Abrégé de l’histoire générale des voyages/Tome VII/Seconde partie/Livre III/Chapitre III

CHAPITRE III.

Voyage du père Tachard à Siam.

De plusieurs relations du même voyage, qui doivent trouver place ici successivement, celle du père Tachard est en possession du premier rang dans l’estime du public, par les savantes observations dont elle est remplie, comme celle de l’abbé Choisy s’est fait estimer par son agrément. En général, on a peu de voyages aussi curieux, et peut-être n’en a-t-on pas de plus exacts que ceux qui se firent à Siam en 1685 ; et la raison en paraîtra sensible, si l’on considère que leurs dlfférens auteurs, écrivant dans le même temps et sur les mêmes sujets, se sont servis entre eux de censeurs et de guides.

Depuis l’établissement d’une académie des sciences à Paris, cette illustre compagnie n’avait rien imaginé de plus convenable aux vues de sa fondation que d’employer, sous la protection du roi, plusieurs de ses membres à faire des observations dans les pays étrangers, pour se mettre en état de corriger les cartes géographiques, de faciliter la navigation et de perfectionner l’astronomie. Elle avait envoyé les uns en Danemarck, d’autres en Angleterre, d’autres jusqu’en Afrique et aux îles de l’Amérique ; tandis que ceux qui demeuraient à l’Observatoire de Paris travaillaient de concert avec eux par des correspondances établies. On cherchait l’occasion d’en faire passer quelques-uns aux Indes orientales, et l’arrivée d’un missionnaire jésuite qui revenait de la Chine fit naître les mêmes idées pour ce grand empire. Un heureux incident en avança beaucoup l’exécution. À la fin de l’année 1682, on vit arriver en France deux mandarins siamois, avec un prêtre des missions étrangères, nommé Levacher. Ils venaient de la part des ministres du roi de Siam pour apprendre des nouvelles d’un ambassadeur que le roi leur maître avait envoyé à la cour de France avec des présens magnifiques, sur un vaisseau de la compagnie des Indes, qu’on croyait perdu par le naufrage. Ces avances d’amitié de la part d’un prince indien excitèrent Louis xiv à profiter d’une si favorable ouverture pour les progrès des sciences et pour la propagation du christianisme. M. de Louvois demanda aux jésuites, par ses ordres, six mathématiciens de leur compagnie, qui furent reçus, par un privilége particulier, dans celle des sciences. On leur fournit des mémoires touchant les remarques qu’ils devaient faire aux Indes, des cartes marines de la bibliothèque du roi, qui avaient servi à d’autres voyages, et toutes sortes d’instrumens de mathématiques. Leurs pensions furent réglées, et leurs patentes expédiées pour la qualité de mathématiciens du roi dans les Indes. Ils devaient partir avec le chevalier de Chaumont, nommé par le roi à l’ambassade de Siam.

Ils se rendirent à Brest, où devait se faire l’embarquement. Ces six mathématiciens jésuites étaient le père de Fontenay, revêtu de la qualité de supérieur ; les pères Gerbillon, Le Comte, Bouvet, Visdelou, et Tachard, auteur de cette relation. Entre les personnes distinguées qui devaient composer le cortége de l’ambassadeur, on comptait l’abbé de Choisy, fort connu par sa naissance et son mérite, qui devait demeurer en qualité d’ambassadeur ordinaire auprès du roi de Siam, du moins jusqu’à son baptême, si ce prince remplissait l’espérance qu’on avait de sa conversion ; espérance qui ne fut point remplie. Ils partirent sur l’Oiseau, vaisseau du roi de quarante pièces de canon, accompagné de la Maligne, frégate de trente canons.

À mesure qu’on approchait de la ligne, les mathématiciens jésuites prenaient plaisir à remarquer combien les étoiles du pôle arctique s’abaissaient, et combien celles du pôle antarctique s’élevaient au-dessus de leurs têtes. De toutes les nouvelles étoiles qu’ils découvrirent du côté du sud, celles qui les frappèrent d’abord le plus, furent les étoiles de la croisade, ainsi nommées, parce que les quatre principales sont disposées en forme de croix. La plus grande est à 27 degrés du pôle ; c’est sur elle que les pilotes se règlent, et prennent quelquefois la hauteur.

Tachard s’applaudit de n’avoir pas éprouvé au passage de la ligne toutes les incommodités dont il avait été menacé par d’autres voyageurs ; faveur du ciel d’autant plus singulière, qu’un navire hollandais, parti d’Europe deux mois avant les deux vaisseaux français, essuya les plus affreuses disgrâces dans les mêmes climats, et perdit les trois quarts de son équipage. Il ne mourut qu’un homme sur l’Oiseau et sur la Maligne, dans toute la traversée de Brest au cap de Bonne-Espérance ; et les chaleurs de la zone torride ne parurent guère plus grandes à Tachard que celles de France au fort de l’été.

Les jésuites, observèrent plusieurs phénomènes qui, sans être particuliers à leur navigation, méritent d’être présentés.

Le 12 de mars ils découvrirent, au milieu du jour, un de ces jeux de la nature que leur figure a fait nommer œil de bœuf ou œil de bouc. On les regarde ordinairement comme un présage assuré de quelque orage. C’est un gros nuage rond, opposé au soleil, et sur lequel se peignent les mêmes couleurs que celles de l’arc-en-ciel, mais fort vives. Peut-être n’ont-elles ce grand éclat que parce que l’œil de bœuf est environné de nuées épaisses et obscures ; mais Tachard accuse de fausseté tous les pronostics qu’on en tire. Il en vit deux, après lesquels le temps fut beau et serein pendant plusieurs jours.

Il peint soigneusement cette autre espèce de phénomène que les marins appellent trombes, pompes ou dragons d’eau, et qu’il eut occasion d’observer entre la ligne et le tropique du capricorne. Ce sont comme de longs tubes ou de longs cylindres formés de vapeurs épaisses, qui touchent les nues d’une de leurs extrémités, et de l’autre la mer, qui paraît bouillonner alentour. On voit d’abord un gros nuage noir, dont il se sépare une partie ; et comme c’est un vent impétueux qui pousse cette portion détachée, elle change insensiblement de figure, et prend celle d’une longue colonne, qui descend jusque sur la surface de la mer, demeurant d’autant plus en l’air que la violence du vent l’y retient, ou que les parties inférieures soutiennent celles qui sont dessus : aussi, lorsqu’on vient à couper ce long tube d’eau par les vergues et les mâts du vaisseau, qu’on ne peut quelquefois empêcher d’entrer dedans, ou à interrompre le mouvement du vent en raréfiant l’air voisin par des décharges redoublées d’artillerie, l’eau, n’étant plus soutenue, tombe en très-grande abondance, et tout le dragon se dissipe aussitôt. Cette rencontre est fort dangereuse, non-seulement à cause de l’eau qui tombe dans le navire, mais encore par la violence subite et par la pesanteur extraordinaire du tourbillon qui l’emporte, et qui est capable de démâter ou de faire tomber les plus grands vaisseaux. Quoique de loin ces dragons d’eau ne paraissent pas avoir plus de six ou sept pieds de diamètre, ils ont beaucoup plus d’étendue. Tachard en vit deux ou trois à la portée du pistolet, auxquels il trouva plus de cent pieds de circonférence.

Il remarqua d’autres phénomènes, qu’on nomme siphons, à cause de leur figure longue, assez semblable à celles de certaines pompes. On les voit paraître au lever du soleil, vers l’endroit où cet astre est alors ; ce sont des nuages longs et épais, environnés d’autres nuages clairs et transparens : ils ne tombent point ; ils se confondent enfin tous ensemble, et se dissipent par degrés ; au lieu que les dragons sont poussés avec impétuosité, durent long-temps, et sont toujours accompagnés de pluie et de tourbillons qui font bouillonner la mer et la couvrent d’écume.

Les iris de lune ont dans ces lieux des couleurs bien plus vives qu’en France ; mais le soleil en forme de merveilleuses sur les gouttes d’eau de mer que le vent emporte comme une pluie fort menue, ou comme une fine poussière, lorsque deux vagues se brisent en se choquant. Si l’on regarde ces iris d’un lieu élevé, elles paraissent renversées ; il arrive quelquefois qu’un nuage passant par-dessus, et venant se résoudre en pluie, il se forme une seconde iris dont les jambes paraissent continuées avec celles de l’iris renversée, et composent ainsi un cercle d’iris presque entier.

La mer a ses phénomènes aussi-bien que l’air ; il y paraît souvent des feux, surtout entre les tropiques, sans parler du spectacle commun de ces petites langues de feu qui s’attachent aux mâts et aux vergues à la fin des tempêtes, et que les Portugais nomment feu Saint-Elme. Les mathématiciens virent plusieurs fois pendant la nuit la mer toute couverte d’étincelles lorsqu’elle était un peu grosse et que les vagues se brisaient. On remarquait aussi une grande lueur à l’arrière du navire, particulièrement lorsque le vaisseau allait vite ; sa trace paraissait un fleuve de lumière ; et si l’on jetait quelque chose dans la mer, l’eau devenait toute brillante. Tachard trouve la cause de cette lueur dans la nature même de l’eau de mer, qui, étant remplie de cette matière dont les chimistes font la principale partie de leurs phosphores, toujours prête à s’enflammer lorsqu’elle est agitée, doit aussi, par la même raison, devenir brillante et lumineuse. Il faut si peu de mouvement à l’eau marine pour en faire sortir du feu, qu’en touchant une ligne qu’on y a trempée, il en sort une infinité d’étincelles semblables à la lueur des vers luisans, c’est-à-dire vive et bleuâtre.

Ce n’est pas seulement dans l’agitation de la mer qu’on y voit des brillans ; le calme même les offre vers la ligne, après le coucher du soleil ; on les prendrait pour une infinité de petits éclairs assez faibles qui sortent de l’eau, et qui disparaissent aussitôt. Les six mathématiciens n’en purent attribuer la cause qu’à la chaleur du soleil qui a rempli et comme imprégné la mer, pendant le jour, d’une infinité d’esprits ignés et lumineux.

Outre ces brillans passagers ils en virent d’autres pendant les calmes qui paraissent moins faciles à expliquer : on peut les nommer permanens, parce qu’ils ne se dissipent pas comme les premiers. On en distingue de différentes grandeurs et de diverses figures, de ronds, d’ovales, de plus d’un pied et demi de diamètre, qui passaient le long du navire, et qu’on pouvait conduire de vue à plus de deux cents pas. Quelques-uns les prirent simplement pour quelque substance onctueuse qui se forme dans la mer par quelque cause inconnue ; d’autres pour des poissons endormis qui brillent naturellement. On crut même y reconnaître deux fois la figure du brochet.

Les diverses espèces d’herbes et d’oiseaux qui commencèrent à se faire voir au 33e. degré de latitude australe, et au 19e. degré de longitude, suivant l’estime des pilotes, annoncèrent aux matelots le cap de Bonne-Espérance, à la vue duquel ils arrivèrent le 3 de mai. Ils y mouillèrent le lendemain à cent cinquante pas du fort.

Les mathématiciens jésuites obtinrent de Vanderstel, gouverneur du Cap, la liberté de faire porter leurs instrumens à terre, et toutes les facilités qu’ils pouvaient espérer d’un homme civil, pour faire quelques observations dont les Hollandais devaient partager l’utilité : leurs pilotes ne connaissaient encore la longitude du Cap que par leur estime : moyen douteux, et qui les trompait souvent. Tachard, choisi pour expliquer le service que les jésuites étaient capables de leur rendre, apprit au gouverneur que, par le moyen des instrumens qu’ils avaient apportés, et des nouvelles tables de Cassini, sans avoir besoin des éclipses de lune et de soleil, ils pouvaient observer par les satellites de Jupiter et fixer la longitude du Cap. Vanderstel, sensible à cette offre, non-seulement les combla de politesses, mais fit préparer pour leur logement un pavillon dans le célèbre jardin de la compagnie.

