Abrégé de l’histoire générale des voyages/Tome XX/Quatrième partie/Livre III/Chapitre I

LIVRE TROISIÈME.

ISLANDE.

L’Islande est située sous le cercle polaire arctique, entre l’Europe et le Groënland. Cette île, depuis qu’elle est connue, a toujours dépendu d’une puissance européenne, dont elle a reçu les lois et la religion.

En 1750, Nicolas Horrebow, magistrat et savant danois, fut envoyé par le roi de Danemarck en Islande, pour prendre connaissance de l’état de cette île.

« Quoique l’Islande, dit cet historien, soit après la Grande-Bretagne l’île la plus considérable de l’Europe, et qu’elle forme un pays très-étendu qui mériterait bien d’être connu, il n’en est cependant aucun sur lequel on ait des renseignemens si vagues ou si peu exacts. Ce n’est pas que les Islandais aient ignoré l’art d’écrire ; aucun peuple au monde n’a peut-être pris plus de soin qu’eux de consacrer dans des écrits la mémoire de tout ce qui s’est passé dans leur pays ; mais autant ils ont écrit sur l’histoire civile et politique, autant ils ont négligé l’histoire physique, et c’est de là que procède le défaut de connaissances à cet égard. »

« Je dois prévenir, ajoute-t-il, que ma relation diffère d’autant plus de toutes les autres qu’elle ne contient rien que je n’aie vu par moi-même, ou dont je ne doive la connaissance à l’expérience et au séjour que j’ai fait pendant deux ans dans cette île. Pour ce que j’ai rapporté d’antérieur à mon arrivée, je l’ai appris d’Islandais très-éclairés qui en ont été témoins. »

Horrebow dit ensuite que les observations astronomiques et météorologiques qu’il a faites pendant son séjour lui ont procuré des connaissances certaines sur la hauteur de cette île, et sur la température de son climat ; que l’éclipse de lune arrivée au mois de décembre 1750 lui a fait connaître exactement la longitude de l’Islande.

On juge donc bien que Horrebow a été notre principal guide dans la description qui va suivre ; mais on a eu soin d’y joindre tout ce qu’il n’a pas censuré dans l’histoire d’Anderson, la meilleure que l’on connût avant la sienne. Ainsi ces deux ouvrages fondus ensemble donnent de l’Islande les connaissances les plus exactes, les plus étendues et les plus récentes qu’on ait eues jusqu’à ce jour, sans qu’on ait négligé de recueillir tout ce qu’on a pu trouver de sûr et d’intéressant dans les différens écrivains qui ont précédé.

L’Islande est située dans l’Océan atlantique ; sa côte la plus méridionale est sous le 63° 6′ de latitude ; son cap le plus occidental est à 27° 20′ à l’ouest du méridien de Paris, à deux cent quarante lieues des côtes de Norwége, et à cent de celles du Groënland ; elle est par conséquent de plus à l’est qu’on ne la croyait.

Quant aux dimensions exactes de l’île, dit Horrebow, il est très-difficile de les donner : cette opération exigerait bien des voyages ; et ce n’est qu’après de longs travaux qu’on pourrait se flatter de quelque succès. Cependant, en réunissant les différentes remarques qu’il a faites aux témoignages des Islandais les plus instruits, on peut juger, que leur pays a, de l’orient à l’occident, près de quatre-vingts lieues danoises. À l’égard de sa largeur du sud au nord, si l’on considère les endroits les plus étroits, ils n’ont guère que quarante lieues ; mais il s’en trouve d’autres dont la largeur va jusqu’à soixante. Ainsi on peut porter la largeur de l’île, en général, à cent lieues de vingt-cinq au degré.

« L’Islande entière, selon Mallet, ne doit être regardée que comme une vaste montagne parsemée de cavités profondes, cachant dans son sein des amas de minéraux, des matières vitrifiées et bitumineuses, et s’élevant de tous côtés du milieu de la mer qui la baigne en forme d’un cône court et écrasé ; sa surface ne présente à l’œil que des sommets de montagnes blanchis par des neiges et des glaces éternelles ; et plus bas, l’image de la confusion et du bouleversement. C’est un énorme monceau de pierres et de rochers brisés et aigus, quelquefois poreux et à demi calcinés, souvent effrayans par la noirceur et les traces du feu qui y sont encore empreintes. Les fentes et les creux de ces rochers ne sont remplis que d’un sable rouge, noir et blanc ; mais dans les vallées qui séparent les montagnes on trouve des plaines vastes et agréables, où la nature, qui mêle toujours quelques adoucissemens à ses fléaux, laisse un asile supportable à des hommes qui n’en connaissent point d’autre, et au bétail une nourriture abondante et très-délicate. »

On croit, avec assez de fondement, que c’est la vue de ces glaces dont le sommet des montagnes et la plus grande partie des côtes de l’île sont presque perpétuellement couverts, qui lui a fait donner le nom d’Is-Land, mot norvégien qui signifie pays de glace.

Le climat de cette île est en général le même qu’en Suède et en Danemarck. Les observations météorologiques de Horrebow le démontrent clairement ; il résulte de leur examen que les quatre saisons y sont très-distinctes, contre l’opinion générale, qui n’admettait en Islande que l’été et l’hiver.

Le printemps y est doux et agréable ; l’été n’incommode point par des chaleurs excessives ; l’automne est mêlé de temps pluvieux et de beaux jours ; l’hiver commence au mois de décembre, et amène quelquefois beaucoup de neige ; mais les plus grands froids se font sentir communément au mois de février ou de mars.

Aux rigueurs de l’hiver se joint encore le désagrément de la courte durée des jours ; mais il n’est pas vrai que les ténèbres y règnent plusieurs mois de suite, comme toutes les géographies le débitent. On doit faire attention d’abord que les jours ne peuvent être égaux dans toute l’île ; mais qu’ils sont plus courts en hiver et plus longs en été, suivant que les lieux sont plus septentrionaux, et plus longs en hiver et plus courts en été, suivant que les lieux sont plus méridionaux.

Horrebow nous assure, d’après le témoignage des gens habiles et lettrés qui ont habité la partie septentrionale de l’île, que dans le jour le plus court de l’hiver le soleil paraît environ une heure sur l’horizon, et que la clarté y règne près de quatre heures. Il peut se faire aussi que dans les extrémités les plus septentrionales, comme, par exemple, à la pointe du Norden-Strand et de Kisefiords-Syssel, le soleil ne se montre pas pendant quelques jours ; mais cependant on n’y reste point dans l’obscurité. Au moyen de la réfraction, on y a des crépuscules qui éclairent pendant plusieurs heures. En été, la longueur des jours dédommage l’Islande de la brièveté de ceux d’hiver : le soleil ne reste que deux ou trois heures sous l’horizon, et depuis la mi-mai jusqu’au mois de septembre, il n’y a plus de nuit ; ou du moins elles sont toujours accompagnées d’une clarté assez grande pour qu’on puisse lire très-aisément. Les aurores boréales et les parélies sont des phénomènes qu’on observe assez souvent en Islande, surtout les premières : elles éclairent presque toutes les nuits de l’hiver, mais leur clarté est rarement assez forte pour qu’on puisse en tirer de grands avantages. Les voyageurs seulement peuvent profiter de cette lueur pour se guider ; mais elle ne suffirait pas pour que l’on pût faire quelque ouvrage.

Les parélies sont des anneaux colorés comme l’arc-en-ciel qu’on observe autour du soleil. Il se passe peu d’années qu’il n’en paraisse en Islande, et on les regarde, ainsi qu’ailleurs, comme l’annonce des mauvais temps et des orages ; ce qui n’empêche pas que le contraire n’arrive souvent.

La situation de l’Islande l’exposant beaucoup à la violence des vents, on y ressent quelquefois des ouragans qui font de grands ravages ; mais cependant ils n’y sont pas aussi communs que l’a prétendu Anderson ; car Horrebow assure qu’il n’en a vu que deux en deux ans. En été, les vents sont d’un grand secours contre la chaleur. Toutes les fois qu’il fait beau temps, il s’élève communément pendant la nuit un vent de terre qui règne dans toute l’île. Entre neuf et onze heures du matin, succède un petit vent de mer qui dure jusqu’à cinq heures du soir, et même quelquefois jusqu’au coucher du soleil. L’un et l’autre de ces vents rafraîchissent l’air fort doucement, et ne donnent ni pluie ni mauvais temps.

L’Islande est fort inégale dans toute sa surface, et hérissée, d’une extrémité à l’autre, de rochers et de montagnes immenses qui sont contiguës, soit du sud au nord, soit de l’est à l’ouest ; cependant il se trouve entre ces montagnes des vallées fertiles et d’une grandeur considérable. Cette disposition du pays l’a fait diviser en dis-huit districts appelés harden et syssel, tous situés le long des côtes, et dont chacun peut avoir quinze à vingt lieues. Ces harden sont aussi séparés, dans quelques cantons, par de grands golfes ou par des rivières ; et il y en a plusieurs de si étendus, qu’il a fallu y établir deux sous-baillis.

De toutes les montagnes situées dans le centre de l’île, la plupart sont stériles et inhabitées. Il en est peu qui donnent des pâturages ; mais celles qui sont près des districts, celles qui les séparent ou qui sont situées dans leur arrondissement, sont en général très-fertiles, et fournissent d’excellente nourriture pour les bestiaux.

On divise les montagnes stériles en deux espèces : les unes ne sont composées que de roches et de sable ; les autres sont pendant toute l’année couvertes entièrement, ou seulement à leur sommet, de glace et de neige, et on les appelle jokuls, jockelen. Il en sort en été de grands ruisseaux dont les eaux sont troubles, noirâtres, et la plupart de fort mauvaise odeur.

Ce qu’il y a de singulier, c’est que ces jokuls, qui ne sont pas bien hauts, sont dominés par d’autres montagnes beaucoup plus élevées, et sur lesquelles cependant on ne voit en été ni glace ni neige. Il faut sans doute en chercher la cause dans la substance intérieure de ces rochers, et dans l’abondance du nitre et du salpêtre dont ils sont remplis.

« La nature de ces jokuls, dit Horrebow, n’étonne pas moins que les phénomènes qui s’y font remarquer. Une suite d’observations physiques sur ces montagnes instruirait sans doute bien plus qu’une description historique ; mais comme je n’ai pu me procurer que des connaissances du dernier genre, je vais rapporter ce qui m’a frappé davantage.

» Ces jokuls croissent, décroissent, s’élèvent et s’abaissent, grossissent et diminuent perpétuellement. Chaque jour ajoute à leur forme, ou en change quelque chose. Par exemple, si l’on aperçoit des traces de quelqu’un qui a passé la veille, et qu’on suive ces traces, elles se perdent tout à coup et se trouvent aboutir à des monceaux de glace qu’on ne peut absolument traverser ; d’où l’on conclut que ces glaces n’existaient pas le jour précédent. Ce fait se vérifie avec beaucoup de facilité, puisque, si l’on abandonne le premier sentier, et que l’on veuille remonter les jokuls en faisant un circuit à leur pied, on retrouve les traces qu’on avait abandonnées à la même hauteur et sur la même ligne que les premières.

» Il arrive aussi qu’on trouve un passage et un chemin dans des endroits où quelques jours auparavant on n’avait vu que des monceaux de glaces inaccessibles.

» Souvent des voyageurs imprudens ou téméraires, voulant tenter de passer à travers ces glaces, ont perdu leur cheval dans les crevasses qui s’y trouvent ; et une chose fort surprenante, c’est que peu de jours après on a retrouvé le cheval étendu sur la surface de la glace : ainsi ce qui était un gouffre, un précipice de plusieurs toises de profondeur, redevient au niveau, et ne présente plus aucun vide. »

Il s’ensuit de ces faits, qu’il n’y a réellement point de chemin sûr à travers ces jokuls, et que les voyageurs y sont exposés à de fâcheux accidens. On ne trouve de ces jokuls que dans le canton de Skatefiell, à la partie méridionale de l’île.

Les autres montagnes couvertes de glace, telles que l’Hécla, le Wester, le Jockel, le Dranga et quelques autres, sont d’une nature différente des jokuls, et n’éprouvent pas, comme eux, les changemens dont on vient de parler.

La plupart de ces jokuls sont des volcans qui de temps à autre jettent du feu et des flammes, et causent des tremblemens de terre : on en compte environ une vingtaine dans toute l’île. Les habitans des environs de ces jokuls ont appris par leurs observations que, lorsque ces montagnes de glace s’élèvent jusqu’à une hauteur considérable, c’est-à-dire, lorsque la glace et la neige ont bouché les cavités par lesquelles il est anciennement sorti des flammes, on doit s’attendre à des tremblemens de terre, qui sont suivis immanquablement d’éruptions de feu. C’est par cette raison, dit Horrebow, qu’à présent les Islandais craignent que les jokuls qui jetèrent des flammes, en 1728, dans le canton de Skatefiell, ne s’enflamment bientôt, la glace et la neige s’étant accumulées sur leur sommet, et paraissant fermer les soupiraux qui favorisent les exhalaisons de ces volcans.

On pourra se faire une idée des effets terribles de ces jokuls par le récit que nous allons donner du plus affreux ravage qu’on ait jamais vu en Islande, et qui arriva en 1721.

Le jokul appelé Katlegiaa, à cinq ou six lieues au nord de la mer, et près du Solheimavatn, dans le Skatefiell, s’enflamma après plusieurs secousses de tremblement de terre, et vomit beaucoup de fumée et de feu. Cet incendie fondit des morceaux de glace d’une grosseur énorme, d’où se formèrent des torrens impétueux, qui portèrent fort loin l’inondation avec la terreur, et entraînèrent jusqu’à la mer des quantités prodigieuses de terre, de sable et de pierre. Tout le terrain que ces eaux parcoururent fut entièrement ruiné et dépouillé de cette couche supérieure qui forme le sol, et il ne resta qu’un lit profond de sable. Les masses solides de glaces, et l’immense quantité de terre, de pierre et de sable qu’emporta cette inondation, comblèrent tellement la mer, qu’à un demi-mille des côtes il s’en forma une petite montagne qui a diminué un peu avec le temps, mais qui paraissait encore au-dessus de l’eau en 1750, temps où Horrebow était en Islande.

Deux voyageurs, se trouvant près du jokul embrasé, se réfugièrent à la hâte sur une petite montagne voisine, située entre la mer et le volcan. La violence de l’inondation détacha une quantité si considérable de terre, de sable et de pierre de cette montagne, que ces voyageurs, saisis d’effroi, croyaient à chaque instant voir écrouler la montagne entière ; cependant il ne leur arriva aucun accident. Après avoir demeuré sur le sommet un jour et demi, ils traversèrent tout le terrain qui venait d’être inondé. C’est de ces hommes, témoins oculaires, et les plus fidèles qu’on puisse consulter sur cet affreux événement, que l’auteur danois paraît tenir ce récit.

Il ajoute qu’on peut juger combien cette inondation amena de matières à la mer, puisqu’elle la fit remonter douze milles au delà de ses bords.

La fumée et les cendres que lançait chaque éruption du jokul obscurcirent tellement l’air, que pendant une journée entière on ne vit pas le soleil dans tout le canton. Les cendres, qui suivaient le cours du vent, furent jetées à un éloignement incroyable. Le foin qui était dans la campagne, ainsi que l’herbe et une partie du poisson qu’on avait étalé pour sécher, en furent couverts. Heureusement, peu de temps après, il survint une pluie abondante qui dura un jour entier, qui rétablit une partie de ce qui avait été gâté. Le feu du volcan ne donnait pas toujours une flamme bien claire. Il ne paraissait d’abord que des bouffées qui s’élançaient avec violence ; bientôt après on apercevait une colonne de fumée extraordinairement épaisse, qui répandait une odeur sulfureuse et très-forte. Le feu, vraisemblablement, était étouffé de temps en temps par des monceaux de neige et de glace qui se précipitaient dans le gouffre ; c’est ce qui occasionait une interruption dans la flamme, et un redoublement de fumée et d’exhalaisons.

La durée, entière de cette inondation fut de trois jours, et ce ne fut qu’après ce temps qu’on put passer sur les montagnes comme auparavant.

À l’égard des autres volcans, le mont Hécla, que l’on a toujours compté parmi les plus fameux de l’univers, à cause de ses éruptions terribles, est aujourd’hui un des moins dangereux de l’Islande. Les monts Katlegiaa, dont on vient de parler, et le mont Krafle, ont fait récemment autant de ravages que l’Hécla en faisait auparavant.

On remarque que ce dernier volcan n’a jeté des flammes que dix fois dans l’espace de six cents ans, savoir, dans les années 1104, 1157, 1222, 1300, 1341, 1362, 1389, 1558, 1636, et pour la dernière fois en 1693. Cette éruption commença le 13 février, et continua jusqu’au mois d’août suivant. Tous les autres incendies n’ont de même duré que quelques mois. Il faut donc observer que l’Hécla, ayant fait les plus terribles ravages au quatorzième siècle, à quatre reprises différentes, a été tout-à-fait tranquille pendant le quinzième, et a cessé de jeter du feu pendant cent soixante ans. Depuis cette époque, il n’a fait qu’une seule éruption au seizième siècle, et deux au dix-septième.

Actuellement on n’aperçoit sur ce volcan ni feu, ni fumée, ni exhalaisons. On y trouve seulement, dans quelques petits creux, ainsi que dans beaucoup d’autres de l’île, de l’eau bouillante.

En 1750, deux Islandais, qui avaient fait leurs études à Copenhague, et qui voyageaient dans l’intention de chercher des plantes, parcoururent l’Hécla, et n’y trouvèrent que des pierres, du sable, et des cendres, et de petites cavités remplies d’eau chaude. Après s’être beaucoup fatigués à marcher dans les cendres et le sable jusqu’aux genoux, ils revinrent sans avoir vu aucune marque de feu, et sans avoir pu aller jusqu’au sommet du mont, parce que l’Hécla, quoiqu’il ne soit pas une des plus hautes montagnes de l’Islande, a son sommet perpétuellement couvert de glace et de neige.

En 1726, après quelques secousses de tremblement de terre, qui ne furent sensibles que dans les cantons du nord, le mont Krafle commença à vomir, avec un fracas épouvantable, de la fumée, du feu, des cendres et des pierres ; cette éruption continua pendant deux ou trois ans, sans causer aucun dommage, parce que tout retombait sur ce volcan, ou autour de sa base.

En 1728, le feu s’étant communiqué à des amas de soufre, situés près du Krafle, ils brûlèrent pendant plusieurs semaines. Lorsque les matières minérales qu’il renferme furent fondues, il s’en forma un ruisseau de feu, qui coula fort doucement vers le sud, dans les terrains qui sont au-dessous de cette montagne. Ce ruisseau brûlant s’alla jeter dans un lac appelé My-Vatn, à trois lieues du mont Krafle, avec un grand bruit, et en formant un bouillonnement et un tourbillon d’écume horrible. La lave ne cessa de couler qu’en 1729, parce qu’alors, vraisemblablement, la matière qui la formait était épuisée. Peu de temps après cette lave s’endurcit, et laissa sur son passage des pierres calcinées, dont la couleur et la friabilité indiquaient assez les effets terribles de ces matières ardentes. Il y eut une église et plusieurs métairies ruinées, avec les prairies qui les avoisinaient ; mais il n’y périt personne. Le My-Vatn, dans lequel s’était jetée cette lave enflammée, fut rempli d’une grande quantité de pierres calcinées, qui firent considérablement élever ses eaux, et il y périt un grand nombre de poissons. Ce lac a environ vingt lieues de circuit, et il est éloigné de la mer de vingt lieues. La lave était comme un métal en fusion, et offrait un mélange de soufre, de minéraux et de pierres ; elle coula pendant près de deux années entières, mais avec tant de lenteur et de tranquillité, qu’on pouvait en approcher sans courir le moindre risque.

L’écrivain danois dit que dans plusieurs entretiens qu’il eut sur cet événement avec un Islandais, homme d’esprit et de considération, cet habitant lui affirma qu’il avait été souvent examiner ce courant du feu, et que même il y avait allumé plusieurs fois sa pipe.

Nous ne parlerons pas des autres volcans de l’Islande ; il suffit d’avoir fait remarquer les plus considérables.

