons que les officiers français voyaient au contraire d’un mauvais œil l’influence qu’exerçait ce missionnaire et sa participation dans la conduite des opérations militaires et civiles. Comment donc eussent-ils tout à coup mis de côté leur longue opposition pour se lancer à sa suite dans une aventure qui ne pouvait avoir que des résultats néfastes ? D’autant moins qu’ils tenaient en grande estime ce Howe qu’il s’agissait d’abattre comme un vulgaire ennemi. — Mais alors, il reste les sauvages ? Quel motif ceuxci pouvaient-ils avoir de commettre ce crime ? Nous l’ignorons, c’est-à-dire que la preuve écrite n’existe pas. Rien d’étonnant à cela, puisque sur cette question comme sur bien d’autres, les faits nettement définis constituent une exception. L’intérêt supposé des sauvages pouvait avoir des causes anciennes et multiples, ne reposant probablement sur rien de plus sérieux que le tort que Howe leur avait fait dans son zèle à servir les intérêts de sa nation[35].

Cependant, il nous est permis d’avancer que le Loutre a pu être, indirectement et inconsciemment, la cause de ce meurtre. Depuis plusieurs années, il excitait de toute manière le fanatisme de ces barbares, il leur soufflait la haine de l’Angleterre. N’est-il pas dès lors naturel de croire que les sauvages, dans leur logique simpliste, soient allés jusqu’au bout des principes qu’il leur avait enseignés, et qu’ils aient résolu de détruire l’homme qui personnifiait à leurs yeux des intérêts contraires à ceux de la France et du catholicisme ? Nous nous arrêtons à cette conclusion, non qu’elle soit basée sur un document certain — il n’en existe pas, — mais parce qu’elle est conforme à l’expérience psychologique et aux enseignements de l’histoire[36] ?

Puisque Parkman, comme cela semble incontestable, visait à donner de la saveur à son récit en y introduisant un prêtre comme ayant trempé dans ce meurtre, il pouvait le faire, avec moins d’éclat, il est vrai, mais d’une façon plus plausible, en recourant au dernier point de vue que nous venons d’adopter. À pareille méthode, à pareil moyen terme, l’historien américain n’a jamais, ou presque jamais recours. Pour lui, et tous ses écrits le prouvent, l’histoire n’est qu’un jeu de finesse, une course à l’anecdote, et se borne à cueillir des faits au petit bonheur, sans égard à leur provenance et à leur autorité. Il a le don de ne douter de rien. En quelques mots rapides, en quelques phrases admirablement cadencées, il tranche les questions les plus complexes, sans même laisser soupçonner au lecteur les inextricables difficultés qu’elles recèlent. Ah ! c’est que l’analyse consciencieuse des problèmes entraverait sa marche, alourdirait son style. Au reste, ce procédé ne convient qu’à l’écrivain sincère, à celui qui, ne voyant dans l’histoire que la recherche sérieuse de la vérité, ne craint pas de mettre le public en état de juger par lui-même et des faits qu’il discute et de la valeur de ses assertions. Parkman, fût-il doué de la pénétration d’esprit si nécessaire à l’historien, manque d’une autre qualité, et celle-là essentielle, pour mériter ce titre : la probité. L’historien fait le procès du passé : toutes les pièces, tous les documents doivent être versés au dossier, scrutés, disséqués ouvertement, pour que la vérité ait chance de sortir du débat où la conscience humaine est intéressée.


Les faits qui forment le sujet de ce chapitre ne sont pas seulement importants en ce qu’ils démontrent avec éloquence la manière et les procédés de Parkman, ils le sont également au point de vue de l’histoire. La mort de Howe a eu une influence considérable sur les événements qui se sont déroulés dans la suite. En aggravant l’irritation des Anglais contre les Français, elle a amené cette terrible conséquence, — la déportation des Acadiens[37].

La citation latine est de Virgile :

Quantum mutatus ab illo
Hectore qui redit exuvias indutus Achilli !
Ǽn. II, 274.

…qu’Hector ressemblait peu
À ce terrible Hector qui dans leur flotte en feu
Poussait des ennemis les cohortes tremblantes
Ou d’Achille emportait les dépouilles fumantes !

L’Enéide trad. en vers par Delille. Tome 1er, p. 203. (Paris : chez L. G. Michaud, libr. Place des Victoires, no 5, 1842.)