Ils furent surpris de trouver un des plus beaux jardins et des plus curieux qu’ils eussent jamais vus. « Sa situation est entre le bourg et la montagne de la Table, à côté du fort, dont il n’est éloigné que de deux cents pas. Il a quatorze cent onze pas communs de longueur, et deux cent trente-cinq de largeur. Sa beauté ne consiste pas, comme en France, dans des compartimens et des parterres de fleurs, ni dans des eaux jaillissantes. Il pourrait y en avoir, si la compagnie de Hollande voulait en faire la dépense, car il est arrosé par un ruisseau d’eau vive qui descend de la montagne ; mais on y voit des allées à perte de vue, de citronniers, de grenadiers, d’orangers plantés en plein sol, à couvert du vent par de hautes et épaisses palissades d’une espèce de laurier toujours vert et semblable au filaria, qui se nomme spek. Il est partagé, par la disposition des allées, en plusieurs carrés médiocres, dont les uns sont pleins d’arbres fruitiers, les autres de racines, de légumes, d’herbes et de fleurs. C’est comme un magasin de toutes sortes de rafraîchissemens pour les vaisseaux de la compagnie qui vont aux Indes, et qui ne manquent jamais de relâcher au cap de Bonne-Espérance. À l’entrée du jardin, on a bâti un grand corps de logis où demeurent les esclaves de la compagnie, au nombre de cinq cents, dont une partie est employée à cultiver le jardin, et le reste à d’autres travaux. »

Vers le milieu de la muraille, du côté qui regarde la forteresse, est un petit pavillon qui n’est point habité. L’étage d’en bas contient un vestibule percé du côté du jardin et du fort, accompagné de deux salons de chaque côté. Le dessus est un grand cabinet ouvert de toutes parts, entre deux terrasses pavées de briques et entourées de balustrades, dont l’une regarde le septentrion et l’autre le midi. Ce pavillon convenait parfaitement au dessein des mathématiciens : on y découvrait tout le nord, dont la vue leur était surtout nécessaire, parce que c’est le midi pour le pays du Cap. Vanderstel leur abandonna la disposition d’un lieu si agréable et si commode, qu’il a porté depuis, parmi les Hollandais, le nom d’observatoire.

On remit à la voile le 7 juin. La navigation fut dangereuse et pénible jusqu’au 5 août, qu’on découvrit une grande terre que l’on reconnut pour l’île de Java, dont on se croyait fort éloigné.

L’ambassadeur français s’était flatté de se procurer des rafraîchissemens dans la rade de Bantam ; mais les Hollandais, à demi maîtres de cette ville depuis qu’ils avaient prêté leurs forces au jeune roi pour faire la guerre à son père, furent alarmés de voir paraître le pavillon de France, et craignirent pour leur établissement, qu’ils travaillaient alors à affermir. Le gouverneur du fort refusa aux Français la liberté de descendre, et pour adoucir néanmoins un refus dont il n’osait expliquer les raisons, il le pria civilement de se rendre à Batavia, où les deux vaisseaux recevraient tous les secours qu’ils pouvaient attendre de sa nation. Ils mouillèrent le 18 août dans la rade de Batavia, au milieu de dix-sept ou dix-huit gros vaisseaux de la compagnie hollandaise.

Le lundi, 26 août, les deux vaisseaux français sortirent de la rade de Batavia avec un vent favorable : ils eurent le même jour un sujet d’alarme extraordinaire. Entre huit et neuf heures du soir, la nuit étant assez obscure, ils aperçurent tout d’un coup, à deux portées de mousquet un gros navire qui venait sur eux vent arrière. Les gens du principal vaisseau crièrent en vain ; ils ne reçurent point de réponse. Cependant, comme le vent était assez fort, ce navire fut bientôt sur eux. Sa manœuvre leur fit juger d’abord qu’il venait les prendre en flanc, et voyant ses deux basses voiles carguées comme dans le dessein de combattre, ils ne doutèrent point qu’en les abordant il ne leur tirât toute sa bordée. Cette surprise les troubla un peu. Tout le monde se rendit sur le pont. L’ambassadeur voyant ce navire attaché au sien par son mât de beaupré, qui avançait sur le château de poupe, tandis qu’aucun ennemi ne paraissait, jugea qu’on n’avait pas dessein de l’attaquer. Il se contenta de faire tirer quelques coups de mousquet, pour apprendre à des inconnus, dont il admirait l’imprudence, à se tenir plus soigneusement sur leurs gardes. Leur navire endommagea le couronnement du vaisseau français, et se détacha de lui-même sans qu’il parût un seul de leurs matelots. Après quantité de raisonnemens sur cette étrange aventure, elle fut attribuée à quelque méchante manœuvre. Mais, en arrivant à Siam, on apprit d’un navire hollandais, parti de Batavia depuis le départ des deux vaisseaux français, que c’était un vaisseau d’Amsterdam qui venait de Palimban, et dans lequel tout le monde était ivre ou endormi.

Le 5 septembre ils commencèrent à découvrir les terres de l’Asie, vers la pointe de Malacca. Les jésuites, qui étaient au nombre de sept, parce qu’ils avaient amené le père Fuciti de Batavia, « sentirent une joie secrète de voir ces lieux arrosés des sueurs de saint François Xavier, et de se trouver dans ces mers si fameuses par ses navigations et par ses miracles. » On rangea bientôt les côtes de Djohor, de Patane et de Pahan, dont les rois sont tributaires de Siam, et laissent aux Hollandais tout le commerce de leurs états.

Enfin, le 22 septembre, on aperçut l’embouchure de la rivière de Siam, et le lendemain on alla mouiller à trois lieues de la barre qui est à l’entrée. Aussitôt l’ambassadeur dépêcha le chevalier de Forbin, et M. Levacher, missionnaire déjà connu dans le pays, pour porter la nouvelle de son arrivée au roi de Siam et à ses ministres. Le premier ne devait pas passer Bancock, qui est la première place du royaume, sur le bord de la rivière, à dix lieues de l’embouchure, et l’autre devait prendre un ballon, qui est une sorte de bateau fort léger, pour se rendre promptement à la capitale. Le gouverneur de Bancock, Turc de nation, apprenant que l’ambassadeur du roi de France était à la rade, se hâta de faire partir un exprès pour la cour. Mais on y avait déjà reçu cet avis de la côte de Coromandel, par une lettre adressée au seigneur Constance, alors ministre d’état. Tachard éclaircit l’origine et la fortune de ce célèbre aventurier.

Il se nommait proprement Constantin Phaulkon, et c’est ainsi qu’il signait. Il était Grec de nation, né à Céphalonie, d’un noble vénitien, fils du gouverneur de cette île, et d’une fille des plus anciennes familles du pays. La mauvaise conduite de ses parens ayant dérangé leur fortune, il sentit, dès l’âge de douze ans, qu’il n’avait rien d’heureux à se promettre que de son industrie. Il s’embarqua sur un vaisseau anglais qui retournait en Angleterre. Son esprit et l’agrément de ses manières lui firent obtenir quelque faveur à Londres ; mais ne la voyant pas répondre à ses espérances il s’engagea au service de la compagnie d’Angleterre pour passer aux Indes. Après avoir été employé à Siam pendant quelques années, il résolut, avec le peu de bien qu’il avait acquis, de faire le commerce à ses propres frais. Il équipa un vaisseau, qui fut repoussé deux fois, par le mauvais temps, vers l’embouchure de la rivière de Siam, et qui périt enfin par le naufrage sur la côte de Malabar. Constance, n’ayant sauvé que son argent, qui consistait en deux mille écus, seul reste de sa fortune, se coucha sur le rivage, accablé de tristesse, de fatigue et, de sommeil. « Alors, soit qu’il fût endormi ou qu’il eût les yeux ouverts, car il a protesté plus d’une fois au père Tachard qu’il l’ignorait lui-même, il crut voir une personne pleine de majesté, qui, le regardant d’un œil favorable, lui dit avec beaucoup de douceur ; Retourne, retourne sur tes pas. » Ce songe releva son courage. Le lendemain, lorsqu’il se promenait sur le bord de la mer, occupé des moyens de retourner à Siam, il vit paraître un homme dont les habits étaient fort mouillés, et qui s’avança vers lui d’un air triste et abattu : c’était un ambassadeur du roi de Siam, qui, revenant de Perse, avait fait naufrage dans la même tempête, et qui n’avait sauvé que sa vie. La langue siamoise, qu’ils parlaient tous deux, leur servit à se communiquer leurs aventures. Dans l’extrême nécessité où l’ambassadeur était réduit, Constance lui offrit de le reconduire à Siam ; il acheta de ces deux mille écus une barque et des vivres. Ce secours, rendu avec autant de diligence que de générosité, charma l’ambassadeur, et ne lui permit plus de s’occuper que de sa reconnaissance.

En arrivant à Siam, il ne put raconter son naufrage au barcalon, qui est le premier ministre du royaume, sans relever le mérite de son bienfaiteur. La curiosité de voir Constance produisit un entretien qui fit goûter son esprit au barcalon, et la confiance succéda bientôt à l’estime. Ce ministre était fort éclairé, mais ennemi du travail ; il fut ravi d’avoir trouvé un homme habile et fidèle, sur lequel il pût se reposer de ses fonctions ; il en parla même an roi, qui prit par degrés les mêmes sentimens pour Constance : d’heureux événemens servirent à les augmenter. Enfin, le barcalon étant mort, ce monarque résolut de lui donner Constance pour successeur. Il s’en excusa sans autre raison que la crainte de s’attirer l’envie des grands ; mais il offrit de continuer ses services avec le même zèle, et cette modestie donna un nouveau lustre à son mérite. Tachard en réunit tous les traits dans un court éloge ; il lui attribue « de la facilité pour les affaires, de la diligence pour les expédier, de la fidélité dans le maniement des finances, et un désintéressement qui lui faisait refuser jusqu’aux appointemens de sa charge. Tout lui passait par les mains : cependant sa faveur ne l’avait pas changé ; il était d’un accès facile pour tout le monde, doux, affable, toujours prêt à écouter les pauvres et à leur faire justice ; mais sévère pour les grands et pour les officiers qui négligeaient leur devoir. » Il avait embrassé la religion protestante en Angleterre ; ensuite quelques conférences qu’il eut à Siam. avec deux missionnaires jésuites le ramenèrent aux principes de l’église romaine dans lesquels il était né.

Si les Français obtinrent à Siam un accueil aussi favorable qu’ils auraient pu l’espérer chez leurs plus fidèles alliés, il paraît qu’ils en furent redevables à l’estime du seigneur Constance pour leur nation, soit qu’elle vînt de la haute opinion qu’il avait de la France, ou de son goût particulier pour les sciences. Les ordres furent donnés pour recevoir l’ambassadeur avec une distinction extraordinaire ; il fut complimenté par les principaux seigneurs du royaume ; Constance alla marquer lui-même, dans la ville de Siam, la maison où l’ambassadeur devait être reçu, et fit bâtir dans le voisinage divers appartemens pour loger les gentilshommes de sa suite. On éleva de cinq en cinq lieues, sur le bord de la rivière, des maisons fort propres et magnifiquement meublées, jusqu’à la Tabanque, qui est à une heure de chemin de la ville de Siam, pour servir à son délassement dans la route. Les ballons de l’état furent préparés avec beaucoup de diligence, et la dépense fut aussi peu épargnée que le travail pour donner tout l’éclat possible à la fête.

