Abrégé de l’histoire générale des voyages/Tome III/Première partie/Livre VI/Chapitre II

CHAPITRE II.

Histoire naturelle de Congo, d’Angola et de Benguéla.

L’air de Congo, généralement parlant, est plus tempéré qu’on n’est porté à se l’imaginer. L’hiver y ressemble à l’automne de Rome. On n’y est jamais obligé d’augmenter l’épaisseur des habits ni de s’approcher du feu. Il n’y a point de différence pour le froid entre le sommet des montagnes et les plaines. On voit même des hivers ou la chaleur est plus vive qu’en été.

La différence des jours et des nuits n’est que d’un quart d’heure pendant toute l’année.

L’hiver commence au mois de mars, lorsque le soleil entre dans les signes du nord, et l’été au mois de septembre, lorsque le soleil passe dans les signes du sud. Il ne tombe jamais de pluie pendant l’été ; mais elle dure sans interruption pendant les mois d’avril, mai, juin, juillet et août, qui composent l’hiver. Les beaux jours du moins y sont fort rares. On est surpris de la force des pluies et de la grosseur des gouttes. Lorsque les terres sont bien abreuvées, toutes les rivières s’enflent et répandent leurs eaux dans les pays voisins. Les premières pluies commencent ordinairement le 15 avril, et quelquefois plus tard. De là vient que ces nouvelles eaux du Nil, qui sont attendues avec tant d’impatience en Égypte, arrivent plus tôt ou plus tard.

Dans toutes ces contrées, les vents d’hiver soufflent depuis le nord jusqu’à l’ouest, et depuis le nord jusqu’au nord-est. Ils ont été nommés par les Portugais vents généraux ; ce sont les mêmes que les Romains nommaient étésiens, et qui soufflent en été dans l’Italie. Ils poussent avec beaucoup de force les nues vers les grandes montagnes, où, se rassemblant et se trouvant pressées, elles se condensent beaucoup. À l’approche de la pluie, elles paraissent comme perchées au sommet de ces montagnes ; et de là viennent les inondations du Nil, du Sénégal et des autres rivières, qui se déchargent dans les mers orientales et occidentales.

Pendant l’été du pays, qui est l’hiver de Rome, les vents soufflent depuis le sud jusqu’au sud-est. En nettoyant les parties méridionales du ciel, ils poussent la pluie vers les régions du nord. Leur effet le plus salutaire est de répandre la fraîcheur dans toutes ces contrées ; sans quoi il serait impossible de résister à des chaleurs si excessives, que, pendant la nuit même, on est contraint de suspendre au-dessus de soi deux couvertures pour se garantir de l’embrasement de l’air. Les voyageurs remarquent aussi qu’il ne tombe jamais de neige à Congo et dans les pays voisins, et qu’on n’en aperçoit point au sommet des plus hautes montagnes , excepté vers le cap de Bonne-Espérance et sur quelques autres monts que les Portugais ont nommés Sierra-Névada ou Monts de neige. Mais on ne vante point cette propriété du pays comme un avantage ; car un peu de neige ou de glace paraîtrait à Congo plus précieux que l’or.

On trouve, dit-on, dans le royaume de Congo des mines de divers métaux, sans en excepter l’or et l’argent ; mais les habitans ont toujours refusé de les découvrir aux étrangers.

Le cuivre y est fort commun, surtout dans la province de Pemba, près de la ville du même nom. La teinte de jaune est si forte dans certaines roches, qu’on les a prises pour de l’or. Sogno n’en est pas moins rempli ; et son cuivre étant encore meilleur que celui de Pemba, on en fabrique à Loanda les bracelets et les anneaux que les Portugais transportent à Callabar, à Kiodelkey, et dans d’autres lieux. Linschoten assure que Bamba a des mines d’argent et de quelques autres métaux. Il place à l’est de Sounda des mines de cristal et de fer. « Les dernières, dit-il, sont les plus estimées des Nègres, parce qu’ils font de ce métal des couteaux, des épées et d’autres armes. »