Entre les montagnes et sur les côtes, on trouve des vallées et des plaines qui donnent d’excellens pâturages. Les vallées du milieu du pays ne sont point habitées, mais on y conduit les moutons, qui restent toute l’année dans la campagne. Ces vallées sont entrecoupées de beaucoup de petites rivières, de ruisseaux, même de lacs, et d’excellentes eaux douces, qui nourrissent quantité de truites et de saumons, et qui répandent la fertilité et l’agrément dans les prairies qu’elles arrosent.

Les autres grandes vallées qui sont habitées sont toutes plus basses que celles du milieu du pays. Elles s’étendent vers les côtes et le long de la mer ; il y en a qui ont quatre à cinq milles de largeur ; d’autres qui, après avoir serpenté pendant plusieurs milles entre les montagnes, se prolongent jusqu’aux bords de la mer. Ces grandes vallées composent les districts, et renferment encore de petits vallons, qui servent à entretenir des herbages. Plusieurs particuliers y ont des maisons qu’ils habitent pendant l’été, et où demeurent, pendant toute l’année, des gens qui ont soin du bétail, et qui recueillent le beurre, le lait et la laine.

Toutes les rivières et tous les torrens qui descendent des montagnes dans le pays plat sont fort poissonneux. La mer forme aussi de grands golfes, très-favorables et très-propres à la pêche. Il y a encore plusieurs lacs d’eau douce, qui ont jusqu’à douze lieues de circonférence ; et d’autres plus petits, qui nourrissent aussi de très-bons poissons, tels que des saumons, des truites de plusieurs espèces, des anguilles, etc.

Les mêmes poissons, dit Horrebow, se trouvent aussi dans quelques eaux chaudes, qui coulent directement dans les rivières ; ce qui prouve que ces eaux n’ont aucune qualité sulfureuse ou minérale.

On distingue en Islande trois sortes d’eaux chaudes, appelées généralement huerer. Quelques-unes, d’une chaleur médiocre, ne la doivent qu’à leur passage sur un terrain échauffé ; d’autres forment des fontaines, dont le bassin est plus ou moins grand, et dans lequel l’eau bout comme si elle était sur un grand feu. Enfin il y en a qui, bouillant avec violence, lancent leurs eaux en l’air, les unes continuellement et sans régularité, les autres périodiquement et dans un ordre continuel.

De cette dernière espèce est une source chaude, qui se trouve dans le canton du nord. Elle a des singularités dignes de l’attention des physiciens, et que Horrehow fait connaître.

Près d’une métairie appelée Reykum, sont situées trois sources d’eau chaude, éloignées l’une de l’autre d’environ trente toises ; l’eau, dans chacune, bouillonne et s’élance alternativement ; c’est-à-dire, lorsque la fontaine qui est à une extrémité a jeté de l’eau, celle du milieu en jette à son tour, puis celle qui se trouve de l’autre côté : la première ensuite recommence à bouillonner, et à jeter de l’eau de la même manière, ce qui continue toujours successivement, dans le même ordre, et si régulièrement, que chaque source jette de l’eau environ trois fois dans un quart d’heure.

Ces trois fontaines ne sont point sur une montagne, mais dans une plaine d’assez grande étendue, à quinze ou dix-huit lieues du mont Krafle. Le terrain où elles sont situées est de pure roche. L’eau de deux de ces sources, dont l’ouverture est apparente, perce à travers des pierres et des crevasses. Elles ne lancent leurs eaux qu’environ à la hauteur de deux pieds au-dessus de terre. La troisième a une ouverture pratiquée dans une roche fort dure, et si exactement arrondie, qu’on la croirait un ouvrage de l’art ; ce qui lui donne beaucoup de ressemblance avec une chaudière de brasseur. Lorsque cette fontaine a bouillonné, elle lance l’eau à dix ou douze pieds de hauteur, et, retombant ensuite dans l’ouverture, elle s’enfonce de quatre pieds. On peut alors s’en approcher pour la considérer à son aise ; mais il faut se retirer avant que l’eau remonte, et l’on en est averti par trois bouillonnemens. Le premier élève l’eau à la moitié de la distance qui est entre la surface et l’ouverture ; par le second, elle monte jusqu’à l’ouverture même ; le troisième forme un jet de la hauteur marquée ci-dessus, et retombe aussitôt, comme on a dit, à quatre pieds au-dessous du niveau de l’ouverture. Pendant que l’eau de cette source reprend son état naturel, la fontaine, de l’autre côté, jette de l’eau puis celle du milieu, et ainsi de suite, dans un ordre constant et alternatif.

Le mouvement perpétuel et régulier de ces trois sources n’est pas la seule chose qu’on y remarque ; leurs eaux produisent encore des effets singuliers qui ne sont pas moins surprenans. Si l’on met de l’eau de la grande fontaine dans une bouteille, on la voit sortir de la bouteille deux ou trois fois au même instant que la source lance son eau, et ce jeu continue aussi long-temps que dure l’effervescence de l’eau qui est dans la bouteille. Après le second ou le troisième bouillonnement, elle devient tranquille et froide. Lorsqu’on bouche la bouteille après l’en avoir remplie, elle éclate en morceaux au premier jet de la source, Horrebow dit s’être assuré de ce phénomène par plusieurs expériences. Lorsque l’on peut approcher de la grande source, et que l’on y jette quelque chose de quelque nature que ce soit, et même du bois, elle l’entraîne au fond ; mais aussi, lorsqu’elle rejette l’eau, elle lance le bois et les pierres pardessus ses bords, et même à quelques pas de son ouverture. On a quelquefois éprouvé sa force en y jetant des pierres aussi grosses et aussi pesantes qu’un homme vigoureux pouvait en porter : elles occasionaient un grand bruit dans la fontaine ; mais bientôt elles cédaient à la violence du bouillonnement ; et, malgré leur pesanteur, elles étaient rejetées hors de l’ouverture.

De l’eau que cette source lance en l’air il se forme un petit ruisseau qui se refroidit dans son cours, et va se jeter dans une rivière à peu de distance de là. Cette eau n’a que très-peu de goût minéral, et elle est fort bonne à boire lorsqu’elle est froide. Le terrain des environs donne toujours de bons pâturages, excepté à huit ou dix pieds autour des trois sources, où le sol est très-pierreux.

La ferme près de laquelle coulent les eaux encore tièdes de ces trois fontaines y fait abreuver son bétail, et il est prouvé que ses vaches donnent plus de lait que les autres ; c’est un nouvel effet particulier à ces eaux. Au reste, cette dernière propriété, quoique extraordinaire, n’est pas affectée seulement aux trois huerer qu’on vient de décrire : il y en a plusieurs autres qui l’ont aussi, quoiqu’elles n’aient aucun mouvement réglé.

On trouve en plus de cent endroits de l’Islande d’autres eaux chaudes ; mais, n’offrant rien de curieux, elles ne méritent d’être considérées que par les avantages qu’elles procurent aux habitans. Le premier est d’être un excellent baromètre. On a appris par l’expérience que, lorsque ces eaux donnent une fumée épaisse, la pluie n’est pas éloignée ; au contraire, quand elles fument peu, c’est le présage d’un temps sec et serein. La raison de ce phénomène se conçoit très-facilement. Lorsque l’air est humide, les exhalaisons étant plus considérables, il s’ensuit nécessairement que les vapeurs de ces eaux s’augmentent ; au contraire, si l’air est sec il ne fournit que très-peu de vapeurs, et les exhalaisons sont en petite quantité.

Les habitans qui ont leur demeure près de ces eaux chaudes, et particulièrement auprès de celles qui sont bouillantes, s’en servent fort utilement à différens usages. Ils mettent leur viande, ou ce qu’ils veulent faire cuire, dans une marmite remplie d’eau froide qu’ils suspendent au-dessus de la fontaine ; tout s’y cuit de la même façon que sur un grand feu, sans qu’aucune mauvaise odeur se communique aux alimens ni à l’eau de la marmite. Les voyageurs tirent de même un bon parti de ces sources, en y suspendant la théière qu’on porte ordinairement en voyage, et elle bout en moins d’un demi-quart d’heure.

Près de Krusevik est une de ces fontaines bouillantes où le voyageur danois dit avoir vu un homme qui était occupé à courber des cerceaux, sans employer d’autre moyen que celui de tremper ses perches dans l’eau chaude. Quoiqu’elles eussent plus d’un pouce d’épaisseur, elles acquéraient un tel degré de flexibilité, que l’ouvrier paraissait faire ses cerceaux sans aucune peine. « Cependant, observe Horrebow, il était obligé de s’éloigner de la source d’heure en heure, quelquefois même plus tôt, pour respirer un autre air : ce qui rendait cette précaution nécessaire, c’est que la fontaine, qui est environnée de soufre, d’alun, de salpêtre, et de toutes sortes de terres colorées, exhale une odeur aussi infecte que dangereuse. J’ai moi-même, ajoute-t-il, ramassé dans cet endroit différens échantillons de cette terre ; mais l’odeur qu’exhalait cette source était si forte, que je ne pus la supporter que très-peu de temps. »

Les Islandais tirent encore un bon service de ces eaux chaudes ; ils en forment des bains, dont on tempère la chaleur comme on veut. Ils sont, en général si persuadés que ces bains sont salutaires, et qu’ils prolongent la vie, que ceux qui en ont à portée de leur habitation en font un usage fréquent dans toutes les saisons de l’année.

Comme dans tous les pays du monde, le terroir de cette île a beaucoup de variété. En plusieurs endroits il se trouve une bonne terre grasse ; en d’autres, c’est la terre argileuse ou sablonneuse ; ailleurs on voit des terres fangeuses, appelées myren, qui deviennent d’un bon rapport lorsqu’on est parvenu à les dessécher. La tourbe est assez commune partout, et d’une bonne nature.

Quelle que soit la différence des terres d’Islande, et l’utilité qui pourrait en résulter pour l’agriculture, les habitans ne connaissent généralement aucune autre occupation champêtre que celle de cultiver des prairies, de les fumer, de les garantir des bestiaux, et d’y recueillir le fourrage qu’elles produisent. C’est là ce qui fait la richesse des métairies, et chacune a ses prairies autour ou à peu de distance de ses murs. L’herbe y pousse avec une telle vitesse, que, quoique la neige soit à peine fondue à la fin de juin en quelques endroits, quinze jours après on y voit de beau foin d’un pied de hauteur.

Les plantes les plus utiles parmi celles que l’Islande produit naturellement sont l’oseille, le cochléaria, l’angélique, et une certaine espèce de mousse qui croît sur les rochers nus et stériles, appelée lichen islandicus. Cette dernière plante est un aliment fort commun, et beaucoup d’habitans s’en servent au lieu de pain. Ceux qui sont voisins du lieu où elle croît en ramassent non-seulement pour leur provision, mais encore pour vendre à ceux qui ne sont pas à portée d’en recueillir. « J’ai souvent mangé de cette plante par goût, dit l’écrivain danois ; je l’ai trouvée fort bonne et bienfaisante. »

Quant à celles qu’on appelle potagères, il paraît par son récit qu’avec des soins et de l’expérience dans le jardinage, on peut parvenir à en faire croître dans toute l’île, puisqu’en plusieurs jardins on trouve des choux, du céleri, du persil, des navets, des petits pois, plusieurs autres légumes de cette espèce, et en général diverses plantes qui sont en usage dans nos cuisines.

Il n’en est pas de même des arbres ou arbrisseaux fruitiers : on n’en voit pas d’autres ici que des groseilliers, dont les fruits mûrissent assez bien et sont de bon goût. « Je ne doute pas, observe notre auteur, que plusieurs autres sortes d’arbres et d’arbustes ne pussent très-bien y réussir, en leur donnant les soins convenables. Le plus grand inconvénient me paraît être dans la difficulté de transporter les arbres sans leur faire tort ; pour l’éviter, il faudrait choisir un temps contraire à celui ou l’on fait le trajet de cette île. Les vaisseaux ne partent de Copenhague que dans le mois de mai, temps où les arbres ont déjà poussé, et où quelques-uns même sont en fleurs ; c’est ce qui les rend très-difficiles à transporter. Cependant, avec certaines précautions, on pourrait peut-être encore les apporter bien sains, et dans un état où l’on pourrait les transplanter avec succès. »

Puisque l’Islande renferme des jardins qui produisent des racines et des légumes, il est probable qu’elle produirait également des grains, si son terrain était cultivé ; mais les Islandais ignorent absolument toute espèce de labourage et l’art de semer. On ne sait d’où peut procéder cette ignorance ; car la tradition nous apprend que le pays était autrefois cultivé, et qu’il y avait des champs ensemencés. La verité de cette tradition se reconnaît en divers endroits par les sillons de ces champs et par les divisions qui en avaient été faites. Beaucoup de métairies, des plaines entières et même quelques promontoires, ont des noms dérives d’aker, qui veut dire champ ; tels sont Akerkot, Akergierde, situés tous deux près de la terme royale de Bessestadr, et Akernef, qui en est éloigné de trois milles. « D’ailleurs, dit Horrebow, j’ai sous les yeux le code d’Islande ; j’y trouve différens chapitres où il est traité des terres labourées, des champs ensemencés, des contestations qu’ils pouvaient faire naître, et des décisions qui devaient intervenir sur ces objets. » Quoiqu’il soit démontré par ces faits que l’agriculture a été en vigueur dans l’île, il est assez difficile d’expliquer comment un art si utile a été abandonné généralement ; comment tous les habitans ont pu perdre à la fois l’habitude et le goût de labourer et de semer. On peut cependant présumer avec assez de fondement que l’affreuse mortalité qui, vers le milieu du quatorzième siècle, fit périr une si grande quantité de monde en Europe, et surtout dans les pays septentrionaux, ayant réduit les Islandais à un très-petit nombre d’hommes, les bras manquèrent à la culture, et qu’insensiblement la facilité de recueillir les pâturages fit abandonner les occupations plus pénibles et plus multipliées du labour, des semailles et de la récolte.

Depuis cette époque, si funeste à l’humanité, on ne trouve rien dans les annales islandaises qui concerne l’agriculture. L’auteur danois nous apprend que son souverain a fait passer dans l’Islande plusieurs paysans de Danemarck et de Norwége pour rétablir la culture des terres. Le climat de cette île ne peut contrarier les succès qu’on est en droit de se promettre, puisqu’en Laponie, où l’été est beaucoup plus court, on recueille de très-bonne orge ; six ou sept semaines suffisent pour la semer, la faire mûrir et faire la moisson. Nous avons de plus un fait qui démontre que ce blé viendra très-bien en Islande : il croît en certains endroits de cette île, surtout dans le canton de Skaptefield, une sorte de blé sauvage dont on fait une farine excellente, que les naturels du pays estiment autant que celle qu’on leur apporte de Danemarck. Ce blé sauvage croît dans un terroir profond, où il ne vient aucune autre plante. En quelques endroits, il est petit et clair-semé ; en d’autres, il est abondant et très-épais. Il se sème de lui-même chaque année. Sa tige, qui s’élève à la hauteur de trois pieds, fournit une belle paille garnie d’un épi long, dont la forme est semblable à celle de notre froment. Peut-être que ce blé est un reste de celui qu’on avait anciennement semé, et que le temps ou le défaut de culture a fait dégénérer au point où on le voit aujourd’hui. Quoi qu’il en soit, le roi de Danemarck a donné des ordres précis d’examiner cette plante, et d’essayer de la faire venir partout où l’on pourra pour le bien général des habitans.

Les plantes maritimes sont en très-grand nombre. Aucunes de ces productions marines ne sont inutiles aux habitans : les unes servent à nourrir les bestiaux pendant l’hiver, lorsqu’on manque de fourrage ; l’algue sucrée se mange par goût plutôt que par nécessité ; elle fait même une branche de commerce entre les habitans des côtes et ceux qui sont plus éloignés dans les terres. Le prix de cette plante est de la moitié du prix que vaut le poisson séché.

À l’égard des arbres, ils sont en assez petit nombre en Islande. On n’y voit que des bouleaux et des saules dont la grosseur n’excède pas celle du bras, et dont la hauteur va au plus à dix ou douze pieds. En plusieurs endroits, les arbres sont rassemblés de manière qu’ils forment çà et là de petits bouquets ; mais, généralement parlant, on peut dire qu’ils sont assez rares relativement à l’étendue de l’Islande. Outre ces bois, il y a des broussailles et des arbrisseaux qui donnent assez d’ombrage pour garantir du soleil une personne ou deux. Le genévrier et d’autres arbustes de cette espèce sont fort communs. Nous ne faisons ici mention de ces productions peu considérables que parce qu’elles offrent aux habitans des ressources pour faire du charbon à l’usage des forges. Les habitans riverains en ont de bien plus sûre dans les arbres que la mer amène tous les ans en grande quantité sur les côtes de leur île.

En creusant la terre de côté et d’autre, on trouve des souches pouries et de vieilles racines qui indiquent qu’il y a eu anciennement des bois en bien des lieux où il n’en existe plus actuellement. Quelquefois on en rencontre une espèce fort singulière, que l’on nomme sutur brand, noir tison. Ce bois est toujours à une grande profondeur, en morceaux larges et minces comme de grandes tablettes, et communément entre de grosses pierres qui le couvrent par-dessus et par-dessous. Il est d’une pesanteur singulière, fort dur, noir comme l’ébène, et ondé. « Je fus extrêmement surpris, dit Horrebow, lorsque j’en vis pour la première fois, et plus encore lorsqu’on m’assura de quelle manière il se trouvait dans les pierres. Je doutai que ce fût du bois, et je crus devoir le mettre au rang des pétrifications ; mais comme je fis l’expérience qu’il cédait au rabot, qu’il donnait des copeaux très-fins, et qu’on pouvait le travailler comme on jugeait à propos, je pense qu’il doit être regardé comme un bois d’une espèce singulière, et en conserver le nom. »

Il n’y a point de bêtes fauves en Islande ; il ne s’y trouve d’autres animaux sauvages que des renards. On y voit arriver quelques ours qui viennent du Groënland sur de gros glaçons ; mais les habitans ont grand soin de les empêcher de pénétrer dans le pays, ou de s’y multiplier lorsqu’ils parviennent à y entrer. Dès qu’ils en aperçoivent un, ou seulement ses traces, ils ne cessent pas de le chercher et de le poursuivre jusqu’à ce qu’il soit tué. Deux motifs très-pressans les portent à cette chasse : le premier est de prévenir les ravages que ces animaux, très-voraces dans les pays septentrionaux, pourraient faire parmi leurs troupeaux ; le second, c’est de gagner le prix assigné pour la peau, qui doit en toute occasion être remise au bailli, parce qu’elle est dévolue de droit au fisc royal. Ces peaux d’ours de Groënland passent pour les plus belles ; on en a de blanches, de grises, de brunes et de tigrées.

Les renards d’Islande sont à peu près de la même couleur que les nôtres ; les habitans les appellent morroth. Les noirs y sont très-rares, et on les regarde comme des étrangers qui sont venus dans l’île sur les glaces du Groënland.

Il n’en est pas de même des renards blancs. Ils sont très-communs ; mais on en voit très-peu de gris-bleus. Les blancs le sont l’été comme l’hiver, et ne changent pas de couleur. Ceux des autres couleurs la conservent également pendant toute l’année, à l’exception du temps de leur mue, ou, comme l’on sait, tous les animaux paraissent d’une couleur mélangée.

Les animaux domestiques de l’Islande sont les chevaux, les bœufs, les vaches, les moutons et les chèvres. Les premiers sont généralement petits, courts et ramassés, mais vigoureux et forts. Les habitans les aiment beaucoup : ils sont si communs, que les bergers gardent leurs troupeaux à cheval, et que chacun se pique d’en avoir le plus qu’il peut ; ce qui leur est d’autant plus facile qu’ils ne coûtent rien à nourrir : quant à ceux dont on n’a pas besoin, on les mène, après les avoir marqués, dans les montagnes, où on les laisse plus ou moins de temps. Lorsqu’on veut les prendre, on envoie des gens qui les chassent, les rassemblent en une troupe et les prennent avec des cordes parce qu’alors ils sont devenus très-sauvages. Si quelques jumens donnent des poulains dans ces montagnes, les propriétaires les marquent comme les autres, et les laissent là trois ans. Ces chevaux deviennent communément plus beaux, plus fiers et plus gras que tous ceux qui sont élevés dans les écuries.