  1. En 1747, M. de la Jonquière avait été nommé gouv.-général du Canada, pour succéder à M. de Beauharnois. Fait prisonnier par les Anglais, il fut remplacé par intérim par Michel Garrin, comte de la Galissionnière, qui arriva à Québec, à bord du Northumberland, le 19 septembre 1747. Le 24 septembre 1749, la Galissonnière s’embarqua, à Québec, sur le Léopard, pour retourner en France, où il était appelé pour faire partie de la commission des frontières d’Acadie. Dans ce même automne de 1749, de la Jonquière, remis en liberté un an auparavant, put venir prendre possession de son gouvernement. On se souvient que Halifax fut fondé en juin 1749. Si tant est que Le Loutre se soit fait l’instrument de la Galissonnière, ce ne put donc être que de 1747 à 1749, où s’est terminé le règne de ce gouverneur, l’un des plus remarquables que le Canada ait eus. Que l’homme d’État ait reconnu les mérites et apprécié l’intelligence du prêtre, que le prêtre ait compris les idées généreuses de l’Homme d’État et les ait secondées de tout son pouvoir, cela ne pouvait que faire honneur à l’un et à l’autre. Les vues de la Galissonnière étaient telles, en effet, que s’il fût resté plus longtemps Gouverneur, le sort de l’Acadie, et de tout le Canada, aurait pu être tout différent. Il n’a pu être que glorieux pour Le Loutre de prêter son concours à un tel chef. Ce concours, n’est jamais allé d’ailleurs au-delà des bornes d’un sage patriotisme. De la Galissonnière eut été incapable de demander au missionnaire des choses qui ne pouvaient s’allier avec son rôle spirituel ; et le missionnaire avait trop de vertu pour commettre des actes qu’eussent réprouvés son caractère et sa mission.
  2. Combien Richard a lu les historiens anglais ! Comme il s’est laissé influencer par eux ! Hannay, par exemple, dit précisément de Le Loutre : «  The author and instigator of all thèse attacks was well known to Gov. Cornwallis to be La Loutre… » — History of Acadia, ch. XX, p. 361.

    Hanuay est l’un de ceux qui se sont montrés le plus injustes envers ce missionnaire.

  3. Ce sans doute est ineffable. Quelles preuves l’auteur apporte-t-il à l’appui de son assertion ? absolument aucune. L’on a vu, dans une note du ch. XV, ce qu’il faut en penser. Cf. Cau. Areh. 1894. P. 157-8-9. Cornwallis to Lords of Trade. April 30. 1750. Halifax. F. 148. May 3. Halifax. 1750. Cornwallis to Hopson. "As soon as the vessels were in sight (les vaisseaux dans lesquels était Lawrence avec ses 400 hommes), he, (Lacorue) set fire to Beaubassin, and carried off the inhabitants… " G. 20. B. T. N. S. vol. 10. — June 4. Whitehall. 1750. Lords of Trade to Secretary of State {Bedford). « … The Freach have taken possession of N. S. from Chignecto to the St. John, hâve bumed down Beaubassin, and carried off the inhabitants. » B. T. N. S. vol. 34, p. 252.

    Dans Life and administration of Gov. Lawrence, by James S. Macdonald (N. S. H. S. vol. XII, Halifax, 1905,) il est dit : « On their approach, (Lawrence et ses sommes,) the Indians and French Acadians, acting under French direction, burnt the town (Chignecto.) It consisted of 140 houses and two churches. » « — P. 27. Et Haliburton, ch. IV du tome 1er, p. 158 : » « In the spring of 1750, the Gov. detaehed Lawrence, with a few men, to reduce the inhabitants of Chignecto to obédience. At his approach, they burned their town to ashes… »

    Nous demandons : où est la main de Le Loutre dans tout cela ? — Cf. encore Murdoch, vol. 2, ch. XIII, p. 178 : « On their approach, (Lawrence et ses hommes,) the Indians, acting, as was supposed, under the influence of the French commandant, reduced the whole place to ashes in a few hours… » Cf. Can. Arch. 1887, p. CCCLI. 1750. July 22. Louisbourg. M. Prévost, comptroller, to the Minister. Fol. 73. 8 pp. — Archives Can., 1905, p. 383 des App. — Nouvelle-Écosse, 1750. Récit de la marche du Détachement comm. par le major Lawrence après son entrée dans le Bassin de Chignecto. — Ibid. p. 386. Le chevalier de la Corne à M. Desherbiers, gouverneur de l’Isle Royale. Memeramduc… 1750.

  4. Richard adopte le N.-S., car, selon le V. S., tous les historiens et tous les documents placent ce fait en octobre 1750. Une lettre de Cornwallis aux Lords du Commerce, datée de Halifax, nov. 27 1750, le donne comme venant de se passer : « How, who had gone to Chignecto, to negociate peace with the Indians, was shot whilst in conférence with Le Loutre, La Corne, and other French officers, under the protection of a flag of truce. » " — {Can. Arch. 1894, p. 168, G. 54, B. T. N. S. vol. 11.)

    Un extrait de cette lettre est donnée dans AMns, p. 194. Cf Murdocoh, vol. 2, ch. XIV, p. 192, qui place l’événement au 4 octobre 1750. Dans la Biographie de Lawrence, loc. cit. p. 28, il est dit que « Howe était venu pour tâcher de régler certaines difficultés que ce dernier avait eues avec les Indiens. » Il y est dit également que ce fut à la suggestion de Lawrence que Howe se rendit à la rencontre du parlementaire. {Arch. Can. 1905. P. 388 et seq.)

