7e Congrès d'hygiène sociale, Roubaix, 1911/Préliminaires jour 1

Alliance d'hygiène sociale
Librairie de la Mutualité (p. 11-18).

CONGRÈS D’HYGIÈNE SOCIALE

SÉANCE DU JEUDI 19 OCTOBRE 1911

Présidence de M. Jules SIEGFRIED
Député, ancien Ministre,
Vice-Président de l’Alliance d’hygiène sociale

Le programme du Congrès de Roubaix, présenté sous le titre : « De la Ville-Taudis à la Cité-Jardin », comportait l’étude de toutes les questions relatives à l’amélioration de la salubrité des logements.

La séance d’ouverture s’est tenue le jeudi 19 octobre, à 2 h. ½ de l’après-midi dans le grand salon des mariages de l’hôtel de ville de Roubaix, sous la présidence de M. Jules Siegfried, député, vice-président de l’Alliance d’hygiène sociale, assisté de MM. Victor Dubron, président du Comité du Nord ; Ambroise Rendu, conseiller municipal de Paris ; Livon, président du Comité de Marseille ; Eugène Montet, secrétaire général de l’Alliance d’hygiène sociale.

ALLOCUTION DE M. DUBRON

Président du Comité du Nord de l’Alliance d’hygiène sociale

Mes chers Collègues,

Pour affirmer la nécessité de leur fusion et de la combinaison de leurs efforts, les mutualistes de notre Union régionale et les adeptes de l’Alliance d’hygiène sociale du Nord ont cru devoir remettre la direction de leur organisme au même président. C’est lui qui est aujourd’hui devant vous et qui en cette qualité a l’agréable mission de vous souhaiter la bienvenue. Je le ferai de tout cœur, et je crois répondre à votre désir, bien que notre Président de l’Alliance d’hygiène sociale ne soit pas là, en rappelant tout ce que nous devons à M. Léon Bourgeois. Sa très grande compétence, sa haute autorité, sa sûre direction ont fait de lui — on ne peut faire un plus bel éloge — le digne successeur de notre fondateur, M. le président Casimir Périer. (Applaudissements.)

Au fauteuil, je rencontre M. Siegfried, qui préside la première séance de ce Congrès où l’on va se consacrer particulièrement à l’étude du problème de l’habitation salubre, je rencontre ; dis-je, M. Siegfried, ce législateur averti et bienfaisant, qui a attaché son nom respecté aux premières lois sur les habitations à bon marché. (Applaudissements.)

Dans un autre compartiment de nos études se trouve aussi M. Ribot, que nous verrons tout à l’heure, et qui a donné son nom, comme M. Siegfried, à une loi fort bienfaisante. (Applaudissements.)

Eh bien, il me vient à l’esprit que quand plus tard les gens qui s’occuperont d’histoire sociale fouilleront nos archives pour y trouver l’histoire sociale de notre temps, ils ne pourront que s’instruire en relisant les rapports si substantiels et si précieux dont j’ai pris connaissance et qui ont été de la part de certains d’entre vous la préparation véritablement utile de notre beau Congrès.

Mes chers collègues, nous sommes ici dans une ville qui se prête admirablement aux études que vous allez faire. Lorsque dans notre pays du Nord nous voulons essayer une institution nouvelle, lorsque nous voulons voir où elle peut porter, lorsque nous avons à nous inspirer de quelque hardiesse pour l’inaugurer, c’est à Roubaix que nous venons, car Roubaix est le pays de toutes les initiatives généreuses. (Applaudissements.)

On y fait toujours crédit aux hommes de bonne volonté.