En général, les bœufs et les vaches n’ont rien en Islande qui les distingue des nôtres ; mais dans les parties méridionales de l’île on voit plusieurs de ces animaux qui n’ont point de cornes. Les Islandais tirent leur principal revenu de leurs vaches, par le commerce du beurre qu’ils font et par l’usage où ils sont de composer leurs boissons ordinaires avec le petit-lait qui reste lorsque le beurre est fait. Ils donnent à cette liqueur le nom de syre. À mesure qu’elle vieillit, elle devient claire et aigre jusqu’à égaler en force le vinaigre de vin ; après quoi, n’étant plus potable seule, on y mêle beaucoup d’eau pour en tempérer l’acidité.

Dans les contrées méridionales où les pâturages ne sont pas assez communs relativement à leur population, les Islandais ont un usage qu’on pourrait éprouver peut-être avec quelque avantage dans tous les pays maritimes où les fourrages sont rares. On nourrit les vaches avec l’eau dans laquelle on a fait cuire du poisson, et on y mêle même des poissons pouris et des arêtes, qu’on réduit en bouillie à force de feu. Les vaches y sont si bien accoutumées, qu’elles sont très-friandes de cette nourriture. C’est même pour elles une espèce de rafraîchissement, après lequel elles donnent de bon lait, sans qu’il contracte ni mauvais goût ni odeur désagréable.

Les chèvres, les moutons sont de même grandeur que les nôtres. Ces derniers ne diffèrent de nos moutons qu’en ce qu’ils ont presque tous, moutons, brebis et beliers, des cornes plus grandes et plus grosses que ces animaux n’en ont chez nous. Il s’en trouve plusieurs qui ont trois cornes, et quelques-uns même qui en ont quatre, cinq, et même davantage. Cependant il ne faut pas croire que cette particularité soit commune à toute la race des moutons d’Islande, et que tous les béliers y aient plus de deux cornes. Dans une troupe de cinq à six cents moutons on en trouve à peine trois ou quatre qui aient quatre ou cinq cornes ; et lorsque le cas arrive, on les envoie à Copenhague comme une rareté. Tout mouton qui a plus de deux cornes vaut en Islande, comme ailleurs, beaucoup plus qu’un autre, à cause de sa singularité ; et c’est une preuve qu’ils n’y sont pas bien communs.

Il se fait tous les ans un grand trafic de moutons et de la laine qu’on a recueillie, qu’on enlève pour le Danemarck ; cependant cette laine en général ne paraît pas supérieure à celle des moutons de ce royaume. Le choix de la matière, la préparation qu’on sait lui donner, ce sont là les moyens les plus sûrs qu’on doive employer dans la fabrication des étoffes pour les conduire à la perfection, et c’est aussi par-là qu’on parvient à tirer un parti très-avantageux de la laine d’Islande, qui a, comme partout, différens degrés de qualité et de bonté.

Cette île n’ayant pas d’autres grains que ceux qu’on y apporte de Danemarck, ce qui les rend toujours chers, on y élève peu de volaille, telle que des poules, des canards et des pigeons. Il ne s’en trouve même que chez quelques gens aisés qui se piquent de vivre avec un peu de délicatesse, ou chez des marchands qui nourrissent des poules pour faire commerce de leurs œufs.

La disette de volaille domestique est à la vérité bien réparée par l’abondance du gibier, et surtout des oiseaux aquatiques. Le gibier consiste en bécasses, en cailles, et en perdrix d’une espèce particulière, qui est blanche en hiver, grise pendant l’été, et qui a toujours les pates couvertes d’un petit duvet : c’est ce qui a fait donner à ces oiseaux, par les ornithologistes, le nom de lagopodes : en Allemagne et en Suisse, on les appelle poules-de-neige.

Parmi les oiseaux qui vivent sur les eaux, et qu’on y voit en grand nombre, il faut distinguer ceux d’eau douce et ceux de mer. Ces derniers sont en troupes immenses sur de petites îles voisines de l’Islande, et se répandent jusqu’à douze ou quinze lieues de distance. C’est même à la vue de ces oiseaux qu’on commence à s’apercevoir qu’on approche de cette île. On trouve parmi ces oiseaux de mer différentes espèces de mouettes.

Parmi les oiseaux de rivière et d’eau douce qui sont mangeables, il y en a quelques-uns d’un goût exquis. On met dans cette classe les cygnes, les oies, les canards, les plongeons, les sarcelles, et d’autres de cette espèce.

Les cygnes et les canards sont de tous ces oiseaux ceux qui font le plus de profit aux Islandais par leur multitude, par leurs œufs, qui sont une bonne nourriture, et par le duvet et les plumes, dont on fait un commerce très-lucratif.

Les Islandais distinguent dix sortes de canards, qu’ils désignent tous par des noms particuliers. Dans ce nombre il n’y en a que six sortes qui se mangent. Les meilleurs sont de la grosseur d’un pigeon. Mais l’espèce la plus estimée, la plus utile, est le canard à duvet, appelé en islandais aeder-fugl ; en allemand, eider-ente, et en latin anas mollissima, que nous avons décrit parmi les oiseaux du Spitzberg. Il y en a une grande quantité dans toutes les parties de l’île, mais le plus grand nombre se tient du côté de l’occident, parce qu’il s’y trouve de petites îles où ces oiseaux font leur retraite. Les habitans, ayant reconnu le bénéfice qu’ils tiraient de ces eider, ont arrangé plusieurs petites îles à quelque distance des côtes pour y attirer ces oiseaux ; aussi s’y en trouve-t-il une multitude infinie, parce qu’ils multiplient beaucoup. Quoique ce canard ait soin de choisir ainsi de petites îles désertes pour y établir son ménage, cependant, avec un peu de- précautions, on parvient à l’accoutumer à vivre près des habitations ; mais il ne faut alors garder ni chien ni bétail. J’ai moi-même été témoin, dit Horrebow, que les canards vont quelquefois habiter la terre ferme. Alors, si ceux qui les y ont attirés ne leur donnent point d’inquiétude, ils peuvent aller et venir parmi ces oiseaux, même quand ils sont sur leurs œufs, sans qu’ils en soient effarouchés. On peut aussi leur ôter ces œufs sans qu’ils quittent leurs nids, et sans que cette perte les empêche de renouveler leur ponte jusqu’à trois fois. Les petits qui naissent dans ces endroits y couvent l’année suivante, et se multiplient au profit du propriétaire.

L’estomac de cet oiseau est garni de ce duvet mou et élastique, connu sous le nom d’eiderdun, d’où vient notre mot corrompu d’édredon. Le meilleur est celui qu’on appelle duvet-vif, parce qu’il a le plus de ressort, et qu’il est encore le plus durable. L’oiseau se l’arrache de l’estomac pour faire son nid ; c’est là qu’on le ramasse, et qu’on l’enlève avec les œufs. La première ponte enlevée, le canard refait un autre nid, se déplume de nouveau, et pond d’autres œufs qu’on lui dérobe encore. Cependant il ne se décourage point ; un autre nid est bientôt refait et remplumé une troisième fois ; mais comme la femelle est alors toute dépouillée de plumes sous l’estomac, le mâle vient à son défaut, et se déplume à son tour. C’est ce qui fait que ce nouveau duvet est le plus précieux et le plus blanc ; car le mâle a l’estomac blanc, au lieu que la femelle l’a brun. Elle fait donc une troisième ponte ; mais si on enlève encore ses œufs, elle abandonne pour jamais cet endroit. Aussi les bons économes ont grand soin de lui laisser couver cette ponte ; ils sont assurés que, l’année suivante, revenant au même endroit avec son mâle et ses enfans, au lieu d’un nid ils en auront trois ou quatre.

Quand les petits canards ont quitté le nid, on ôte le duvet pour la troisième fois. De cette façon les habitans ont de chaque nid deux pontes d’œufs, et trois récoltes de duvet. On peut juger de là quel profit ces oiseaux rapportent à ceux qui ont plusieurs centaines de nids sur leur terrain. Les œufs ont un très-bon goût, et ne le cèdent point à ceux de poule. Tout ce que les Islandais amassent de duvet est transporté hors du pays, parce qu’ils en font peu d’usage, et qu’ils aiment mieux en tirer de l’argent ; cette marchandise est toujours d’un prix assez élevé.

Avant de terminer la description de ce qui concerne les oiseaux aquatiques qu’on voit en Islande, il est bon de remarquer l’industrie avec laquelle les habitans vont dénicher les œufs et leurs petits, malgré le danger affreux dont ils sont menacés dans cette expédition. « J’ai moi-même été témoin, dit un historien, de la manière dont on s’y prend ; et je dois avouer que je n’ai pu voir sans frémir avec quelle intrépidité des hommes osent risquer leur vie pour servir leur intérêt. Plusieurs fois il est arrivé que, faute de prendre assez de précautions, des personnes ont péri malheureusement à cette chasse. »

On a déjà dit que les oiseaux cherchent pour placer leurs nids les endroits les plus inaccessibles aux hommes, et les rochers les plus escarpés. Voici les dispositions que l’on fait pour réussir à attaquer ces petites habitations. On attache très-solidement au haut du rocher une solive qui reste saillante le plus qu’il est possible : elle porte une poulie et une corde au moyen desquelles un homme lié par le milieu du corps descend tout le long des rochers. Il tient une longue perche armée d’un crochet de fer pour s’approcher des rochers et se diriger à son gré. À certain signal convenu, les hommes qui sont sur le rocher retirent celui-ci, qui fait chaque fois une récolte de cent à deux cents œufs. La promenade se continue tant qu’on trouve des œufs, ou tant qu’il est possible de supporter cette suspension qui devient très-fatigante. Pendant cette chasse, on voit les oiseaux s’envoler par milliers en poussant des cris affreux. Les habitans des endroits où cette chasse est praticable en retirent un grand bénéfice ; car, outre les œufs, ils enlèvent aussi quantité de jeunes oiseaux, dont les uns servent de nourriture, et les autres donnent beaucoup de plumes qui se vendent aux négocians danois ainsi que l’édredon.

On remarque que tous ces œufs sont d’un jaune verdâtre tacheté de brun, comme le sont ordinairement ceux des oiseaux qui habitent les eaux douces. La coquille des premiers est infiniment plus épaisse que celle des œufs des oiseaux terrestres ; et c’est vraisemblablement afin que dans ce climat froid ils conservent
mieux la chaleur qu’ils reçoivent de l’incubation de la femelle pendant le temps qu’elle les laisse découverts pour aller chercher sa nourriture. La plupart de ces œufs sont d’un bon goût et font un aliment très-sain.

Les oiseaux de proie qu’on trouve en Islande sont l’aigle, le faucon, l’épervier et le corbeau ; on n’y en voit aucun autre. Comme trois de ces oiseaux n’ont rien qui les distingue de ceux de la même espèce qu’on connaît partout, nous ne nous arrêterons qu’à faire connaître le faucon d’Islande, qui a la réputation d’être le plus hardi et le plus adroit à la chasse de tous les autres faucons de l’Europe.

On ne connaît ici qu’une seule espèce de faucons, parmi lesquels il en est de blancs, de gris-blancs, et d’entièrement gris. On trouve quelquefois dans le même nid des petits de toutes ces couleurs. Ce qui a pu donner lieu de dire qu’il y en avait de plusieurs espèces, c’est cette variété de couleurs, et la différence de grosseur qui est entre le mâle et la femelle, le premier étant bien plus petit et moins haut que l’autre.

Outre les faucons qui font leur nid en Islande, il y en vient encore quelquefois en hiver du Groënland, qui sont presque tous blancs. On appelle ceux-ci faucons volans, parce qu’ils ne pondent pas dans le pays.

Dans chaque canton il y a un ou plusieurs fauconniers qui s’attachent si bien à observer les faucons qui l’habitent, et à épier leurs mouvemens, qu’il n’y a pas un seul nid qu’ils ne connaissent. Ces chasseurs ont des brevets du bailli, et ils sont les seuls auxquels il soit permis de prendre des faucons. Tous doivent être Islandais, et cette occupation est très-lucrative, quand on joint l’intelligence au bonheur.

La manière dont on attrape les faucons mérite d’être rapportée à cause de sa simplicité. On plante à terre deux pieux sur une même ligne, à la distance de deux toises l’un de l’autre. On attache au premier par une pate un pigeon ou une perdrix, avec une ficelle de trois ou quatre aunes de long, afin que l’oiseau ait du jeu pour voltiger. À l’autre pate de l’oiseau tient une autre ficelle de cinquante ou soixante toises de long, qui passe dans le second pieu, et dont le fauconnier tient le bout pour tirer la perdrix du premier au second pieu. Près de ce dernier est planté un bâton qui porte un filet tendu perpendiculairement sur un demi-cercle de trois ou quatre aunes de diamètre, de manière qu’en tombant il couvre ce pieu et tout le terrain qui l’environne à une certaine distance. À l’extrémité du filet en demi-cercle est attachée une ficelle de même longueur que la précédente, et qui passe par le pieu planté du côté du fauconnier. C’est avec cette ficelle qu’il peut tirer à terre le filet pour envelopper le faucon, de la même manière qu’il a tiré la perdrix du premier piquet au second. Les fauconniers choisissent pour cette chasse les endroits voisins des nids de faucons, et les lieux où ils ont vu nouvellement reposer des faucons.

Dès que le faucon aperçoit voltiger la perdrix qui sert d’appât, on le voit tourner en planant directement sur l’oiseau, et examiner s’il n’y a point de danger. Enfin il se précipite à terre avec une rapidité sans égale ; d’un coup de bec il coupe d’abord la tête à l’oiseau aussi nettement que si elle eût été tranchée avec un couteau, puis il remonte en l’air assez haut pour s’assurer qu’il peut tranquillement se repaître. Pendant qu’il s’envole, le fauconnier tire la perdrix vers le filet, mais assez promptement pour que le faucon ne puisse pas s’en apercevoir. Bientôt après, cet oiseau vient se saisir de sa proie ; alors le fauconnier tire le filet, et le faucon se trouve pris comme dans une cage. Le fauconnier s’approche, il prend le faucon avec beaucoup de précaution pour ne lui arracher aucune plume ; et, aidé d’un de ses gens, il lui met un chaperon sur les yeux. Pendant la chasse, il faut que le fauconnier se tienne bien caché ou couché par terre, à cinquante ou soixante toises de son filet ; car le faucon, qui est naturellement soupçonneux et qui a la vue très-sûre, n’approcherait jamais de la perdrix qui sert d’appât, s’il découvrait la moindre chose qui lui fit ombrage, et surtout des hommes.

Tous les ans, le jour de la Saint-Jean, chaque fauconnier se rend à Bessestadr, maison appartenant au roi de Danemarck, où loge le grand bailli de l’île, et il y dépose ses faucons. Le fauconnier du roi, qui vient aussi chaque année dans l’île, choisit les faucons capables de servir, réforme ceux qui ne le sont pas, et fait porter les premiers dans son vaisseau pour les conduire à Copenhague.

Sur la vérification du fauconnier du roi, les fauconniers islandais reçoivent du bailli de Bessestadr quinze rixdales pour un faucon blanc, dix pour un gris-blanc, et sept pour chacun de ceux qui sont entièrement gris. On leur accorde même une gratification de deux ou de quatre rixdales, quand ils livrent un ou plusieurs faucons des deux premières couleurs, parce qu’ils sont les plus rares.

Quand le vaisseau destiné à transporter les faucons est prêt à mettre à la voile, le fauconnier royal fait tuer autant de bœufs qu’il en faut pour nourrir ces oiseaux pendant quinze jours ; mais on en conserve de vivans, ainsi que d’autre bétail, afin de ne pas manquer de provisions, si le trajet durait plus de trois semaines ou un mois, qui est le temps qu’on y emploie communément, étant défendu à ce vaisseau de prendre terre, à moins d’une nécessité très-pressante. Il faut beaucoup de soins pour que ces faucons arrivent sains et saufs en Danemarck ; ils sont rangés entre les deux ponts sur des perches auxquelles on les attache, et qui sont garnies de coussins de gros drap d’Islande remplis de foin. La quantité de faucons que le Danemarck tire annuellement de l’Islande n’est pas toujours la même ; mais communément le nombre de ces oiseaux de proie est de cent ou cent vingt, et quelquefois il a été à plus de deux cents. C’est de ces jeunes faucons que le roi de Danemarck envoie tous les ans à différens princes de l’Europe.

Après tous les oiseaux dont nous avons parlé, les Islandais en ont de petits, que Horrebow croit inconnus en Danemarck, et auxquels les insulaires donnent des noms particuliers. Il y en a de la grosseur des alouettes, d’autres approchant des moineaux, et tous sont très-bons à manger.

De toutes les classes que comprend le genre animal en Islande, celle des poissons est la plus nombreuse, la plus variée et la plus intéressante. Cette île, par sa situation, jouit, préférablement à tous les endroits du monde, d’une abondance inépuisable de grands et petits poissons de mer, qui ont encore l’avantage d’être du plus excellent goût. Car l’expérience a fait reconnaître que le poisson est plus gras et meilleur dans les plages les plus voisines du nord, et que partout il est plus parfait en hiver et par les grands froids qu’en tout autre temps. Il est d’ailleurs vraisemblable, comme le pense Anderson, que les abîmes profonds situés sous le pôle sont la véritable source des poissons de la mer ; qu’ils y trouvent la nourriture qui leur convient le plus ; qu’ils y acquièrent toute leur consistance, et que plus ils s’en éloignent, plus ils perdent de leur vigueur et de leur graisse. Cependant la multiplication excessive de ces poissons les force à sortir de leur lieu natal, à se répandre sur les côtes qui environnent la mer du Nord, et à venir s’offrir eux-mêmes aux peuples qui les habitent, et dont l’industrie supplée, par le commerce de ces poissons, au défaut des autres productions que la nature a refusées à leurs climats.

Les Islandais doivent donc à leur situation l’avantage de recevoir en abondance avec tous les vents, dans les golfes et dans les baies de leur île, toutes sortes de bons poissons qui viennent immédiatement du nord.

Les principaux et les plus utiles sont le hareng, la morue, le merlan, le turbot, le fletan et les soles.

Le hareng ou le poisson couronné, comme l’appellent les pêcheurs danois, est si généralement connu, qu’il n’est pas besoin de le décrire. On croit communément que les harengs ne vivent que du limon de l’eau, et c’est une erreur fort accréditée parmi les pêcheurs. Mais l’examen de leur bouche, dans laquelle on voit de petites dents, prouve dune manière incontestable que ces dents ne leur ont pas été données pour avaler de l’eau. En effet, des curieux ont trouvé dans l’estomac de ces poissons des alimens solides. Neukrants, qui a donné un traité sur les harengs, rapporte qu’il a souvent trouvé dans l’estomac d’un de ces poissons plus de soixante petits crabes à moitié déchirés. Leuwenhoeck ayant fait la dissection de quelques harengs dans le temps du frai de ces poissons, a vu quantité d’œufs dans leurs intestins.

Ces poissons arrivent tous les ans par troupes innombrables sur les côtes de l’Islande, ainsi que dans les mers septentrionales de l’Europe, et c’est là que vont les attendre différentes nations auxquelles ils fournissent une branche de commerce considérable. Ce n’est pas un spectacle indifférent que de considérer les migrations de harengs, et la guerre que leur font les autres poissons. Anderson, d’après Neukrants, en fait une description curieuse. C’est donc de cet écrivain que nous empruntons les détails qui suivent.

Anderson, après avoir établi par différentes preuves tirées des relations des voyageurs que les harengs, ainsi que beaucoup d’autres petites espèces, telles que les maquereaux, les plies, les sardines, etc., font leur séjour habituel dans les abîmes les plus reculés du nord, s’explique en ces termes : « Il est certain que les glaces immenses qui ne se fondent jamais dans ces mers, et qui augmentent tous les ans en épaisseur et en étendue, sont pour ces poissons une retraite sûre, qui conserve leur frai, et qui favorise l’accroissement de leurs petits ; car il est évident que dans ces gouffres profonds et glacés, ils n’ont rien à craindre des marsouins, des morues, et autres poissons voraces que la difficulté de respirer dans ces endroits empêche d’y pénétrer, et moins encore des cachalots et autres cétacés, qui, ayant des poumons conformés presque comme les animaux terrestres, ont toujours besoin d’air pour respirer ; en sorte que ces petits poissons jouissent, dans leur retraite, d’un repos qui ne peut être troublé ni par les gros poissons, ni par les pêcheurs, qui ne peuvent en approcher. » Il arrive de là que, se multipliant prodigieusement, leur nombre s’accroît au point, qu’enfin la nourriture leur manque, et les oblige à détacher des colonies pour aller vivre ailleurs. Peut-être aussi qu’un petit reste de ces colonies, ou du moins leur progéniture, après bien des détours dont nous parlerons incessamment, s’en retourne ensuite vers le pôle pour contribuer à la conservation de l’espèce.

