7e Congrès d'hygiène sociale, Roubaix, 1911/Les Comités de patronage des habitations à bon marché et de la Prévoyance sociale
Les Comités de patronage des habitations à bon marché et la Prévoyance Sociale
Les Comités locaux d’habitations à bon marché créés en exécution de la loi du 30 novembre 1894 n’avaient, à part quelques exceptions (1/5e environ), donné que des résultats peu sensibles.
M. J. Challamel, dans son rapport au Conseil supérieur des Habitations à bon marché sur le fonctionnement des comités locaux d’habitations à bon marché en 1906, faisait connaître qu’à part quelques exceptions (20 à peine), les résultats obtenus étaient purement négatifs. Et il exprimait l’espoir que l’activité des « Comités de patronage des Habitations à bon marché et de la Prévoyance sociale », obligatoirement institués dans tous les départements par la loi du 12 avril 1906, serait plus féconde.
L’avenir a confirmé cet espoir. Il existe actuellement 75 comités qui ont eu à remplir la mission dont les investit l’article 5 § 6 de la loi du 12 avril 1906, qui consiste dans la délivrance des certificats de salubrité.
Mais ceci ne constitue pas le seul rôle des comités de patronage. La loi de 1906 n’a pas fait que changer l’étiquette des assemblées instituées par la loi de 1894 ; elle a voulu élargir considérablement leurs attributions en en faisant des comités de patronage de la prévoyance sociale.
Les fonctions des Comités nouveaux sont donc complexes.
Parmi celles qui se rattachent aux habitations à bon marché, la plus importante est la délivrance des certificats de salubrité. Pour l’année 1910, les statistiques accusent dans l’ensemble 3.808 maisons visitées, 2.281 certificats délivrés, 527 refus et 524 ajournements[1]. Malgré l’amélioration indéniable des procédés de construction, la proportion des refus de certificats a légèrement augmenté (14% en 1910 contre 11% en 1909), ce qui prouve que les comités n’acceptent pas aveuglément tous les plans qui leur sont présentés.
Les régions industrielles et les grands centres restent en tête du mouvement. Dans le département du Nord, 1.476 certificats ont été sollicités, 980 accordés.
Dans le Pas-de-Calais, 733 ont été sollicités, 664 accordés.
Dans la Seine, 495 ont été sollicités, 302 accordés.
Pour se guider dans la délivrance de ces certificats, certains comités, c’est le cas pour celui de la Seine, ont cru devoir établir des règlements, mais la plupart d’entre eux ont préféré ne pas se lier par une règle immuable, et conserver leur entière liberté pour apprécier, selon les cas, la valeur hygiénique des habitations qui leur sont soumises.
Il est regrettable de constater qu’un nombre assez important de comités ait, jusque maintenant, borné toute leur activité, à la délivrance des certificats de salubrité.
Mais par contre il existe un certain nombre de départements où la construction a été vivement encouragée.
Tout d’abord, pour faciliter l’application de la loi, on a cherché à créer de nouvelles sociétés d’habitations à bon marché, encore peu nombreuses en 1906. Celles-ci constituent des intermédiaires excellents pour l’ouvrier qui désire devenir propriétaire : comme elles font souvent construire des maisons par séries, elles lui permettent de réaliser une économie très sensible sur les honoraires de l’architecte et le prix de la construction. Il existe actuellement 208 de ces sociétés dont les statuts ont reçu l’approbation ministérielle : leur capital total dépasse 50 millions de francs.
Cependant, dans certains départements peu favorisés, les Comités de patronage n’ont pu créer de sociétés d’habitations à bon marché, faute souvent de capitaux : tels sont les départements de l’Ariège, de la Haute-Savoie, de la Mayenne, de Vaucluse. Dans d’autres (Hautes-Alpes, Vienne), ces sociétés sont encore à l’état de projet.