Les grands mandarins, qui furent chargés du premier compliment, étant entrés dans le vaisseau de l’ambassadeur, le plus ancien, après l’avoir félicité de son heureuse arrivée, ajouta, suivant les idées de la métempsycose, dont la plupart des Orientaux sont fort entêtés, « qu’il savait bien que son excellence avait autrefois été employée à de grandes affaires, et qu’il y avait plus de mille ans qu’elle était venue de France à Siam pour renouveler l’amitié des rois qui gouvernaient alors ces deux royaumes. » L’ambassadeur, ayant répondu au compliment, ajouta « qu’il ne se souvenait pas d’avoir jamais été chargé d’une si importante négociation, et que c’était le premier voyage qu’il croyait avoir fait à Siam. » En rentrant dans la galère qui les avait apportés à bord, les mandarins écrivirent tout ce qu’ils avaient vu et tout ce qu’on leur avait dit sur le vaisseau français.

Tachard, ayant reçu ordre de prendre les devans avec deux de ses compagnons, se mit avec eux dans une chaloupe qui arriva le soir à l’entrée de la rivière. Sa largeur en cet endroit n’est que d’une petite lieue. Une demi-lieue plus loin, elle se rétrécit de plus de deux tiers ; et de là, sa plus grande largeur n’est que d’environ cent soixante pas. Mais son canal est fort beau et ne manque pas de profondeur. La barre est un banc de vase qui se trouve à l’embouchure, où les plus hautes marées ne donnent pas plus de douze ou treize pieds d’eau. Tachard parle avec admiration de la vue de cette rivière. « Le rivage, dit-il, est couvert des deux côtés de grands arbres toujours verts. Au delà ce ne sont que de vastes prairies à perte de vue et couvertes de riz. Comme les terres que la rivière arrose, jusqu’à une journée au-dessus de Siam, sont extrêmement basses, la plupart sont inondées pendant la moitié de l’année ; et ce débordement régulier est causé par les pluies, qui ne manquent jamais de durer plusieurs mois. C’est à ces inondations que le royaume de Siam est redevable d’une si grande abondance de riz, qu’outre la nourriture de ses habitans, il en fournit à tous les états voisins. Elles donnent aussi la commodité de pouvoir aller en ballon jusqu’au milieu des champs ; ce qui répand de toutes parts une prodigieuse quantité de ces petits bâtimens. On en voit de grands qui sont couverts comme des maisons. Ils servent de logement à des familles entières, et, se joignant plusieurs ensemble, ils forment en divers endroits comme des villages flottans. »

La nuit, qui surprit les trois jésuites, ne les empêcha point de continuer leur voyage. Ils eurent l’agréable spectacle d’une multitude innombrable de mouches luisantes, dont tous les arbres qui bordent la rivière étaient couverts ; on les aurait pris pour autant de grands lustres chargés d’une infinité de lumières, que la réflexion de l’eau, unie alors comme une glace, multipliait à l’infini. Mais, tandis qu’ils étaient occupés de cette vue, ils se trouvèrent tout d’un coup enveloppés d’une prodigieuse quantité de mousquites ou de maringouins, dont l’aiguillon est si perçant, qu’il pénètre au travers des habits. Au point du jour ils découvrirent un grand nombre de singes et de sapajous qui grimpaient sur les arbres, et qui allaient par bandes. Mais rien ne leur parut plus agréable que les aigrettes dont les arbres sont couverts ; il semble de loin qu’elles en soient les fleurs. Le mélange du blanc des aigrettes et du vert des feuilles fait le plus bel effet du monde. L’aigrette de Siam, assez semblable à celle de l’Afrique, est un oiseau de la figure du héron, mais beaucoup plus petit ; sa taille est fine, son plumage beau et plus blanc que la neige ; il a des aigrettes sur le dos et, sous le ventre, qui font sa principale beauté, et dont il tire son nom. Tous les oiseaux champêtres sont d’un plumage admirable : les uns jaunes, d’autres rouges, bleus, verts, et la quantité en est surprenante. Les Siamois, qui croient à la transmigration des âmes, ne tuent point d’animaux, dans la crainte, disent-ils, d’en chasser les âmes de leurs parens qui peuvent s’y être logées.

On ne fait pas une lieue sans rencontrer quelque pagode accompagnée d’un petit monastère de talapoins, qui sont les prêtres et les religieux du pays. Ils vivent en communauté, et leurs maisons sont autant de séminaires où les enfans de qualité reçoivent l’éducation. Pendant que ces enfans demeurent sous la discipline des talapoins, ils portent leur habit, qui consiste en deux pièces de toile de coton jaune, dont l’une sert à les couvrir depuis la tête jusqu’aux genoux ; de l’autre ils se font une écharpe qu’ils passent en bandoulière, ou dont ils s’enveloppent comme d’un petit manteau. On leur rase la tête et les sourcils, comme à leurs maîtres, qui croiraient offenser le ciel et blesser la modestie s’ils les laissaient croître.

Après avoir ramé toute la nuit, les trois jésuites arrivèrent sur les dix heures du matin à Bancok. C’est la plus importante place du royaume, parce qu’elle défend le passage de la rivière par un fort qui est sur l’autre rive. L’un et l’autre côté étaient bien pourvus d’artillerie, mais peu fortifiés. M. de La Marre, ingénieur français, qui fut laissé à Siam, reçut ordre du roi de les fortifier régulièrement.

Depuis Bancok jusqu’à Siam, on rencontre quantité d’aldées ou de villages dont la rivière est bordée. Ce n’est qu’un amas de cabanes élevées sur de hauts piliers pour les garantir de l’inondation : elles sont composées de bambous, arbre dont le bois est d’un grand usage dans toutes les Indes. Le tronc et les grosses branches servent à former les piliers et les solives, et les petites branches à former le toit et les murailles. On voit près de chaque village un bazar ou un marché flottant, dans lequel ceux qui descendent ou qui montent la rivière trouvent toujours leur repas prêt, c’est-à-dire du fruit, du riz cuit, de l’arak, et divers ragoûts à la siamoise, dont les Européens ne peuvent goûter.

Le lendemain, troisième jour d’octobre, Tachard entra dans Siam, sept mois après son départ de Brest. Il se fit conduire d’abord à la maison du père Suarez, le seul jésuite qui fût alors dans cette ville, et de là au comptoir français, où il fut bien reçu par les officiers de la compagnie. Ensuite, rendu au palais que le roi faisait préparer pour l’ambassadeur, il trouva le seigneur Constance, premier ou plutôt unique ministre du royaume, dont le mérite, quoique universellement reconnu, lui parut, dit-il, au-dessus de sa réputation.

Ce palais était une des plus belles maisons de la ville, que le ministre avait fait meubler magnifiquement. Il prit plaisir à faire voir les appartemens au père Taçhard. Entre ceux du premier étage, il y avait deux salles de plain-pied, tapissées de toile peinte très-belle et très-fine. La première était garnie de chaises de velours bleu, et l’autre de velours rouge à franges d’or. La chambre de M. l’ambassadeur était entourée d’un paravent du Japon, d’une beauté singulière ; mais rien n’avait tant d’éclat que la salle du divan. C’était une grande pièce lambrissée, séparée des autres appartemens par une grande cour, et bâtie pour prendre le frais pendant l’été. L’entrée était ornée d’un jet d’eau : le dedans offrait une estrade avec un dais et un fauteuil très-riche. Dans les enfoncemens, on découvrait les portes de deux cabinets qui donnaient sur la rivière, et qui servaient à se baigner. De toutes parts on voyait des porcelaines de toutes sortes de grandeurs, agréablement rangées dans des niches. On entre dans ces détails, parce qu’il peut paraître étonnant de trouver à l’extrémité du monde les inventions utiles et commodes du luxe européen.

Le père Suarez, jésuite portugais, âgé de soixante-dix ans, dont il avait passé plus de trente dans les Indes, n’était point en état de loger ses confrères, parce que son logement n’était composé que d’une chambre et d’un cabinet, tous deux si pauvres et si mal fermés, que les toquets, espèce de lézards fort venimeux, y étaient partout derrière ses coffres et parmi ses meubles. Le seigneur Constance faisait bâtir aussi pour les sept jésuites étrangers sept petites chambres et une galerie pour leurs instrumens. Près de cent ouvriers y étaient occupés, avec deux mandarins qui les pressaient nuit et jour.

Pendant qu’on poussait ces préparatifs avec la dernière ardeur, le roi fit partir deux des principaux seigneurs de sa cour, avec dix mandarins, chacun dans un ballon d’état, pour aller prendre celui qui était destiné à l’ambassadeur, et le conduire à l’entrée de la rivière. Il était magnifique, entièrement doré, long de soixante-douze pieds, mené par soixante-dix hommes de belle taille, avec des rames couvertes de lames d’argent ; la chirole, qui est une espèce de petit dôme placé au centre, était couverte d’écarlate et enrichie de brocart d’or de la Chine, avec des rideaux de même étoffe. Les balustres étaient d’ivoire, les coussins de velours, et le fond était couvert d’un tapis de Perse. Ce ballon était accompagné de seize autres, dont quatre, ornés aussi d’un tapis de pied et de couverture d’écarlate, devaient servir aux gentilshommes de l’ambassade, et les douze autres au reste de l’équipage. Le gouverneur de Bancok s’y joignit avec les principaux mandarins du voisinage ; de sorte que le cortége était d’environ soixante-six ballons lorsqu’il se rendit à l’entrée de la rivière.

Aussitôt que les Français eurent fait leur entrée dans Siam, le seigneur Constance, qui demeurait auparavant dans le quartier des Japonais, vint se loger dans une belle maison qu’il avait près de l’hôtel de l’ambassadeur ; et pendant tout le temps que les Français furent à Siam, il tint table ouverte, non-seulement pour eux ; mais, en leur faveur, pour toutes les autres nations. Sa maison était fort bien meublée. Au lieu de tapisseries, dont les Siamois n’aiment pas l’usage, il avait fait étendre autour du divan un grand paravent du Japon, d’une hauteur et d’une beauté surprenantes. Il entretenait deux tables de douze couverts, qui étaient servies avec autant d’abondance que de délicatesse, et où l’on trouvait toutes sortes de vins d’Espagne, du Rhin, de France, de Céphalonie et de Perse. On y était servi dans de grands bassins d’argent, et le buffet était garni de très-beaux vases d’or et d’argent du Japon fort bien travaillés.

À la cour de Siam, on ne donne jamais que deux audiences aux ambassadeurs, celle de l’arrivée, et celle du congé. Souvent même on n’en accorde qu’une, et toutes les affaires sont remises au barcalon, qui doit en rendre compte au roi. Mais ce prince, pour distinguer cette ambassade de toutes les autres, fit dire à l’ambassadeur que, chaque fois qu’il souhaiterait une audience, il était prêt à la lui donner. En effet, huit ou dix jours après l’audience d’entrée, il lui en donna une seconde, qui fut suivie d’un grand festin. On avait dressé à l’ombre des arbres, dans la première cour du palais, sur le bord d’un canal, une grande table de vingt-quatre couverts, avec deux buffets garnis de très-beaux vases d’or et d’argent du Japon, et plusieurs cassolettes où le précieux bois d’aigle n’était pas épargné. On se mit à table après l’audience, et l’on y fut près de quatre heures. On y servit plus de cent cinquante bassins et une infinité de ragoûts, sans parler des confitures, dont on fait ordinairement deux services. On y but de cinq ou six sortes de vins. Tout y fut magnifique et délicat. Le roi voulut que, pour honorer l’ambassadeur et rendre cette fête plus agréable, les Français fussent servis ce jour-là par les principaux seigneurs de son royaume.