Sortant des glaces du nord, les troupes de harengs sont aussitôt attaquées par toutes les grosses et les petites espèces de poissons destructeurs, qui, pressés par la faim et conduits par un instinct particulier, vont à leur rencontre, et les chassent continuellement devant eux de la mer glaciale dans l’Océan atlantique. Les harengs, effrayés, cherchent bientôt les côtes, et se jettent dans les golfes, les bas-fonds, et même aux embouchures des fleuves, tant pour y trouver un asile contre leurs ennemis que pour mettre leurs petits en sûreté. Aussitôt qu’ils ont jeté leur frai, ils continuent leur route ; et le même instinct qui fait voyager les pères porte leurs enfans à les suivre dès qu’ils en ont la force. Tous ceux qui échappent aux filets des pêcheurs se rendent vraisemblablement dans d’autres mers, car ils disparaissent entièrement.

C’est au commencement de l’année que débouche des mers du pôle la troupe innombrable des harengs. Elle se montre d’abord à l’endroit de la mer où elle paraît le plus large, et son étendue occupe, suivant un auteur anglais, pour le moins autant d’espace en largeur que toute la longueur de la Grande-Bretagne et de l’Islande. Son aile droite se détourne vers l’occident ; elle tombe au mois de mars sur l’Islande, et c’est là principalement que les colonnes de harengs sont d’une épaisseur prodigieuse. La quantité de gros poissons qui les attendent, les oiseaux de mer qui fondent sur eux par milliers les font tenir tellement serrés de tous côtés, qu’on les aperçoit de loin par la couleur noirâtre de la mer, et par l’agitation qu’ils y excitent en s’élevant souvent jusqu’à la surface, et s’élançant même en l’air pour éviter un danger pressant. Si alors on va au-devant d’eux, et qu’avec une espèce de pelle dont on se sert pour arroser les voiles des vaisseaux, ou un autre instrument large et creux, on puise de l’eau, on est certain de tirer chaque fois un grand nombre de harengs. Au reste, on ne sait pas si cette colonne, avant d’aborder l’Islande, n’envoie pas un fort détachement au banc de Terre-Neuve, et on ignore de même ce que devient le reste de la colonne qui file le long de la côte occidentale de l’île. Ce qu’il y a de certain, c’est que ses golfes, ses détroits, ses baies sont tous remplis de harengs, et en même temps de quantité d’autres gros poissons qui les attendent. Parmi ces ennemis des harengs on distingue entre autres le nordcaper (balæna glacialis), qui est un des plus dangereux, et remarquable par la ruse dont il se sert pour en faire sa proie. Il se lient le plus souvent aux environs de l’extrémité septentrionale de la Norwége, qu’on appelle cap Nord, d’où il a tiré son nom. Ce poste ne peut être plus favorable à ses vues ; car il est d’abord averti du passage des harengs qui côtoient la Norwége en descendant du nord. Lorsque toutes les troupes de harengs ont dépassé sa demeure habituelle, son intérêt l’amène aux environs de l’Islande. Là, quand il est pressé par la faim, il a l’adresse de rassembler les harengs dispersés dans les golfes de l’île, et de les chasser devant lui vers la côte. Lorsqu’il les voit en assez grande quantité, il les resserre le plus qu’il peut dans quelque baie, et, par un coup de queue, il y excite un tourbillon très-rapide, et capable même d’entraîner de légers canots. Cette petite tempête étourdit et comprime tellement les malheureux harengs, qu’ils se précipitent par milliers dans sa gueule qu’il tient ouverte. Il les y attire encore en aspirant avec force l’air et l’eau, ce qui les entraîne directement dans son estomac comme dans un gouffre.

L’aile gauche des harengs, par sa marche, est plus à portée de notre connaissance ; elle se porte à l’orient, et, après avoir détaché une colonne qui rase les côtes orientales et occidentales de l’Islande, elle descend la mer du Nord, sans cesse chassée par les marsouins et les morues. À une certaine hauteur elle forme deux divisions ; l’aile orientale dirige sa course vers la Norwége, dont elle rase la côte ; et, se divisant de nouveau, une partie suit la Norwége en ligne droite, et pénètre par le Cattegat le long de la côte de Suède, dans la mer Baltique ; l’autre partie, étant arrivée à la pointe nord du Jutland, se sépare encore en deux colonnes : la première défile le long de la côte orientale du Jutland, et se réunit promptement par les Belts avec celle de la mer Baltique, pendant que la seconde, descendant à l’occident des mêmes plages, et côtoyant ensuite l’Allemagne et la Frise, se jette par le Texel et le Vlie dans le Zuyderzée ; puis, après l’avoir parcouru, s’en retourne dans la mer du Nord.

La seconde des deux grandes divisions qui tourne à l’occident est aujourd’hui la plus nombreuse ; elle s’en va toujours accompagnée de marsouins, de morues et de requins, droit aux îles de Shetland et aux Orcades, où les pêcheurs de Hollande les attendent au temps marqué ; de là, s’avançant vers l’Écosse, elle s’y divise en deux colonnes, dont l’une, après avoir descendu le long de la côte orientale de l’Écosse, fait le tour de l’Angleterre, en laissant toutefois dans sa route des détachemens considérables qui se portent sur les côtes de Frise, de Hollande, de Zélande, de Brabant, de Flandre et de France ; l’autre colonne tombe en partage aux habitans de la partie occidentale de l’Écosse et aux Irlandais, qui de tous côtés sont alors environnés de harengs. Toutes ces divisions s’étant à la fin réunies dans la Manche, ce qui est échappé aux filets des pêcheurs, à la voracité des poissons et aux oiseaux de proie, forme encore un nombre prodigieux, et se jette dans l’Océan atlantique, où il se perd ; du moins on n’en voit plus sur toutes les côtes de l’Europe.

Le hareng fréquente aussi les côtes de l’Amérique septentrionale ; mais il s’en faut beaucoup qu’il y soit aussi abondant qu’en Europe ; et, en tirant du côté du midi, on n’en voit plus au delà des fleuves de la Caroline. On ne sait pas si la colonne qui pénètre en Amérique est un détachement de la grande troupe descendant du nord, ou si c’est un reste de ceux qui s’en sont retournés par la Manche.

« Quoi qu’il en soit, dit un écrivain anglais, le hareng ne se trouve jamais, du moins en grande quantité, dans les pays méridionaux, comme l’Espagne, le Portugal, les côtes méridionales de la France, ni sur les côtes de l’Océan, ni dans la Méditerranée, ni dans les parages d’Afrique, comme s’il était défendu à ce poisson de se livrer à ces peuples, ainsi qu’il fait aux autres, pour les mettre dans la nécessité de tirer leurs provisions d’Angleterre. »

Quelque envie que ce même Anglais, par zèle pour son pays, paraisse avoir de nous persuader que sa nation fait un commerce considérable de harengs, il est sûr que ce sont les Hollandais qui distribuent ce poisson par toute l’Europe, et que le commerce qu’ils en font est non-seulement beaucoup plus étendu que celui des Anglais, mais même supérieur à celui de toutes les autres nations.

Cette seule pêche nourrit en Hollande ordinairement plus de cent mille personnes, et elle en enrichit beaucoup. Huet fait monter à la quantité de trois cent mille tonneaux le produit annuel de cette pêche, qu’il évalue à vingt-cinq millions d’écus de banque, dont dix-sept millions en pur gain, et huit millions pour les frais. Fuincius soutient que les Hollandais pêchent par an quatorze mille huit cent millions de harengs. Doot prétend qu’en 1688 quatre cent cinquante mille Hollandais furent employés à la pêche du hareng.

Chaque année, à la Saint-Jean, les Hollandais se rendent, ainsi qu’on l’a déjà dit, aux îles de Shetland ou Hittland, du côté de Fairhill et de Bockeness, avec douze ou quinze buyses, sorte de barques destinées à cette pêche. Lorsqu’elles sont rassemblées, on navigue au nord-nord-ouest, et on jette le premier filet près de Fairhill, à minuit du lendemain de la Saint-Jean. La pêche ne se fait jamais pendant le jour, tant pour mieux reconnaître le fil du banc des harengs qu’on distingue plus aisément par le brillant de leurs écailles, et pour régler là-dessus la direction des filets, que parce que le poisson est attiré par la clarté des lanternes que portent les buyses, et qu’en étant ébloui il ne peut discerner les pièges qu’on lui tend.

Les filets qui servent à pêcher le hareng ont des dimensions marquées par les ordonnances, dont il n’est pas permis de s’écarter. Aujourd’hui, au lieu de chanvre on y emploie une espèce de grosse soie qu’on tire de Perse, parce qu’on a trouvé que des filets de cette matière durent au moins trois ans, tandis qu’il fallait renouveler tous les ans ceux de chanvre. L’usage est de les teindre en brun à la fumée de copeaux de chêne. Ces filets ont mille ou douze cents pas de long, et on ne les retire qu’une fois dans la nuit ; d’un seul coup on prend quelquefois trois, quatre, cinq, dix et jusqu’à quatorze lats de harengs ; chaque lats comprend douze tonneaux, et le tonneau contient mille poissons.

Il n’est pas permis de jeter les filets avant le 25 juin, parce que le poisson n’est pas encore arrivé à sa perfection, et qu’on ne saurait le transporter loin sans qu’il se gâte. Chaque année, les États-Généraux rendent une ordonnance expresse, et font afficher des placards par lesquels il est enjoint aux maîtres de buyses, pilotes et matelots, de prêter serment avant leur départ de Hollande, de ne pas précipiter la pêche ; et à leur retour ils font un nouveau serment pour attester que ni leur vaisseau, ni aucun autre, n’a enfreint la loi, au moins à leur connaissance. En conséquence de ce double serment, on expédie des certificats à chaque vaisseau destiné au transport des nouveaux harengs, pour empêcher la fraude, et pour conserver le crédit de ce commerce lucratif. Cet article est si important, que, dans la convention faite en 1606, entre la Hollande et la ville de Hambourg, il a été expressément stipulé qu’on veillerait très-exactement de part et d’autre à l’exécution des ordonnances relatives à cette pêche.

Dans les trois premières semaines qu’elle dure, c’est-à-dire, depuis le 25 juin jusqu’au 15 juillet, on met tout le hareng qui a été pris pêle-mêle dans des tonneaux qu’on expédie à mesure sur certains bâtimens bons voiliers, appelés chasseurs, qui le transportent en Hollande ; le premier hareng qui arrive est nommé par cette raison hareng de chasseur.

Quant à celui qu’on prend le 15 juillet, aussitôt qu’il est à bord des buyses, et qu’on lui a ôté les ouïes, on a grand soin d’en faire trois classes, qu’on nomme hareng vierge, hareng plein, hareng vide. Chaque espèce est salée et mise dans des tonneaux particuliers. Le hareng vierge (en hollandais voll haaring) est celui qui se prend le premier, et qui est rempli de laites ou d’œufs, ce qui est son état d’intégrité ou de perfection.

Le hareng vide, ou schooten haaring, est celui qui a frayé, et le hareng plein, celai qui est sur le point de frayer. La première de ces deux espèces est la moins estimée, et ne se conserve pas si bien que le hareng plein ; ce sont les deux dernières espèces qui forment la charge ordinaire des buyses, et elles partent à mesure qu’elles sont remplies, ou quand la pêche est finie. Cette pêche dure ordinairement jusqu’au mois de novembre, et les ordonnances mêmes permettent de la continuer jusqu’à la fin de décembre.

Les tonnes de harengs de trois espèces étant arrivées en Hollande, avant de les transporter plus loin, on les ouvre, on les sale de nouveau, et on les rehausse si bien, que, de quatorze tonnes de mer on en fait douze tonnes d’Amsterdam, qui forment ce que les marins appellent un tonneau, ou on les met dans de petites caques. Le meilleur hareng qu’on connaisse en Allemagne et en France vient de Hollande par la voie de Hambourg. À son arrivée en cette ville, on fait ouvrir par des jurés-emballeurs qui, après l’avoir encore salé et entonné à la façon hollandaise, en font une estimation juridique, et mettent sur les nouveaux tonneaux des marques réglées par l’ordonnance. Si le hareng de Hollande est si excellent, et son goût infiniment plus délicieux que celui des harengs pris et préparés par toutes les autres nations, c’est que les pêcheurs hollandais lui coupent les ouïes à mesure qu’ils le prennent, et qu’après l’avoir préparé avec soin, ils ne manquent jamais de serrer tout ce qu’ils ont pris dans une nuit avant la chute du jour. Les tonneaux dans lesquels on entasse ces harengs sont tous de bois de chêne, et on les y arrange avec beaucoup d’ordre sur des couches de gros sel d’Espagne ou de Portugal. Toutes les autres nations de l’Europe prenant beaucoup moins de précautions, leurs harengs sont d’une qualité très-inférieure, et se conservent bien moins que ceux de Hollande.

Il y a environ trois cent cinquante ans que l’usage d’encaquer le hareng subsiste. Avant qu’on eût trouvé le moyen de le conserver, on ne le mangeait vraisemblablement que frais ou sec. L’époque de cette utile invention est fixée par quelques historiens à l’an 1397, et par d’autres à 1416. Les Hollandais et les Flamands l’attribuent à Guillaume Beuckels, ou Beuckelsen, ou Buckfeld, et il était de Biervliet en Flandre. On reconnut bientôt en Hollande les avantages de la caque pour conserver le goût du hareng, et pour le transporter aisément partout. Depuis ce temps cette invention si simple est devenue comme la base du commerce des Hollandais. Aussi la mémoire de Beuckels a-t-elle été dans la suite en telle recommandation que l’empereur Charles v et la reine de Hongrie allèrent, en 1536, en personnes, voir son tombeau à Biervliet, comme pour le remercier d’une découverte si avantageuse à leurs sujets de Hollande.

Avant d’encaquer les harengs, il y a deux façons de les saler, en blanc et en rouge ; c’est ce qu’on appelle blanc salé et rouge salé. Voici la première façon. Aussitôt que le hareng est pêché, on l’ouvre, on sépare les boyaux d’avec les œufs ou la laite, et on les ôte. On lave ensuite le poisson dans de l’eau fraîche, on le frotte bien avec du sel, et on le met dans une saumure composée de sel et d’eau fraîche, assez forte pour qu’un œuf puisse y tenir sans s’enfoncer. Les harengs y restent quatorze ou quinze heures ; après quoi on les retire, on les sèche bien, et on les met dans un tonneau, bien pressés, avec du sel au fond et par-dessus la dernière couche, lorsqu’il est tout-à-fait rempli. On ferme ensuite exactement le tonneau pour que la saumure n’en découle pas, et qu’il n’y entre pas le moindre air ; sans cette précaution le hareng se gâterait bientôt. Quand on change les harengs de tonneaux et qu’on les remet dans les caques, il faut avoir les mêmes attentions.

La préparation des harengs en rouge se fait de la manière suivante. Quand les poissons sont tirés de la saumure où ils ont resté au moins vingt-quatre heures, on leur passe une broche de bois dans la tête, et on les accroche dans un four préparé pour cet effet, et qui en contient ordinairement douze mille. On allume ensuite, au-dessous des poissons, du sarment qui fait beaucoup de fumée et très-peu de flamme. On les laisse dans cet état jusqu’à ce qu’ils soient suffisamment séchés et fumés, ce qui se fait dans l’espace de vingt-quatre heures. Alors on les retire pour les mettre dans des tonneaux. Leur mérite consiste à être gros, gras, frais, tendres, d’un bon sel, d’une couleur dorée, et à n’être, point déchirés. C’est l’espèce de harengs appelée picklings, et en français, hareng saure ou sauret. La première sorte s’appelle hareng blanc.

Les harengs ne paraissent pas tous les ans sur les côtes d’Islande en aussi grande quantité, mais seulement de temps à autre ; de sorte que ces poissons ne font point une branche de commerce pour les Islandais.

L’espèce de harengs qui chaque année ne manque pas de se montrer dans ces parages, est celle qu’on appelle sardine, et qui arrive avec des morues dont elle est poursuivie. Le nordcaper, qui ne les épargne pas non plus, engloutit souvent les sardines et leurs persécuteurs.

L’ardeur et l’avidité d’un nordcaper l’ayant un jour fait échouer sur le sable pour s’être trop approché des côtes, tous les Islandais du canton vinrent bientôt l’assaillir et le tuèrent. Un nordcaper était pour eux une prise très-agréable et très-heureuse ; mais elle le devint bien davantage encore lorsqu’on trouva dans son ventre plus de six cents morues fraîches et vivantes, une multitude infinie de sardines, et même quelques oiseaux.

« Il est amusant et curieux, dit Horrebow, qui avait joui plusieurs fois de ce spectacle, de voir arriver les sardines en grandes troupes. Pendant que les flots sont agités par le mouvement de ces poissons accumulés, par millions, le ciel est obscurci par une multitude innombrable d’oiseaux de proie qui voltigent au-dessus des malheureuses sardines, et qui remplissent l’air de cris perçans. À chaque instant quelques-uns de ces oiseaux se détachent, s’élancent dans les eaux comme un trait, s’y enfoncent assez profondément, et remontent avec leur proie dans le bec. »

Des poissons bien plus utiles aux Islandais que les harengs et les sardines, ce sont la morue, qu’ils appellent tork, le ling, l’égrefin, le merlus, et tous ceux que nous avons nommés au commencement de ce paragraphe.

La morue est trop connue pour qu’il soit besoin d’en donner la description. Sa chair est d’un goût si excellent, qu’il passe partout pour un mets délicieux. Les Islandais pêchent ce poisson à l’hameçon, en y attachant pour amorce un morceau de moule, de poisson ou de viande crue. On remarque que la morue a reçu de la nature une facilité de digérer singulière. Tout poisson qu’elle mange est digéré en moins de quatre heures. L’écaille des crabes qu’elle avale devient dans son estomac aussi rouge que si elle était bouillie.

C’est avec la morue, le ling et l’égrefin, que les habitans préparent le flackfiskur et le hengefiskur, deux sortes de poissons séchés, auxquels on donne le nom général de stockfich, en Allemagne. Le détail de la façon dont on prépare ces poissons apprendra en même temps ce que c’est que le flackfiskur et le hengefiskur, et en quoi ils diffèrent l’un de l’autre.

Pour faire du flackfiskur, on coupe la tête aux morues, égrefins ou lings ; on leur ouvre le ventre dans toute sa longueur, on leur arrache l’épine du dos, et on applique ces poissons les uns contre les autres par le côté ouvert, si le temps est sec. Après cette opération on étale ces poissons sur des pierres arrangées exprès, ou sur le sable ; on les retourne plusieurs fois dans le jour, exposant alternativement à l’air le côté de la chair et celui de la peau. Lorsque le temps est beau, et qu’il règne un air sec, quatorze jours suffisent pour sécher parfaitement ces poissons ; mais communément il faut trois semaines ou davantage, parce qu’il est rare que la sécheresse ne soit pas interrompue par un temps humide dans la saison de la pêche, qui dure pendant les mois de mai et de juin. Le poisson étant bien desséché, on le met en tas sur un mur construit exprès, en observant que le côté de la peau soit toujours en dehors. Quelque temps qu’il fasse alors, rien ne peut lui causer d’altération.

Quant au hengefiskur, il se prépare de la même manière, avec la seule différence qu’on fend le poisson par le dos, et qu’on lui fait un trou au ventre, afin de pouvoir y passer une broche de bois pour le suspendre à l’air dans de petites cases construites aussi pour cet usage. Les parois de ces cases, qu’on appelle hiales dans le pays, ne sont formées que de lattes attachées à une certaine distance l’une de l’autre, de façon que le vent et l’air puissent passer au travers, et un toit garantit le poisson de la pluie. Le nom de hengefishur, que porte ce poisson ainsi préparé, vient de cette préparation même, henge signifiant suspendre, d’où le mot composé de hengefiskur veut dire poisson suspendu. Il se vend plus cher que le flackfiskur, et il est aussi plus estimé ; cependant on en fait beaucoup moins que de ce dernier, qui est, à proprement parler, la monnaie du pays ; aussi prépare-t-on communément cent livres de flackfiskur contre une de hengefiskur.