La création des sociétés de crédit immobilier en application de la loi du 8 avril 1908 a également préoccupé les comités de patronage, malheureusement leurs efforts ont rarement été couronnés de succès.
Une des grandes difficultés que signalent les Comités de la Somme et de la Seine-Inférieure consiste dans l’importance du capital exigé pour ces sociétés (200.000 fr. dont 1/4 au moins versé) ; ce chiffre, pour certaines régions, semble trop élevé. Malgré ces obstacles, des sociétés de crédit immobilier se sont déjà constituées dans les grands centres industriels, notamment dans les Basses-Pyrénées, la Gironde, la Haute-Marne, le Haut-Rhin, le Nord, le Pas-de-Calais, la Seine. Dans la Somme, les 3/4 du capital ont pu être réunis, et le Comité espère pouvoir bientôt créer une société de ce genre ; il en est de même dans la Seine-Inférieure. Mais dans l’Allier et l’Ariège, toutes les tentatives ont, jusqu’à présent, échoué.
Pour remédier aux difficultés matérielles de création d’une société de crédit immobilier dans certains départements, le Congrès de Paris des 15 et 16 janvier 1910 a émis le vœu que les sociétés de crédit agricole soient autorisées à emprunter à l’Etat au taux réduit de 2% et à consentir des prêts aux sociétés d’habitations à bon marché uniquement en vue de l’achat de champs ou d’habitations rurales.
Enfin une initiative qui s’est manifestée dans un grand nombre de comités, au moins dans ceux dont les ressources sont suffisantes, consiste à organiser, entre architectes, des concours de plans et devis pour habitations à bon marché. À Lyon, par exemple, le concours organisé en 1910 a obtenu un grand succès. Il en est de même à Rouen, Béziers, etc. Le Comité de la Seine a organisé en décembre 1909, janvier 1910, un concours sur les parties qui constituent l’habitation et la rendent « solide, commode, agréable, économique ».
Il est cependant un fait à signaler, et qui aurait pu porter singulièrement obstacle à l’essor remarquable qu’a pris la construction d’habitations à bon marché. Par suite de l’augmentation très faible de la population en France, le nombre des logements actuels est presque suffisant (sauf dans les grandes villes où la population ouvrière s’entasse dans des immeubles souvent trop petits), et le besoin de constructions nouvelles ne se fait pas sentir. Il faut donc, ou exproprier les logements insalubres, qui constituent de véritables foyers de la tuberculose, ou les améliorer au point de vue de l’hygiène.
Ce dernier moyen, moins radical, mais en revanche aussi beaucoup moins coûteux, a attiré l’attention de certains comités qui ont vu qu’il y avait œuvre utile à faire en ce sens, et qui se sont préoccupés de l’assainissement des logements insalubres.
Dans un petit nombre de cas, pour l’Aube par exemple, cet assainissement a été encouragé par des primes que les comités de patronage attribuent aux propriétaires ; mais ces primes, d’une importance forcément assez minime, ne stimulent sans doute pas assez le zèle des propriétaires. Le Comité de la Seine-Inférieure, pour donner une impulsion plus vive à ce mouvement, propose d’étendre aux habitations assainies par les sociétés d’habitations à bon marché, les exonérations fiscales prévues par la loi du 12 avril 1906.
Les concours d’architecture pour habitations à bon marché, et les primes pour logements assainis nécessitant des sommes relativement importantes, sont forcément en nombre restreint, et constituent l’apanage des comités les plus riches.
Mais la majeure partie de ces assemblées a organisé entre les ménages ouvriers des concours de bonne tenue des habitations. À Béziers et à Blois, ces concours ont été organisés entre familles nombreuses (ayant plus de 3 enfants) ; à Pau, entre les ménages indigents ; dans la Marne, ces concours sont annuels et se tiennent tour à tour dans les divers arrondissements ; dans le Doubs, ils sont exclusivement réservés aux locataires d’habitations à bon marché possédant le certificat de salubrité.