Les montagnes de Congo renferment en plusieurs endroits différentes sortes de très-belles pierres, dont on pourrait faire des colonnes, des chapiteaux et des bases d’une telle grandeur, que, si l’on en croit Lopez, on y couperait facilement une église d’une seule pièce, et de la même pierre que l’obélisque romain de la Porta del Popolo. On y trouve des monts entiers de porphyre, de jaspe et de marbre de différentes couleurs, qui portent à Rome le nom de marbres de Numidie, d’Afrique et d’Éthiopie, dont on voit quelques piliers dans la chapelle du pape Grégoire. Les mêmes montagnes ont une pierre marquetée dans laquelle il se trouve de fort belles hyacinthes, c’est-à-dire que les raies où les veines qui sont distribués par tout le corps peuvent en être tirées comme les pepins d’une grenade, et tombent alors en petites pièces du plus parfait hyacinthe ; mais on ferait de la masse entière des colonnes d’une beauté merveilleuse.

Enfin les montagnes de Congo renferment d’autres espèces de pierres rares qui paraissent imprégnées de cuivre et d’autres métaux. Elles prennent le plus beau poli du monde, et sont d’un usage admirable pour la sculpture.

Ce grand royaume produit régulièrement chaque année deux moissons. On commence à semer au mois de janvier pour recueillir au mois d’avril. La chaleur recommence au mois de septembre, et rend les terres propres à recevoir de nouvelles semences, qui offrent une moisson abondante au mois de décembre.

La terre est noire et féconde comme les femmes qui la cultivent.

Dans le royaume d’Angole, le pain se fait de la racine de manioc ; les habitans la nomment mandioca.

On doit être accoutumé, par les relations précédentes, à lire sans étonnement que l’Afrique produit des arbres d’une hauteur et d’une grosseur si démesurées, qu’un seul fournit à la construction d’un grand nombre de maisons et de pirogues. Celui qui tient le premier rang est le figuier des Indes ou ensaka. Il s’en trouve plusieurs dans l’île de Loanda. Il a déjà été question de cet arbre. Il paraît en effet que, depuis le Sénégal jusqu’au Congo, le règne végétal présente une uniformité extraordinaire.

Toutes les parties du royaume de Congo produisent beaucoup d’arbres fruitiers. Dans la province de Pemba, le plus grand nombre des habitans se nourrit de fruits. Les citrons, les limons, les bananes, et surtout les oranges, y sont en abondance. Elles rendent beaucoup de jus, sans être aigres ni douces, et leur usage n’est jamais nuisible. Pour faire juger de la fertilité du pays, Lopez rapporte que pendant l’espace de quatre jours il vit croître assez haut un petit citronnier d’un pepin qu’il avait planté.

Le plus surprenant de tous les arbres de Congo est le mignamigna, qui produit du poison d’un côté, et l’antidote de l’autre. Si l’on est empoisonné par le bois ou par le fruit, les feuilles servent de contre-poison. Au contraire, si ion a pris du poison par les feuilles, il faut avoir recours au bois ou au fruit : c’est encore une de ces fables si fréquentes chez les anciens voyageurs. On en va lire de plus absurdes.

Mérolla, après avoir observé que ces régions offrent une variété surprenante de toutes sortes d’oiseaux, fait une remarque singulière sur les moineaux. Ils sont de la même forme que ceux de l’Europe, aussi-bien que les tourterelles ; mais, dans la saison des pluies, leur plumage devient rouge, et reprend ensuite sa première couleur. On voit arriver la même chose aux autres oiseaux.

Les oiseaux que les Nègres appellent dans leur langue oiseaux de musique sont un peu plus gros que les serins de Canarie. Quelques-uns sont tout-à-fait rouges, d’autres verts, avec les pieds et le bec noirs ; d’autres sont blancs ; d’autres gris ou noirs. Les derniers surtout ont le ramage charmant ; on croirait qu’ils parlent dans leur chant. Les seigneurs du pays les tiennent renfermés dans des cages.