Ces deux sortes de poissons séchés se conservent très-long-temps, même pendant dix ans. Cependant on a vu qu’il n’entre point de sel dans cette préparation, et qu’elle consiste simplement à l’exposer à l’air. C’est dans les qualités de cet élément qu’il faut chercher les causes de cette conservation ; la pureté et la sécheresse de l’air, suivant Horrebow, sont les agens principaux de la dessiccation, à quoi il faut ajouter une chaleur modérée et constante pendant dix-huit ou vingt heures.

Avoir nommé les autres poissons, tels que le merlan, le turbot, le flétan, les plies et les soles, c’est les avoir assez fait connaître. Les Islandais en tirent les mêmes avantages que les autres peuples, c’est-à-dire qu’ils les mangent frais lorsqu’ils en prennent, et qu’ils font sécher pour leur provision tout ce qu’ils en ont de superflu.

Ces insulaires en usent de même à l’égard du stenbittr, ou loup marin (anarhicas lupus) des rougets, et de quelques autres poissons de la petite espèce qui n’ont rien de particulier.

La baleine tient le premier rang parmi les grands animaux qui fréquentent les mers d’Islande. Comme nous avons déjà traité de ces cétacés monstrueux et de la façon de les prendre, nous n’ajouterons rien à ce sujet. Nous remarquerons seulement que les Islandais se contentaient autrefois de darder la baleine avec un harpon, où était la marque de celui qui l’avait lancé ; qu’ils attendaient l’effet de la blessure que le fer avait faite, ou que la baleine vînt échouer en expirant sur la côte. Alors celui à qui appartenait le harpon allait le reconnaître, et la loi d’Islande lui adjugeait une certaine portion de la baleine ; le reste était dévolu au propriétaire du fonds sur lequel elle avait échoué. Mais le roi de Danemarck ayant fait passer en Islande, en 1748, tous les ustensiles du harponnage, et un homme très-entendu dans le métier de harponneur, on pratique aujourd’hui dans cette île à peu près la même méthode que nous avons indiquée ailleurs.

Les morses, les scies de mer, les requins, les phoques sont assez communs sur les côtes d’Islande ; la description qu’on en trouve au même endroit que celle de la baleine nous dispense de rien dire ici de ces animaux, si ce n’est des phoques, dont les Islandais tirent de très-grands avantages.

Ils en distinguent de trois sortes : les land sele, phoques de terre ; oe-sele, phoques d’île ; Grouland sele, phoques de Groënland. La première espèce est la plus petite, mais la plus commune. On les appelle phoques de terre, parce qu’ils se tiennent presque toujours près de la terre. Ils vont aussi dans les golfes et les petits bras de mer pour donner la chasse aux truites et aux saumons. Les phoques d’îles sont les plus grands. Ils ont reçu ce nom parce qu’ils se tiennent volontiers dans les îles semées autour de la terre ferme, et surtout dans celles qui sont désertes, où rien ne trouble leur repos. Le phoque de Groënland, quoique grand comme celui des îles, auquel il ressemble, n’a été distingué sans doute que parce qu’il est étranger, et qu’il arrive tous les ans au mois de décembre. Il se tient principalement sur les côtes septentrionales du pays, où il reste de ces animaux jusqu’au mois de mai qu’ils s’en retournent. Comme ils viennent en troupes très-nombreuses, on peut regarder ceux-ci comme une richesse de l’Islande.

Dans les golfes où ils arrivent, on arrange vingt ou trente filets longs d’environ vingt brasses, de manière que par les détours et les contours qu’on leur fait faire, ils forment une espèce de labyrinthe, d’où peu de ces animaux qui s’y prennent peuvent se dégager. Au bout d’un ou de deux jours, les pêcheurs lèvent leurs filets, et ils y trouvent depuis soixante jusqu’à deux cents phoques. Chacun de ces animaux est estimé la valeur de deux écus d’empire, par rapport à sa graisse et à sa peau. Il y a des cantons en Islande, où, au lieu de tendre des filets aux phoques, les habitans les harponnent comme les baleines. Ils sont si adroits, qu’ils lancent à dix ou vingt brasses un harpon auquel est attachée une longue corde, et rarement ils manquent leur coup.

Ces phoques de Groënland ont deux, quatre et même six aunes d’Allemagne de long. À l’égard de ceux des îles, quelquefois on en prend aussi de grandes quantités, surtout dans les îlesdésertes. Comme ces animaux s’y croient en sûreté, les habitans s’y rendent en troupes pour les épier ; et dès que les phoques sont sortis de la mer pour venir se coucher au soleil, ils les attaquent et les assomment avec une massue dont ils sont armés. Il arrive souvent qu’ils en tuent une centaine en une seule fois. On prend aussi les phoques de terre de la même façon que ceux de Groënland, c’est-à-dire avec des filets arrangés en labyrinthe, où on les tue à coups de fusil.

Les poissons d’eau douce ne sont pas en aussi grand nombre en Islande que les poissons de mer. On n’y connaît que ceux dont nous avons déjà parlé ; savoir, les saumons, les truites et les anguilles, poissons trop connus pour que nous nous y arrêtions.

On ne voit en Islande ni serpent, ni aucun reptile venimeux ; Anderson en attribue la raison à la rigueur du climat ; mais, comme dit Horrebow, les observations météorologiques démontrent que le froid n’y est pas plus excessif qu’en Danemarck, et les serpens pourraient y vivre de la même façon. D’ailleurs on sait que l’île de Madère et celle de Malte, toutes deux situées sous un climat où la gelée est inconnue, ont, comme l’Islande, l’avantage de ne nourrir aucun reptile venimeux ; propriété heureuse dont vraisemblablement il faut assigner la cause à quelques qualités particulières de l’air ou du sol, et peut-être à quelque accident, tel qu’un tremblement de terre, ou une inondation qui a pu anciennement bouleverser ces îles, et faire périr tous les reptiles, sans que personne ait été tenté d’en rapporter pour rétablir l’espèce.

Il y a peu de pays qui soient moins tourmentés des insectes que l’Islande. Les plus communs sont des araignées fort petites ; on n’y connaît ni cousins, ni guêpes, ni taons. Après les araignées, le seul insecte dont on soit incommodé en quelques endroits, ce sont de grandes mouches dont il y a une quantité infinie, surtout dans le Norden-syssel, canton le plus froid du pays. Elles se tiennent particulièrement près des eaux et autour du Myvatn, nom qui a été donné à ce lac à cause des mouches dont ses bords sont infestés presque toute l’année. Les hommes en sont aussi incommodés que les bestiaux ; de manière que les voyageurs qui sont obligés de passer dans le voisinage de ce lac mettent communément un crêpe sur leur visage pour se défendre de ces insectes, dont la piqûre est très-vive et très-sensible.

Aux endroits où les pêcheurs étalent leur poisson pour en faire du flackfiskur, il se trouve aussi des essaims nombreux de ces grosses mouches ; mais on ne voit en Islande aucune autre espèce d’insectes volans ; ou du moins, dit Horrebow, on ne les connaît pas.

Lorsque, après une grande sécheresse, il survient une pluie abondante, on voit en plaine, comme partout ailleurs, sortir de terre une grande quantité de vers rougeâtres, appelés vers de pluie, et quelques autres qui sont entièrement verts, que les insulaires croient être tombés du ciel avec la pluie. Ces derniers ont presque la grandeur et la figure des vers à soie, qui n ont que la moitié de leur accroissement ordinaire ; ils gâtent et consomment l’herbe d’une façon étonnante aux endroits où ils paraissent.

Les productions naturelles d’Islande, dans le genre minéral, paraissent être en assez grand nombre. On sait que plusieurs habitans ont trouvé dans les montagnes du métal qu’ils ont fondu, et qui s’est trouvé être de bon argent ; mais on ignore où existent les mines. D’autres particuliers, lorsqu’ils veulent souder des clefs, vont chercher sur les montagnes une certaine matière qu’ils appliquent à la clef ; ils enveloppent ensuite le tout de glaise, et le jettent au feu, où ils le laissent jusqu’à ce qu’ils croient la matière fondue : ils retirent alors la clef, brisent l’enveloppe de terre, et trouvent la clef aussi bien soudée que s’ils eussent employé du cuivre dont on se sert communément. Peut-être se trouve-t-il des parties cuivreuses dans la manière qu’ils ramassent, et qui, selon les apparences, ne peuvent être que du minerai d’un métal quelconque.

Tous les Islandais sont instruits par la tradition que leur île renferme de riches mines de cuivre ; mais on n’en a jamais cherché ni ouvert aucune. Quelques-uns font, de leur propres mains, des ustensiles de ménage, avec du fer dont ils recueillent sans peine la mine en différens endroits. Ainsi l’induction naturelle qu’on doit tirer de tous ces faits, c’est que l’Islande ne renferme pas seulement des mines, de cuivre et de fer, mais peut encore receler des métaux bien plus précieux.

Les autres productions minérales, après les métaux, sont le cristal, le bitume, la tourbe, la pierre-ponce, le gagate ou ambre noir, le soufre et le sel.

Parmi les cristaux qu’on trouve en Islande, il en est un d’une espèce curieuse, connu sous le nom de cristal d’Islande. Il a la propriété de représenter doubles tous les objets qu’on regarde au travers ; c’est ce que les minéralogistes appellent du spath calcaire rhomboïdal ; il n’est pas particulier à l’Islande, mais on l’y trouve en masses limpides d’un volume considérable, notamment dans le Westfiord, près du rivage de Bredenord, et dans le Tindastol, au nord de l’île.

Le bitume, la tourbe, les pierres-ponces sont des matières assez connues pour nous dispenser d’en parler ; il suffit d’observer qu’elles sont fort abondantes en Islande, et qu’en cela rien n’est plus naturel, puisqu’il s’y trouve tant de volcans.

C’est vraisemblablement avec le bitume que se forme la pierre appelée gagate ou ambre noir, que l’on trouve en différens endroits. On en distingue deux sortes ; l’une, qui brûle comme une bougie lorsqu’on l’allume, est, suivant Horrebow, une espèce de poix terrestre assez dure et d’un noir brillant ; l’autre, que les Islandais appellent krafn tinna, c’est-à-dire, pierre à fusil noire, ne brûle pas, et est beaucoup plus dure que la première : elle est très-noire et très-luisante. Les Danois l’appellent agate noire, parce qu’elle fait du feu comme la véritable agate : c’est à celle-ci que convient véritablement le nom de gagate et de pierre obsidienne. Il paraît que cette pierre noire n’est autre chose qu’une scorie ou lave vitreuse très-pure : lorsqu’on en casse un morceau, il s’éclate comme le verre. Le mont Krafle fournit une grande quantité de ces pierres, parmi lesquelles on a trouvé des feuilles de la grandeur d’une petite table qui pesaient six lispuns, et plus, ou trente-six livres. La pierre que les anciens appelaient obsidienne servait, au rapport de Pline, à faire des cartes et des cachets. La gagate d’Islande se grave et se travaille de même, mais il faut beaucoup de précautions. Un roi de Danemarck ayant eu un gros morceau de cette pierre noire d’Islande, en fit faire une jatte avec son couvercle ; et l’on prétend, dit Anderson, qu’il fallut quatre ans pour l’achever. Communément on en fait des manches de couteaux, des colliers, des boucles d’oreilles, et toutes sortes de bijoux qui entrent dans la parure des femmes en temps de deuil.

Le soufre se trouve abondamment en deux endroits de l’Islande : savoir, dans le district de Husevig, au canton du nord, et près de Krysevig dans la partie méridionale, au quartier de Guedbringe. Ces lieux sont secs et ardens ; on voit des vapeurs s’en élever sans cesse, et presque toujours il se trouve aux environs quelque source chaude. Lorsqu’on a découvert un terrain de cette nature, on trouve le soufre non-seulement sur les rochers et sur les montagnes mais même dans la plaine et assez loin du pied de la montagne. Il y a toujours sur le soufre une couche de terre stérile, ou, pour mieux dire, de limon ou de sable. Cette terre est de différentes couleurs : blanche, jaune, verte, rouge et bleue. Sous la croûte de terre on trouve le soufre, qu’on lève avec des bêches et des pelles. Souvent il faut que les ouvriers creusent la terre jusqu’à trois pieds pour trouver de bon soufre ; mais ils ne peuvent creuser à une plus grande profondeur, ils y auraient trop chaud, et l’ouvrage serait trop pénible : ce qui serait d’autant plus désavantageux, qu’ailleurs ils peuvent en prendre des provisions suffisantes avec beaucoup moins de peine. Dans les endroits abondans en soufre, on peut en charger, dans l’espace d’une heure, quatre-vingts chevaux, dont chacun porte près de douze lispuns (soixante-douze livres). Les meilleures mines de soufre se reconnaissent à une petite éminence que forme la terre dans ces endroits. Cette éminence est percée dans le milieu, et il s’en exhale une vapeur beaucoup plus forte et plus chaude que dans les environs. Ce sont là les endroits que l’on choisit par préférence pour l’exploitation du soufre.

Lorsqu’on a enlevé la croûte de terre sur cette éminence, on y trouve le soufre le plus compacte, le meilleur et en plus grande quantité ; il ressemble presqu’à du sucre candi. À peu de distance du tertre on trouve du soufre en petits morceaux détachés, et on le ramasse avec des pelles. Au contraire, celui qui se trouve sous l’élévation qu’on a fouillée est en masse très-dure ; il faut beaucoup de travail pour le détacher et le ramasser. Le soufre qu’on ramasse par globules dans la terre est bon, mais cependant beaucoup moins que celui qui est ferme et inhérent au tuf. On continue ainsi d’exploiter la mine jusqu’à ce qu’elle soit épuisée. Alors on tâche d’en découvrir une autre, et l’on y parvient d’autant plus vite, qu’elles sont en grande quantité dans les deux endroits qu’on a indiqués.

Quand il fait chaud, les ouvriers ne peuvent travailler pendant le jour. Ils choisissent les nuits, qui, en été, sont assez claires pour ces sortes de travaux. Ils ont soin aussi d’attacher autour de leurs souliers un morceau de vadmal, gros drap du pays, ou de quelque autre étoffe de laine ; autrement ils seraient exposés à se brûler les pieds. En effet, lorsqu’on tire le soufre, il est si chaud, qu’on peut à peine le tenir dans les mains ; il se refroidit peu à peu dès qu’il est à l’air. Dans l’endroit où l’on a tiré du soufre une année, on peut en tirer encore l’année suivante, et même la troisième, les mines de soufre étant inépuisables.

Quelque bénéfice que le commerce de ce minéral paraisse offrir aux Islandais, ils s’y adonnent peu aujourd’hui, et différentes causes ont concouru à détruire cette branche de trafic. La première, c’est qu’un vaisseau qui était chargé de cette marchandise ayant échoué malheureusement au sortir du port, le soufre qui était tombé à la mer écarta tellement le poisson de cette côte, qu’il se passa plusieurs années avant qu’on pût en prendre. Cet événement dégoûta les habitans du commerce du soufre. Ce minéral était de plus devenu si commun dans les villes de commerce de l’île, qu’on a en avait plus de débit ; ainsi ceux qui l’apprêtaient perdant leurs frais et leurs peines, le soin d’en recueillir fut avec raison négligé.

Quoique Anderson prétende qu’il n’y a dans cette île ni sel ni source d’eau salée, il paraît, par le récit de l’auteur danois, que cette assertion est hasardée. « Je n’ai vu, dit-il, aucune source salée, ni aucune mine de sel ; mais j’ai tenu un morceau de sel minéral, et l’on m’a assuré qu’il s’en trouvait une grande quantité en plusieurs endroits. Il est certain aussi qu’il doit y avoir des sources salées sur les côtes, et même dans le pays. J’ai vu en beaucoup d’endroits des rochers que la mer venait battre pendant la marée, couverts d’une croûte de sel desséché par le soleil. Les habitans à portée de ces endroits ont l’attention de ramasser ce sel pouf leur usage : ces faits suffisent pour pouvoir conclure que l’Islande n’est pas dépourvue de sel. Au surplus, on voit par les anciennes fondations, et par les lettres de donations des temps où l’île était catholique, qu’en différens endroits de l’île, et surtout dans la partie septentrionale, on donnait à de certaines églises et aux prêtres des morceaux de sel, sals koten, et le droit seigneurial de faire du sel. D’où il suit évidemment que dans ces temps reculés il y avait du sel en mine dans le pays, et que l’on savait en faire avec de l’eau de la mer ; car enfin ces ecclésiastiques se seraient-ils contentés d’un droit chimérique ? C’est ce qu’il n’est pas possible de présumer.

» Tout récemment deux sous-baillis ont essayé de faire du sel avec de l’eau de la mer, et l’un d’eux m’a assuré qu’après avoir fait fondre une tonne de sel de France dans l’eau de la mer, et avoir fait bouillir le tout pendant quelques heures, il en avait retiré une tonne et un quart de beau sel blanc et fin. Cette expérience faite, rudi Minerva, par des gens qui n’étaient pas instruits de la meilleure manière de procéder à cette opération, et qui manquaient des ustensiles nécessaires, porte à croire qu’il est possible et même très-aisé de se procurer du sel en Islande. »

Les Islandais sont en général d’une stature médiocre, mais bien faits, assez semblables aux Norwégiens par la figure et par les traits. Ils ont les dents blanches et bien saines, d’où l’on doit conclure que leur constitution est excellente, le climat sain et leur nourriture assez bonne : aussi leur tempérament est-il vigoureux.

Les femmes sont d’une figure passable, et, quoique d’une constitution moins robuste que les hommes, elles jouissent d’une santé qui n’est jamais altérée que par les accidens fâcheux dont leurs accouchemens sont ordinairement suivis.

L’habillement des Islandais, ou du commun de la nation, est assez semblable à celui de nos matelots. Il consiste, pendant l’été, en une veste et une culotte de toile ; et pendant l’hiver, l’une et l’autre sont de vadmal. Chaque homme a encore un habit fort long, fait comme un surtout, qui s’appelle hempe. On s’en sert lorsqu’on sort de la maison, lorsqu’on voyage, ou qu’on va à l’église.

Les femmes ont des robes, des camisoles et des tabliers de vadmal ou d’autre drap. Par-dessus leur camisole, elles mettent ordinairement une robe très-ample, qui monte jusqu’au cou, enveloppe bien la poitrine, et dont les manches étroites leur couvrent les bras jusqu’au poignet : c’est à peu près la forme de celles qu’on appelle en France robes en amadis.

Cette robe, chez les Islandaises, ne traîne pas à terre, mais elle laisse dépasser les vêtemens de dessous d’environ six pouces. Elle est toujours noire, et porte le nom de hempe, ainsi que le surtout des hommes. Elle est bordée par en bas d’un ruban de velours ou d’une garniture qu’elles font elles-mêmes, et qui ressemble à de la dentelle. Le tout est cousu très-proprement, et cet habillement est d’assez bon air.

Les personnes aisées portent, le long du devant de la hempe , plusieurs paires de boucles d’argent agréablement travaillées, et presque toujours dorées. Elles ne servent uniquement que pour la parure, et composent la garniture de la robe. Le bas du tablier est aussi garni de rubans de velours ou de soie de différentes couleurs. Au haut de ce tablier sont trois grands boutons de filigrane d’argent, qui sont ordinairement dorés, et quelquefois de cuivre ; ils servent à attacher le tablier à une ceinture garnie de petites plaques et bossettes d’argent ou de cuivre, dans lesquelles sont pratiquées de petites ouvertures pour recevoir les boutons. Cette ceinture se ferme par-devant avec un crochet de même travail.

Les camisoles, qui sont toujours de la même couleur que la hempe, et justes à la taille, avec des manches étroites qui vont presque au poignet, sont aussi garnies par-derrière et aux côtés, sur toutes les coutures, de rubans de soie ou de velours de diverses couleurs, et tout le devant est couvert d’une étoffe de soie pareille aux rubans. Il y a au bout de chaque manche quatre ou six boutons d’argent qui servent à la tenir ouverte ou fermée. Ces camisoles ont un collet fermé, large de trois doigts, et un peu saillant. La robe de dessus se joint très-exactement à ce collet, qui est d’une belle étoffe de soie ou de velours noir, bordée d’un cordon d’or ou d’argent.