Dans le Nord, enfin, le concours de bonne tenue qui a eu lieu en 1910 a compris à la fois les habitations et les jardins ouvriers. Le total des primes de diverses importances, fort nombreuses, a atteint la somme de 2.243 fr 50 ; l’organisation du concours a coûté un peu moins de 600 francs. Ces dépenses étaient couvertes par la subvention de M. le Ministre de l’Intérieur sur le produit des jeux, et une subvention du Conseil général de 1.000 francs.
Il y a là un moyen excellent et peu coûteux d’encourager l’hygiène du foyer domestique ; il a été généralisé presque partout, et on ne signale d’échec qu’à Compiègne, où aucune inscription n’a pu être recueillie pour un concours de ce genre.
En outre des habitations à bon marché, la loi de 1906 a attribué aux Comités de patronage les œuvres de Prévoyance sociale.
Parmi elles, les Comités de patronage ont surtout en vue les jardins ouvriers : ceux-ci, mis gratuitement ou moyennant un prix très modique, à la disposition des ouvriers, leur permettent de se procurer une partie des produits nécessaires à l’entretien de leur ménage, et surtout de respirer un air plus pur que celui des usines ou ateliers dans lesquels ils sont employés : à ce dernier point de vue, ils sont une excellente œuvre d’hygiène.
Les Comités de patronage n’étant encore qu’à leurs débuts, n’ont pu en général poursuivre d’autres buts que ceux qui ont été examinés plus haut. Cependant, il en est deux dont les diverses initiatives méritent une mention spéciale.
Le Comité des Basses-Pyrénées a encouragé de nombreuses œuvres d’hygiène : il a pu obtenir la création de deux établissements de bains douches à Pau ; grâce au bienveillant, concours de la ville de Pau, il a pu organiser l’inspection sanitaire des écoles primaires deux fois par an ; des consultations bimensuelles de nourrissons à Pau, Bayonne, Biarritz. Il songe de plus à établir des jardins ouvriers. En ce qui concerne les œuvres de prévoyance, la ville de Pau, sous les auspices du Comité, a décidé de doter à sa naissance chaque enfant d’un livret de caisse d’épargne de 1 franc.
Dans la Gironde, le Comité de patronage s’est intéressé à diverses œuvres : bains-douches, jardins ouvriers, secours aux familles nombreuses ; par une active propagande, il a répandu l’idée de la dotation des nouveaux-nés : ceci existe déjà dans 24 communes de la Gironde, et l’idée se répand de plus en plus, dans les départements voisins.
Enfin il a organisé un concours de balances pour consultations de nourrissons.
Tel a été jusqu’à présent le fonctionnement des comités de patronage des habitations à bon marché et de la Prévoyance sociale. Ces résultats, obtenus en quatre années, sont très satisfaisants.
Il reste néanmoins des départements où les Comités de patronage n’ont pas fonctionné. En général, ceci tient au manque d’industrie dans la région, comme pour la Creuse, la Mayenne. En Haute-Savoie, dans les rares centres industriels, les patrons se chargent eux-mêmes de la construction des habitations ouvrières, sans le concours de l’État.
Une autre cause réside dans le refus trop souvent constaté des caisses d’épargne ou des municipalités d’aider le mouvement en faveur de la petite propriété et de l’hygiène des habitations. C’est ainsi que la ville de Tours a refusé une subvention annuelle au Comité de patronage d’Indre-et-Loire, subvention qui aurait été employée pour encourager l’assainissement des habitations insalubres.
Mais le grand obstacle est encore l’ignorance et parfois l’insouciance de l’ouvrier. C’est pourquoi il est nécessaire de faire une propagande très active par des brochures, des affiches, des conférences. Le comité des Bouches-du-Rhône a institué une chaire ambulante de la prévoyance sociale ; ceux de la Seine et de la Seine-Inférieure s’apprêtent à le suivre dans cette voie.