  5. Le MS. original, fol. 333-4, porte à cet endroit la note suivante : "D’après la coutume établie depuis l’occupation du pays, Howe devait succéder à Mascarène comme gouverneur ; mais la fondation d’Halifax fit déroger à cette règle. Quelques semaines avant la mort de Howe, Cornwallis avait demandé son congé, et suggéré Lawrence comme son successeur, donnant pour raison que «  Mascarène had sold out and was worn out, and that Howe, not being a military man, was unfit. » Il est impossible que l’objection de Corawallis quant à Edward Howe n’ait pas été admise ; car, Lawrence ne fut pas nommé non plus cette fois. Howe est invariablement désigné sous le nom de capitaine, mais c’était plutôt parce qu’il était commissaire des troupes et parce qu’il avait été chargé d’opérations militaires ; ainsi, lors de la première attaque contre Annapolis par Duvivier, il fut chargé par Mascarène de déloger l’ennemi et de faire raser les maisons qui lui servaient de protection. Au combat de Grand-Pré, il tomba grièvement blessé à côté du colonel Noble. Voyant qu’il perdait tout son sang de la blessure qu’il avait reçue au bras gauche, il demanda à un officier français de faire panser sa blessure par leur chirurgien ; celui-ci était alors occupé auprès de M. Coulon de Villiers, aussi grièvement blessé ; Howe le pria alors de faire parvenir sa demande au chirurgien anglais. Cette démarche donna lieu à des ouvertures de capitulation, et Howe, malgré sa faiblesse, servit d’interprète aux négociations. Il lui fut permis de se retirer à Annapolis sur parole, et plus tard il fut échangé contre un M. Lacroix et tous les prisonniers canadiens qui se trouvaient à Boston. Murdoch dit de lui : « He left a widow, Mary Magdalen How, and several children. The esteem he won while living, the general usefulness of his conduct as an early founder of our colony, and the circumstances of his death, commend his memory to us who enjoy a happy, peaceful and prosperous home ; for the security and comfort of which, we are bound to be grateful to those who pioneered the way in the earlier periods under many and serious disadvantages. ». (vol. 2, ch. XIV, p. 193-4.) Edward Howe est l’un de mes ancêtres. Ses descendants sont nombreux dans les Districts des Trois-Rivières et de Montréal. Parmi les principaux sont : Théodore Doucet, Ecr, N. P., ses sœurs Lady Middleton et la comtesse de Bligny, Edmund Barnard, Ecr., Q. C, le lieut. col. Hughes, chef de police à Montréal, Odilon Doucet, du ministère des Postes à Ottawa, Antonio Prince, M. P. P., Auguste Richard, vice-consul français à Winnipeg, — (suit une ligne biffée et qui portait ceci : les chanoines Jean et Joël Prince, Achille et Louis Blondin, Régistrateurs, etc., etc. »

    Voici comment, par la branche maternelle, nous serions les descendants d’Edward Howe : notre grand’mère Julie-Madeleine Doucet (1797-1866), qui avait épousé le 15 oct. 1815, Joseph le Prince, fils de Jean le Prince et de Rosalie Bourg, était fille de Jean Doucet, né à Tintamarre, (aujourd’hui Sackville, N.-B.) en 1751, marié aux Trois-Rivières, le 2 février 1778, à Marie-Anne Madeleine Mirault, née à Port-Royal en 1755, fille de François Mirault et de Marguerite Robichaud. Or, ce Jean Doucet, père de notre grand’mère, « par un malheur et un crime dont Marguerite Préjean, sa mère, ne peut être tenue responsable, était le fils du colonel Howe. » (Cf. Bulletin des Recherches Historiques, vol. 13, janvier 1907, article sur l’abbé André Doucet, curé de Québec, par Mgr Henri Têtu.) Dans une lettre du 18 avril 1896, Édouard Richard écrivait : « Ma grand’mère le Prince, Julie Doucet, était certainement la petite-fille d’Edward Howe… Il n’y a pas le plus léger doute sur ce fait. Il est de tradition également dans les autres branches de la famille. » {Id. Ibid. p. 4-5.)

    Le chanoine Jean-Joël le Prince, est né en août 1816, mort le 30 octobre 1893 au Séminaire de St-Hyacinthe.

    Le chanoine Jean le Prince, né en 1827, mort curé de St-Maurice le 6 janvier 1898.

  6. Montcalm and Wolfe. Vol. I, ch. IV. Conflict for Acadia P. 123-4.
  7. Le titre original est : Mémoires du S. de C. contenant l’Histoire du Canada, durant la guerre, et sous le gouvernement anglais. La Québec Historical Society a fait imprimer ce MS. en 1838, avec Introduction par Faribault. Ce dernier croit que l’auteur de ces Mémoires est M. de Vauclain. Opinion inadmissible, dit Kingsford. Le nom du chevalier Johnstone a été mentionné également. Mais cela n’est pas plausible. D’après Kingsford, il semblerait que ces Mémoires sont de Franquet : « Since the perusal of Frauquet’s diaries, I have again read the Mémoire with the theory that he was possibly the author. There is one point worthy attention, the consideration shown Bigot, although with no désire to hide his peculations. Franquet had partaken of Bigot’s hospitality and was impressed with the good side of his character. Undoubtedly he intimately knew the society so graphically described. » — Kingsford. Hist. of Canada, vol. III, Note de la page 577-8.
  8. « It must nevertheless be remembered that we hâve derived our information of this person from sources not friendly to priests of his church, — the French of that period being tinged with the philosophy of Voltaire. » {History of N. S. vol, 2, ch. XIX, p. 271.)

    Il nous semble que ce que Murdoch dit ici s’applique également aux Mémoires sur le Canada et aux documents provenant de Pichon. À partir du ch. XIII, l’historien de la Nouvelle-Écosse cite assez fréquemment ces deux sources, et le jugement qu’il en porte dans son ch. XIX, après qu’il a fini de tracer, d’après leurs données, le portrait de Le Loutre, renferme sa pensée à l’égard de l’une et de l’autre : toutes deux lui paraissent tendancieuses au même degré.

