Abrégé de l’histoire générale des voyages/Tome XXVII/Cinquième partie/Livre II/Suite du Chapitre VII/Continens

EXTRAIT
DE
L’OUVRAGE DE J.-R. FORSTER,
INTITULÉ :
Observations faites pendant un voyage autour du monde, sur la géographie physique, l’histoire naturelle et la philosophie morale. [1]

Continens.

« Le globe terrestre, autant du moins que nous le connaissons, comprend trois grandes masses de terre. On trouve d’abord dans l’hémisphère oriental la masse la plus considérable, appelée communément l’Ancien-Monde ; elle renferme trois grandes parties désignées par la dénomination de continent, et qui sont distinguées par les noms d’Europe, d’Asie, et d’Afrique. La masse qui est la seconde, et par son étendue, et par l’époque à laquelle les Européens la connurent, est située dans l’hémisphère occidental, et porte le nom d’Amérique. La troisième masse de terre est située dans la partie sud-est de notre hémisphère, et ce n’est qu’assez récemment que ces limites orientales ont été reconnues, en 1770, par le capitaine Cook, cet infatigable et habile navigateur. Ses côtes occidentales et orientales avaient été découvertes en 1616, et dans les années suivantes, par les navigateurs hollandais : ce qui fit donner, en 1644, à ce continent, le nom de Nouvelle-Hollande. Quelques personnes refuseront peut-être à ce pays le nom de continent, quoiqu’il ne soit par son étendue que peu inférieur à l’Europe, à laquelle on n’a pas, jusqu’à présent, hésité à donner cette dénomination. Il n’est encore que très-imparfaitement connu.

» Tout le reste des terres non comprises dans l’énumération qui précède ne consiste qu’en îles. Dans notre voyage nous avons touché au cap de Bonne-Espérance ; nous n’avons vu, en quelque sorte, que les derniers fragmens de l’Amérique en côtoyant la Terre du Feu ; et, indépendamment de ces deux points, le continent d’où nous étions partis et où nous sommes retournés. Nous n’avons en conséquence rien à dire de particulier sur les continens que ce que nous avons appris de nos compagnons de voyage sur l’Aventure, qui en 1773 avaient vu une partie de la Nouvelle-Hollande. L’extrémité la plus méridionale de ce continent a une grande ressemblance avec les pointes et les extrémités méridionales des autres continens, par son aspect noirâtre, les rochers qui forment ses côtes, et son élévation considérable[2], quoique, plus au nord, le pays soit uni, et ne présente pas de hautes montagnes, au moins près des côtes.

» Je n’ai pas le dessein de défendre aucune hypothèse particulière relativement à la théorie de la terre ; mais si l’on jette les yeux sur les deux hémisphères du globe, tels qu’on les connaît depuis notre dernier voyage, ils semblent offrir à nos regards quelques particularités curieuses.

» Les pointes méridionales des grandes terres de notre globe présentent une ressemblance frappante dans leur forme et dans la situation des îles qui les avoisinent : elles sont toutes hautes et composées de rochers, chacune semble être l’extrémité d’une chaîne de hautes montagnes qui courent au nord : toutes ont à l’est une ou plusieurs grandes îles. Bien plus, si l’on continue la comparaison, l’on verra que tous les continens ont une grande sinuosité au nord de leur côté occidental. Tant de circonstances coïncidentes paraissent non-seulement ne pas être accidentelles, mais plutôt résulter d’une seule et même cause générale.

» Loin de moi la prétention d’assigner cette cause, mais je ne puis m’empêcher de soupçonner qu’une énorme masse d’eau, en se précipitant du sud avec impétuosité, a produit cette identité frappante dans la conformation de ces pays, quoique je ne puisse ni indiquer l’époque à laquelle arriva cette grande révolution, ni découvrir la raison pour laquelle elle a agi de cette manière. Il me suffit simplement d’avoir cité le fait, et fixé l’attention sur la cause prochaine.

» L’Amérique a la chaîne des Andes qui la parcourent du nord au sud, qui se terminent au cap Froward, et qui même s’étendent au delà du détroit de Magellan jusqu’au cap de Horn. La sinuosité de sa côte occidentale est évidente vers le tropique du capricorne, et à l’est de sa pointe méridionale sont la Terre du Feu, la Terre des États, et les îles Falkland.

» L’Afrique, à sa côte occidentale, a une grande sinuosité au nord de la ligne. Les hauts rochers de son extrémité méridionale au cap de Bonne-Espérance se continuent en une longue chaîne de hautes montagnes qui se dirigent de là au nord-est. Madagascar, et plusieurs petites îles, sont à l’est et au nord-est de cette extrémité méridionale.

» L’Asie se termine au cap Comorin par unepointe haute composée de rochers, et qui forme l’extrémité des montagnes des Gates. Au delà de Cambaye, vers l’embouchure du Sind existe une sinuosité semblable à celles dont il a été question. À l’est du cap Comorin est située l’île de Ceylan.

» La Nouvelle-Hollande offre à sa pointe méridionale une haute pointe de rochers qui, d’après les récits de Tasman et de nos compagnons de navigation, semble se continuer dans une chaîne de montagnes qui s’étend assez avant vers le nord. Quiconque jette un regard sur l’Afrique et sur la Nouvelle-Hollande doit être frappé de la ressemblance de leurs contours généraux, la sinuosité de l’ouest étant très-remarquable dans ces deux continens ; à l’est de la Nouvelle-Hollande sont les deux grandes îles qui composent la Nouvelle-Zélande.[3]

  1. Pour ne rien laisser à désirer sur ce voyage du capitaine Cook, on a cru devoir rassembler ici les principales observations contenues dans l’ouvrage de Forster père. On peut les regarder comme une récapitulation de son voyage et même de tous les voyages autour du monde, ou comme des conséquences qui en découlent immédiatement.
  2. Le cap de Bonne-Espérance présente une pointe haute, noirâtre, et composée de rochers. Le cap Comorin, dans l’Inde, et le cap Froward, en Amérique, sont de la même nature.
  3. On a reconnu depuis 1778, époque de la publication de l’ouvrage de Forster, que ce que l’on prenait alors pour l’extrémité méridionale de la Nouvelle-Hollande est celle d’une île séparée de ce continent par un détroit assez large, et où sont situées d’autres îles. Cette découverte n’a fait que confirmer l’observation de Forster, puisque l’île au sud du continent en est bien plus rapprochée que la Nouvelle-Zélande.