Le Comité de la Seine-Inférieure a, de plus, commencé à faire connaître dans les écoles les avantages réservés aux habitations à bon marché. Il y a là une heureuse initiative qui portera ses fruits : elle mériterait d’être suivie. D’autres comités, en plus grand nombre, ont publié des brochures diverses ; parmi les plus intéressantes, on peut citer celles de l’Aisne, l’Aube, la Haute-Marne. À Caen, le comité fait distribuer aux jeunes époux, le jour de leur mariage, une brochure qui contient d’utiles indications sur tout ce qui a trait à la prévoyance, en particulier sur l’hygiène de la personne et des nouveaux-nés, de l’alimentation et de l’habitation,
À côté de ces circonstances générales, quelques comités estiment que les maxima de valeurs locatives des habitations sont trop bas. Très souvent, dans certaines petites communes de la banlieue des villes, les terrains sont assez chers, et le prix de revient des constructions est plus élevé qu’en ville par suite des frais de transport plus considérables. Et pourtant, il arrive couramment que, suivant le chiffre de la population, la valeur maxima d’une maison pour que celle-ci puisse bénéficier des avantages de la loi de 1906, ne dépasse pas 2.500 à 3.000 fr.
D’un autre côté, il est à remarquer que le versement du cinquième exigé de l’ouvrier pour avoir droit au prêt des caisses de crédit immobilier est assez élevé : dans les villes, il atteint couramment 1.000 francs. Or, s’il se rencontre assez fréquemment des familles ouvrières possédant 500 ou 600 francs en dépôt à la caisse d’épargne, il est beaucoup plus rare d’en voir qui possèdent un millier de francs.
C’est pour cette raison que l’on voudrait voir réduire l’importance du versement au 1/10e de la valeur de l’immeuble. Et l’on invoque à l’appui l’exemple de la Belgique où depuis plus de 20 ans que ce système fonctionne, 40.000 maisons ont été bâties sans qu’il y ait plus de 1% d’aléas.
Un dernier fait à signaler, c’est que certains comités, entre autres ceux des départements du Nord et de la Seine-Inférieure estiment que le délai de trois mois imposé aux comités pour la délivrance des certificats de salubrité, est trop restreint. Il en résulte que, quand le certificat, pour des causes très diverses, n’a pu être délivré dans le délai réglementaire, les intéressés se pourvoient devant le Ministre du Travail : ceci pourrait être évité en portant ce délai à 12 mois, par exemple.
En général, les comités de patronage des habitations à bon marché et de la Prévoyance sociale ont montré leur bonne volonté et leur désir d’arriver à des résultats. Beaucoup ont réussi, mais quelques-uns sont restés figés dans leur immobilité.
Une circulaire de M. le Ministre du Travail et de la Prévoyance sociale, en date du 12 janvier 1911, institue entre les divers comités un concours pour leurs travaux au cours des années 1909, 1910, 1911.
Ce concours suffira peut-être à stimuler les retardataires et leur donner le désir de prouver qu’ils ont à cœur de montrer leur bonne volonté, à défaut de résultats tangibles.
La même circulaire décide également de récompenser les sociétés d’habitations à bon marché, et les caisses d’épargne ; ces dernières se décideront sans doute à s’engager résolument dans la voie où elles sont invitées à marcher. De leur concours dépend une grande partie du succès.