Mais de tous les habitans ailés de ce climat il n’y en a point dont Mérolla parle avec tant d’admiration que d’un petit oiseau décrit par Cavazzi. Sa forme est peu différente de celle du moineau ; mais sa couleur est d’un bleu si foncé, qu’à la première vue il paraît tout-à-fait noir ; son ramage commence à la pointe du jour, et fait entendre fort distinctement le nom de Jésus-Christ. « N’est-il pas surprenant, dit Mérolla, que cette exhortation naturelle n’ait pas la force d’amollir le cœur des habitans pour leur faire abandonner l’idolâtrie ? »

Le père Caprani parle d’un oiseau merveilleux dont le chant consiste dans ces deux mots, va dritto, c’est-à-dire va droit. Un autre, dans les mêmes contrées, mais surtout dans le royaume de Matamba chante continuellement vuiéki, vuiéki, qui signifie miel en langue du pays. Il voltige d’un arbre à l’autre pour découvrir ceux où les abeilles ont fait leur miel, et s’y arrête jusqu’à ce que les passans l’aient enlevé ; ensuite il fait sa nourriture de ce qui reste. Mais, par un autre jeu de la nature, le même chant attire les lions, ou du moins, en suivant l’oiseau, le passant tombe quelquefois dans les griffes d’un lion, et trouve, dit Mérolla, la mort au lieu de miel. Dapper parle d’un autre oiseau qui se trouve dans le royaume de Loango. Les Nègres sont persuadés que son chant annonce l’approche de quelque bête féroce.

Il y a peu d’animaux dans le royaume de Congo qui ne lui soient communs avec le royaume d’Angola. Tels sont les éléphans, les rhinocéros, les panthères, les léopards, les lions, les buffles, les loups, les chacals, les hyènes, les grands chats sauvages, les civettes, les sangliers et les caméléons.

Il se trouve des éléphans dans toutes les parties du royaume de Congo. Les habitans du pays prétendent que cet animal vit cent cinquante ans, et ne cesse pas de croître jusqu’au milieu de cet âge. Lopez prit plaisir à en peser plusieurs dents, dont chacune était d’environ deux cents livres.

La peau des éléphans de Congo est d’une dureté incroyable ; elle a quatre pouces d’épaisseur.

Les éléphans ont à la queue une sorte de poil ou de soie de l’épaisseur d’un jonc et d’un noir fort brillant. La force et la beauté de ce poil augmentent avec l’âge de l’animal. Un seul se vend quelquefois deux ou trois esclaves, parce que les seigneurs et les femmes sont passionnés pour cet ornement. Tous les efforts d’un homme avec les deux mains ne peuvent le briser. Quantité de Nègres se hasardent à couper la queuie de l’éléphant, dans la seule vue de se procurer ces poils. Ils le surprennent quelquefois tandis qu’il monte par quelque passage étroit dans lequel il ne peut se tourner ni se venger avec sa trompe. D’autres, beaucoup plus hardis, prennent le temps où ils le voient paître, lui coupent la queue d’un seul coup, et se garantissent de sa fureur par des mouvemens circulaires que la pesanteur de l’animal et la difficulté qu’il trouve à se tourner ne lui permettent pas de faire avec la même vitesse ; cependant, comme on l’a déjà dit, il court plus vite en droite ligne que le cheval le plus léger, parce que ses pas sont beaucoup plus grands.

L’éléphant est d’un naturel fort doux et peu inquiet pour sa sûreté, parce qu’il se repose sur sa forcer. S’il ne craint rien, il ne cherche pas non plus à nuire. Il s’approche des maisons sans y causer aucun désordre ; il ne fait aucune attention aux hommes qu’il rencontre. Quelquefois il enlève un Nègre avec sa trompe et le tient suspendu pendant quelques momens ; mais c’est pour le remettre tranquillement à terre. Il aime les rivières et les lacs, surtout vers le temps de midi, pour se désaltérer ou se rafraîchir : il se met dans l’eau jusqu’au ventre, et se lave le reste du corps avec l’eau qu’il prend dans sa trompe. Lopez est persuadé que c’est la multitude des étangs et des pâturages qui attire un si grand nombre d’éléphans dans le royaume de Congo. Il se souvient, dit-il, d’en avoir vu plus de cent dans une seule troupe, entre Cazanze et Loanda ; car ils aiment à marcher en compagnie, et les jeunes surtout vont toujours à la suite des vieux.