La coiffure des Islandaises est un grand mouchoir de toile blanche fort raide. Une autre bande de toile plus fine couvre la première. Elle est arrangée sur la tête en forme pyramidale, en sorte que ces femmes semblent porter sur la tête un pain de sucre de la hauteur de trois pieds. Autour du front, elles mettent un autre mouchoir de soie qui leur enveloppe la tête et le front de la largeur de trois doigts.

Outre ces habillemens ordinaires, la coquetterie et le luxe en ont fait inventer d’autres pour les femmes qui veulent se distinguer ; elles font usage de différens petits ornemens d’argent proprement travaillés, et surtout de filigrane doré, tels que de gros boutons montés de pierres diversement coloriées, ou de petits anneaux et de plaques à jour. On met trois ou quatre de ces gros boutons au-dessus du front en forme d’aigrette, et c’est là le plus riche ornement de la coiffure.

L’habillement des jeunes mariées est singulier. Le jour de la noce, elles ne portent point de hempe, mais seulement leur camisole telle qu’on l’a décrite. Elles ont sur la tête une couronne d’argent doré, qui s’étend jusque sur le front. Deux chaînes aussi d’argent doré sont disposées en sautoir sur la camisole, y forment des festons, et se croisent par-devant et par-derrière. Leur cou est entouré d’une pareille chaîne, à laquelle est attachée une petite cassolette d’odeur, ou à baume, comme ils l’appellent, qui leur tombe sur la poitrine. Cette boîte s’ouvre des deux côtés , et a communément la forme d’un cœur ou dune croix. « Je puis assurer, dit Horrebow, que la parure et les ornemens des femmes d’Islande sont d’assez bon goût, et ne manquent pas de grâces, par la disposition et l’arrangement qu’on leur donne. » Les femmes les plus aisées en ont pour trois ou quatre cents écus d’Empire.

À l’égard des riches Islandais, des officiers de justice, et autres personnes employées à l’administration publique ; ils s’habillent de la même façon qu’en Danemarck ; on leur voit des habits de beau drap et fort propres.

Les femmes font elles-mêmes leur chaussure, et celle des hommes. Cette chaussure est sans beaucoup de façon : elle est faite de cuir de bœuf ou de peau de mouton, dont on a gratté le poil ou la laine. On les ramollit dans l’eau, on les fait sécher ensuite, puis on les coud de manière que les souliers emboîtent exactement le pied et n’ont point de talons. On les assujettit encore au moyen de quatre courroies fort minces de peau de mouton ; deux de ces courroies, attachées au derrière du soulier, se lient par-devant au-dessus du coude-pied ; les deux autres partent des deux côtés, nommés communément oreilles, et après avoir fait un tour par-dessous la chaussure, se lient de même au bout du pied.

L’usage des chemises n’est point inconnu à ces insulaires, mais il n’est pas général. On en porte de flanelle légère ou de grosse toile. Lorsque les hommes vont à la pêche, ils ont des habits de peau de mouton ou de veau, qu’ils mettent par-dessus leurs habits ordinaires, et qu’ils ont soin de frotter avec du foie ou de la graisse de poisson, ce qui exhale une odeur très-désagréable.

Les habitations des Islandais, sans être ni magnifiques ni élégantes, sont commodes, et ils y trouvent toutes leurs aisances à proportion de leurs facultés. On trouve dans notre auteur danois la description d’une maison ordinaire de paysan, dont quelques détails suffiront pour montrer combien ces insulaires sont éloignés de l’état de barbarie dans lequel on les a toujours représentés ; car rien ne prouve mieux qu’une nation est civilisée que son industrie à se vêtir, à se loger et à se nourrir le plus avantageusement qu’il lui est possible.

La première pièce est un corridor long et étroit de la largeur d’une toise, lequel est ouvert par un toit porté sur des soliveaux de traverse. On pratique de distance en distance au toit, pour donner passage à la lumière, des ouverture en forme d’œils-de-bœuf, fermées par de petits carreaux de verre, ou plus communément par de petits cerceaux sur lesquels est un parchemin fortement tendu. Ce parchemin est de la fabrique de nos insulaires ; ils le font avec les membranes de bœufs et de vaches ; ils l’appellent hinne, et il est fort transparent. Lorsqu’il neige ou qu’on est menacé d’orage, les petites fenêtres se couvrent des espèces de contrevents. À l’un des bouts du corridor est l’entrée commune : l’autre enfile une pièce de vingt-quatre ou trente pieds de long sur douze ou quinze de large, laquelle fait face à l’entrée. Les Islandais appellent cette salle badstube ou étuve ; c’est ordinairement la salle de travail où les femmes causent et font les ouvrages de ménage, où l’on prépare la laine, etc. Derrière cette badstube est une chambre à coucher pour le maître de la maison et sa femme, et au-dessus couchent la plupart des enfans et des servantes.

Aux deux côtés de cette salle de travail sont quatre autres pièces ou petites chambres, deux de chaque côté de l’entrée commune ; elles n’ont d’issue que dans le corridor. Une de ces pièces sert de cuisine, l’autre de garde-manger, la troisième de laiterie, la quatrième est la chambre à coucher des domestiques. On y fait coucher aussi les étrangers et les voyageurs de cette classe : elle porte le nom de skaule.

Ce bâtiment, qui renferme dans son entier six chambres, dont chacune paraît détachée, n’a d’autre entrée que celle du corridor ; de façon que, cette porte étant fermée, les chambres n’ont plus de communication au-dehors. On pratique dans le toit de chaque chambre, comme dans celui du corridor, des ouvertures pour y introduire la clarté, au moyen de quelques vitraux ou châssis de hinne ; mais la salle de travail est ordinairement éclairée par une couple de fenêtres en vitrage, afin d’y recevoir plus de jour.

Dans quelques bâtimens, outre les six chambres, il y a une pièce du côté de la skaule, c’est-à-dire, à l’entrée du corridor, destinée à recevoir les étrangers et les voyageurs de distinction. C’est, à proprement parler, la chambre des hôtes, en même temps la chambre de parade ou d’honneur des Islandais ; c’est aussi la seule de la maison qui ait une porte particulière en dehors, indépendamment de celle du corridor.

Vis-à-vis, ou du côté de la skaule, il y a d’autres réduits appelés skiuner. Les habitans y serrent leur poisson sec et toute espèce de provisions pour l’hiver, ainsi que les harnais des chevaux et toutes sortes d’ustensiles.

Près de là ils ont une cabane ou maisonnette qu’ils appellent la forge. C’est là qu’ils fabriquent leurs ouvrages en fer et en bois. Près de ces bâtimens sont les étables ou les bergeries, suivant l’espèce de bétail que nourrit le paysan. Il y a toujours une étable à vaches, une écurie pour les chevaux, et une ou plusieurs bergeries où l’on tient les agneaux séparés des moutons. On ne serre pas le foin dans des bâtimens, mais on l’entasse dans un endroit que l’on entoure d’un fossé, et dans lequel on le met par petites meules séparées l’une de l’autre, et de la hauteur d’une toise. Ces tas de foin sont recouverts de gazon, qui sert à les assujettir et à les garantir de la pluie.

L’étuve, la chambre à coucher du maître et l’appartement des étrangers sont entièrement boisés pour la plupart ; et au-dessus de ces pièces il y a de petits cabinets où l’on serre les coffres , les habits et les effets. Ordinairement ces mêmes chambres ont de petits châssis composés de cinq ou six carreaux de verre ; mais les autres n’ont point d’autre plafond que le toit, et point d’autres fenêtres que les ouvertures couvertes de parchemin dont on a parlé.

Les meubles de ces maisons ne sont pas en général d’une grande valeur. Des lits faits de vadmal et de plumes, que la quantité d’oiseaux aquatiques ne rend ni rares ni chers ; des tables, des chaises ; des bancs, des armoires, c’est à peu près tout ce qui compose l’ameublement des Islandais. Mais si ces meubles ne sont pas fort délicatement travaillés, ils n’en sont pas moins commodes ; et le soin que prennent les femmes de les tenir propres compense ce qui leur manque du côté de l’élégance.

Au reste, tout ce qu’on vient de dire ne regarde que les maisons des paysans et des autres habitans de la campagne. À l’égard des personnes distinguées, des habitans riches, ils sont très-bien meublés : les glaces, les commodes, tous les autres meubles utiles, ou simplement de luxe, ne leur manquent pas plus qu’ailleurs.

Quant à l’architecture et à l’apparence extérieure des maisons, on conçoit qu’il n’y a rien de bien recherché. Comme tous les matériaux se tirent de Copenhague, et coûtent par conséquent fort cher en Islande, on y bâtit avec la plus grande économie. Par cette raison, les maisons n’ont ni fondemens ni poutres. Les pièces d’appui, les corniers, les angles des édifices reposent sur de grosses pierres. Les murs sont construits de pierres mêlées avec de la terre et du gazon. Ils peuvent avoir à leur base environ quatre pieds d’épaisseur, et sont terminés en talus larges de deux pieds. Les toits sont formés de planches, arrangées les unes sur les autres comme des ardoises ; et chez les pauvres c’est de la bruyère recouverte simplement de gazon. Ces maisons, telles qu’on les voit par ce détail, sont très-fraîches en été, et assez chaudes en hiver pour que quelques habitans n’aient pas besoin de faire du feu dans la badstube ou salle de travail. D’autres ont des poêles de terre cuite ou de brique. Telle est l’idée qu’on doit se faire de toutes les habitations des métayers ou fermiers d’Islande.

Il n’y a proprement en Islande ni villes ni bourgs : on n’y trouve que des villages, ou plutôt ce que nous appelons des hameaux. Cependant on y donne le nom de ville ou de lieu d’étape à l’assemblage de trois ou quatre maisons, et dont dépendent autant de bâtimens qui servent de cuisines et de magasins. Aux environs de ces prétendues villes, qui sont communément bâties près d’un port, on voit çà et là quelques habitations de pêcheurs qui trafiquent de leur poisson sec avec les négociant danois ; aussi les côtés et le voisinage des lieux d’étape sont-ils beaucoup plus peuplés que l’intérieur du pays.

Dans toute l’île, chaque ferme ou métairie est bâtie isolément au milieu des prairies qui en dépendent. Il réside dans ces prairies autant de locataires ou fermiers que le propriétaire peut s’en procurer, en leur louant des pâturages, ou simplement une maison. Quelquefois un seul propriétaire a autour de lui cinq ou six fermiers qui font valoir son fonds. On les appelle hialege maenner, c’est-à-dire, homme locataire de prairie, et la maison qu’ils occupent porte le nom d’hialege. Les hialege maenner sont distingués des autres locataires, en ce qu’ils ont un pâturage pour nourrir une ou plusieurs vaches ; au lieu que les autres ne louent que la maison ; c’est ce qui fait que toute l’île est divisée par paroisses.

Ces métairies ainsi bâties séparément, et quelquefois à une grande distance les unes des autres, forment un hameau ou un village ; car il y a de ces métairies qui, en y comprenant les locataires, ont depuis douze jusqu’à cinquante bâtimens. Au reste il ne faut pas regarder comme un inconvénient cette méthode de bâtir au milieu de ses fonds une maison isolée. On en a plus de facilité à veiller aux travaux de la campagne, moins d’embarras pour la récolte, et plus de sûreté contre les incendies ou les autres accidens qui peuvent provenir de la négligence des voisins.

Après le poisson frais ou sec cuit à l’eau de la mer, et accommodé à force de beurre, la principale nourriture des Islandais est le lait de vache ou de brebis. Ils font usage aussi de gruau ou de farine de froment cuite dans du lait. La soupe, faite avec de la viande fraîche et du gruau, est encore un de leurs mets favoris. Comme ils ont peu d’épicerie, c’est le gruau qui en tient lieu, et ils le mêlent dans toutes leurs sauces. Le rôti ne leur est pas inconnu ; mais ils ont l’habitude de faire cuire à l’eau toutes les viandes qu’ils mangent, même celles qui sont destinées à être rôties ; ce qui se fait dans une poêle de fer ; au surplus, chacun règle la manière de se nourrir sur ses facultés, et les gens aisés se nourrissent en Islande aussi bien qu’ailleurs.

Leur boisson ordinaire est, comme on l’a dit, cette liqueur piquante qui reste après que le beurre est fait, et qu’ils appellent syre, lorsqu’ils l’ont préparée à leur manière.

C’est à tort qu’on a débité dans les géographies, et dans l’histoire même d’Islande, que ses habitans ne connaissaient presque point l’usage du pain. Il est vrai que, l’agriculture n’y étant point pratiquée, le blé et tous les autres grains y sont rares ; mais le commerce supplée à cette disette. Tous les ans on apporte dans ses ports de la farine et du pain cuit, qui se répandent par tout le pays. Il n’est point de port en Islande où il n’entre annuellement depuis quatre cents jusqu’à mille tonneaux de farine, outre deux ou trois cents tonnes de pain. Quoique cette provision ne soit pas suffisante pour que tous les insulaires mangent du pain tous les jours, au moins en est-ce assez pour qu’on ne puisse pas dire qu’ils en ignorent l’usage. Il est certain que les Islandais les plus pauvres font cuire communément du pain dans les jours de fêtes solennelles, pour des noces et autres assemblées de cette espèce, et que les autres en mangent toute l’année.

Le blé sauvage dont il a été parlé ci-devant, sert aussi à faire d’excellent pain. Malheureusement il se trouve en petite quantité ; mais il donne une farine si belle et si propre à faire du pain, qu’un habitant n’en donnerait pas une tonne pour une pareille quantité de farine de Danemark. La farine de ce blé sauvage a cependant le défaut d’être noire ; ce qui provient de ce que les Islandais, manquant de bons moulins à bras pour broyer ce blé, le font tellement sécher au feu, qu’il en est un peu brûlé. Ainsi la farine qu’il produit fait un pain noir comme le pain de seigle : en revanche, une tonne de farine fait un quart de profit de plus qu’une tonne de farine de Danemark.

On ne peut certainement pas dire qu’un pays soit bien peuplé lorsqu’il contient à peine la vingtième partie des habitans qu’il peut nourrir ; tel est l’état de l’Islande. La première cause de ce petit nombre d’babitans est attribuée d’abord à cette épidémie si terrible appelée la peste noire, qui désola tout le Nord pendant les années 1347, 1348 et 1349. Il périt tant de monde en Islande, qu’il n’y resta plus personne en état de rédiger une relation des effets de ce fléau meurtrier. Les annales islandaises, où tout ce qui est arrivé depuis que le pays est habité est exactement rapporté, n’en font aucune mention. On sait seulement, par une tradition orale, qu’il n’échappa de cette funeste contagion qu’un petit nombre d’habitans qui s’étaient sauvés dans les rochers. Tout le reste de cette nation périt sans secours et dans la plus affreuse misère. Cette même tradition apprend que tout le plat pays, où la peste exerçait le plus ses fureurs, était couvert d’un brouillard très-épais. Le Danemark, ayant été aussi dépeuplé dans le même temps, ne put y envoyer des colonies.

Cependant les habitans échappés à la destruction générale repeuplèrent l’île peu à peu. Mais leurs malheureuses générations ont encore été détruites en partie par des fléaux non moins cruels que la peste.

En 1627, des corsaires algériens firent une irruption dans cette île, y commirent d’horribles cruautés, et enlevèrent deux cent quarante-deux hommes.

En 1687, un corsaire turc prit aussi terre en Islande, et ne l’abandonna qu’après y avoir volé des marchandises et une douzaine d’hommes.

Les années 1697, 1698 et 1699, furent encore plus funestes à la nation islandaise : il périt beaucoup de monde par la faim, et l’on prétend qu’il mourut de cette manière plus de cent vingt personnes dans une seule paroisse.

En 1707, la petite-vérole, jointe à une autre maladie épidémique et pestilentielle, emporta plus de vingt mille habitans ; et peu de temps après la petite -vérole seule fit encore périr beaucoup de personnes.

La population de l’Islande s’élève aujourd’hui à 47,000 âmes, ce qui est bien peu considérable pour la grandeur de cette île.

« J’ai souvent été témoin, dit Horrebow, que les Islandais ne sont ni poltrons, ni timides, ainsi que les en accuse Anderson. On en a vu dans les troupes du roi de Danemark servir avec distinction, et parvenir au grade de capitaine. S’il ne se trouve que peu d’Islandais dans les armées danoises, c’est que ce pays étant peu peuplé, ses habitans voyagent rarement au-dehors ; c’est en outre qu’étant, pour son bonheur, fort éloigné du royaume, aucun enrôleur n’est tenté d’entreprendre un voyage long et pénible pour aller faire des recrues. »

Les annales islandaises prouvent encore qu’ils n’ont pas plus de timidité et de lâcheté que les autres peuples de l’Europe. Ils ont eu entre eux des guerres civiles dans lesquelles on a vu, comme dans toutes les guerres de cette espèce, autant d’exemples de valeur que de férocité.

À l’égard du service maritime, il est aisé de présumer qu’ils y sont aussi propres qu’à celui de terre, étant continuellement sur la mer et très-familiarisés avec cet élément.

Quant aux sciences, nombre d’Islandais s’y sont appliqués avec succès. Cette île a produit un Snorro Sturleson, un Sœmond, Thormodus Thorlacius, un Arngrim Jonas, et plusieurs écrivains assez célèbres. On voit encore actuellement dans l’université de Copenhague des étudians Islandais qui ne le cèdent point aux autres : à parler même en général, ils les surpassent ordinairement, et dans le nombre de ces étudians il s’en trouve peu de médiocres.

On apprend encore par leurs annales, et quelques auteurs Islandais le confirment, que plusieurs de ces insulaires voyageaient beaucoup anciennement, dans le dessein de s’instruire. Un écrivain de cette nation a publié, dans le dix-huitième siècle, une dissertation latine sur les voyages des anciens peuples septentrionaux, et il s’étend particulièrement sur ceux de ses compatriotes. Il s’attache surtout à démontrer que ces derniers ne méritent pas les reproches de barbarie et de grossièreté qu’on leur fait gratuitement sans les connaître. De tous les temps, dit cet écrivain, les Islandais ont aimé à voyager ; ceux qui n’étaient pas sortis de l’île étaient méprisés de leurs concitoyens, tandis qu’au contraire ceux qui revenaient après de longs voyages étaient fêtés, chéris et en grande vénération. L’auteur tire des preuves de ce qu’il avance de plusieurs maximes islandaises, recueillies dans les plus anciens écrivains de la nation. On voit en effet par là combien les Islandais étaient persuadés que les voyages servent beaucoup à l’instruction de la jeunesse et à perfectionner son éducation.

Ces insulaires sont sujets à ce qu’on appelle la maladie du pays, quoiqu’il soit assez apparent qu’ils sont beaucoup mieux et plus agréablement ailleurs que chez eux ; mais on ne doit pas en être surpris : cette faiblesse leur est commune avec toutes les nations. Si elle se trouve principalement chez celles du nord, qui paraîtraient devoir y être le moins sujettes, puisqu’elles ne peuvent guère que gagner à changer de climat, c’est que, leur pays étant moins fréquenté par les étrangers, et qu’eux-mêmes voyageant peu, l’habitude de ne voir que des compatriotes, jointe au peu de connaissance qu’on y a des autres peuples, attache chaque habitant à sa patrie ; ce qui lui inspire naturellement des regrets dès qu’il l’a quittée, et des désirs de la revoir, qui lui causent une langueur mortelle, s’il n’y retourne promptement ; d’où l’on peut conclure que moins un pays sera fréquenté, moins ses habitans communiqueront avec d’autres peuples, plus ils seront passionnés pour leur sol et leur climat, et sujets à la maladie du pays.

À l’égard des dispositions des Islandais pour les arts, on ne peut leur contester qu’ils n’en aient de très-grandes ; on en voit la preuve en Islande, où il se trouve plusieurs bons ouvriers en différentes professions, sans qu’ils aient jamais eu d’autres maîtres que leur goût et leur génie. Plusieurs habitans travaillent également en orfèvrerie, en cuivre, en menuiserie ; et tout ce qui est du ressort du maréchal et du forgeron, du constructeur de barques, et des autres métiers de première nécessité. Or, rien ne marque plus d’adresse que de savoir faire tout ce qui est à l’usage ordinaire, sans avoir ni les meilleurs matériaux, ni les instrumens propres à toutes les professions.