Ce rapport, qui est plutôt un rapide exposé descriptif de l’œuvre des comités de patronage, s’est efforcé de montrer les efforts qui ont été faits dans la plupart de ces assemblées ; s’ils n’ont pas toujours, hélas ! été couronnés de succès, il ne faut pas seulement en faire rejaillir la faute sur les comités. Mettre à la portée des ouvriers un foyer sain dans un milieu sain est fort bien en théorie ; mais, malheureusement, ceci n’a pas été possible partout ; bien souvent les comités n’ont pas rencontré autour d’eux l’empressement qu’ils auraient été en droit d’attendre des institutions plus ou moins intéressées à l’œuvre qu’ils patronnent. « Mieux vaut prévenir que guérir » dit un adage connu des hygiénistes, qu’il serait bon de répéter aux bureaux de bienfaisance, hospices, etc. Ce serait un moyen pour eux de diminuer le nombre de ceux à qui ils devront plus tard des secours, en aidant les ouvriers à acquérir un toit, et en leur communiquant les goûts d’hygiène et d’épargne. Cette idée, peu répandue encore, commence à faire son chemin ; elle a été mise en pratique dans le Nord par l’hospice civil de Comines et le bureau de bienfaisance de Wasquehal et il serait à souhaiter que cet exemple fut suivi.
Il serait bon aussi que les sociétés de secours mutuels s’associent au mouvement. Jusqu’à présent, elle n’ont pas répondu à l’appel des comités de patronage ; c’est le cas dans l’Ariège, où le comité ayant sollicité le concours des principales sociétés du département, fut forcé, devant leur refus, d’abandonner son projet. Il y a pourtant là une œuvre sociale à laquelle il serait du devoir des sociétés de secours mutuels de s’associer.
Et le rapporteur serait heureux, si l’exposé ci-dessus de la situation actuelle des comités de patronage des habitations à bon marché, et des œuvres nombreuses auxquelles ils s’intéressent, pouvait attirer la bienveillante attention des sociétés de secours mutuels. Il y a là, pour ces dernières, un vaste terrain où leurs initiatives pourraient se manifester.
Il serait de plus à souhaiter que cet exposé fasse connaître à tous ceux qu’intéresse la question les manifestations diverses auxquelles a donné lieu l’activité des comités de patronage. Certains comités départementaux pourront y puiser des renseignements sur le fonctionnement des assemblées plus favorisées. Ils y verront toutes les œuvres qui s’offrent à leur initiative et pourront choisir celles qui paraissent le mieux s’adapter à leur zone d’action. Ils se rendront ainsi compte que partout, sous une forme quelconque, il leur sera possible de faire preuve de vitalité, en encourageant des œuvres d’un haut intérêt social.
Je m’en voudrais de terminer cette étude sans adresser mes remerciements très sincères à M. Demoor, licencié en droit, rédacteur à la Préfecture du Nord, dont la collaboration m’a été précieuse pour la confection de ce rapport.
C’est grâce à lui que j’ai pu procéder au dépouillement des nombreux documents qui m’ont été adressés par les divers comités de patronage. L’aide utile qu’il a bien voulu me prêter m’a permis de produire ce travail dans le très bref délai qui m’avait été imparti.
J’ai l’honneur de déposer sur le bureau du Congrès le vœu suivant :
« Le Congrès émet le vœu qu’une entente s’établisse entre les Sociétés de secours mutuels et les Comités de patronage à l’effet d’étudier les moyens pratiques les plus propres à développer et à encourager l’établissement des habitations à bon marché, et à réaliser l’institution progressive des logements ouvriers. »
M. Ducrocq, vice-président du Comité de patronage des habitations à bon marché du Nord. — Je voudrais dire un mot des rapports à établir entre les Sociétés de secours mutuels et les œuvres d’habitation à bon marché, rapports qui devraient être fréquents et qui sont nuls, mais l’exposé si complet que vient de faire M. F. Leroy me dispense d’insister sur ce point. Cependant, je tiens à remercier le Congrès de l’acte de courtoisie qu’il a eu en inscrivant en tête de son ordre du jour, le rapport relatif aux Comités de patronage des habitations à bon marché et de la prévoyance sociale. En échange, je tiens à lui exprimer toute la sympathie du Comité du Nord que j’ai l’honneur de représenter ici. Nous sommes très heureux, Messieurs, que vous ayez pris une ville de notre département pour le siège de votre Congrès, et nous sommes heureux surtout que vous ayez choisi pour le sujet de vos discussions cette question du logement ouvrier qui fait l’objet principal de nos préoccupations. Vous ne pouviez, je pense, le traiter dans un milieu où elle ait une acuité plus grande et où elle s’applique d’une façon plus pressante.