Ce qu’on publiait de la pagode du palais et des idoles dont elle est remplie, ayant donné aux Français la curiosité de les voir, on ne fit pas difficulté de leur accorder cette satisfaction. Après avoir traversé huit ou neuf cours, ils arrivèrent enfin à la pagode : elle est couverte de calin, qui est une espèce de métal fort blanc, entre l’étain et le plomb, avec trois toits l’un sur l’autre ; la porte est ornée, d’un côté, de la figure d’une vache, et de l’autre, d’un monstre extrêmement hideux. Cette pagode est assez longue, mais fort étroite : lorsqu’on y est entré, on n’aperçoit que de l’or ; les piliers, les murailles, le lambris et toutes les figures sont si bien dorées, qu’il semble que tout soit couvert de lames d’or. La forme générale de l’édifice est assez semblable à celle de nos églises : il est soutenu par de gros piliers : on y trouve, en avançant, une espèce d’autel, sur lequel il y a trois ou quatre figures d’or massif, à peu près de la hauteur d’un homme, dont les unes sont debout et les autres assises, les jambes croisées à la siamoise. Au delà est une espèce de chœur où se garde la plus riche et la plus précieuse pagode du royaume : car on donne indifféremment le nom de pagodes aux temples et aux idoles. Cette statue est debout, et touche de sa tête jusqu’au toit ; sa hauteur est de quarante-cinq pieds, et sa largeur de sept ou huit. Tachard assure qu’elle est toute d’or ; mais on ne l’en croira pas : il ajoute, sur le témoignage des habitans, que ce prodigieux colosse a été fondu dans le même lieu où il est placé, et qu’ensuite on a construit le temple. Il a peine à s’imaginer où ces peuples, d’ailleurs assez pauvres, ont pu trouver tant d’or[1], et sa douleur est qu’une seule idole soit plus riche que tous les tabernacles de l’Europe. Aux côtés de la même figure, on en voit plusieurs autres, qui sont aussi d’or et enrichies de pierreries, mais moins grandes.

Cette pagode n’est pas néanmoins la mieux bâtie de Siam, quoiqu’elle soit la plus riche. Tachard en vit une autre dont il donne la description.

À cent pas du palais du roi, vers le midi, est un grand parc fermé de murailles, au milieu duquel s’élève un vaste et haut édifice, bâti en forme de croix, à la manière de nos églises, surmonté de cinq dômes solides et dorés, qui sont de pierre ou de brique, et d’une structure particulière. Le dôme du milieu est beaucoup plus grand que les autres ; et ceux-ci sont aux extrémités sur les travers de la croix. Tout l’édifice est posé sur plusieurs bases ou piédestaux, qui s’élèvent les uns sur les autres, en s’étrécissant par le haut ; de sorte qu’on y monte des quatre côtés par des escaliers raides et étroits, de trente-cinq à quarante marches, chacune de trois palmes, et couvertes de calin comme le toit. Le bas du grand escalier est orné des deux côtés de plus de vingt figures au-dessus de la hauteur naturelle, dont les unes sont d’airain, et les autres de calin, toutes dorées, mais représentant assez mal les

personnages et les animaux dont elles sont l’image. Ce magnifique bâtiment est environné de quarante-quatre grandes pyramides de formes différentes, bien travaillées et rangées avec symétrie sur trois plans différens. Les quatre plus grandes sont sur le plus bas plan, aux quatre coins, posées sur de larges bases : elles sont terminées en haut par un long cône fort délié, très-bien doré, et surmonté d’une aiguille ou d’une flèche de fer dans laquelle sont enfilées plusieurs petites boules de cristal d’inégale grosseur. Le corps de ces grandes pyramides, comme de toutes les autres, est d’une espèce d’architecture qui approche assez de la nôtre, mais trop chargée de sculpture, moins simple, moins proportionnée, et par conséquent moins belle, du moins aux yeux qui n’y sont pas accoutumés. Sur le second plan, qui est un peu au-dessus du premier, s’élèvent trente-six autres pyramides, un peu moins grandes que les premières, rangées en carré sur quatre lignes autour de la pagode, neuf de chaque côté. Elles sont de deux figures différentes : les unes terminées en pointe comme les premières ; les autres arrondies par le haut en campane, de la forme des dômes qui couronnent l’édifice, tellement mêlées, qu’il n’y en a pas deux de suite de la même forme. Au-dessus de celles-ci, dans le troisième plan, quatre autres, qui forment les quatre coins, sont terminées en pointe, plus petites à la vérité que les premières, mais plus grandes que les secondes. Tout l’édifice, avec les pyramides, est renfermé dans une espèce de cloître carré, dont chaque côté a plus de cent vingt pas communs de longueur, sur environ cent pieds de large et quinze de hauteur. Les galeries du cloître sont ouvertes du côté de la pagode ; le lambris est peint et doré à la moresque. Au-dedans des galeries, le long de la muraille extérieure, qui est toute fermée, règne un long piédestal à hauteur d’appui, sur lequel sont posées plus de quatre cents statues d’une très-belle dorure et disposées en très-bel ordre. Quoiqu’elles ne soient que de brique dorée, elles paraissent assez bien faites ; mais elles sont si semblables, que, si leur grandeur n’était pas inégale, on les croirait toutes sorties du même moule. Parmi ces figures, Tachard en compta douze de taille gigantesque ; une au milieu de chaque galerie, et deux à chaque angle, assises, à cause de leur hauteur, sur des bases plates et les jambes croisées. Il eut la curiosité de mesurer une de leurs jambes, à laquelle il trouva la longueur entière d’une toise, depuis le bout du pied jusqu’au genou, le pouce de la grosseur ordinaire du bras, et le reste du corps à proportion. Outre celles-ci, qui sont de la première grandeur, il en vit environ cent autres à demi gigantesques, qui ont quatre pieds depuis l’extrémité du pied jusqu’au genou. Enfin, parmi les premières et les secondes, il en compta plus de trois cents, dont il n’y en a guère qui soient au-dessous de la grandeur naturelle, et toutes dressées sur pied. Il ne parle point d’un grand nombre qui ne sont pas plus grandes que des poupées, et qui sont mêlées entre les autres.

La France, au jugement de Tachard, n’a pas d’édifice où la symétrie soit mieux observée que dans cette pagode, soit pour le corps, soit pour les accompagnemens de l’édifice. Son cloître est flanqué, des deux côtés, en dehors, de seize grandes pyramides arrondies par le haut en forme de dôme, de plus de quarante pieds de hauteur et de plus de douze en carré, disposées sur une même ligne, comme une suite de grosses colonnes, dans le milieu desquelles sont de grandes niches garnies de pagodes dorées. Ce beau spectacle arrêta si long-temps Tachard et tous les Français, qu’ils n’eurent pas le temps de considérer plusieurs autres temples qui étaient proches du premier, ou dans l’enceinte des mêmes murs. On juge à Siam de la noblesse des familles par le nombre des toits dont les maisons sont couvertes. Celle-ci en a cinq les uns sur les autres, et l’appartement du roi en a sept.

Outre le festin du roi et ceux de son ministre, il s’en faisait d’autres à l’occasion des événemens extraordinaires, où les chefs de toutes les nations de l’Europe établies à Siam, c’est-à-dire les Français, les Anglais, les Portugais et les Hollandais, étaient invités. Tachard et ses confrères étaient quelquefois obligés d’y assister. À l’une de ces réjouissances succédèrent plusieurs sortes de divertissemens. Le premier fut une comédie chinoise divisée par actes. Différentes postures hardies et grotesques, et quelques sauts assez surprenans y servirent d’intermèdes. Tandis que les Chinois jouaient la comédie d’un côté, les Laos, qui sont des peuples voisins du royaume de Siam au nord, donnèrent à l’ambassadeur le spectacle des marionnettes des Indes, qui ne sont pas fort différentes des nôtres. Entre les Chinois et les Laos, parut une troupe de Siamois et Siamoises disposés en ronds, qui dansaient d’une manière que Tachard trouva bizarre, c’est-à-dire des mains et des pieds. Quelques voix d’hommes et de femmes qui chantaient un peu du nez, jointes au bruit de leurs mains, réglaient la cadence.

Ces jeux furent suivis de celui des sauteurs, qui montaient sur de grands bambous plantés comme des mâts de quatre-vingts ou cent pieds de hauteur. Ils se tenaient au sommet sur un seul pied, l’autre en l’air. Ensuite, mettant la tête où ils avaient le pied, ils élevaient les deux pieds en haut. Enfin, après s’être suspendus par le menton, qui était seul appuyé sur le haut des bambous, les mains et le reste du corps en l’air, ils descendaient le long d’une échelle droite, passant entre les échelons avec une agilité et une vitesse incroyables. Un autre fit mettre sur une espèce de brancard sept ou huit poignards la pointe en haut, s’assit dessus, et s’y coucha corps nu, sans porter sur d’autre appui ; ensuite il fit monter sur son estomac un homme fort pesant, qui s’y tint debout, sans que toutes ces pointes, qui touchaient immédiatement sa peau, fussent capables de la percer. On voit que ces bateleurs valent bien les nôtres. Le 28 octobre, on publia que le roi devait sortir pour aller faire ses prières à trois lieues de la ville, dans une fameuse pagode, et pour rendre visite au sancra, qui est le chef de la religion et de tous les talapoins du royaume. Autrefois ce monarque faisait dans cette occasion la cérémonie de couper les eaux, c’est-à-dire de frapper la rivière de son poignard au temps de la plus grande inondation, et de commander aux eaux de se retirer. Mais, ayant reconnu que les eaux continuaient quelquefois de monter après avoir reçu l’ordre de descendre, il avait renoncé à ce ridicule usage, et sa piété se réduisait à visiter, comme en triomphe, la pagode et le grand-prêtre. On prépara une galerie sur le bord de la rivière pour donner ce spectacle aux Français. Le seigneur Constance s’y plaça près de l’ambassadeur, et lui expliqua l’ordre de la marche royale. Il voulut que les jésuites fussent aussi présens ; Tachard avoue comme à regret qu’ils étaient forcés à des cérémonies si profanes.

Vingt-trois mandarins du plus bas ordre parurent d’abord chacun dans un ballon dont la chirole était peinte en rouge, et s’avancèrent à la file sur deux lignes, en côtoyant les rives. Ils étaient suivis de cinquante-quatre autres ballons, des officiers du roi, tous assis dans leurs chiroles, dont les unes étaient entièrement dorées, et d’autres seulement par les bords. Chaque ballon avait depuis trente jusqu’à soixante rameurs, et l’ordre qu’ils observaient leur faisait occuper un grand espace. Ensuite venaient vingt autres ballons plus grands que les premiers, au milieu de chacun desquels s’élevait un siège doré et terminé en pyramide. C’étaient les ballons de la garde royale, dont seize avaient quatre-vingts rameurs et des rames dorées. Les rames des quatre autres étaient seulement rayées d’or. Après cette longue file de ballons, le roi parut dans le sien, élevé sur un trône pyramidal et très-bien doré. Ce monarque était vêtu d’un beau brocart d’or, enrichi de pierreries. Il avait un bonnet blanc terminé en pointe, entouré d’un cercle d’or avec des fleurons, et parsemé de pierreries. Son ballon était doré jusqu’à l’eau, et conduit par cent vingt rameurs, qui avaient sur la tête une toque couverte de lames d’or, et sur l’estomac des plastrons ornés de même. Les rayons du soleil donnaient un éclat merveilleux à cette parure. Le porte-enseigne du roi, tout couvert d’or, se tenait debout vers la poupe avec la bannière royale, qui est d’un brocart d’or à fond rouge, et quatre grands mandarins étaient prosternés aux quatre coins du trône. Ce beau ballon était escorté de trois autres de la même forme, qui n’étaient guère moins magnifiques ; mais les toques et les plastrons des rameurs étaient moins riches.