On remarque aussi à l’avantage des Islandais qu’il en est très-peu qui ne sachent lire et écrire. C’est une étude pour laquelle toute la nation montre le même empressement. Je mets en fait, dit l’écrivain danois, qu’on trouve en Islande, parmi le peuple, plus de gens qui écrivent bien que partout ailleurs.

Les autres occupations de nos insulaires sont de prendre soin de leurs bestiaux, et de tirer parti de tout ce qui en est le produit. Les peaux de ces animaux sont tannées assez grossièrement, parce qu’ils n’ont pas les instrumens nécessaires à la profession de tanneur ; mais par leur méthode ils gagnent en célérité ce qu’ils perdent du côté du fini. Avec un couteau bien affilé ils raclent le poil sur leurs genoux, d’une manière si prompte, qu’on en est étonné. Ils étendent ensuite ces peaux et les font sécher au vent ; après cette première opération, on les laisse tremper dans l’eau salée ou dans du petit-lait, et on les foule plusieurs jours de suite avec les pieds. Ils savent aussi noircir les cuirs de bœuf, et en faire des selles et des harnais qui durent plus que ceux des autres pays, quoiqu’ils soient apprêtés avec beaucoup moins d’art et de propreté.

Mais l’occupation la plus générale, celle de toute la nation pendant l’hiver, c’est de préparer la laine de leurs moutons. Ils la filent, la tordent, et en font des étoffes sur des métiers aussi peu commodes que grossièrement fabriqués. Ces métiers ne sont point horizontaux comme les nôtres, mais perpendiculaires ; de façon que la posture gênante à laquelle sont assujettis les ouvriers, jointe au défaut d’outils convenables, leur permet à peine de faire par jour une demi-aune de France de ce gros drap qu’on appelle vadmal. C’est ce qui a engagé Je roi de Danemarck à faire passer dans cette île plusieurs tisserands habiles, avec des métiers ordinaires ; et on espère de grands succès pour le perfectionnement des fabriques.

Le pays n’ayant point de moulins à foulon, on conçoit bien quelle peine les habitans ont à fouler leurs étoffes de laine, et les autres objets de fabrique qui ont besoin de cette opération, tels que les gants, les bas et les camisoles. Ils y emploient plus de travail que d’art ; et voici en quoi il consiste : après avoir fait tremper dans de l’urine, pendant plusieurs jours, leur vadmal ou autre étoffe, ils la mettent dans un tonneau dont les deux fonds sont ôtés, et qui est sur le côté ; deux hommes assis vis-à-vis l’un de l’autre devant chaque fond du tonneau, y poussent les pieds de toute leur force pour fouler l’étoffe qu’on arrose de temps à autre, toujours avec de l’urine. Si les pièces sont petites ; ils les foulent sur une table, en les pressant avec la poitrine ; mais l’une et l’autre de ces méthodes sont également pénibles et très-longues. Pour les gants, ceux qui vont en mer les mettent à leurs mains, les trempent de temps en temps dans l’eau, et les foulent en ramant ; ainsi la peine de ramer fait toute la difficulté.

Dans les endroits où il y a des bains chauds, ils foulent dans l’eau chaude ; l’étoffe est bien plus tôt préparée et s’amollit mieux que par l’urine. Pour fouler les bas et les gants, ils ont aussi l’usage de s’asseoir dessus, et de les fouler en se remuant alternativement d’un côté et de l’autre. Il arrive de là qu’ils contractent si bien l’habitude de ce mouvement, qu’ils le conservent perpétuellement dès qu’ils sont assis, alors même qu’ils n’ont rien à fouler. Le tisserand que le roi de Danemark a fait passer en Islande, y ayant fait transporter un moulin à foulon, il y a lieu de croire que les habitans abandonneront leur ancienne méthode.

On ne se sert point de savon pour blanchir le linge, parce qu’il est très-rare et fort cher ; il n’y a guère que ceux qui ont été en Danemark qui connaissent la propriété de cette composition, et en fassent venir pour leur usage particulier. Tout le peuple ne se sert que d’urine, et quelquefois de lessive faite avec de la cendre ; cependant le linge blanchi de cette manière ne l’est pas si mal qu’on pourrait le croire.

On connaît en Islande l’usage de tirer le vert-de-gris du cuivre qu’on arrose d’urine : cette drogue entre pour beaucoup dans les teintures des laines dont on veut faire des étoffes rayées et de différentes couleurs.

Les Islandais n’ayant pas la moindre connaissance de l’horlogerie, ni d’aucune façon artificielle de mesurer le temps, ils se règlent uniquement sur le soleil ou sur les marées, et sur les étoiles, quand cet astre n’est point visible. Ils n’ont point l’usage de compter les heures comme nous, par une, deux, trois, quatre, etc. ; ils ont même assez de peine à comprendre cette méthode ; mais ils divisent les vingt-quatre heures en certains espaces qui ont des noms particuliers. Ils connaissent midi et minuit, puis ils subdivisent le temps écoulé ayant le premier de ces points en intervalles d’une durée égale, à qui ils donnent en leur langue des noms qui reviennent à peu près à mi-jour, jour plein…. jour de midi ; et après-midi, c’est mi-soir…. soir-nuit, minuit.

Le principal commerce des Islandais consiste en bestiaux, qu’ils conduisent dans les ports. Là, ils les tuent et les livrent aux négocians danois, après en avoir ôté la tête et les entrailles ; les Danois salent ces viandes et les emportent dans des tonneaux. Il y a un tarif qui règle le prix du bétail ainsi que celui du poisson sec, qui est une autre branche de commerce la plus considérable après la vente des bestiaux.

Les autres marchandises qu’on exporte d’Islande sont du beurre, de l’huile de poisson, des marchandises de laine, telles que du vadmal, des camisoles grossières et médiocres, des gants et des bas de la laine brute des peaux de moutons, d’agneaux et de renards de différentes couleurs, de l’édredon, et diverses plumes. On tirait aussi autrefois du soufre de cette île ; mais on a déjà dit que ce commerce a cessé.

Les marchandises qu’on apporte en retour aux Islandais sont du bois de charpente et de menuiserie, du fer ouvré et non ouvré, beaucoup de hameçons et de fers à cheval, du vin, de l’eau-de-vie, du blé, du tabac, du pain, de la farine, du sel, de la grosse toile et quelques soieries. Au reste, on leur rapporte tout ce qu’ils demandent.

Tout ce que les Islandais reçoivent, ils le paient avec leurs denrées, et le reste en argent comptant, dont cependant on fait peu d’usage. Celui qui a cours en Islande est argent de banque, et il consiste en couronnes de Danemark. Toutes les acquisitions, les ventes, etc., se font en une certaine quantité de poissons secs. Les livres de compte se tiennent sur ce pied. Un bon poisson de deux livres vaut deux schellings de Lubeck. Ainsi quarante-huit poissons de cette sorte font un écu d’Empire, argent de banque. Une couronne de Danemark vaut, suivant la taxe du pays, trente poissons ; une demi-couronne, quinze ; un demi-écu d’Empire, vingt-quatre poissons ; et enfin un quart d’écu, douze poissons. Les douze poissons sont la moindre monnaie reçue en Islande. Les comptes se règlent sur le nombre des poissons. Comme en Danemark, on y calcule par marc et par schelling, jusqu’à la concurrence de l’écu de banque. En Islande, ce qui vaut moins de douze poissons ne peut se payer en argent. En pareil cas, on se sert de poissons en nature, ou de tabac, dont une aune se compte pour un poisson. De cette sorte on peut regarder les poissons et le tabac comme la véritable monnaie d’Islande.

Le calcul des poids ne s’y fait pas comme en Danemark, où on les réduit en lifspund. Le plus grand poids des Islandais s’appelle vetten ; c’est le poids ordinaire de quarante poissons, qui valent quatre-vingts livres ou cinq lifspunds. Le poids qui suit immédiatement le vetten est appelé fuhrung ou foringen ; il est de dix livres. Ils ont aussi des poids d’une livre, dont deux font un poisson. Cependant, quoique tous ces poids soient conformes à ceux de Danemark, ils ne calculent pas par lifspund, mais par foringen et vetten ; en sorte qu’un foringen est composé de dix livres ; et que huit foringens font un vetten qui vaut cinq lifspunds.

Arngrim Jonas , auteur islandais, est le seul qui ait jeté sur la découverte de l’Islande quelques lumières, qu’il dit avoir puisées dans les annales de sa patrie. Son récit est assez curieux pour trouver place ici. Il nous apprend qu’un certain Maddoc, allant aux îles de Feroë, fut jeté par une tempête sur la côte orientale de l’Islande, à laquelle il donna le nom de Snœland, à cause des hautes neiges qu’il y trouva. Ce fut là le premier navigateur du continent qui prit terre en Islande ; mais il ne s’y arrêta pas. Gardar, suédois, entendit parler de cette découverte : il partit pour aller chercher l’Islande. Il y passa l’hiver en 864, et lui donna le nom Gardars-Holm, c’est-à-dire, île de Gardar.

Un troisième, nommé Flocco, pirate renommé de Norvége, voulut aussi reconnaître cette île dont il avait entendu parler. On lui attribue, une invention très-heureuse qu’il employa pour diriger sa route, au défaut de boussole et de compas qui étaient alors inconnus. Comme il parcourait les îles des mers septentrionales, sans découvrir celle qu’il cherchait, il prit trois corbeaux en partant de l’île de Hetland, l’une des Orcades, et en lâcha un lorsqu’il se crut bien avant en mer. Il reconnut qu’il n’était pas si éloigné de terre qu’il l’avait cru, puisque le corbeau reprit la route de Hetland. Il avança toujours, et lâcha un second corbeau qui revint dans le vaisseau après avoir beaucoup tourné de côté et d’autre sans voir de terre. Un troisième corbeau, lâché encore plus en avant en mer, découvrit l’Islande et s’y envola. Flocco remarqua la direction de son vol, le suivit des yeux et de ses voiles, et arriva heureusement à la partie orientale de Gadars-Holm, où il passa l’hiver. Au printemps, se voyant assiégé des glaces qui venaient de Groënland, il donna le nom d’Island à cette île, et elle l’a toujours conservé. Flocco passa un second hiver dans la partie méridionale de l’Islande ; mais apparemment il ne s’y trouva pas bien, car il revint en Norvége où il fut appelé Rafnaflocco, c’est-à-dire, Flocco-le-Corbeau, en mémoire des corbeaux dont il s’était servi pour faire sa découverte.

Les annales islandaises ne marquent point si ces trois navigateurs trouvèrent des habitans en Islande. Elles citent, comme la source des peuples de cette île, un certain Ingulfe, Norvégien, qui se retira dans cette île avec son beau-frère Hior-Leifs, pour avoir tué deux grands seigneurs de leur pays. Comme c’était une coutume que les bannis de Norvége arrachassent les portes de leurs maisons et les emportassent avec eux, Ingulfe, qui n’avait pas oublié les siennes, les jeta dans la mer dès qu’il fut à la vue de l’Islande, en se proposant d’aborder au hasard où les flots les pousseraient. Cependant il prit terre à un autre endroit, et ne trouva ses portes que trois ans après ; ce qui l’engagea à fixer son séjour où elles s’étaient arrêtées. C’est à l’an 874 qu’est fixée l’époque du séjour d’Ingulfe en Islande. Les annales assurent qu’il trouva cette île inculte et déserte lorsqu’il y arriva, et qu’il reconnut néanmoins que des marins anglais, ou irlandais avaient autrefois pris terre dans cette île, par quelques cloches, par certaines croix, et quelques ouvrages faits à la mode d’Irlande et d’Angleterre, qu’on voyait sur le rivage. Cependant on ne peut pas conclure de ce récit que l’Islande ne fut point habitée avant l’arrivée d’Ingulfe, mais seulement que le canton où il se fixa ne l’était point. Les mêmes annales rapportent que les anciens Islandais appelaient ces Irlandais Papas, et la partie occidentale de leur île Papey, parce que les étrangers avaient coutume d’y aborder comme la plus proche et la plus commode. Or, les anciens Islandais, parmi lesquels vraisemblablement Flocco passa les deux années qu’il demeura en Islande, doivent être regardés comme les habitans primitifs de l’île ; mais leur origine se perd dans la nuit des temps, et leur source se confond avec celle des Celtes, dont il y a beaucoup d’apparence qu’ils faisaient partie.

Il paraît encore par leurs annales que, dans ces temps reculés, ils adoraient, entre autres dieux, Thor et Odin. Thor était comme le Jupiter, et Odin comme le Mercure des anciens Grecs et Latins. C’est de là que le jeudi porte encore parmi les Islandais modernes, comme chez les peuples Scandinaves, le nom de torsdag, et le mercredi celui d’odensdag : ce qui répond au dies Jovis et dies Mercurii des Latins. Les autels consacrés à ces divinités étaient revêtus de fer ; un feu perpétuel y brûlait, et on y plaçait un vase d’airain pour recevoir le sang des victimes qui servait à arroser les assistans. À côté de ce vase était un agneau d’argent du poids de vingt onces, qu’on frottait de ce même sang et qu’on empoignait quand on voulait faire un serment solennel. Ces idolâtres sacrifiaient des hommes à leurs idoles. Ils les écrasaient sur un grand rocher, ou les jetaient dans des puits profonds, creusés exprès à l’entrée des temples. Le rocher était au milieu d’un cirque, suivant les fastes d’Islande. Cette coutume barbare ayant été abolie, le rocher retint plusieurs siècles après la couleur du sang humain qui y avait été répandu.

On représente ces anciens Islandais comme des hommes spirituels et curieux qui conservaient avec soin la mémoire non-seulement de tout ce qui se passait dans leur patrie, mais même de tous les événemens remarquables qui arrivaient dans les royaumes de l’Europe. Aussi leur compatriote Arngrim Jonas leur applique-t-il ce qu’Hérodote et Platon ont dit des Égyptiens, ad totius Europæ res historicas Lyncei. En effet, Saxon le grammairien, dans la préface de son Histoire danoise, avoue qu’il s’est servi très-utilement des annales islandaises. La Pereyre dit que le docteur Wormius, qui en avait une copie, lui en avait expliqué différens endroits, et qu’il y avait remarqué plusieurs traits d’histoire relatifs à la Norvége, au Danemarck, à l’Angleterre et aux îles Orcades ; et entre autres, le récit de l’irruption des Normands en France, lequel était sans date. Il parle aussi de la descente d’Ingulfe. Or cette première irruption des Saxons étant de l’an 845, sous Charles-le Chauve, c’est une nouvelle preuve que l’Islande était habitée depuis long-temps, puisqu’elle avait déjà des historiens et des poètes ; car une partie de ces annales est écrite en vers ; et les Islandais ont toujours joui parmi leurs voisins d’une grande réputation pour leurs poésies.

Les Islandais ont une mythologie très-ancienne, dont la collection se nomme Edda. Voici l’idée qu’en donne La Pereyre dans sa lettre déjà citée. « Les auteurs de l’Edda, dit-il, posent pour principe éternel un géant qu’ils appellent Iuner. Il sortit du chaos, selon eux, de petits hommes qui se jetèrent sur le géant et le mirent en pièces. De son crâne ils firent le ciel ; de son œil droit, le soleil ; de son œil gauche, la lune ; avec ses épaules, les montagnes ; avec ses os, les rochers ; avec sa vessie, la mer ; les rivières avec son urine ; et ainsi de toutes les autres parties de son corps : de sorte que ces poëtes appellent le ciel le crâne d’Iuner ; le soleil, son œil droit ; la lune, son œil gauche. Les rochers, les montagnes, la mer, les rivières n’ont de même point d’autre nom que ceux d’os, d’épaules, de vessie et d’urine d’Iuner. »

Quoi qu’il en soit de ce récit de La Pereyre ou des explications de Wormius, personne n’a répandu plus de lumière sur la mythologie Islandaise, et en particulier sur l’Edda, que Mallet, auteur de la meilleure histoire de Danemarck que nous ayons. À la suite de son introduction à cette histoire on trouve la traduction de l’Edda ou de la mythologie celtique, et nous y renvoyons les lecteurs curieux de connaître cet ouvrage.

Le même auteur nous apprend qu’il y a eu deux Edda : la première et la plus ancienne rédigée par Sœmund Sigfusson, surnommé le Savant, et né en Islande environ l’an 1057 ; l’autre, recueillie, environ cent vingt-six ans après, par Snorro Sturleson, célèbre Islandais, né l’an 1179, d’une des plus illustres familles de l’île.

On sait que les prêtres des Celtes, nation dont les Islandais faisaient partie, avaient, comme les anciens prêtres d’Égypte, ou comme les brames modernes de l’Inde, deux espèces de doctrine ; l’une qu’ils se réservaient comme un secret inviolable, et qui a péri avec eux ; l’autre, qui n’était qu’un mélange informe de fables et de dogmes politiques transmis de génération en génération par tradition orale. Ces vers se perdirent chez les Gaulois et les Bretons lorsque la forme de leur gouvernement changea ; mais probablement les Islandais les conservèrent avec soin jusqu’au milieu du onzième siècle, époque de la première collection faite par Sœmund, sous le nom d’Edda. Ce nom d’Edda, appliqué au corps de la mythologie islandaise, a donné la torture aux étymologistes ; mais comme, selon Mallet, il vient d’un terme de l’ancien gothique qui signifie aïeule, « il est, dit-il, dans le génie des anciens philosophes celtes d’avoir voulu désigner ainsi l’antiquité de leur doctrine. »

Il ne reste aujourd’hui de l’Edda que trois poëmes entiers, et l’abrégé qu’en fit en prose, au commencement du douzième siècle, Snorro Sturleson. Ces trois poëmes sont les plus anciens qui existent en langue gothique. L’un est intitulé Voluspa ou Prophétie de la sibylle ; le second, Havamaal, et il contient la morale d’Odin, qui passe pour en être l’auteur ; le troisième a pour titre, chapitre runique. Il renferme le détail des prodiges que l’auteur se croyait ou voulait se faire croire capable d’opérer par le moyen de la magie, et surtout des runes ou caractères runiques dont le même Odin est cru l’inventeur.

Cet Odin, suivant les annales islandaises, était un prince asiatique dont les états étaient situés entre la mer Caspienne et le pont Euxin. Vaincu et soumis par les armées romaines que Pompée commandait dans la Phrygie mineure, Odin prit la route du nord, s’établit d’abord en Saxe, et passa successivement dans la Suède, la Scandinavie et l’Islande, avec les Phrygiens qui l’avaient suivi.

On place cette migration environ soixante-dix ans avant Jésus-Christ ; et à cette époque la scène de ces régions septentrionales change tout à coup. Odin y apporte l’usage des lettres ; il enseigne l’art de la poésie ; il persuade à ces peuples qu’il a mille secrets divins, qu’il peut par des paroles et de certains caractères apaiser les querelles, chasser la tristesse et guérir toutes les maladies, enchaîner les vents enfin exciter ou apaiser les flots. Cet Odin, qui parlait ainsi aux Scandinaves, nation pauvre et sauvage, était accompagné d’une cour dont l’éclat les éblouissait. Il ne leur parut pas moins qu’un dieu. Le prince asiatique sut bien profiter de leur étonnement pour répandre une histoire merveilleuse accommodée à leurs idées et qu’il fit composer par ses poëtes. La crédulité des hommes est toujours en raison de leur ignorance. Les Scandinaves, aisément trompés, déifièrent l’homme qu’ils avaient reçu pour maître. Ce souverain établit pour juges de la nation douze seigneurs de sa suite ; bientôt on en fit autant de dieux ; leurs femmes et leurs filles participèrent aux mêmes honneurs. Après avoir vu mourir toutes ces divinités humaines, on continua de les invoquer comme si elles présidaient encore aux emplois qu’elles avaient exercés pendant leur vie.

La langue et les caractères runiques, apportés par Odin en Scandinavie, sont la source de celle qui se parle encore à présent en Islande. Le docteur Wormius assurait à La Pereyre que l’islandais était le plus pur runique qui se fût conservé. Cet idiome est, suivant Busching, l’ancienne langue norvégienne qui a reçu quelque altération, mais cependant très-utile pour expliquer les langues des anciens peuples du nord. Les caractères de la langue islandaise ont retenu de même leur origine runique. Il y en a d’hiéroglyphiques qui signifient des mots entiers.