Nous avons dans le département du Nord, en raison du développement intense de l’industrie, une véritable crise du logement ouvrier ; dans l’arrondissement de Lille, il nous manque en ce moment 10.000 maisons, je n’exagère pas ; si par quelque prodige, nous arrivions à les construire demain — et ce prodige nous nous efforçons de le réaliser grâce à la loi Ribot — ces 10.000 maisons seraient occupées après-demain. Nous ne manquons pas seulement d’habitations salubres, nous manquons d’habitations tout simplement ; c’est pourquoi nous portons à vos travaux le plus vif intérêt, soit que vous recherchiez les moyens d’améliorer le logement de l’ouvrier, soit que vous vous préoccupiez d’en développer le nombre.
Nous écouterons avec grand profit, j’en suis sûr, les leçons et les avis des hommes éminents qui constituent votre état-major à l’Alliance d’Hygiène sociale, les Siegfried, les Ribot, les Strauss, les Bourgeois, les Mabilleau, les Risler, et tous ceux que votre Congrès va amener ici. Et nous comptons sur l’autorité qui s’attache à vos délibérations et à vos vœux pour amener la réalisation des quelques désirs que nous vous soumettrons.
Permettez-moi de constater en terminant, et avec une certaine satisfaction pour notre département, que sur 3.800 certificats de salubrité qui ont été délivrés l’année dernière dans la France, pour la construction de maisons à bon marché, 1.774, soit plus du tiers, l’ont été par noire Comité du Nord ; que sur 17.000 jardins ouvriers que comptent les œuvres françaises, nous en avons 3.800 dans le Nord ; qu’enfin, sur les deux millions et demi de francs auxquels s’élève le capital des sociétés constituées en vertu de la loi de 1908, nos sociétés du Nord ont réuni un million, c’est-à-dire les 2/5. (Applaudissements.)
M. le Président. — Nous ne pouvons que vous adresser des félicitations, Monsieur Ducrocq : nous savons tous que vous avez pris une part très active à ce grand mouvement d’assainissement de l’habitation et que vos efforts sont couronnés d’un légitime succès. (Applaudissements.)
M. Georges Grau, président de la Société d’études et d’application sanitaires de l’Aube. — Je voudrais appuyer les constatations qu’a faites tout à l’heure M. Fernand Leroy et indiquer quelles sont à mon avis les raisons qui empêchent les sociétés de secours mutuels de répondre aux invitations qui leur sont faites : je puis parler en connaissance de cause, car depuis longtemps, dans le département de l’Aube que j’ai l’honneur de représenter ici, nous essayons d’entrer en relation intime avec les sociétés de secours mutuels et de les engager dans la voie de la prophylaxie, de la préservation et particulièrement de l’amélioration du logement. Nous nous heurtons d’abord à la timidité financière des administrateurs des sociétés de secours mutuels ; ces sociétés ont des scrupules exagérés en ce qui concerne l’argent qui leur est remis, et pour éviter toute critique et tout aléa, elles placent leurs fonds disponibles à la Caisse des Dépôts et Consignations. Elles ont l’excuse du taux d’intérêt de 4 1/2 % qu’elles y trouvent, mais elles perdent tout le bénéfice des placements sociaux qui ne se traduit pas par un revenu de 4 1/2 %, mais par des avantages bien autrement considérables et intéressants.