Avant l’arrivée des Portugais, les Nègres de Congo ne faisaient aucun cas des dents d’éléphans. Ils en conservaient un grand nombre depuis plusieurs siècles, mais sans les mettre au rang de leurs marchandises de commerce. De là vient que les vaisseaux de l’Europe en apportèrent une si prodigieuse quantité de Congo et d’Angole jusqu’au milieu du dernier siècle. Mais ils épuisèrent enfin le pays, et les habitans sont obligés aujourd’hui d’avoir recours aux autres contrées pour en fournir au commerce de l’Europe.

Les peuples de Bamba n’ont jamais eu l’art d’apprivoiser les éléphans ; mais ils entendent fort bien la manière de les prendre en vie. Leur méthode est d’ouvrir, dans les lieux que ces animaux fréquentent, de larges fossés qui vont en se rétrécissant vers le fond ; ils les couvrent de branches d’arbres et de gazon qui cachent le piége. Lopez vit sur les bords de la Koanza un jeune éléphant qui était tombé dans une de ces tranchées. Les vieux, après avoir employé inutilement toute leur force et leur adresse pour le tirer du précipite, remplirent la fosse de terre, comme s’ils eussent mieux aimé le tuer et l’ensevelir que de l’abandonner aux chasseurs. Ils exécutèrent cette opération à la vue d’un grand nombre de Nègres, qui s’efforcèrent, en vain de les chasser par le bruit, par la vue de leurs armes, et par des feux qu’ils leur jetaient pour les effrayer.

Dapper observe que l’éléphant, après avoir été blessé, emploie toutes sortes de moyens pour tuer son ennemi ; mais que, s’il obtient cette vengeance, il ne fait aucune insulte à son corps : au contraire, son premier soin est de creuser la terre de ses dents pour lui faire un tombeau, dans lequel il l’étend avec beaucoup d’adresse, ensuite il le couvre de terre et de feuillage.

On trouve dans le royaume de Congo quantité de ces grands singes qu’on nomme orangs-outangs aux Indes orientales, et qui tiennent comme le milieu entre l’espèce humaine et les babouins. Nous en avons déjà parlé sous le nom de barris. Au Congo, l’on nomme les plus grands pongo, et les autres jockos : leur retraite est dans les bois. Ils dorment sur les arbres, et s’y font une espèce de toit qui les met à couvert de la pluie. Leurs alimens sont des fruits ou des noix sauvages ; jamais ils ne mangent de chair. L’usage des Nègres qui traversent les forêts est d’y allumer des feux pendant la nuit. Ils remarquent que le matin, à leur départ, les pongos prennent leur place autour du feu, et ne se retirent point qu’il ne soit éteint ; car, avec beaucoup d’adresse, ils n’ont point assez de sens pour l’entretenir en y apportant du bois.

Ils marchent quelquefois en troupes, et tuent les Nègres qui traversent les forêts. Ils fondent même sur les éléphans qui viennent paître dans les lieux qu’ils habitent, et les incommodent si fort à coups de poings ou de bâtons, qu’ils les forcent à prendre la fuite en poussant des cris. On ne prend jamais de pongos adultes, parce qu’ils sont si robustes, que dix hommes ne suffiraient pas pour les arrêter. Mais les Nègres en prennent quantité de jeunes, après avoir tué la mère, au corps de laquelle ils s’attachent fortement. Lorsqu’un de ces animaux meurt, les autres couvrent son corps d’un amas de branches et de feuillages. Purchass ajoute, en forme de note, que, dans les conversations qu’il avait eues avec Battel, il avait appris de lui-même qu’un pongo lui enleva un petit Nègre, qui passa un mois entier dans la société de ces animaux ; car ils ne font, dit-il, aucun mal aux hommes qu’ils surprennent. Mais comment accorder cette observation de Purchass avec ce qu’on vient de dire d’après d’autres voyageurs, que les pongos attaquent les Nègres dans les forêts ? Ne faut-il pas en conclure que ces circonstances varient selon les lieux que les observateurs ont visités ? Au reste, il y a beaucoup d’apparence que le pongo est le satyre des anciens.