  9. Voici exactement ce que nous relevons dans Parkman. Au chapitre IV de son Montcalm and Wolfe, vol. I, Conflict for Acadia, il est dit, en parlant de Le Loutre : This priest, says a French writer of the time (p. 113) et une note au bas de la page porte : Mémoires sur le Canada. À la page 119, autre citation ainsi amenée : «  Nobody, says a French catholic contemporary… » Et une note au bas de la page porte : Mémoires sur le Canada. À la page 125 : « They refused to go, says a French writer » et, au bas de la page 126, renvoi à Mémoires sur le Canada.

    Ailleurs, dans le même chapitre, Parkman renvoie à cet ouvrage, sans le citer textuellement, mais en fondant dans son texte les informations qu’il lui emprunte. L’historien américain fait grand état de ces Mémoires et leur attribue évidemment une haute autorité. Mais est-ce intentionnellement et pour donner le change au lecteur qu’en les citant, il dit tantôt : A French catholic contemporary et tantôt a French writer of the time et tantôt a French writer ? Toujours est-il que les renvois au bas des pages sont exacts, et qu’il n’est pas besoin d’un grand effort de la part du lecteur pour s’apercevoir que, sous ces appellations diverses, c’est toujours la même source qui est désignée. — Où Parkman a vraiment tort, c’est quand il donne ces mémoires comme venant d’un French catholic contemporary. Comment ne s’est-il pas aperçu que cet auteur n’avait rien de catholique ? Mais cela servait mieux le but de l’historien américain de le désigner, au moins une fois, sous ce nom. Cela donnait plus de crédibilité à ses infâmes jugements. Ne fallait-il pas que Le Loutre fût bien méchant pour qu’un « catholique contemporain » eût osé parler de lui en ces termes ? — Voilà ce que Parkman a peut-être pensé qu’on se dirait.

  10. Ce vieux proverbe n’a pas ici sa juste application. Tomber de Charybde en Scylla, c’est, en voulant éviter un mal, se jeter dans un plus grand. Or, Parkman ne fait rien de la sorte : les deux écueils, il les frappe tour à tour ; il donne contre le second, qui est le plus dangereux, sans avoir cherché le moins du monde à se garder du premier. Mais l’on comprend ce que l’auteur d’Acadie a voulu dire.
  11. Thomas Pichon (alias Thomas Signis Tyrrell) était français d’origine et avait été élevé à Marseilles. Il étudia d’abord la médecine. Grâce à la protection du marquis de Breteuil, il fut fait inspecteur des hôpitaux militaires à l’armée de Bohême et de Bavière. Un an après son retour en France, il fut fait inspecteur des fourrages de l’armée dans la Haute-Alsace. C’est là qu’il fit la connaissance du comte Raymond qui l’emmena comme secrétaire à Louisbourg, dont il avait été nommé gouverneur. Pichon remplit cette fonction de 1751 à 1753, où il fut transféré au fort Beauséjour à titre de commissaire des magasins. C’est alors qu’il entra en correspondance secrète avec Scott, Hussey, etc., et qu’il se livra, au profit des anglais, à l’espionnage et à la trahison. Cela dura jusqu’à la prise de Beauséjour, en 1755, où, fait ostensiblement prisonnier avec le reste de la garnison, il fut conduit à Pisiquid (Windsor) puis à Halifax. Dans cette dernière ville, censé sous la surveillance de l’officier anglais Archibald Huishelwood, mais libre en fait, il gagna la confiance des officiers français supérieurs qui y étaient détenus et rapporta au gouvernement leurs plans et leurs conversations. En échange de ses trahisons, il se faisait donner des habits, de l’argent, etc. En 1758, il vint à Londres où il résida jusqu’à sa mort arrivée en 1781. Son ouvrage sur le cap Breton fut publié anonyme, à Londres en 1760 et à Paris en 1761. Il avait pris le nom de Tyrrell, qu’il disait être celui de sa mère.
  12. Le MS. original, à cet endroit (fol. 340, 341,) contient en note des citations anglaises dont la provenance n’est pas indiquée. Richard les a prises, — sauf la dernière, extrait d’une lettre de Boscawen, — dans Documents inédits sur l’Acadie. (G. F. tome II, p. 127 et seq. Pièces 88 et seq.) Correspondence between Pichon (or Tyrel) with the british officers. Cela est tiré du British museum. {Brown MSS. Add. 19073, fol. 21, no 24, 1753-1755.) Mr. A. B. Grosart fait précéder ce document des notes suivantes, de sa propre main : «  These are invaluable papers as they reveal Pychon’s state of mind during his traiterous correspondence. Appended is a critique on Pichon by captain Hussey of Fort Lawrence. The whole is in the original French : and is annotated throughout from the documents in the council Records. The mutual correspondence is carefully given from the original in the Records. » — Voici ces citations : La première, au contraire de ce que dit Richard, n’est pas une lettre de Hussey à Scott, mais est intitulée : « Critique on Pichon by captain Hussey », pièce LXXXIX, et nous paraît être une note mise par le Dr Brown en tête d’un billet envoyé par Hussey : «  The inconsistency, the fear of guilt, make the guilty commit absurdities ruinons to themselves. Traitors are never cordially believed. They have broken the holiest obligations, how is it possible to bind them by ordinary ties. » Et suit la lettre de Hussey dont les paroles ci-dessus sont le commentaire : « Au capitaine Scott — Pichon’s Seducer. Fort Lawrence, llth novr 1754 : Dear Sir, Enclosed you have some letters I received from your Friend under a cachet volant as you see… I must confess I have some suspicions of your Friend’s sincerity, and have communicated them to the Colonel. I am, your most humble servt. T. Hussey." Le 12 novembre, le même écrivait au « commissioner in chief » une longue lettre de laquelle Richard a détaché ce qui suit : «  The 9th of this month I received the enclosed letter, which if (whether) authentic or not, I think it my duty to transmit to you as soon as possible… I cannot help suspecting Pichon’s sincerity, and very often find great circonstancies in his letter. I cannot but remark that in this Sir he makes the General of Canada say that he engages Le Loutre (Moyse) [known by the name of Moses] and Verger (sic) to find some plausible, pretext to make the Indians break out, and then tells me that Mr. Verger will take care that they do not attempt any thing at Mejagouesh (sic.) He hath also, ever since I have been here, complained how narrowly he is observed and how jealous (whom in contempt he styles Moses) Moyse — is of him, which I think is a little inconsistent with his trusting him with his Letters so far as to take copies of them. I think Sir that I have good reason to believe that the letter he calls Mr. Duquesne’s is of his own composing ; for I am this morning informed from etc. etc… Mr. Pichon is also a little mistaken about… would you think proper of my keeping up this correspondence during the winter… »