Eh bien, dans cette ville qui est une ville de labeur implacable, qui est une ville de progrès, sans timidité, nous allons travailler sans relâche avec toutes nos ressources, et je crois que quand nous aurons, par nos travaux, acheminé le travailleur vers l’habitation salubre à laquelle il a droit, lorsque nous aurons préparé pour ses poumons l’accès à l’air pur et qu’il s’en pourra gorger, si nous y avons introduit le bonheur, nous aurons aussi fait quelque chose de plus : en préparant le bien-être de l’individu, nous aurons été les ouvriers de la paix dans la collectivité. (Applaudissement.)

Atteindre ce double but serait une grande satisfaction pour nous : tenter cette œuvre est déjà un honneur. Nous ne pouvons pas le faire avec un chef plus digne que celui à côté duquel je vais m’asseoir. (Applaudissements.)


ALLOCUTION DE M. JULES SIEGFRIED

Vice-Président de l’Alliance d’hygiène sociale

Mesdames et Messieurs,

Je remercie vivement M. Dubron des paroles aimables qu’il a bien voulu m’adresser. Nous sommes heureux, à l’Alliance d’hygiène sociale, de l’avoir comme président du groupe du département du Nord ; nous connaissons tous son activité, son intelligence, son dévouement et je suis convaincu que sous sa direction ce groupe rendra les plus grands services à la cause qui vous est chère à tous. (Applaudissements.)

Mesdames et Messieurs,

L’absence de notre dévoué président, M. Léon Bourgeois, qui ne pourra venir à Roubaix avant demain, m’a contraint à accepter le très grand honneur de procéder, à sa place, à l’ouverture du Congrès de l’Alliance d’hygiène sociale.

Notre Société, qui s’est fondée en 1904 et a eu pour premier président M. Casimir-Périer, a pensé, comme vous le savez, que l’un de ses meilleurs moyens de propagande serait l’organisation de Congrès tenus successivement dans les plus grandes villes de France. Ces assises solennelles sont en effet non seulement l’occasion d’échanger des idées et de ranimer les ardeurs par le contact mutuel de nos convictions, mais encore elles constituent pour notre œuvre la plus saine et la plus profitable des publicités.

Notre but — est-il besoin de le dire ? — est d’appeler l’attention du pays sur le grand problème des conditions d’existence dans la société moderne, sans cesse plus dense, plus complexe, plus éloignée de la nature. Combien de fléaux, combien de tares physiques et morales n’ont d’autre cause que le milieu anormal créé à l’homme par le tassement social ! À ces maux, nés de la vie en collectivité, il faut opposer la volonté, la pensée et la force de la collectivité.

L’Alliance d’hygiène sociale se propose donc de provoquer, d’encourager et de soutenir toutes les initiatives particulières qui peuvent s’employer à rendre le corps social plus sain et plus vigoureux. Elle s’intéresse ardemment à la lutte contre la tuberculose, l’alcoolisme, la mortalité infantile ; elle poursuit l’amélioration du logement et de l’alimentation, le développement de la mutualité. Son désir est de seconder les efforts de toutes les œuvres de perfectionnement matériel et moral, Musée social, Sociétés d’enseignement, Institutions de prévoyance. Elle suscite ou accepte tous les concours utiles à l’exécution de son programme ; elle cherche à faciliter le groupement des bonnes volontés, la création d’Associations locales ou régionales et de Fédérations. Dans toutes les grandes villes où elle tient ses Congrès, elle espère laisser ainsi des tracés durables de son action ; mais elle met aussi à profit les enseignements qu’elle y trouve ; elle étudie les œuvres philanthropiques dues si souvent à d’ardents dévouements ou à la sagesse éclairée de bienfaiteurs parfois trop modestes ; elle les fait connaître et elle augmente ainsi leur effet utile et leur précieux rayonnement. Je sais qu’à Roubaix nous aurons ainsi plus d’une occasion de nous instruire et qu’il est peu de grands centres dans lesquels l’activité des idées ait été plus intense, les réalisations plus nombreuses ; aussi serons-nous reconnaissants de toutes les communications qui pourront éclairer le Congrès à cet égard.