Les Siamois qui étaient rangés sur les deux rives se mirent à genoux d’aussi loin qu’ils aperçurent le roi, et portèrent les mains jointes sur la tête pour saluer ce prince, en touchant la terre du front dans cette posture, et recommençant sans cesse cette salutation jusqu’à ce qu’ils l’eussent perdu de vue. Vingt ballons à chiroles et à rames rayées de lignes d’or suivaient celui du roi, et seize autres, moitié peints, moitié dorés, fermaient toute la marche. Tachard en compta cent cinquante-neuf, dont les plus grands avaient plus de cent vingt pieds de long, mais à peine six pieds dans leur plus grande largeur. Il y avait sur ces Ballons plus de quatorze mille hommes. Au retour, qui fut l’après-midi du même jour, le roi, pour donner de l’émulation aux rameurs y proposa un prix pour ceux qui arriveraient les premiers au palais. Les spectateurs prirent beaucoup de plaisir à leur voir fendre l’eau avec une extrême rapidité, et jeter continuellement des cris de joie ou de tristesse lorsqu’ils gagnaient ou qu’ils perdaient l’avantage. La ville entière et tout le peuple d’alentour assistaient à ce spectacle. Cette foule était rangée vers les rives dans une infinité de ballons qui formaient deux lignes entre la ville et la pagode, c’est-à-dire l’espace d’environ trois lieues. Tachard, après les avoir vu passer, jugea que les ballons étaient au nombre d’environ vingt mille, et qu’ils ne portaient pas moins de cent mille hommes. D’autres Français assurèrent qu’il y avait plus de deux cent mille personnes. Lorsque le roi passa sur la rivière, toutes les fenêtres et les portes des maisons étaient fermées, et les sabords même des navires. Tout le monde eut ordre de sortir, afin que personne ne fût dans un lieu plus élevé que le roi. Ce prince voulut être du combat qu’il avait proposé ; mais, comme son ballon était fourni d’un plus grand nombre de rameurs et des mieux choisis, il remporta bientôt l’avantage, et son ballon rentra victorieux dans la ville.

Huit jours après il sortit encore de son palais avec la reine et toutes ses femmes, pour se rendre à Louvo. C’est une ville à quinze ou vingt lieues de Siam, vers le nord, où ce prince passait les deux tiers de l’année, parce qu’il y était plus libre qu’à Siam, où la politique orientale l’obligeait de se tenir renfermé pour entretenir ses peuples dans le respect et la soumission. Le seigneur Constance, qui avait vu les lettres de mathématiciens que Louis XIV avait accordées aux six jésuites, avait résolu de leur accorder une audience particulière à Louvo. Il les fit avertir de s’y rendre avec leurs instrumens. Deux grands ballons furent envoyés pour prendre leurs bagages, avec un autre à vingt-quatre rameurs pour les porter. Ils partirent le 15 novembre.

À deux lieues de la ville ils rencontrèrent un spectacle nouveau sur une vaste campagne mondée à perte de vue. C’était un convoi funèbre d’un fameux talapoin, chef de la religion des Pégouans. Le corps était renfermé dans un cercueil de bois aromatique élevé sur un bûcher autour duquel quatre grande colonnes de bois doré portaient une haute pyramide à plusieurs étages. Cette espèce de chapelle ardente était accompagnée d’un grand nombre de petites tours de bois assez hautes et carrées, couvertes de carton grossièrement peint et de figures de papier. Elle était environnée d’un enclos de bois carré, sur lequel étaient rangées plusieurs autres tours d’espace en espace. À chacun des quatre coins il y en avait une aussi élevée que la pyramide du milieu, et deux plus petites à chaque côté du carré. Tachard en vit sortir plusieurs fusées volantes. Les quatre grandes tours, posées aux quatre coins du grand carré, étaient jointes par de petites maisons de bois peintes de diverses figures grotesques, de dragons, de singes, de démons cornus, etc. De distance en distance, entre les cabanes, on avait pratiqué des ouvertures pour laisser entrer et sortir les ballons. Les talapoins de Pégou, en très-grand nombre dans leurs ballons, occupaient presque tout l’espace qui était entre le bûcher et le circuit du grand carré. Ils avaient tous l’air grave et modeste, chantant de temps en temps, et quelquefois gardant un profond silence. Une multitude infinie de peuple, hommes et femmes indifféremment, assistaient derrière eux à cette fête mortuaire.

Une fête si nouvelle et si peu attendue fit arrêter quelque temps les Français. Ils ne virent que des danses burlesques et certaines farces ridicules que jouaient les Pégouans et les Siamois sous des cabanes de bambou et de jonc, ouvertes de tous côtés. Comme il leur restait quatre ou cinq lieues à faire, ils ne furent témoins que de l’ouverture du spectacle, qui devait durer jusqu’au soir. Ces honneurs qu’on rend aux morts parmi les Siamois leur donnent un extrême attachement pour leur religion. Les talapoins, que Tachard traite de docteurs fort intéressés, enseignent que plus on fait de dépenses aux obsèques d’un mort, plus avantageusement son âme est logée dans le corps de quelque prince ou de quelque animal considérable. Dans cette persuasion, les Siamois se ruinent souvent pour se procurer de magnifiques funérailles.

Les mathématiciens arrivèrent de bonne heure au logement où ils devaient passer la nuit. Le pays leur avait paru extrêmement agréable. En suivant le canal qui a été creusé dans les terres pour abréger le chemin de Siam à Louvo, ils avaient découvert à perte de vue des campagnes pleines de riz ; et lorsqu’ils étaient entrés dans la rivière, le rivage, bordé d’arbres verts et de villages, avait attaché leurs yeux par la plus agréable variété.

Avant de rentrer dans leurs ballons, les Français voulurent voir un palais du roi qui était voisin du lieu où ils avaient logé. Ils n’en virent que les dehors, parce que le concierge avait ordre de n’en accorder l’entrée à personne. Cet édifice leur parut fort petit. Il est entouré d’une galerie assez basse, en forme de cloître, d’une architecture si irrégulière, que les piédestaux ne sont pas moins hauts que les pilastres. Autour de la galerie règne un balcon assez bas, environné d’une balustrade de pierre à hauteur d’appui. Mais à cent pas de ce palais ils en virent un plus grand et beaucoup plus régulier. Les pilastres extérieurs leur parurent de très-bon goût. Tout l’édifice forme un grand carré de cent cinquante à soixante pas de longueur. Sur les quatre côtés sont élevés quatre grands corps de logis fort exhaussés, bâtis en forme de galerie et couverts d’un double toit arrondi en voûte par le haut. Ces galeries sont ornées en dehors de très-beaux pilastres, avec leurs bases et leurs chapiteaux, dont les proportions approchent beaucoup des nôtres. Tachard conclut de la régularité de ce vieux palais que l’architecte dont il est l’ouvrage devait avoir une grande connaissance de l’architecture de l’Europe. Les galeries ne sont percées que par des portes qui sont au milieu de chaque face. On voit par-dessus d’autres bâtimens plus exhaussés que les premiers, et au milieu de ceux-ci un grand corps de logis qui les surpasse tous, et qui fait avec les autres une fort belle symétrie. C’est le seul édifice du pays auquel les mathématiciens jésuites aient trouvé de la régularité et de la proportion.

De là, ils se rendirent à Louvo, qui est dans une situation très-agréable, et jouit d’un air fort sain. Elle était devenue grande et fort peuplée depuis que le roi y faisait un long séjour. M. de la Marre avait déjà reçu ordre de la fortifier à l’européenne.

L’ambassadeur, qui s’était rendu aussi à Louvo, fut conduit à l’audience, où le roi lui parla des six jésuites qu’il avait amenés, et que le roi de France envoyait, lui dit-il, pour faire leurs observations dans les Indes et pour travailler à la perfection des arts. C’était sous cette idée que le seigneur Constance les avait annoncés à la cour. Pendant l’audience, les jésuites visitèrent les jardins et les dehors du palais. Sa situation est fort belle. Il est placé au bord de la rivière, sur un terrain peu élevé ; l’enceinte en est grande. Tachard n’y vit rien de plus remarquable que deux corps de logis détachés, dont les toits étaient tout éclatans de dorure. Cet éclat provient d’un vernis jaune dont les tuiles sont revêtues, et qui brille autant que de l’or aux rayons du soleil.

Le soir on fit promener l’ambassadeur et toute sa suite sur des éléphans. Dès le jour de sa première audience, on lui avait fait voir dans le palais de Siam l’éléphant blanc, pour lequel on a tant de vénération dans les Indes, et qui avait fait le sujet de plusieurs guerres. Il l’avait trouvé assez petit, et si vieux, qu’il en était ridé : aussi lui dormait-on trois cents ans. Plusieurs mandarins étaient destinés à le servir. On ne lui offrait rien qu’en vaisselle d’or : au moins deux bassins qu’il avait devant lui étaient d’or massif, d’une grandeur et d’une épaisseur extraordinaires. Son appartement était magnifique, et le lambris du pavillon était fort proprement doré. Tachard observe que les moindres éléphans du roi ont quinze hommes qui les servent par quartier ; que d’autres en ont vingt, vingt-cinq, trente et quarante, selon leur rang, et que l’éléphant blanc en a cent. On a peine à ne pas croire cette remarque un peu exagérée, lorsqu’il ajoute que le seigneur Constance lui a dit que le roi n’a pas moins de vingt mille éléphans dans son royaume, sans compter les sauvages qui sont dans les bois et dans les montagnes. On en prend quelquefois, assura-t-il, jusqu’à cinquante, soixante, et quatre-vingts même à la fois dans une seule chasse.

Messieurs de l’académie royale des sciences avaient recommandé aux six jésuites d’examiner si tous les éléphans avaient des ongles aux pieds. Tachard n’en vit pas un seul qui n’eût cinq ongles à chaque pied, c’est-à-dire à l’extrémité des cinq gros doigts ; mais leurs doigts sont si courts, qu’à peine sortent-ils de la masse du pied. Il remarque qu’ils n’ont pas, à beaucoup près, les oreilles si grandes qu’on les dépeignait alors. Il en vit plusieurs qui avaient les dents d’une beauté et d’une longueur admirables. Elles sortaient à quelques-uns plus de quatre pieds hors de la bouche, et d’espace en espace elles étaient garnies de cercles d’or, d’argent et de cuivre. Dans une maison de campagne du roi, à une lieue de Siam, sur la rivière, il vit un petit éléphant blanc qu’on destinait pour successeur à celui qui était dans le palais. On l’élevait avec des soins extraordinaires. Plusieurs mandarins étaient attachés à son service ; et les égards qu’on avait pour lui s’étendaient jusqu’à sa mère et à sa tante, qu’on nourrissait avec lui. Sa grosseur était à peu près celle d’un bœuf. C’était le roi de Camboia qui en avait fait présent au roi de Siam depuis deux ou trois ans, en lui faisant demander du secours contre un sujet rebelle qui était soutenu par le roi de la Cochinchine.

Enfin, le 22 novembre, les mathématiciens jésuites furent avertis que le roi voulait leur accorder le même jour une audience particulière. Ce fut le seigneur Constance qui leur fit l’honneur de les conduire au palais vers quatre heures après midi. Il leur fit traverser trois cours dans lesquelles ils virent des deux côtés plusieurs mandarins prosternés. En arrivant dans la cour la plus intérieure, ils trouvèrent un grand tapis sur lequel ce ministre leur dit de s’asseoir. Ils n’avaient pas d’habits de cérémonie ; on ne les obligea pas même de se déchausser : ce qu’on leur fit regarder comme une grande marque de distinction. Aussitôt qu’ils furent assis, le roi, qui allait sortir pour voir un combat d’éléphans, dont il voulait donner le plaisir à l’ambassadeur, monta sur le sien qui l’attendait à la porte de son appartement ; et remarquant les jésuites à dix ou douze pas de lui, il s’avança vers eux.

Le père Fontenay, supérieur de ses confrères, avait préparé un compliment. Mais le seigneur Constance, voyant le roi pressé, parla pour eux à ce prince, qui les regarda les uns après les autres d’un visage riant et plein de bonté. Son âge était d’environ cinquante-cinq ans, sa taille un peu au-dessous de la médiocre, mais fort droite et bien prise. Il répondit au discours de son ministre « qu’ayant su que le roi de France envoyait les six jésuites à la Chine pour de grands desseins, il avait désiré de les voir et de leur dire de bouche que, s’ils avaient besoin de quelque chose, soit pour le service du roi leur maître, soit pour leur propre usage, il avait donné ordre qu’on leur fournît tout ce qui leur serait nécessaire. »

Les jésuites n’eurent le temps de répondre à cette faveur que par des remercimens respectueux et de profondes inclinations. Le roi continua son chemin ; et passant de cette cour dans une autre au milieu d’une haie de mandarins prosternés devant lui, le front contre terre et dans un grand silence, il trouva près de la première porte du palais les chefs des compagnies marchandes de l’Europe, déchaussés, à genoux et appuyés sur leurs coudes, auxquels il donna une courte audience.