    Richard ajoute : « The Rev. Mr. Brown dévotes a chapter to dissecting Pichon’s inconsistencies and character, with the title : « Casual hints from the Letters of Pichon indicating the state of his traiterous correspondence (with the British officers at Fort Lawrence in the years 1754 and 1755. — Copied from his Papers in the Secreys office in N. S.) Pièce LXXXX des Docum. Inéd. — (Dans ces extraits de Pichon, impitoyablement commentés par Brown, le traître demande à Scott, à deux reprises, d’être envoyé à Philadelphie. Il n’y alla pas cependant, quoi qu’en dise Richard dans le texte.)

    Enfin, la dernière citation que renferme cette note est malheureusement fautive. L’auteur d’Acadie, pour n’y avoir pas regardé d’assez près, est tombé dans une grosse erreur. Il dit, en effet : Boscawen, writing to Pitt after the taking of Louisbourg in 1758, said : « I received this statement with but a moderate account of belief in its accuracy, as Pichon was not there himself… » Or, ce texte n’est pas de Boscawen, mais de Murdoch. En voici la preuve, dans B. Murdoch’s Hist. of N. S. vol. 2, ch. XXIII, p. 343 : «  Boscawen writes from Gabarus bay, 28 July (1748), to Mr Pitt, giving the account of the capture of the Bienfaisant and destruction of the Prudent by the boats of the Squadron, adding : « I have only further to assure His Majesty that all his troops, and officers, both sea and land, have supported the fatigue of this siège with great firmness and alacrity. » — Et c’est tout pour la lettre de Boscawen à Pitt. Murdoch continue son récit : « It is stated by Pichon, that the evening before the English took possession of the town, the French soldiers were suffered to plunder the magazines, and that the priests spent the whole night in marrying all the girls of that place to the first that would have them, for fear they should fall into the hands of the heretics. I receive this statement with but a moderate amount of belief in its accuracy, as Pichon was not there himself, and being soured with his own nation, and an open scoffer at the Priesthood, without impugning his veracity, I may believe he was prone to believe any canards he heard that tented to disparage French authorities or religions men. It ressembles too closely the harsh charges of pillage at Beauséjour, for which we have only his assertion. » — C’est donc par distraction que Richard a prêté à Boscawen un jugement sur Pichon qui est évdemment de Murdoch. Mais le jugement reste, et il est peu flatteur pour ce traître. Et c’est cela qui importait surtout.

    Pichon (Pièce LXXXVIII) des Docum. Inédits, donne de bien pauvres raisons pour excuser sa trahison : « Trompé grossièrement par l’homme que j’avais accompagné à l’Isle Royale, (le comte de Raymond) dont la cour de France avait fait gouverneur (sic) et qui me doit le plus, je projetai dès lors, etc., etc. » « Après le départ du comte de Raymond qui avait affecté d’ignorer ce qu’une généreuse équité exigeait de lui… » (CF. Tome II, p. 127.)

  13. Ce mot est attribué au cardinal d’Este (1479-1520). Il l’aurait dit du Roland furieux de l’Arioste.
  14. Le MS. original (fol. 343) a ici la note suivante : « Le compilateur a cédé à la même tentation ; il a introduit quelques-unes des lettres de Pichon dans le Vol. des Archives. Arcades ambo. »

    Voici ce que nous trouvons dans Akins à la page 229, une lettre de Pichon au capitaine Scott, en date du 14 oct. 1754 ; page 238, une lettre du même, en date du 9 nov. 1754, il n’est pas dit à qui adressée ; le reste se compose de trois documents dont Pichon avait pris copie et qui ont été trouvés dans ses papiers, les fameux Tyrrell’s Papers. Nous devons ajouter, pour être équitable, qu’au bas de la page 229, Akins a consacré à Pichon une note biographique dans laquelle il expose franchement ce qu’il fût. Le compilateur le donne comme espion et traître.