L’Alliance, comme on l’a déjà dit, veut lutter contre tous les maux sociaux, qu’ils soient le fait des fautes personnelles de l’individu, de l’ignorance collective ou de la mauvaise organisation des groupements humains. Elle doit être à la fois un laboratoire d’idées, un foyer de propagande, un instrument d’organisation. Contre tous les risques et tous les dangers de la vie sociale, elle doit se dresser comme une institution de prévoyance et de préservation, un véritable dispensaire d’idées et de leçons de choses.

Dans l’un de nos derniers Congrès, M. Léon Bourgeois s’exprimait à cet égard en des termes si élevés et si justes que je ne puis me défendre de les citer ici. « Cette recherche, disait-il, nous a conduits à l’idée du devoir social, de l’obligation pour la société de combattre et de prévenir les maux dont la cause n’est pas dans l’individu lui-même.

« Nous convions, ajoutait-il, toutes les bonnes volontés à cette œuvre de science et de morale ; nous disons à tous : voici des maux dont l’individu n’est pas responsable ; c’est autour de lui, c’est avant lui que sont nés les germes du mal dont il souffre et dont il meurt ; c’est autour de lui, après lui que les conséquences de ce mal continueront à se produire, que d’autres en souffriront, en mourront. La société tout entière n’est-elle pas intéressée scientifiquement, n’est-elle pas obligée moralement à agir ? »

Et plus tard, discutant les moyens d’action, il concluait ainsi : « Il faut substituer partout, en ce qui touche les maux évitables, la méthode de prévoyance à la méthode d’assistance. Prévoyance et non assistance, voilà le principe directeur de l’hygiène sociale. »

Vous verrez, Mesdames et Messieurs, en parcourant le programme de ce Congrès, que nous nous sommes inspirés de ces idées. L’amélioration des conditions de l’existence est le grand problème social ; c’est lui qui a déterminé la formation même du groupement humain, et l’homme, victorieux de la nature hostile, doit de nouveau s’armer pour vaincre les maux qui naissent de sa propre organisation. Il y aurait comme un enchaînement logique à établir entre les diverses questions que, dans cet ordre de préoccupations, nous serons amenés à traiter.

D’abord, nous aurons à nous occuper de l’habitation, qui, lorsqu’on y réfléchit, a vraiment une place de plus en plus prépondérante au milieu des autres problèmes sociaux. L’habitation, c’est le milieu vital de la cellule sociale, la famille. De ce qu’est le logement dépend ce que sera le sort du petit groupe élémentaire qui y évolue. Si la maison est saine, propre, confortable, la famille y sera bien portante, joyeuse, unie et prospère. Si la maison est insalubre, misérable et triste, la famille, éprouvée par les maladies et les morts, brisée dans sa cohésion intime, y sera malheureuse et produira de pauvres dégénérés, éléments de désordre, de corruption, de contagion.

Jules Simon a dit excellemment : « Sans famille il n’y a pas de morale ; sans morale, il n’y a pas d’hommes ; sans hommes, il n’y a pas de patrie. »

Nous savons aujourd’hui que les grands enthousiasmes, les fois ardentes, les prédications obstinées ne suffisent pas pour agir profondément sur les individus. Notre intelligence, plus scientifique, pense qu’il est plus sûr d’agir sur les conditions de vie que sur la vie elle-même. En assurant aux classes laborieuses un logement confortable et sain, nous faisons plus pour leur relèvement matériel et moral qu’en y dispensant à pleines mains des encouragements pécuniaires et des conseils philosophiques.

Les lois de 1906 et 1908 ont déjà produit d’excellents effets. Elles sont cependant insuffisantes, et il faut aller plus loin.