Le jour même de l’audience, le roi devait faire voir à l’ambassadeur un combat d’éléphans. Il avait donné ordre qu’on en préparât six pour les six jésuites qu’il voulait voir présens à ce spectacle. Le seigneur Constance leur donna un mandarin pour les conduire. Ils trouvèrent, en sortant du palais, six éléphans avec leurs chaises dorées et des coussins fort propres. Chacun s’étant approché du sien, Tachard décrit la manière dont on les y fit monter. Le pasteur (c’est le nom qu’on donne à celui qui est sur le cou de l’éléphant pour le gouverner) fit mettre l’animal à genoux, et le fit ensuite coucher sur le côté, de sorte qu’on pouvait poser le pied sur une des jambes de devant qu’il avançait, et de là sur son ventre ; après quoi, se redressant un peu, il donnait le temps de s’asseoir commodément dans la chaise qu’il porte sur le dos. On peut aussi se servir d’échelles pour se mettre à sa hauteur ; c’est pour la commodité des étrangers, qui ne sont pas accoutumés à cette monture, qu’on met des chaises sur le dos de ces animaux. Les naturels du pays, de quelque qualité qu’ils soient, à l’exception du roi, montent sur le cou, et les conduisent eux-mêmes. Cependant, lorsqu’ils vont à la guerre ou à la chasse, ils ont deux pasteurs, l’un sur le cou, l’autre sur la croupe de l’éléphant, et le mandarin est au milieu du dos, armé d’une lance ou d’une espèce de javelot. Tachard remarqua dans une chasse, que le roi, qui était sur une espèce de trône porté par son éléphant, se leva sur ses pieds lorsque les éléphans sauvages voulurent forcer le passage de son côté, et se mit sur le dos du sien pour les arrêter.

Les jésuites suivirent le roi dans une grande plaine à cent pas de la ville : ce monarque avait l’ambassadeur à sa droite, éloigné de quinze ou vingt pas, le seigneur Constance à sa gauche, et quantité de mandarins autour de lui, prosternés par respect aux pieds de son éléphant. On entendit d’abord des trompettes, dont le son est fort dur et sans inflexion ; alors les deux éléphans destinés pour combattre jetèrent des cris horribles : ils étaient attachés par les pieds de derrière, avec de grosses cordes que plusieurs hommes tenaient pour les retirer, si le choc devenait trop rude. On les laisse approcher de manière que leurs défenses se croisent sans qu’ils puissent se blesser. Ils se choquent quelquefois si rudement, qu’ils se brisent les dents, et qu’on en voit voler les éclats. Mais ce jour-là le combat fut si court, qu’on crut que le roi ne l’avait ordonné que pour se procurer l’occasion de faire avec plus d’éclat un présent à M. de Vaudricour, qui avait amené les deux mandarins siamois, et qui devait conduire ces ambassadeurs en France. À la fin du spectacle, le roi s’approcha de lui, et lui donna de sa main un sabre, dont la poignée était d’or massif, et le fourreau d’écaille de tortue, orné de cinq lames d’or, avec une grande chaîne de filigrane d’or pour lui servir de baudrier, et une veste de brocart à boutons d’or. Cette sorte de sabre ne se donne, à Siam, qu’aux généraux d’armée, lorsqu’ils partent pour aller à la guerre. M. de Joyeux, capitaine de la frégate française, reçut un présent de la même nature, mais moins magnifique.

La plupart des jours que le roi passa au palais de Louvo furent employés en spectacles. Tachard et ses confrères furent obligés d’assister à celui des éléphans contre un tigre, toujours sur la même monture, pour ne pas scandaliser les talapoins, qui se font un crime de monter à cheval.

On avait élevé hors de la ville une haute palissade de bambous, d’environ cent pieds en carré. Au milieu de l’enceinte étaient trois éléphans destinés à combattre le tigre ; ils avaient une espèce de plastron en forme de masque, qui leur couvrait la tête et une partie de la trompe. Aussitôt que les spectateurs furent placés, on fit sortir de la loge qui était dans l’enfoncement un tigre d’une figure et d’une couleur qui parurent nouvelles aux Français : outre qu’il était beaucoup plus grand, plus gros, et d’une taille moins effilée que ceux qu’ils avaient vus en France, sa peau n’était pas mouchetée ; mais, au lieu de toutes les taches semées sans ordre, il avait de longues et larges bandes en forme de cercles : ces bandes, prenant sur le


dos, se rejoignaient par-dessous le ventre, et, continuant le long de la queue, y formaient comme des anneaux blancs et noirs, placés alternativement. La tête n’avait rien d’extraordinaire, non plus que les jambes, excepté qu’elles étaient plus grandes et plus grosses que celles des tigres communs, quoique ce ne fût qu’un jeune tigre qui pouvait croître encore. Le seigneur Constance dit aux jésuites qu’il s’en trouvait dans le royaume de trois fois plus gros, et qu’étant un jour à la chasse avec le roi, il en avait vu un qui était de la grandeur d’un mulet ; c’est une espèce particulière ; car le pays en produit aussi de petits, tels que ceux qu’on apporte d’Afrique en Europe ; et Tachard en vit un le même jour à Louvo.

On ne lâcha pas d’abord le tigre qui devait combattre ; mais on le tint attaché par deux cordes ; de sorte que, n’ayant pas la liberté de s’élancer, le premier éléphant qui l’approcha lui donna deux ou trois coups de sa trompe sur le dos. Ce choc fut si rude, que le tigre en ayant été renversé, demeura quelque temps sur la place, avec aussi peu de mouvement que s’il eût été mort. Cependant, lorsqu’on l’eut délié, il fit un cri horrible, et voulut se jeter sur la trompe de l’éléphant qui s’avançait pour le frapper : celui-ci, la repliant adroitement, la mit à couvert par ses défenses, dont il atteignit le tigre, et qui lui firent faire un grand saut en l’air. Cet animal parut étourdi du coup ou de sa chute : n’osant plus s’approcher, il fit plusieurs tours le long de la palissade, et quelquefois il s’élançait vers les spectateurs qui paraissaient dans les galeries. Alors on poussa contre lui les trois éléphans, qui lui donnèrent tour à tour de si rudes coups, qu’il fit encore une fois le mort : ils l’eussent tué sans doute, si l’ambassadeur n’eût demandé grâce pour lui.

Le lendemain au soir, il se fit au palais une grande illumination, qui se renouvelle tous les ans : elle consistait en dix-huit cents ou deux mille lumières, dont les unes étaient rangées sur de petites fenêtres pratiquées exprès dans les murs de l’enceinte, et les autres dans des lanternes, dont Tachard admira l’ordre et la forme, surtout celle de certains grands falots, en forme de globes, qui sont d’un seul morceau de corne transparente comme le verre. Ce spectacle était accompagné du son des tambours, des fifres et des trompettes. Pendant que le roi l’honorait de sa présence, la princesse en donnait un semblable aux dames de la cour, d’un autre côté du palais.

Le seigneur Constance fit voir aux jésuites l’éléphant prince, qui était d’une beauté et d’une grosseur ordinaires ; on lui donnait ce nom, parce qu’il était né le même jour que le roi. Ils virent aussi l’éléphant de garde qu’on relève chaque jour dans un pavillon voisin de l’appartement du roi, et qu’on tient prêt jour et nuit pour son usage.

Le roi ayant fait connaître à l’ambassadeur de France qu’il souhaitait que l’observation de la première éclipse se fît en sa présence, on choisit pour le travail une maison royale nommée Tlée-poussonne, à une petite lieue à l’est de Louvo, et peu éloignée d’une forêt où sa majesté devait prendre le divertissement de la chasse des éléphans. Le 10, ce prince invita l’ambassadeur à voir les illuminations qui se faisaient pour cette chasse, et voulut que les six jésuites assistassent aussi à ce spectacle. Tachard en fait la description.

« Un corps d’environ quarante-six mille hommes avait formé dans les bois et sur les montagnes une enceinte de vingt-six lieues en carré long, dont les deux grands côtés étaient chacun de dix lieues, et les deux autres de trois. Cette vaste étendue était bordée de deux rangs de feux qui régnaient sur deux lignes, l’une à quatre ou cinq pas de l’autre, et qu’on entretient toute la nuit du bois de la forêt ; ils sont soutenus en l’air à la hauteur de sept ou huit pieds, sur de petites plates-formes carrées, élevées sur quatre pieux, ce qui les fait découvrir tous à la fois. Ce spectacle parut à Tachard, pendant les ténèbres, la plus belle illumination qu’il eut jamais vue. De grandes lanternes, disposées d’espace en espace, faisaient la distinction des quartiers, qui étaient commandés par différens chefs, avec un certain nombre d’éléphans de guerre et de chasseurs armés comme les soldats. On tirait par intervalles de petites pièces de campagne, pour étonner tout à la fois par le bruit et par la vue des feux les éléphans qui voudraient forcer le passage : l’oubli de cette précaution avait fait manquer une chasse précédente. Comme il s’était trouvé dans l’enceinte une montagne escarpée, on avait négligé d’y placer des feux, des gardes et de l'artillerie, parce qu’on l’avait crue inaccessible à des animaux d’une énorme grosseur ; mais dix ou douze s’étaient échappés avec une adresse fort singulière : ils s’étaient servis de leurs trompes pour s’attacher à un des arbres qui étaient sur la pente de la montagne. Du premier arbre, ils s’étaient guindés au tronc d’un autre ; et grimpant ainsi d’arbre en arbre, ils étaient parvenus avec des efforts incroyables jusqu’au sommet de la montagne, d’où ils s’étaient sauvés dans les bois. »

Après une collation magnifique de confitures, et de toutes sortes de fruits, qui fut servie dans un lieu fort agréable, autour duquel on avait placé des éléphans de guerre et des feux pour garantir les Français des tigres et des autres animaux féroces qui pouvaient se trouver dans l’enceinte, le seigneur Constance mena les jésuites au château de Tlée-poussonne où le roi s’était déjà rendu pour assister à l’observation de l’éclipse. Ils arrivèrent à neuf heures du soir, au bord d’un canal qui conduit au château, où ils étaient attendus par un ballon du roi. Ce canal est fort large, et long de plus d’une lieue ; il était éclairé sur les deux rives d’une infinité de feux élevés comme ceux qu’on a décrits. À un demi-quart de lieue du château, les rameurs, qui avaient nagé jusqu’alors avec beaucoup de force et de bruit, commencèrent à ramer si doucement, qu’on n’entendait presque pas le bruit de leurs rames. On avertit les jésuites qu’il fallait se taire ou parler fort bas. Lorsqu’ils descendirent au rivage, tout était si tranquille, malgré la multitude de soldats et de mandarins qui se trouvaient aux environs, qu’ils se crurent dans une solitude écartée. Ils s’occupèrent d’abord à disposer leurs lunettes sur divers appuis qu’on avait élevés dans cette vue ; mais, n’ayant pas eu besoin de donner beaucoup de temps à ce travail, ils se rembarquèrent une heure après pour aller passer le reste de la nuit dans la maison du seigneur Constance, qui était à cent pas du palais.