On trouve dans ces contrées les énormes serpens dont on a vu plus haut la description. Les Nègres les appellent, dans leur langue, le grand serpent d’eau, ou la grande hydre. Cette redoutable espèce de serpent, dit Lopez, change de peau dans la saison ordinaire, et quelquefois après s’être monstrueusement rassasiée. Ceux qui la trouvent ne manquent pas de la montrer en spectacle. Lorsqu’il arrive aux Nègres de mettre le feu à quelque bois épais, ils y trouvent quantité de ces serpens tout rôtis, dont ils font un admirable festin. Ce serpent paraît être le même qui porte, suivant Dapper, le nom d’embamba dans le royaume d'Angole et celui de minia, dans le pays de Quodjas.

Le serpent le plus remarquable que Mérolla ait vu, se nomme capra. La nature a mis son poison dans son écume, qu’il crache ou qu’il lance de fort loin dans les yeux d’un passant. Elle cause des douleurs si vives, que, s’il ne se trouve pas bientôt quelque femme pour les apaiser avec son lait, l’aveuglément est inévitable. Ces serpens entrent dans les maisons, et montent aux arbres la nuit comme le jour.

Lopez décrit une autre espèce de serpent qui a, vers l’extrémité de sa queue, une petite tumeur de laquelle il sort un bruit éclatant comme celui d’une sonnette ; il ne peut se remuer sans se faire entendre, comme si la nature avait pris soin d’avertir les passans du danger.

Le même auteur ajoute qu’il se trouve dans le royaume de Congo des vipères si venimeuses que dans l’espace de vingt-quatre heures elles causent la mort ; mais que les Nègres connaissent des simples dont l’application est un remède assuré lorsqu’elle est assez prompte. Il dit encore que ce pays produit d’autres créatures de la grosseur du bélier, avec des ailes ; elles ont une longue queue et une gueule fort allongée, armée de plusieurs rangées de dents : elles se nourrissent de chair crue. L’auteur ne leur donne que deux jambes. Leur couleur est bleue et verte, et leur peau paraît couverte d’écailles. Les païens nègres leur rendent une sorte de culte : on en voyait un assez grand nombre à Congo du temps de Lopez, parce qu’étant fort rares dans les provinces, les principaux seigneurs prennent beaucoup de soin pour les conserver ; ils souffrent que le peuple leur rende des adorations, en faveur des présens et des offrandes dont elles sont accompagnées. Lopez a évidemment été la dupe des seigneurs du Congo, s’il a pu ajouter foi à un récit d’une absurdité si choquante.

Les caméléons du pays font leur demeure dans les rochers et sur les arbres : ils ont la tête pointue et la queue en forme de scie.

Les rivières de Congo et d’Angole abondent en poissons de différentes espèces. Celle de Zaïre en produit un fort remarquable, qui se nomme ambizagoulo (porc), parce qu’il n’est pas moins gras que cet animal, et qu’il fournit du lard. La nature lui a donné deux espèces de mains, et lui a formé le dos comme un bouclier : sa chair est fort bonne, mais elle n’a pas le goût de poisson ; sa gueule ressemble a celle du bœuf ; il se nourrit de l’herbe qui croît sur les bords de la rivière, sans jamais monter sur la rive. Quelques-uns de ces poissons pèsent jusqu’à cinq cents livres ; à cette description, l’on reconnaît le lamantin.

Pendant le séjour que Carli fit à Colombo, des pêcheurs prirent un grand poisson, de forme ronde comme une roue de carrosse. Il a deux dents au milieu du corps, et plusieurs trous par lesquels il voit, il entend, il mange : sa gueule, qui est une de ces ouvertures, n’a pas moins d’un empan de long : sa chair est délicieuse, et ressemble au veau pour la blancheur.