    Les deux mots latins, à la fin de la citation de Richard, sont classiques :

    Ambo florentes œtatibus, Arcades ambo :
    Et cantare pares, et respondere parati
    .

    Virg. Egloga Septima. 3-4.

  15. « There was another person in the fort worthy of notice. This was Thomas Pichon, commissary of stores, man of education and intelligence, born in France of an english mother. He was now acting the part of a traitor, carrying on a secret correspondence with the commandant of Fort Lawrence, and acquainting him with all that passed at Beauséjour… Pichon, called also Tyrrell… was author of Genuine Letters and Memoirs relating to Cape Breton, — a book of some value. » — (Montcalm and Wolfe, vol. I, ch. VIII. Removal of the Acadians, p. 252.)
  16. Afin de donner à ce passage toute la précision désirable, nous avons pris la peine de relever par le menu tous les endroits des deux chapitres de Montcalm and Wolfe où ce Pichon est en cause.

    a) Chap. IV. Conflict for Acadia.

    1o page 125 : « The French officers, indignant at this villany (meurtre de Howe) did net hesitate to charge it upon Le Loutre ; for, says one of them, what is not a wiciccd priest capable of doing ?  » — Et au bas de la page, il y a une note qui dit : « on the murder of Howe, Public Documents of Nova Scotia, 194-5 »… Effectivement, la citation que Parkman vient de faire se trouve à la page 195 de Akins, sous le titre suivant : Extract from a Document entitled : A short account of what passed at Cape Breton, from the beginning of the last lost until the taking of Louisbourg in 1758, by a Freneh officer. Ce French officer n’était autre que Pichon. Akins ne l’ignorait pas, et Parkman non plus. Ni l’un ni l’autre ne le nomment cependant. 2e page 127, la note 2, à propos de Le Loutre qui aurait menacé son peuple d’excommunication, etc., renvoie aux pp. 229-230 des Public Documents of Nova Scotia. Or, à cet endroit des Public Documents se trouve une Lettre de Thomas Pichon au capitaine Scott, en date du 14 oct. 1754, où l’on relève précisément le fait que mentionne Parkman.

    b) Chapitre VIII. Removal of the Acadians. Page 248. Duquesne, Governor of Canada, wrote to Le Loutre… « I invite both yourself and Mr. Verger to devise a plausible pretext for attacking them (the English) vigourously. » Une note au bas de la page porte : Duquesne à Le Loutre, 15 octobre 1754 ; extract

    in Publ. Doc. of N. S. page 239.’’Oui. Mais ce que Parkman omet de signaler,

    c’est que cette lettre de Duquesne (dont Hussey a dit qu’il croyait qu’elle était de la main de Pichon, voir note 12) a été copiée et envoyée par Pichon, au commandant du Fort Lawrence, le 9 novembre 1754. Pichon commence par dire : « Voici copies etc… En vous les envoyant, je vous prie de vous souvenir qu’il est d’une extrême importance pour moi que rien n’en transpire au dehors… autrement, je serais ruiné, ou du moins mis dans l’impossibilité de rendre service à mes amis… » — Page 252, se trouve l’appréciation de Pichon, que Richard vient de citer et dont nous avons donné le texte anglais dans la note précédente. Page 253, il y a une courte citation, et au bas de la page, la note 1 renvoie à Pichon to capt. Scott, 14 oct. 1754, in Public Docum. of N. S., p. 229. Page 254, autre citation, et la note 1 renvoie à Public Doc. of N. S., p. 239, à savoir, mais sans que Parkman le dise, à cette même lettre de Duquesne à Le Loutre dont copie avait été faite et envoyée secrètement par Pichon. Pages 259 et 261, il y a deux renvois au Journal of Pichon, cited by Beamish Murdoch. Page 265, un renvoi à Lettre de L’Évêque de Québec à Le Loutre, novembre 1754, in Public Documents of Nova Scotia, p. 240. — Oui, mais Parkman omet de dire que cette Lettre avait été copiée et envoyée par Pichon, en même temps que la lettre de Duquesne, au commandant anglais. Elle provient également des

    Tyrrell’s Papers.

  17. Sic dans le MS., fol. 345.
  18. While the conduct of the French at Beauséjour, and their encroachments on the Ohio, were gradually bringing about an open war between the two crowns, it entered into the mind of a French gentleman who held some semimilitary position under Vergor in the French fort, to open a secret correspondence with captain George Scott, who commanded at fort Lawrence. This intercourse was continued during the time of capt. Hussey, who succeeded Scott, and did not terminate until the fall of Beauséjour. The name of the correspondent was Pichon, altho’he also calls himself (Thomas) Tyrrell. He was apparently in the confidence of Le Loutre, whose letters and papers he Copied, and enclosed the copies to the English officers… He had been before employed under count Raymond, at Louisbourg, whom he blames exceedingly. The président, Lawrence, was cognizant of this affair, and Pichon was paid for his services from time to time. — Hist. of N. S. Vol. 2, ch. XVIII, p. 246-7.
  19. Vol. 2, ch. XIX, p. 260-1.