On leur laissa trois ou quatre heures de repos, après lesquelles ils s’embarquèrent pour se rendre à la galerie où devait se faire l’observation : il était près de trois heures après minuit. Les mathématiciens, à leur arrivée, préparèrent une fort bonne lunette de cinq pieds, dans la fenêtre d’un salon qui donnait sur la galerie. On avertit le prince, qui vint aussitôt à cette fenêtre. Ses mathématiciens étaient assis sur des tapis de Perse, les uns aux lunettes d’approche, les autres à la pendule ; d’autres devaient écrire le temps de l’observation. Ils saluèrent le monarque de Siam par une profonde inclination, et chacun commença son travail.

Le roi parut prendre un vrai plaisir à voir dans la lunette toutes les taches de la lune, surtout lorsqu’on lui fit remarquer leur conformité avec le type qu’on en avait fait à l’Observatoire de Paris. Il fit diverses questions : pourquoi la lune paraissait renversée dans la lunette ; pourquoi l’on voyait encore la partie de la lune qui était éclipsée ; quelle heure il était à Paris ; à quoi des observations faites de concert dans des lieux si éloignés pouvaient être utiles, etc. Tandis qu’on satisfaisait sa curiosité par des explications, un de ses principaux officiers apporta sur un grand bassin d’argent six soutanes et autant de manteaux de satin, dont le roi fit présent aux mathématiciens. Il leur permit de se lever et de se tenir debout en sa présence. Il regarda dans la lunette après eux : toutes faveurs, remarque Tachard, qui doivent paraître fort singulières à ceux qui savent avec quel respect les rois de Siam veulent qu’on approche d’eux.

Tachard n’oublie pas un crucifix d’or massif que le roi de Siam lui donna pour le père de La Chaise, et un de tombac, qu’il reçut lui-même de sa majesté.

Un astrologue bramine, qui était à Louvo, avait prédit la même éclipse à un quart d’heure près ; mais il s’était considérablement trompé en soutenant que l’émersion ne paraîtrait sur l’horizon qu’après le lever du soleil. Tachard regrette de n’avoir pas entendu la langue siamoise, pour savoir de ce bramine la manière dont il calculait les éclipses ; mais il conclut du moins de ses observations qu’il n’était pas du sentiment des talapoins siamois, qui enseignent que, lorsque la lune s’éclipse, un dragon la dévore et la rejette ensuite. Quand on leur objecte que les mathématiciens de l’Europe prédisent l’instant même de l’éclipse, sa grandeur, sa durée, et qu’ils savent pourquoi la lune est quelquefois éclipsée toute entière, quelquefois à demi, ils répondent froidement que le dragon a ses repas réglés, que les Européens en connaissent l’heure, et la mesure de son appétit, qui est quelquefois plus grand ou plus petit ; et c’est ainsi qu’on répond à tout.

Il restait à prendre les éléphans qu’on tenait renfermés dans l’enceinte, et le roi voulut que les mathématiciens le suivissent à cette chasse. Le jour même des observations, ils partirent à sept heures du matin. On s’enfonça dans les bois l’espace d’une lieue, jusqu’à l’enclos où les éléphans sauvages avaient été resserrés. C’était un parc carré de trois ou quatre cents pas géométriques, dont les côtés étaient fermés par de gros pieux, avec de grandes ouvertures néanmoins qu’on avait laissées de distance en distance. Il s’y trouvait quatorze éléphans de guerre pour empêcher les sauvages de franchir les palissades. Les six jésuites étaient placés derrière cette haie et fort près du roi. Dans la troupe d’éléphans sauvages il s’en trouva deux ou trois fort jeunes et fort petits. Le roi dit à l’ambassadeur qu’il en enverrait un à M. le duc de Bourgogne ; mais, faisant réflexion que M. le duc d’Anjou pourrait souhaiter aussi d’en avoir un, il ajouta qu’il voulait lui en envoyer un plus petit, afin qu’il n’y eût point de jalousie entre ces deux princes.

Les Français partirent de Siam le 14 décembre, accompagnés du seigneur Constance, qui voulut suivre l’ambassadeur jusqu’à la barre avec de nouvelles marques d’honneur. Outre la lettre du roi son maître, qu’il fit apporter pompeusement au vaisseau français, il chargea le père Tachard de celle qu’il écrivait lui-même au roi de France, et lui fit présent d’un chapelet composé du bois précieux de Calambac, dont la croix et les gros grains étaient de tombac.

Il ne restait qu’à mettre à la voile. M. le chevalier de Forbin, et M. de la Marre, ingénieur, étant demeurés volontairement au service du roi de Siam, l’ambassadeur partait avec la satisfaction de n’avoir pas perdu un seul homme pendant le séjour qu’il avait fait dans les états de ce prince ; et deux ambassadeurs siamois qu’il menait en France avec leur suite rendirent témoignage, dans toute sa route, de la considération extraordinaire avec laquelle il avait été reçu d’une des premières puissances de l’Inde.

Nous tirerons encore quelques particularités d’un second voyage du père Tachard, qui n’était revenu en France que pour demander au roi, de la part du roi de Siam, douze mathématiciens jésuites ; faveur qu’il obtint facilement de Louis XIV.

La flotte destinée à conduire les ambassadeurs siamois et les mathématiciens était composée de six vaisseaux.

Le célèbre Cassini avait averti les pères, avant leur départ, qu’il y aurait une éclipse de soleil le onzième de mai, et qu’elle serait même totale aux îles du Cap-Vert et en Guinée. On ne s’était pas mis en peine de la calculer pendant le voyage, parce qu’on espérait alors être à la hauteur du cap de Bonne-Espérance, où l’on ne croyait pas que l’éclipse fût sensible. Il paraissait que la latitude de la lune devait être trop australe. Cependant les ambassadeurs siamois, dont la curiosité pour ces phénomènes va jusqu’à la superstition, prièrent les jésuites de la calculer pour l’amour d’eux. Le père Comilh eut cette complaisance, quoique fort incommodé du voyage. Son travail lui devint d’autant plus agréable, que, malgré l’opinion qu’on en avait eue, il trouva par son opération qu’en effet le corps du soleil paraîtrait considérablement éclipsé vers la hauteur de vingt-trois degrés du sud, et à trois cent cinquante-huit degrés de longitude, où l’on croyait être actuellement. L’expérience vérifia ses calculs le jour même de l’éclipse, qui fut observée aussi soigneusement qu’il fut possible dans le mouvement continuel du navire. Les ambassadeurs siamois en conçurent une haute estime pour l’astronomie européenne, et les pilotes se confirmèrent dans l’estime de leur longitude, qui se trouva fort juste, par l’arrivée de la flotte au cap de Bonne-Espérance.

On avait recommandé aux pères de s’éclaircir d’une particularité curieuse, qui regardait la montagne de la Table, où M. Thévenot prétendait, quoique sur le témoignage d’autrui, que la mer avait autrefois passé, et qu’on trouvait beaucoup de coquillages. Deux jésuites entreprirent de découvrir la vérité de cette remarque. Leur espérance était aussi de trouver des plantes extraordinaires sur cette montagne, sans compter qu’ils voulaient lever la carte du pays qu’elle domine de tous côtés.

« Nous nous mîmes en chemin, écrit le père de Bèze, avec deux de nos gens. Quelques autres avaient tenté sans succès la même entreprise. Du pied de la montagne nous vîmes une grande quantité d’eau, qui tombe comme en cascade le long du roc, dont la hauteur est fort escarpée. Toutes ces eaux ramassées formaient une rivière considérable ; mais la plupart vont se perdre dans la terre, au pied de la montagne, et le reste se réunit en deux autres gros ruisseaux, qui font tourner des moulins près des habitations hollandaises. Elles n’ont pas d’autre origine que les nuages, qui, rencontrant dans leur passage le sommet de cette haute montagne fort échauffée des rayons du soleil, se résolvent en eau, et tombent ainsi de tous côtés. Il y aurait les plus belles observations du monde à faire là-dessus. En approchant de la hauteur, nous entendîmes un grand bruit de singes qui en font leur retraite, et qui faisaient rouler du haut en bas d’assez grosses pierres, dont le choc retentissait entre les rochers.

» Notre guide, qui n’était jamais monté si haut, en fut fort surpris, et me dit qu’il y avait sur la montagne des animaux plus gros que des lions, qui dévoraient les hommes. Je m’aperçus bientôt que c’était la peur et la fatigue qui le faisaient parler, je l’encourageai, et nous continuâmes notre route avec une difficulté extrême. Nous vîmes bientôt quantité de singes qui bordaient le haut de la montagne ; mais ils disparurent lorsqu’ils nous virent monter vers eux, et nous ne trouvâmes que leurs vestiges.

» Le sommet de la montagne est une grande esplanade d’environ une lieue de tour, presque toute de roc et fort unie, excepté qu’elle se creuse un peu dans le milieu, qui offre une belle source, formée apparemment par d’autres eaux qui viennent des endroits de l’esplanade les plus élevés. Nous vîmes aussi quantité de plantes odoriférantes qui croissent entre les rochers ; mais je ne trouvai rien de plus beau que les vues de cette montagne, que je fis dessiner. D’un côté, on voit la baie du cap et toute la rade ; de l’autre, la mer ; du troisième, le cap False ; et du quatrième, le continent de l’Afrique, où les Hollandais ont diverses habitations. Je fis creuser la terre, pour satisfaire la curiosité de M. Thévenot. Elle est fort noire, et remplie d’un mélange de sable et de petites pierres blanches. »

Ce fut le 27 du mois de septembre qu’on mouilla l’ancre à l’embouchure du Ménam, ou rivière de Siam. Tachard, chargé des instructions de messieurs les envoyés, se mit dans un ballon avec le père d’Espagnac , qui parlait fort bien la langue portugaise, et un gentilhomme de M. de la Loubère, qui portait une lettre au seigneur Constance de la part de ce ministre. Il était accompagné aussi d’un mandarin, que les ambassadeurs siamois envoyaient à la cour pour annoncer leur arrivée. Quoique ce mandarin ne fût pas des plus considérables du royaume, il était du palais ; et l’honneur qu’il avait de paraître quelquefois devant le roi lui fit rendre de grands honneurs sur sa route.

« Je n’omettrai pas, dit Tachard, une circonstance assez particulière, qui fera connaître une partie du caractère et de l’éducation des Siamois. Tandis que notre mandarin recevait les respects des habitans de la première tabanque, je m’informai en langue du pays de la santé du roi de Siam. À cette demande, chacun regarda son voisin, comme étonné de ma demande, et personne ne me fit de réponse. Je crus manquer à la prononciation ou à l’idiome même des gens de cour. Je m’expliquai en portugais par un interprète ; mais je ne pus rien tirer du gouverneur, ni d’aucun de ses officiers. À peine osaient-ils prononcer entre eux et fort secrètement le nom du roi. Quand je fus arrivé à Louvo, je racontai à M. Constance l’embarras où je m’étais trouvé en demandant des nouvelles du roi de Sîam, sans avoir pu obtenir aucune réponse : J’ajoutai que le trouble de ceux auxquels je m’étais adressé, et la peine qu’ils avaient eue à me répondre, m’avaient causé beaucoup d’inquiétude, dans la crainte qu’il ne fut arrivé à la cour quelque changement considérable. Il me répondit qu’on avait été fort étonné de mes questions, parce qu’elles étaient contraires aux usages des Siamois, auxquels il est si peu permis de s’informer de la santé du roi leur maître, que la plupart ne savent pas même son nom propre : et que ceux qui le savent n’oseraient le prononcer ; qu’il n’appartient qu’aux mandarins du premier ordre de prononcer un nom qu’ils regardent comme une chose sacrée et mystérieuse ; que tout ce qui se passe au dedans du palais est un secret impénétrable aux officiers du dehors, et qu’il est rigoureusement défendu de rendre public ce qui n’est connu que des personnes attachées au service du roi dans l’intérieur du palais ; que la manière de demander ce que je voulais savoir était de m’informer du gouverneur si la cour était toujours la même, et si depuis un certain temps il n’était rien arrivé d’extraordinaire au palais ou dans le royaume ; qu’alors, si on m’avait répondu qu’il n’était arrivé aucun changement, c’eût été m’assurer que le roi et ses ministres étaient en parfaite santé ; mais qu’au contraire, si la face du gouvernement eût été changée par quelque révolution, on n’eût pas fait difficulté d’en parler, parce qu’après la mort des rois de Siam, tout le monde indifféremment peut apprendre et prononcer leur nom. »

