Abrégé de l’histoire générale des voyages/Tome XXVII/Cinquième partie/Livre II/Suite du Chapitre VII/Des sources

Des sources.

» Nous avons trouvé aux îles de la Société des sources très-abondantes de l’eau la plus limpide et la plus fraîche ; l’une de celles d’Ouliétéa semble pouvoir le disputer au fons Brandusiæ d’Horace. Les naturels en ont fait un beau réservoir entouré de grandes pierres. La fontaine est rustique et d’une simplicité agréable. Des groupes d’arbres magnifiques et d’arbrisseaux fleuris, ainsi que les rochers vénérables d’où jaillit le ruisseau, l’enveloppent d’un ombrage perpétuel, et y entretiennent une fraîcheur délicieuse. Le courant de cristal qui s’échappe du bassin, la verdure des bocages et des plaines des environs, invitent le voyageur à ranimer par le bain ses membres fatigués. Cette ablution lui rend sa vigueur épuisée par un soleil ardent.

» À Tanna, sur le côté du havre qui est vers le volcan, j’ai découvert plusieurs sources chaudes que les naturels appellent dougouhs. L’eau sort d’une couleur noire de grès, tout près des bords de l’Océan ; et à la marée haute, ces sources sont quelquefois couvertes par les flots.

» Au fond du havre, près de la grève, on voit un petit étang qui contient une eau douce et agréable ; elle est d’une teinte un peu brune ; et quoique parfaitement bonne quand elle est fraîche, elle acquiert bientôt dans les futailles un plus grand degré de putréfaction, et une odeur plus fétide que toute autre eau que nous avons observée pendant le voyage ; ce qui, je crois, prouve qu’elle contient des particules étrangères peut-être inflammables. Cet étang se joint par-dessous le terrain boisé à une ligne de marécages qui s’étendent le long de la plaine à un ou deux milles du rivage. Il paraît que ces eaux s’y rassemblent durant la saison des pluies. Comme elles ne trouvent aucun écoulement, elles se réunissent dans ces parties basses et elles y croupissent ; toute la surface du sol de l’île étant formée de cendres volcaniques, qui contiennent plus ou moins de particules salines ou sulfureuses, l’eau les dissout et prend d’ailleurs cette couleur brune des substances végétales qui y tombent successivement, et qui en quelque sorte s’y dissolvent. Sur le reste des Nouvelles-Hébrides nous avons observé souvent de gros courans d’eau, qui se précipitent des flancs escarpés des collines, et qui se mêlent bientôt avec les flots salés de l’Océan.

» Les îles des Amis, paraissent privées de sources. Les éminences d’Eouah et d’Anamocka ne sont pas assez considérables pour attirer les nuages, ou, par leur humidité constante, produire des sources. Les naturels rassemblent l’eau de pluie dans des étangs. Quelques-uns de ces étangs sont vastes, mais l’eau est un peu saumâtre, à cause de la proximité de la mer. Outre ces étangs d’eau douce, Anamocka renferme une lagune considérable d’eau salée d’environ trois milles de long, parsemée de petites îles ornées de groupes d’arbres, remplie de canards sauvages, et entourée de mangliers et de collines qui forment un charmant paysage.

» On trouve aussi sur la pointe du nord de Houaheiné, l’une des îles de la Société, deux lagunes considérables d’eau salée, dont le fond est très-vaseux. Comme elles sont peu profondes, fort avancées dans les terres, entourées de buissons épais et de grands arbres, et par conséquent très-peu agitées par le vent, elles répandent une puanteur excessive, et je crois qu’il en sort des exhalaisons insalubres. C’est peut-être par cette raison que je n’ai remarqué qu’un petit nombre d’habitations le long des montagnes, au sud de ces lagunes, et elles n’étaient pas très-proches de leurs bords.

» J’ai observé une petite source à l’île Norfolk ; je crois que, si nous avions examiné toute l’île, nous en aurions trouvé davantage.

» L’île de Pâques n’a d’eau que celle de quelques réservoirs en forme de puits ou d’étangs. Cette eau provient, je crois, de la pluie ; elle est stagnante, un peu saumâtre et mauvaise.

» Les Marquésas sont remplies de très-belles sources, qui forment une multitude de jolies cascades et de ruisseaux ; les montagnes couvertes de nuages, et constamment humectées par leur vapeur, entretiennent les sources de ce climat chaud.

» La Nouvelle-Zélande a sûrement une grande quantité de sources et de ruisseaux, et l’on voit à peine un îlot ou un rocher sans une source d’eau douce. La baie Dusky offre plusieurs belles sources ; mais toute l’eau, serpentant et s’écoulant au milieu d’un sol fertile, spongieux et mou, composé de végétaux tombés en putréfaction, a pris une couleur d’un brun foncé : cependant elle n’est point sale ; elle n’a point de goût particulier, et elle se conserve bien à la mer.

» La Terre du Feu est remplie de très-belles sources et de vastes étangs d’eau douce que produit la fonte des neiges sur ses rochers élevés et pelés. J’ai observé, en différens endroits, de grandes et hautes cascades qui contribuent beaucoup à l’embellissement de ces cantons sauvages.

» Nous n’avons point rencontré de sources à la Géorgie australe, ni à la Terre de Sandwich ; mais comme il y a beaucoup de glaces dans les environs, et jusqu’au cinquante-unième parallèle sud, dans le printemps de ces régions, et même dans le milieu de l’été et de l’automne, jusque par-delà les 67e et 70e degrés, un navigateur ne doit pas être en peine de trouver de l’eau dans les hautes latitudes méridionales.

» Si j’en excepte l’eau des sources chaudes de Tanna, qui contient peut-être des particules salines, à cause de sa faible astringence, nous n’avons observé aucune eau médicinale dans le cours de notre expédition.