    Murdoch n’a rien caché du caractère de Pichon ni du triste rôle qu’il a rempli. Cependant, il a puisé abondamment dans ses papiers, auxquels il paraît bien avoir attribué une réelle valeur historique. Ainsi, des Lettres et Mémoires sur le Cap Breton, il dit que c’est un excellent work (p. 247). Pour ce qui est du siège de Beauséjour, il utilise son journal inédit, non pas seulement pour des faits de peu d’importance, ainsi que Richard l’a affirmé, mais pour tout le récit de ce siège : The main parts (of our accouut) are derived from the mss. journal of Pichon

  20. « Jean-Baptiste Coptk, chef micmac de la mission du P. Lacorne. » Bourgeois, Histoire du Canada, p. 125.
  21. Richard borne là la citation, qui contient encore, dans Akins, les lignes suivantes : "The English Garrison, at length, exasperated, and losing patience, after a long séries of such priestly scènes, besieged Beauséjour, which, being weakly defended, they took it in the spring of the year 1755. It would have been, nevertheless, more conformable to equity and justice, if the English had endeavoured to catch abbé Le Loutre and hang him as the sole author and actor of these abominations.

    Pas tendre, ce Pichon ! Les Anglais, d’après lui, en équité et en justice, auraient dû s’emparer de l’abbé Le Loutre, et le pendre, tout simplement, sans autre forme de procès. Si Pichon eût vécu de nos jours, il eût fait un admirable Boche. Il avait tout ce qu’il fallait pour cela : traître, espion, cruel, — ce fut un Boche avant la lettre.

  22. Nous ne croyons pas que cet aphorisme soit de Machiavel, encore que l’esprit en soit digne de l’auteur du livre Du Prince. Louis XI, 1423-1483, parlant de son fils, disait qu’il saurait assez s’il connaissait ces cinq mots : qui nescit dissimulare nescit regnare. (Cf. De Thou. Hist. Universelle, vol. III, p. 293.) Montaigne cite ce proverbe, mais pour le désapprouver : « … de faire profession de se tenir couvert, et se vanter, comme ont faict aucuns de nos princes, qu’« ils jetteraient leur chemise au feu si elle estoit participante de leurs vrayes intentions » « qui est un mot de l’ancien Metellus Macédoniens, et que « qui ne sçait se faindre ne sçait pas régner » « , c’est tenir advertis ceux qui ont à les praticquer que ce n’est que piperie et mensonge qu’ils disent. » (Essais. Liv. II, e. XVII. Édit. Jouaust. T. 4, p. 237.) Et Richelieu a dit, dans Mirame : « Savoir dissimuler est le savoir des rois. »
  23. Le MS. fol. 348, porte ceci : « Remarquons en passant qu’Edward Howe n’était ni major ni commandant du Fort, comme le dit Pichon. » Or Pichon ne dit nulle part que Howe était commandant du Fort.
  24. Nova Scotia Archives. Akins, p. 194-5. Can. Arch. (1894) p. 168-9, 1750. Nov. 27. Halifax. Cornwallis to Lords of Trade. G. 54. B. T. N. S. vol. II. Nov. 27. Cornwallis to Secretary of State. Letter similar to that addressed to Lords of trade A. & W. I. vol. 31.
  25. Akins, à cet endroit du document, met eu note ceci : « The french officers denied this statement, and charged the crime on Le Loutre the priest. » p. 195.
  26. Là s’arrête, dans le MS. l’extrait de Cornwallis. Dans Akins, il y a encore cette phrase : « exemple de trahison et de barbarie qui n’a pas son pareil dans l’histoire, violation d’un armistice qui a toujours été regardé comme une chose sacrée, and without which all faith is at an end, and all transactions with an enemy. »
  27. L’édition anglaise (vol. I, p. 282-3) ajoute ceci, à quoi rien ne correspond dans le M S. original : True, Cornwallis speaks disparagingly of the French, and especially of De La Corne and Le Loutre in connection with this murder. It is clear that he entertained suspicion of complicity, but it is equally clear that his suspicions are of a vague, general character.
  28. Le M S. — fol. 349 — portait d’abord ceci que l’auteur a ensuite biffé, avec raison, car l’extrait qu’il va faire de Prévost rendait inutile ce passage : « Prévost, commissaire ordonnateur à Louisbourg, dit formellement que Howe avait été prévenu par le Loutre même du danger auquel il s’exposait en se fiant trop aux sauvages, et que ce fut par sa propre imprudence et pour n’avoir pas suivi l’avis de Le Loutre, qu’il fut tué. » — Ce passage, qui fait double emploi avec le texte même de Prévost, est dans l’édition anglaise, p. 283 du vol. I.
  29. Arch. Can. (1887) Île Royale, corr. gén. 1750, vol. 29. M. Desherbiers, gouv. c 11. Octobre 27. Louisbourg. M. Prévost, contrôleur, au Ministre. Fol 130. 3 pp.