À peine l’escadre eut-elle mouillé, que les ambassadeurs siamois, impatiens d’aller rendre compte de leur négociation, demandèrent d’être mis à terre. Ils partirent dès le lendemain, au bruit des décharges du canon qu’on tira de tous les vaisseaux. Ils se rendirent d’abord auprès du seigneur Constance, pour savoir de lui quand ils auraient l’honneur de paraître devant le roi ; car, avant d’avoir expliqué à leur souverain tout ce qu’ils avaient fait en Europe, il ne leur était pas permis de retourner dans leurs familles sans une permission expresse, qui ne s’accorde pas facilement. Les ambassadeurs de Siam observent religieusement cette coutume, non-seulement quand ils arrivent à Siam, au retour de leur ambassade, mais lorsqu’ils doivent partir de leur pays pour se rendre dans une cour étrangère. Aussitôt que le roi leur a donné ses premiers ordres, ils ne peuvent plus entrer dans leurs maisons sous aucun prétexte. De même, en arrivant dans les cours où ils sont envoyés, il ne leur est pas permis d’assister aux cérémonies, ni aux assemblées publiques avant qu’ils aient reçu audience du prince. Ceux qui revenaient sur l’escadre avaient observé cet usage en France. Lorsqu’ils virent leur ministre, ils se prosternèrent à ses pieds en lui demandant s’ils avaient eu le bonheur de contenter sa majesté et son excellence. Après leur avoir témoigné la satisfaction qu’on avait d’eux, il voulut savoir en général ce qu’ils pensaient de ce qu’ils avaient vu, et surtout du monarque auquel ils avaient eu l’honneur d’être envoyés. « Ils répondirent, suivant les expressions de Tachard, qu’ils avaient vu des anges, non pas des hommes ; et que la France n’était pas un royaume, mais un monde. Ils étalèrent ensuite d’un air touché, la grandeur, la richesse, la politesse des Français ; mais ils ne purent retenir leurs larmes quand ils parlèrent de la personne du roi, dont ils firent le portrait avec tant d’esprit, que M. Constance avoua qu’il n’avait rien entendu de plus spirituel. » Le style des jésuites est toujours le même quand il est question de Louis XIV.

Nous trouvons dans une lettre du père Fontenay, datée de Louvo, le 12 mai 1681, quelques détails curieux sur des mines d’aimant qu’il avait visitées. Nous omettons quelques circonstances peu importantes pour venir à l’objet principal de son récit.

« Après avoir fait six ou sept mille toises de chemin vers l’orient, nous arrivâmes au village de Ban-Soan, composé de dix à douze maisons ; ses environs sont pleins de mines de fer : on y voit une méchante forge, où chaque habitant est obligé de fondre tous les ans un pic, c’est-à-dire cent vingt-cinq livres de fer pour le roi. Toute la forge consistait en deux ou trois fourneaux qu’ils remplissent ; ensuite ils couvrent la mine de charbon, et le charbon venant peu à peu à se réduire en cendres, la mine se trouve au fond dans une espèce de boule. Les soufflets dont ils se servent sont assez singuliers : ce sont deux cylindres de bois creusés, de sept à huit pouces de diamètre ; chaque cylindre a son piston de bois, entouré d’une pièce de toile roulée qui est attachée au bois du piston avec de petites cordes. Un homme seul, élevé sur un petit banc, s’il en est besoin, prend un de ces pistons de chaque main par un long manche, pour les baisser et les lever l’un après l’autre ; le piston qu’il élève laisse entrer l’air, parce que le haut du cylindre est un peu plus large que le bas ; le même, quand on le baisse, le pousse avec force dans un canal de bambou qui aboutit au fourneau.

» Nous partîmes de grand matin pour aller à la mine ; elle est à l’orient d’une assez haute montagne nommée Caou-Petquedec, dont elle est si proche, qu’elle y paraît comme attachée ; elle paraît divisée en deux roches, qui apparemment sont unies sous terre. La grande, dans toute sa longueur, qui s’étend de l’orient à l’occident, peut avoir vingt-quatre ou vingt-cinq pas géométriques, et quatre ou cinq du midi au septentrion ; dans sa plus grande hauteur elle a neuf ou dix pieds. La petite, qui est au nord de la grande, dont elle n’est éloignée que de sept à huit pieds, a trois toises de long, peu de hauteur et de largeur ; elle est d’un aimant bien plus vif que l’autre ; elle attirait avec une force extraordinaire les instrumens de fer dont on se servait. On fit tous les efforts possibles pour en détacher, mais sans succès, parce que les instrumens de fer, qui étaient fort trempés, s’étaient aussitôt rebouchés. On fut obligé de s’attacher à la grande, dont on eut beaucoup de peine à rompre quelques morceaux qui avaient de la saillie, et qui donnaient de la prise au marteau ; cependant on en tira quelques bonnes pièces, et nous ne doutâmes point qu’il ne s’en trouvât d’excellentes, si l’on fouillait un peu avant dans la mine. Autant qu’on en peut juger par les morceaux de fer qu’on y appliquait, les pôles de la mine regardaient le midi et le nord, car on n’eût pu rien connaître par la boussole dont l’aiguille s’affolait aussitôt qu’elle en était approchée.

» Nos observations furent faites avec précipitation. La disette des vivres et le voisinage des bêtes féroces nous obligèrent de nous retirer au plus vite pour regagner Lonpéen, etc. »

Le reste du voyage n’eut rien de remarquable ; les mathématiciens observèrent seulement que le pays par lequel ils avaient passé serait un des plus beaux pays du monde, s’il était entre les mains d’une nation qui sût profiter de ses avantages. Le Ménam, depuis Tchainatbourie jusqu’à son embouchure, c’est-à-dire l’espace de quatre-vingts ou cent lieues marines, promène ses eaux dans une plaine la plus unie et la plus fertile qu’on puisse se représenter ; ses rives sont agréables et très-peuplées ; mais si l’on s’en écarte d’une lieue, on entre dans des déserts où l’on voyage avec autant d’incommodité que de danger. Tout y manque, et lorsqu’on arrive à quelque village, il faut penser à se bâtir une loge pour y passer la nuit à couvert sur la terre nue. Près de la mine les mathématiciens furent obligés de camper au milieu des bois, et de mettre le feu, suivant l’usage du pays, aux grandes herbes sèches dont la plaine voisine était remplie, pour donner la chasse aux bêtes féroces qui sortent de leurs repaires pendant la nuit. Un mandarin prudent se fit dresser une cabane entre les branches d’un arbre. On ne laissa pas d’entendre quatre tigres qui vinrent jeter des cris lugubres autour du petit camp, et qui ne se retirèrent qu’après avoir été effrayés par quelques coups de fusil.

Tachard s’étend avec reconnaissance sur les faveurs que le roi de Siam avait accordées depuis peu au christianisme. Outre le collége de messieurs des Missions étrangères, qui avaient pris le nom de Constantinien, parce qu’il avait été bâti à la sollicitation du seigneur Constance, pour y élever les enfans étrangers, on avait élevé une fort jolie maison avec une église pour les jésuites portugais, et une fort belle église pour les dominicains de la même nation. Les ordres étaient donnés pour bâtir à Siam un collége pour les jésuites français, où la jeunesse du royaume devait être élevée. Celui de Louvo était fort avancé, et d’une agréable structure ; le roi même avait la bonté d’y aller quelquefois pour en presser les travaux ; et, par une faveur dont on n’avait pas vu d’exemple pendant son règne, il donna aux jésuites siamois des lettres patentes qu’il fit approuver par son conseil, non-seulement pour leur assurer la propriété du collége de Louvo, mais pour y attacher cent personnes à leur service. La formule de ces lettres est curieuse ; elles ne sont autorisées que du sceau du roi, parce que les rois de Siam ne signent jamais de leur main aucune de leurs dépêches. Tachard, qui a pris soin de les traduire, garantit la fidélité, de sa traduction.

« Nous étant transporté à Soutan-Souanka, Oya-Vitchaigen[2] nous a très-humblement supplié de lui accorder un emplacement au même endroit, pour les PP. français de la Compagnie de Jésus, et d’ordonner qu’on y bâtît un église, une maison et un observatoire, et qu’on leur donnât cent personnes pour les servir. Ainsi nous avons donné nos ordres à Ocpra-Sima Osor de tenir la main à leur entière et absolue exécution, conformément à la très-humble remontrance d’Oya-Vitchaigen en faveur de ces pères. Nous voulons que les cent personnes que nous leur donnons, avec leurs enfans et leur postérité à venir, les servent à jamais, et faisons défense à toute personne, de quelque qualité et condition qu’elle puisse être, de retirer ces cent hommes et leurs descendans du service où nous les avons engagés ; que si quelqu’un, de quelque autorité ou condition qu’il puisse être, ose contrevenir à nos ordres (place du sceau), nous le déclarons maudit de Dieu et de nous, et condamné à un châtiment éternel dans les enfers, sans espérance d’en être jamais délivré par aucun secours divin ou humain.

» Par ordre exprès de sa majesté, ces présentes lettres ont été scellées du sceau royal au commencement et au milieu de cet acte, contenant vingt-cinq lignes écrites sur du papier du Japon. »

Pour faire sceller cette patente et les lettres que le roi envoyait en Europe, Tachard se rendit avec le seigneur Constance dans un appartement intérieur du palais, où l’on garde les sceaux du roi de Siam. Avant d’y entrer, ils passèrent sous les fenêtres de celui du roi, où Tachard remarqua deux choses. Comme il entendait diverses voix qui chantaient dans une pagode qui joignait l’appartement du roi, il demanda ce qu’elles signifiaient : on lui répondit que c’étaient des talapoins qui priaient Dieu, suivant l’usage, pour la santé du roi, et qu’il y avait un nombre réglé de ces religieux entretenus par le roi pour exercer régulièrement cet office. En repassant au même endroit, il entendit la voix d’un homme qui lisait dans la chambre du roi. Il apprit que chaque jour ce prince, avant de se reposer, se faisait lire diverses histoires de son royaume et des états voisins, qu’il avait fait ramasser avec beaucoup de soin et de dépense.

Lorsqu’on fut entré dans la salle où l’on garde les sceaux, le mandarin qui en est chargé prit respectueusement une grande cassette, dans laquelle ils sont renfermés. Aussitôt on entendit des tambours et des instrumens pour avertir tout le monde de se tenir dans une posture décente, et les sceaux furent portés en cérémonie, dans la salle d’audience. Les tambours et les trompettes s’arrêtèrent à la porte sans discontinuer leurs fanfares. Constance et Tachard étant entrés avec celui qui portait la cassette, trouvèrent plusieurs mandarins qui attendaient les sceaux, et qui les saluèrent d’abord par une profonde inclination. Ensuite Constance s’approcha du trône où l’on avait déposé la cassette ; il en tira les sceaux, et les imprima sur les lettres. Les fanfares redoublèrent après cette opération, et les sceaux furent rapportés avec la même cérémonie.

On sait que tous ces commencemens de faveur et de prospérité s’évanouirent peu d’années après par la mort de Constance, qui périt dans une de ces révolutions si fréquentes dans les cours d’Orient.


  1. Nous verrons dans la suite de cet article, dans les remarques tirées de la relation du chevalier de Forbin, que le père Tachard avait grande raison de s’étonner de cette richesse, mais qu’il avait eu grand tort d’y croire ; la statue n’était point d’or ; elle était de plâtre doré.
  2. Nom siamois de Constance.