Lopez rapporte que le Zaïre nourrit des crocodiles. Mérolla, au contraire, assure formellement qu’il ne s’y en trouve point ; mais on convient qu’il s’en trouve un grand nombre dans les autres rivières du même pays. Battel, pour nous donner une idée de la grandeur et de l’avidité de ces monstres, rapporte que, dans le royaume de Loango, un crocodile dévora une allibamba entière, c’est-à-dire une troupe de huit ou neuf esclaves, liés de la même chaîne ; mais le fer, qu’il ne put digérer, lui causa la mort, et fut trouvé ensuite dans ses entrailles. Le même auteur ajoute qu’il a vu des crocodiles guetter leur proie, la saisir, et traîner dans la rivière des hommes, des chevaux et d’autres animaux. Un soldat qui avait été saisi avec cette violence tira son coup, et frappa si heureusement le crocodile au ventre qu’il le tua sur-le-champ.

En finissant la description du royaume de Congo, il ne sera point inutile de jeter un coup d’œil sur les nations voisines, particulièrement sur celles des Anzikos et des Diaggas, qui environnent fort loin le royaume à l’est, et qui se sont rendues redoutables par leurs fréquentes invasions.

Les Anzikos sont d’une extrême agilité. Ils courent sur les montagnes comme autant de chèvres. On ne vante pas moins leur courage, leur douceur, leur droiture et leur bonne foi. Il n’y a point de Nègres pour lesquels les Portugais aient tant de confiance. Cependant ils sont d’un caractère si sauvage et si grossier, qu’il n’y a point de conversation à former avec eux. Le commerce les attire au Congo : ils amènent des esclaves de leur propre nation, et apportent des dents d’éléphans ou des étoffes de la Nubie, dont ils sont voisins. En échange, ils emportent du sel et des zimbis ou grains de verre, qui leur servent de monnaie, outre une autre espèce de grandes coquilles qui viennent de l’île de San-Thomé, et qui servent à leur parure. Ils reçoivent aussi des soies, des toiles, de la verroterie, et d’autres marchandises apportées du Portugal.

Ils ont l’usage de la circoncision ; et, dès l’enfance, ils se marquent et se cicatrisent le visage avec la pointe d’un couteau.

La chair humaine se vend dans leurs marchés comme celle de bœuf dans nos boucheries de l’Europe, car ils mangent tous les esclaves qu’ils prennent à la guerre. Ils tuent même leurs propres esclaves, lorsqu’ils les jugent assez gras ; ou, s’ils trouvent cette voie moins avantageuse, ils les vendent pour la boucherie publique. Lorsqu’ils sont fatigués de la vie, ou quelquefois pour montrer seulement le mépris qu’ils en font, ils s’offrent avec leurs esclaves pour être dévorés par leurs princes. On trouve d’autres nations qui se nourrissent de la chair des étrangers ; mais on ne connaît que les Anzikos qui se mangent les uns les autres, sans excepter leurs propres parens.

Matamba est habité par les Diaggas. Il a, du côté de l’est et du sud, les pays de Diaggas et de Kassandj : cette région s’étend du nord-est au sud-ouest, le long de Matamba et de Benguéla, l’espace d’environ neuf cents milles.

Les Diaggas sont répandus dans une grande partie de l’Afrique, depuis les confins de l’Abyssinie au nord, jusqu’au pays des Hottentots au sud ; car, outre les pays qu’on a déjà nommés, ils possèdent une partie considérable du Monémudji. Delisle les place au nord de cet empire ; Lopez leur fait habiter les bords de cette vaste contrée, le long des deux rives du Nil, depuis sa source, qu’il place dans des lacs qui sont à l’est de Congo, jusqu’à l’empire du Prêtejean, par lequel il entend l’Abyssinie.

Leur figure est fort noire et fort difforme ; ils ont le corps grand et l’air audacieux ; leur usage est de se tracer des lignes sur les joues avec un fer chaud ; ils s’accoutument aussi à ne montrer que le blanc des yeux, en baissant la paupière ; ce qui achève de les rendre très-horribles.