    Le MS. original — fol. 350 — contient la note ci-dessous : Deux ans plus tard ce même M. Prévost, écrivant au ministre, disait : « J’ai appris que le nommé Cope, mauvais micmac qui a toujours eu des allures incertaines et suspectes des deux nations (sic), a fait plusieurs voyages aux établissements anglais à l’Acadie et qu’enfin il a signé à Halifax une espèce de Traité… »

  30. Dans Les Missions Micmaques, ou, plus exactement : Motifs des Sauvages Mikmaques et Marichites de continuer la guerre contre les anglais depuis la dernière paix.

    Cf. à propos de ce mémoire, Casgrain. Les Supiciens, etc. Appendice, p. 437.

  31. Arch. Can. (1905) vol. II, p. 389.
  32. Richard met ici en note : « Cet écrivain anonyme est si inexact en ce qui concerne les affaires de l’Acadie qu’il est préférable de le passer sous silence. (Richard avait d’abord écrit : l’ignorer. Ce mot a été biffé, et un renvoi à la marge, lequel est évidemment de la main du traducteur, porte : le passer sous silence. — fol. 351). — À propos du meurtre de Howe, il a une version différente, évidemment absurde sur plus d’un point. Il ne faut pas oublier que l’auteur devait résider à Québec ou à Montréal, car son récit porte également et plus particulièrement sur les affaires du Canada. »
  33. Le MS. original — fol. 354 contient ici l’annotation marginale suivante : « Pour le reste du chapitre voir le texte anglais. » D’ici à la fin de ce chapitre XVI, nous suivrons donc de près la traduction anglaise, soit pour combler les lacunes du manuscrit, — il y a par exemple un long paragraphe de l’édition anglaise, page 286, qui manque dans l’original, — soit au point de vue de l’agencement de la matière. La coordination de ces derniers feuillets a été complètement remaniée dans la traduction.
  34. Le MS. porte, à cet endroit, la note suivante : « c’est à la page 118, et au quatrième chapitre, que Parkman fait usage de Pichon sous la couverture de « un officier français » ; et c’est à la page 243, et au huitième chapitre, qu’il nous révèle Pichon et son rôle. »

    Pour plus de détails là-dessus, prière de se reporter à la note 16 de ce chapitre.

  35. Le Loutre’s brother missionary, Maillard, déclares that it was purely an effect of religious zeal on the part of the Micmacs, who, according to him, bore a deadly grudge against Howe because, fourteen years before, he had spoken words disrespectful to the Holy Virgin. — Parkman, Montcalm and Wolfe, vol. 2, ch. IV, p. 124.
  36. Non, nous ne permettrons pas à l’auteur d’Acadie d’émettre impunément une pareille conclusion. D’abord, elle ruine tout l’échafaudage de ses preuves positives et de ses raisonnements antérieurs pour exonérer Le Loutre de toute participation même indirecte à ce crime. Et puis, quand les documents nous montrent ce missionnaire s’interposant pour adoucir le sort des prisonniers anglais ou pour empêcher qu’ils ne soient cruellement traités par les sauvages, il eût, d’autre part, déchaîné leur instincts barbares pour leur laisser commettre lâchement un meurtre infâme ! Cela implique une intolérable contra diction. Missionnaire de l’Évangile, Le Loutre, si loin qu’il ait été dans son patriotisme, s’est toujours efforcé de refréner la cruauté naturelle à ces peuples. Qu’ils aient, eu cette circonstance, et pour des raisons d’animosité personnelle contre Howe, oublié ses enseignements, et échappé à son action, il faut le déplorer sans doute, mais cela est beaucoup plus humainement explicable, et conforme à la psychologie de ces êtres primitifs ou dégénérés, que la conclusion à laquelle Richard déclare s’en tenir, et qui noircit finalement une mémoire qu’il s’est longuement efforcé de réhabiliter. Cette concession aux ennemis du nom français et catholique est absolument malheureuse.
  37. Le MS. — fol. 356 — contient la note suivante : « Depuis que ce qui précède est écrit, nous avons vu que Parkman, dans son dernier ouvrage, dit, sans explication, que la complicité de Le Loutre n’est pas prouvée. Quantum mutatus ab illo ! D’où vient ce changement ? que s’est-il donc passé ? Rien, si ce n’est que Casgrain l’a pris quelque peu à partie sur ses conclusions, en lui disant que la Valière, Prévost, Maillard, qu’il cite, concluent tout autrement que lui, et tout autrement qu’il ne nous le laisse supposer. Mais il (Parkman) n’a produit aucune preuve nouvelle. Casgrain n’a cependant pas découvert le vrai « pot-aux-roses », mais il pouvait être sur la trace, et vite il fallait le dépister par une admission, sans quoi lui ou quelque autre pourrait bien pousser plus loin les recherches et dénicher ses ruses et son Pichon. Les choses en étaient à ce point que Parkman pouvait se dire comme les enfants qui jouent à cache-cache : ça brûle.

    L’ouvrage où Parkman dit que la complicité de Le Loutre n’est pas prouvée, est A Half Century of Conflict, vol. II, ch. XXI, Acadian Conflicts, p. 180 : «  The worst charge against him (Le Loutre), that of exciting the Indians of his mission to murder captain Howe, an English officer, has not been proved » Cet ouvrage est de 1892.

    Pour Casgrain, cf. Coup d’œil sur l’Acadie, Canada-Français, 1888, Tome I, p. 126 et seq. Et aussi Appendice I de Pèlerinage au pays d’Evangéline…