Il a été question d’autoriser les communes à construire elles-mêmes des habitations ouvrières et à les mettre en location. Le Congrès aura sans doute à discuter ces suggestions. Je serais bien étonné s’il ne se prononçait pas en faveur de la libre initiative des individus contre le socialisme municipal. L’Etat commerçant, l’Etat industriel ne nous donnent guère le désir de faire connaissance avec l’Etat propriétaire. Les grands phénomènes sociaux utiles au progrès d’une nation ne se déterminent point par des méthodes arbitraires et directes ; il faut les provoquer, en suscitant l’initiative individuelle, qui est le véritable moteur de tout progrès, la manifestation la plus sûre de ce que l’on pourrait appeler l’instinct social.

Nous aurons à examiner les meilleures conditions du logement et à discuter les idées intéressantes et souvent séduisantes que l’on a préconisées : l’homme jouissant à la fois des commodités de la ville et du charme vivifiant de la nature, ne serait-ce pas l’idéal ? Telle est la conception de la « cité-jardin », rêve attrayant entre tous. Quant à présent, nous devons nous occuper non seulement de l’habitation en elle-même, mais des habitations groupées dans les villes, et généralement mal groupées, car le souci de l’hygiène, la juste conception des conditions salubres de l’existence, sont des conquêtes de l’intelligence moderne. Nos villes, généralement anciennes et mal aménagées, ont besoin d’être assainies, aérées, desserrées. Ce sont là des questions dont on se préoccupe généralement trop peu. Avant tout, il faudrait empêcher des erreurs dont nos descendants auraient à souffrir comme nous avons à pâtir de celles commises par nos pères. Pour cela, il faut prévoir l’extension future de nos agglomérations urbaines, tracer d’avance leurs plans, et prendre des mesures telles que les quartiers nouveaux puissent se constituer rationnellement, être pourvus dès le premier jour de leurs voies de communication, de leurs espaces libres et de leurs promenades, au lieu d’avoir à les aménager ultérieurement à grands frais. C’est dans ces cités futures que se multiplieront à l’aise les habitations de l’avenir, telles que nous les concevons, ornées de petits jardins, faites pour abriter une seule famille sous un seul toit, et libérant l’habitant des villes de l’odieuse servitude de nos casernes à multiples étages.

Mais il y a plus ; après avoir préparé l’avenir, il faut remédier au passé, faire disparaître les quartiers insalubres, créer des parcs et des terrains de jeux dans ces affreux entassements de pierres que sont devenues trop souvent nos grandes villes. L’obstacle à cette œuvre d’assainissement, c’est, dans l’état actuel de notre législation, la dépense énorme, abusive qu’impose aux communes la procédure de l’expropriation. N’y a-t-il pas aussi des mesures légitimes qui s’imposeraient dans cet ordre d’idées ?

Telles sont quelques-unes des questions dont notre Congrès aura à délibérer. J’arrête nécessairement ici mon énumération, de peur de lasser votre bienveillante attention.

Tout d’ailleurs n’est-il point passionnant, dans ce domaine de l’hygiène sociale ? N’est-ce pas l’éternel progrès humain, que d’introduire la raison là où seule la passion régnait ? Tout ce problème social, que nous envisagions jadis sous l’angle exclusif de la politique, nous le contemplons aujourd’hui avec plus d’ampleur et de sérénité, du haut de cette science nouvelle, qui participe à la fois de la médecine, de la morale et de l’économie politique. Et si le sujet nous apparaît plus large et plus attachant, nous gagnons aussi à cette nouvelle méthode plus de liberté d’esprit, plus de hauteur de vues, et nous pouvons espérer accomplir une tâche plus pleine et plus utile. (Applaudissements prolongés.)

M. Dubron est obligé de nous quitter. Je vous propose de faire venir au bureau, à sa place, M. Wibaux, président du Syndicat du Commerce et de l’Industrie de Roubaix.

(Assentiment.)

Mesdames et Messieurs, nous allons commencer immédiatement nos travaux et je donne la parole à M. Fernand Leroy pour la lecture de son rapport sur le fonctionnement des Comités de patronage des habitations à bon marché.