On ne peut révoquer en doute que l’Islande n’ait reçu les lumières de l’Évangile dès le neuvième siècle, puisqu’il existe des monumens qui l’attestent. Telles sont, entre autres, les lettres-patentes de Louis le Débonnaire, du 15 mai 834, où il est dit que Jésus-Christ a été annoncé en Islande et dans le Groënland. Ces lettres-patentes sont adressées à Ansgarius, Français, prélat très-célèbre que le monde arctique reconnaît pour son premier apôtre. L’empereur le fit archevêque de Hambourg, en érigeant pour lui ce district en archevêché, dont il étendit la juridiction dans tous les pays septentrionaux, depuis l’Elbe jusqu’à la mer Glaciale et dans les îles qu’elle renferme. Ces lettres-patentes furent confirmées par une bulle de Grégoire iv, de l’an 835. Quoique l’Évangile eût été annoncé en Islande, toute l’île ne l’embrassa pas d’abord. Arngrim Jonas rapporte que le paganisme n’y fut absolument extirpé que vers l’an 1000 de l’ère chrétienne.

Au milieu du seizième siècle, Frédéric, roi de Danemark, ayant introduit le luthérianisme dans ses états, voulut l’établir aussi dans l’Islande, qui lui appartenait comme une dépendance de la Norvége unie dès-lors au Danemark ; mais la réformation ne put s’effectuer dans cette île sans trouble et sans effusion de sang. Un évêque de haute qualité, fort attaché à la cour de Rome et soutenu par un parti puissant, s’opposa vigoureusement pendant plusieurs années à l’établissement de la nouvelle religion ; mais il paya sa fermeté de sa tête, et sa mort fut suivie de l’anéantissement total de la religion catholique. Depuis cet événement, dont nous ne trouvons point l’époque, le luthérianisme est la seule religion que l’on professe en Islande ; toutes les autres en sont bannies. Busching dit, dans sa géographie, que les troubles occasionés par l’établissement de la réforme durèrent depuis 1539 jusqu’en 1551.

Deux évêchés partageaient le domaine spirituel de l’Islande, Skalholt et Holum. Le premier comprenait les trois quarts du pays, savoir les cantons de l’orient, du midi et de l’occident. Le quartier du nord seul formait le diocèse de Holum. Depuis 1801 les deux évêchés ont été réunis. Reikiavik, lieu situé dans l’occident de l’île, en est la capitale actuelle. On y comptait cent maisons au commencement du dix-neuvième siècle. Bessestadé est le siège d’un bon gymnase avec une bibliothèque de quinze cents volumes. Les étudians y prennent le degré de licencié. Ensuite lorsqu’ils ont donné des preuves de leur capacité, ils sont nommés aux cures du pays, sans qu’ils soient obligés de subir aucun examen à l’université de Copenhague. Cependant il se trouve toujours plusieurs Islandais qui passent dans cette capitale pour y étudier la théologie et le droit civil ; aussi ceux-là sont-ils assurés, à leur retour dans leur patrie, d’avoir la préférence sur les autres et d’obtenir les meilleures cures. Ce sont eux qui remplissent encore les offices de baillis, de sous-baillis, et les autres charges de judicature.

On peut bien dire des évêques en Islande, ce qu’on disait de ceux de la primitive Église, crosses de bois, évêques d’or ; il y a sûrement peu de pays où ils se rapprochent autant des apôtres dont ils sont les successeurs. Lorsque la réformation fut introduite dans cette île, une petite partie des biens du clergé catholique demeura unie aux siéges épiscopaux et aux cures ; le reste fut confisqué au profit du roi, qui en jouit encore.

L’évêque d’Islande régit lui-même ses biens temporels. Il en tire environ deux mille écus par an ; mais sur cette somme il est obligé de loger et d’entretenir un certain nombre d’étudians. L’entretien de l’église et de tous les bâtimens qui composent le palais épiscopal est encore à sa charge. Tout cela payé, Horrebow estime qu’il ne lui reste pas mille écus par an. La modicité de ce revenu a engagé le roi de Danemarck à lui concéder le droit de percevoir la taxe annuelle que paie chaque habitant, qui consiste en dix poissons par tête ; mais il n’use de ce droit que dans quelques paroisses, et même sur un petit nombre de têtes : ainsi c’est une faible augmentation de ses revenus.

Les curés ou prédicateurs ne sont pas à proportion plus opulens que leur évêque. Leurs revenus ne consistent qu’en fonds de terre joints à la cure, en impositions sur chaque métairie, et dans les émolumens qu’ils reçoivent de la communauté pour l’exercice de leur ministère. L’étendue d’une paroisse et le nombre de ses habitans en font la valeur. Les meilleures cures ne vont guère qu’à douze cents livres. Il y en a de très-pauvres, et dont les pasteurs ont si peu de revenu, qu’ils sont obligés de travailler pour faire subsister leurs femmes et leurs enfans. On les voit aller à la pêche avec leurs paroissiens, et suivre en cela, comme dit l’écrivain danois, l’exemple de saint Paul, qui, pour vivre du travail de ses mains, n’en était pas moins un grand apôtre, justement respecté pendant sa vie, et révéré après sa mort.

On peut juger par ce détail des richesses du clergé que les églises d’Islande sont peu somptueuses. Il n’y a même, à proprement parler, que la cathédrale qui mérite le nom d’église ; tous les autres bâtimens de ce genre ne sont que de petites chapelles bâties comme les maisons des paysans. Un autel, une chaire, un confessionnal, un chœur, des fonts baptismaux et des bancs en font toute la décoration : quelques-unes cependant sont boisées en dedans, et entretenues suivant les facultés de la communauté ; les ornemens de l’autel et ceux des prêtres répondent de même à l’opulence ou à la pauvreté des paroissiens.

L’église de Holum, dit Horrebow, passe pour la merveille du pays. Elle est construite de bois de charpente porté sur de gros murs. Elle a environ quatre-vingts pieds de longueur, trente de largeur, et est élevée de quarante ou cinquante. Elle est bâtie sur une petite éminence, et elle a un petit clocher de bois. Autour du chœur subsiste encore un gros mur de belles pierres de taille, construit il y a plus de quatre cents ans, par un évêque qui avait dessein de faire bâtir toute la cathédrale de la même façon ; mais sa mort interrompit l’entreprise, et l’on n’a pas songé depuis à la continuer.

Le palais de l’évêque consiste en différentes maisons bâties à la manière d’Islande, à la réserve de celle qui forme la résidence habituelle du prélat. Celle-ci est de bois de chêne, avec un mur de pierre et un toit de bois sans revêtement de terre non plus qu’aux murs extérieurs. Les principales pièces de cette construction ont été travaillées à Copenhague, puis rassemblées et posées en 1576 par les soins de l’évêque Gudbrander : c’est ce qu’indique une inscription gravée sur le lambris de la salle. Depuis deux cents ans cet édifice s’est très-bien conservé, à l’exception de quelques parties des fondemens qui auraient besoin d’être renouvelées.

L’auteur danois reproche assez vivement à Anderson d’avoir injustement calomnié les pasteurs islandais, en disant qu’ils sont généralement d’une ignorance crasse, et qu’ils font de si mauvaises études, qu’à peine ils savent lire le latin. Quant aux mœurs, Anderson écrit que les ecclésiastiques d’Islande sont fort libertins, qu’ils s’enivrent perpétuellement d’eau-de-vie, que même on a vu quelquefois le pasteur et les ouailles tellement hors d’état de remplir les devoirs communs de la religion, qu’on était obligé de remettre le service à un autre jour.

L’auteur danois réfute expressément ces accusations par son propre témoignage. Il assure que l’ignorance n’est rien moins qu’un vice commun à tout le clergé ; qu’il peut y avoir, à la vérité, comme il s’en trouve partout, quelques ecclésiastiques peu instruits, mais qu’il a vu plus communément parmi eux des prédicateurs dignes du nom de savans et d’habiles littérateurs. Ils n’étaient pas même, dit-il, seulement bons théologiens et versés dans la connaissance des livres ascétiques, ils possédaient encore fort bien les poëtes et les auteurs grecs et latins. D’ailleurs, comme il l’observe, la plupart des prêtres islandais font leurs études à Copenhague, et y subissent des examens sur la théologie avant de posséder des bénéfices en Islande ; il faut, par conséquent, en conclure que le clergé ne peut y être aussi ignorant qu’Anderson a voulu le persuader.

Il y a plus : on veille en Islande avec tant d’attention sur les prédicateurs, sur les ministres de l’Évangile, et surtout l’état ecclésiastique, que le vice le plus léger ne peut manquer d’y être aperçu, et que les fautes y sont punies très-sévèrement. Qu’un prédicateur entreprenne seulement un petit voyage un jour de dimanche ou de fête, il est aussitôt cité au consistoire, et il n’en sort qu’après avoir été amendé, ou du moins après avoir essuyé une réprimande sévère. On peut juger de la justice que l’on ferait des ecclésiastiques qui mèneraient une vie scandaleuse.

Les mariages des Islandais se font communément sans beaucoup de cérémonies ; et, comme partout ailleurs, l’intérêt y a toujours plus de part que l’inclination. Il n’est pas rare non plus qu’il se fasse des mariages forcés et arrangés par les parens sans la participation des époux ; mais, dans tous ces cas, la célébration est toujours la même. L’usage est que le ministre de la paroisse du jeune homme fasse les propositions du mariage aux père et mère de la fille ou à ceux qui les représentent. Lorsqu’on est d’accord, les plus proches parens de part et d’autre conduisent les futurs à l’église, où ils reçoivent la bénédiction nuptiale. Elle se donne ordinairement le dimanche devant l’autel, après que le service divin est commencé, et avant que le prêtre monte en chaire. L’office fini, les nouveaux mariés se rendent avec les conviés dans leur maison, où l’on boit et l’on mange, où l’on se divertit, suivant leur état et leurs facultés. Quelquefois en revenant de l’église on donne un verre d’eau-de-vie à chaque assistant ; mais jamais il n’y a ni musique ni danse. Après le premier repas, qui est toujours assez frugal, chacun se retire chez soi. Tout ce détail, tiré de Horrebow, prouve contre Anderson que les Islandais ne portent pas le goût de l’ivrognerje jusque dans l’église, où cet écrivain « fait boire de l’eau-de-vie, à l’instant même de la cérémonie du mariage, au prêtre, aux futurs et aux assistans, aussi long-temps qu’ils peuvent tenir la bouteille et se soutenir sur leurs jambes. »

Cet historien, suivant Horrebow, n’est pas mieux instruit sur l’éducation des enfans : tout ce qu’il en dit est faux et inventé à plaisir. On élève les enfans en Islande comme ailleurs ; on a pour eux les mêmes soins, les mêmes attentions, et la source en est, ainsi que partout, dans la tendresse des parens, et surtout des mères. La seule chose qu’on trouvera peut-être singulière, c’est qu’on met d’ordinaire les enfans en culotte et en veste à neuf ou dix semaines. Cependant l’auteur danois assure qu’il n’a vu parmi les Islandais aucun homme qui eût quelque défaut corporel, ou qui fût contrefait.

Les soins nécessaires pour former le cœur et l’esprit des enfans suivent ceux qu’on a pris pour le corps : les facultés et la condition des parens règlent le genre d’éducation qu’ils reçoivent ; mais on commence d’abord par leur apprendre à lire et les élémens de leur religion. Le catéchisme du célèbre Pontoppidam, évêque de Bergen en Norvége, a été traduit en langue islandaise ; il est enseigné aux enfans, non-seulement dans la maison paternelle, mais encore dans les églises, et par les ministres eux-mêmes. Il y a à Holum une imprimerie qui est particulièrement occupée à imprimer des livres de dévotion. On imprime aussi quelquefois des livres de droit et des ordonnances du roi de Danemarck, le tout en langue islandaise.

Les divertissemens des Islandais sont aussi simples que la vie qu’ils mènent. Toutes leurs récréations, dans les momens de loisir qu’ils ont en hiver, pendant les temps orageux, et les dimanches et les fêtes, consistent à se rassembler en famille, à converser ensemble, à chanter d’anciennes chansons guerrières de leurs ancêtres, et à jouer aux échecs. Ils ont une grande quantité de ces chansons, et ils les chantent sur des airs assez grossiers, parce qu’ils ne connaissent ni mesure, ni musique, ni aucune sorte d’instrumens. La danse étant également ignorée chez eux, ils n’en font aucun usage ; ils n’ont même aucun exercice qui en approche ; c’est en quoi ils diffèrent particulièrement de tous les habitans des pays septentrionaux, et peut-être de tous les peuples du monde.

Les Islandais ont un goût marqué pour le jeu d’échecs, et il paraît que de tout temps ils ont passé pour d’habiles joueurs, comme ils en ont encore la réputation. Le jeu des échecs est donc fort en usage chez eux, et il n’est pas rare de trouver, même parmi le petit peuple, des gens qui le jouent très-bien. La Pereyre dit qu’il n’y a point de si misérable paysan qui n’ait chez lui son jeu d’échecs fait de sa main, et d’os de poisson. La différence qu’il y a de leurs pions aux nôtres, c’est que leurs fous sont des évêques, parce qu’ils pensent que les ecclésiastiques doivent être près de la personne des rois ; leurs rocs, aujourd’hui les tours, sont de petits capitaines représentés l’épée au côté, les joues enflées, et sonnant d’un cor qu’ils tiennent des deux mains. Le jeu d’échecs n’est pas ancien et commun seulement chez les Islandais, mais encore dans toutes les contrées du nord. La Chronique de Norwége rapporte que le géant Drofont, qui avait élevé Harald le Chevelu, ayant appris les grands exploits de son élève, lui envoya, parmi des présens d’un grand prix un très-beau jeu d’échecs. Ce Harald régnait vers l’an 870.

Malgré la vie frugale que mènent les Islandais, ils parviennent rarement à une grande vieillesse. Dès qu’ils ont passé cinquante ans, ils sont communément attaqués de phthisie ou d’autres maladies de poitrine qui les conduisent au tombeau après quelques années de langueur. « Il n’est pas douteux, dit Horrebow, que cette prompte destruction ne provienne des travaux excessifs qu’ils supportent en mer, et de l’imprudence avec laquelle ils se conduisent. Ces insulaires revenant de la pêche, où souvent ils sont entièrement trempés d’eau, n’ont pas la précaution de changer d’habits. »

Ils donnent à la plus grande partie des maladies auxquelles ils sont sujets le nom général de landfarfock, fièvre du pays. Il règne en Islande une autre maladie appelée lèpre, qui est presque toujours héréditaire, sans qu’elle soit pourtant contagieuse. Le scorbut, les coliques de toute espèce, les maladies hypocondriaques sont encore très-communes dans l’île ; et comme il n’y a ni médecins ni chirurgiens, les Islandais sont très-souvent victimes de la première maladie qui les attaque. Rien surtout n’est plus digne de compassion que de voir quelqu’un qui a eu une jambe ou un bras cassé, ou d’autres fractures de cette espèce. Abandonné à la nature, faute de chirurgien et de secours, il demeure estropié toute sa vie, ou meurt misérablement après avoir langui dans les souffrances.

C’est à tort que quelques voyageurs ont attribué aux femmes islandaises l’heureux avantage d’accoucher facilement, de s’aller baigner même, et de se remettre à l’ouvrage aussitôt après leur délivrance. « Il s’en faut beaucoup qu’elles soient douées de tant de force, dit l’écrivain danois ; les couches sont la maladie la plus funeste aux Islandaises. Il en meurt beaucoup en cet état, parce qu’elles n’ont ni sages-femmes ni hommes expérimentés dans l’art des accouchemens. »

Le chef de l’administration est ordinairement un seigneur du premier rang, qui a le titre de gouverneur général, et qui fait sa résidence à la cour. Après le gouverneur est le grand-bailli ; il est obligé de demeurer en Islande.

Le grand-bailli n’est pas le seul officier considérable d’Islande ; le roi y entretient encore un receveur-général, appelé sénéchal, et deux juges principaux, appelés lovmen (hommes de la loi). L’emploi du sénéchal est de percevoir tous les droits et les revenus royaux et d’en rendre compte à la chambre des finances de Copenhague.

Les revenus consistent en une sorte de capitation, appelée gieftold, que chaque habitant doit dès qu’il a atteint l’âge de vingt ans, et qui est de dix poissons par tête ; dans la location de certains bâtimens publics, et dans les droits qui se paient sur les ports.

La capitation se perçoit dans toute l’île par le moyen des syslovmen ou sous-baillis, auxquels le sénéchal passe un bail particulier de cette taxe, chacun pour le district qui est de sa juridiction ; ces juges y trouvent en même temps les appointemens de leurs charges.

Quoique le grand-bailli ait la juridiction générale de l’île, elle est encore partagée entre les deux lovmen, ou juges principaux, dont l’un a le département des cantons de l’orient et du sud, l’autre celui du nord et de l’occident.

Outre les districts généraux des lovmen, il y en a dix-huit particuliers, appelés syssel, nom qu’on peut rendre par le mot de bailliage. Ces syssels ont chacun un syslovman ou sous-bailli, qui, dans chaque ressort juge les causes en première instance : ce sont eux qui, comme on l’a observé, font les fonctions de fermiers et de receveurs particuliers des revenus qui appartiennent au roi de Danemark. Quelques syssels, tels que ceux de Mule et de Skaptefield, plus étendus que les autres, ont deux syslovmen ; ainsi, en y comprenant celui qui réside aux îles de Vestman, qui touchent à l’Islande, et qui en dépendent, on compte vingt-un de ces juges.

Il y a différentes lois par lesquelles tous les cas litigieux se décident. La première est un ancien code de droit islandais, auquel on a recours dans ceux où il s’agit de successions, de biens-fonds, et en général dans toutes les contestations qui s’élèvent au sujet du tien et du mien. Les causes qui regardent les terres seigneuriales et les affaires ecclésiastiques se décident par les lois de Norwége et par différens édits particuliers du roi de Danemarck.

À l’égard des formalités prescrites dans les procès criminels, on se conforme encore aux lois de Norwége. Il y a de plus différentes coutumes et quelques édits particuliers, qui, avec ceux qu’on vient de citer, forment le corps de la jurisprudence. Frédéric, roi de Danemarck, avait chargé plusieurs jurisconsultes de composer un nouveau corps de droit pour l’Islande ; il a été exécuté sous, le feu roi Frédéric v.

Toutes les causes sont portées d’abord par-devant le syslovman et à l’audience du district où elles ressortissent ; car chacun de ces juges a des audiences déterminées, auxquelles appartiennent les causes de certains districts à l’exclusion de toutes autres. Du tribunal du syslovman on peut appeler au lovman, qui tient des espèces d’assises ou de plaids tous les ans. Sa séance commence le 8 juillet, et continue aussi long-temps qu’il se présente des affaires à juger. Chaque lovman a huit assesseurs qui prononcent les jugemens avec lui ; cependant ils ne sont pas encore définitifs : on peut en faire appel à la grande juridiction, qui se tient dans le même temps et au même endroit, et dont le grand-bailli est le président. Ce magistrat est assisté par le lovman, qui n’a pas rendu le jugement sur lequel on plaide, par plusieurs syslovmen, et, en cas de besoin, par les assesseurs de la juridiction du lovmam. Il y a donc toujours douze juges, sans compter le grand-bailli qui préside ; et, en son absence, il est remplacé par le sénéchal. Cette cour de justice a du rapport avec le conseil souverain de Norwége, quant aux formalités, et en ce qu’un juge peut y être cité directement pour déni de justice, ou pour d’autres cas qui concernent ses fonctions. De ce tribunal supérieur d’Islande on appelle à la cour de Copenhague, lorsque l’affaire est importante et d’une nature prescrite par les lois.

Les affaires ecclésiastiques se jugent en première instance par la juridiction du chapitre de l’église cathédrale, qui est composée d’un prévôt et de deux assesseurs. Elles passent de ce tribunal à celui d’une chambre consistoriale, tenue par l’évêque, le prévôt, les prébendaires et autres ecclésiastiques, et encore présidée par le grand-bailli, ou par un autre magistrat que nomme le gouverneur-général de l’île. Cette chambre de justice ressortit directement à la cour souveraine de Copenhague. Dans ces assemblées ecclésiastiques on ne s’occupe pas seulement d’affaires contentieuses, on y examine aussi tout ce qui a rapport à la police du clergé. On y distribue des pensions aux anciens ministres, et aux veuves de ceux qui sont morts dans l’année.

Il n’y a en Islande aucun avocat reconnu et immatriculé. Les juges en constituent chaque fois qu’on en a besoin.