Ils sont tout-à-fait nus, et tout respire la barbarie dans leurs manières. On ne leur connaît point de rois : ils vivent dans les forêts, errans comme les Arabes ; leur férocité les porte à ravager le pays de leurs voisins, et, dans leurs attaques, ils poussent des cris affreux, pour commencer par inspirer la terreur. Si l’on en croit Lopez, leurs plus redoutables adversaires sont les Amazones, race de femmes guerrières, qu’il place dans le Monomotapa ; ils se rencontrent sur les frontières de cet empire, et se font des guerres presque continuelles.

Ils ne trouvent de satisfaction que dans les pays où les palmiers croissent abondamment, parce qu’ils sont passionnés pour le vin et le fruit de cet arbre. Le fruit est pour eux d’un double usage ; ils le mangent et l’emploient à faire de l’huile. Leur méthode pour tirer le vin est différente de celle des Imbondas, qui ont l’art de grimper sur un arbre sans y toucher avec les mains, et qui remplissent leurs flacons au sommet. Les Diaggas abattent l’arbre par la racine, et le laissent couché pendant dix ou douze jours avant d’en faire sortir le vin ; ensuite ils y creusent deux trous carrés, l’un au sommet, l’autre au milieu, de chacun desquels ils tirent du matin au soir une quarte de liqueur : chaque arbre fournit ainsi, pendant vingt-six jours, deux quartes de vin, après quoi il se flétrit et sèche entièrement. Dans tous les lieux où ils font quelque séjour, ils coupent assez d’arbres pour se fournir de vin pendant un mois. À la fin de ce terme, ils en abattent le même nombre ; ainsi en peu de temps ils ruinent le pays.

Ils ne s’arrêtent dans un lieu qu’aussi longtemps qu’ils y trouvent des provisions. Au temps de la moisson, ils s’établissent dans le canton le plus fertile qu’ils peuvent découvrir, pour recueillir les grains d’autrui et faire main-basse sur les bestiaux, car ils ne plantent et ne sèment jamais ; ils n’entretiennent point de troupeaux, et leur subsistance est toujours le fruit de leurs rapines. Lorsqu’ils entrent dans quelque pays où ils se croient menacés d’une vigoureuse résistance, leur usage est de se retrancher pendant un ou deux mois ; ils ne cessent point de harceler les habitans, et de les tenir dans des alarmes continuelles. S’ils sont attaqués, ils se tiennent sur la défensive, et laissent deux ou trois jours à l’ennemi pour épuiser sa fureur. Ensuite leur général met pendant la nuit, une partie de ses troupes en embuscade, à quelque distance du camp ; et si l’attaque est renouvelée le lendemain, l’ennemi, pressé furieusement de deux côtés, se défend mal contre l’artifice et la force ; ils ne pensent plus, alors qu’à ravager le pays.

Leurs femmes sont fécondes ; mais, dans leurs marches, les Diaggas ne souffrent pas qu’elles multiplient, et leurs enfans sont ensevelis au moment qu’ils voient le jour. Ainsi ces guerriers errans meurent ordinairement sans postérité ; ils apportent pour raison de leur conduite qu’ils ne veulent pas être troublés par le soin d’élever des enfans, ni retardés dans leurs marches ; mais s’ils prennent quelques villes, ils conservent les garçons et les filles de douze à treize ans, comme s’ils étaient nés d’eux, tandis qu’ils tuent les pères et les mères pour les manger. Ils traînent cette jeunesse dans leurs courses, après leur avoir mis un collier, qui est la marque de leur malheur, et que les garçons doivent porter jusqu’à ce qu’ils aient prouvé leur courage en offrant la tête d’un ennemi au général. Cette marque de leur infamie disparaît alors. Le jeune homme est déclaré gonso, c’est-à-dire soldat. Rien n’a tant de force que cette espérance pour échauffer leur courage. En général, ce peuple semble être un composé de la grossièreté des anciens peuples nomades et de la férocité des flibustiers.