J’ai essayé pour ma part, dans la mesure de mes propres moyens, de convaincre un certain nombre d’administrations de sociétés que c’était un mauvais calcul, que les placements en immeubles ouvriers étaient aussi sûrs au point de vue du rapport, mais je n’ai pu réussir, et je crois bien que sauf peut-être dans la Gironde, dont on parlait tout à l’heure, où, si mes souvenirs sont exacts, les sociétés de secours mutuels ont répondu à l’appel de M. Cazalet pour la fondation d’une caisse de crédit immobilier, je crois bien, dis-je, qu’il n’existe en France qu’infiniment peu de sociétés mutuelles faisant d’autres placements que-ceux de la Caisse des Consignations.
Nous nous heurtons aussi à une mauvaise conception du devoir social que se font bon nombre de mutualistes, lorsque nous cherchons à faire appel à eux pour surveiller l’hygiène de l’habitation. Personne au monde n’est mieux placé que les sociétés de secours mutuels pour veiller à l’application des prescriptions de la loi de 1902 et, en particulier, à l’application des règles générales de l’hygiène. Personne ne peut mieux se rendre compte des inconvénients du logement insalubre, personne n’est mieux placé aussi pour connaître les conditions exactes dans lesquelles se trouve chacune des familles ouvrières et plus particulièrement les familles malades.
Il me semblait que rien n’était plus simple, plus indiqué que de charger les sociétés de secours mutuels de profiter des indications qu’elles auraient pu recueillir ainsi pour amener les désinfections, les prescriptions de travaux, et même, quand cela devient nécessaire, les défenses d’habiter. Or, jamais personne n’a voulu entrer dans cette voie. « Nous ne ferons pas cela, me dit-on, parce que nous nous rendrions délateurs, parce que nous ferions un métier de policier. » C’est là un sentiment exagéré et qui tourne en définitive contre le but de la mutualité, puisqu’on laisse des foyers d’infection se développer et qu’au lieu de prévenir la maladie, on va se résoudre à la traiter. Combien de vies humaines ne seraient-elles pas épargnées si tous les bons citoyens saisissaient chaque occasion de défendre la santé publique !
Arrivera-t-on à modifier cet état d’esprit ? Je voudrais bien, quant à moi, que l’autorité qui s’attache à votre Congrès puisse convaincre les braves gens que sont les mutualistes, qu’ils ne peuvent, en dénonçant les mauvaises conditions de salubrité de tels ou tels logements, commettre aucun acte de mauvaise confraternité, aucun acte répréhensible, bien au contraire, et que c’est même pour eux un devoir strict, un devoir rigoureux de conscience, auquel ils ne doivent pas se soustraire. (Applaudissements.)
M. le Dr Dupeux, de Bordeaux. — J’ai été très heureux d’entendre l’orateur qui m’a précédé rendre justice aux sociétés de Secours mutuels de la Gironde. Nos sociétés ont parfaitement compris l’utilité, la nécessité de créations de maisons à bon marché et l’Union départementale des Sociétés de secours mutuels de la Gironde n’a pas hésité à nous apporter l’appui de ses finances en nous prêtant une somme de 10.000 francs, qui nous a permis de constituer notre société immobilière.
M. Édouard Petit, inspecteur général de l’Instruction publique. — De même qu’on a fait appel aux sociétés de secours mutuels, qui à mon avis devront, dans l’avenir, se replier sur elles-mêmes, parce que, étant donné la loi sur les retraites ouvrières, elles sont obligées de se livrer à une arithmétique encore plus serrée et plus ordonnée, de même on a adressé tout à l’heure un appel à l’école : on a demandé que la propagande fût instituée dans les écoles primaires. Quand il s’agit de l’habitation à bon marché, la propagande est déjà l’aile par les instituteurs, c’est entendu, mais est-ce vraiment à l’école qu’il faut s’adresser lorsqu’il s’agit d’habitations ouvrières à-bon marché ? Est-ce que l’écolier, quand il a douze ans, s’intéressera beaucoup à la question ? Je ne le crois pas. Ce qu’il faut, à mon avis, c’est s’adresser au lendemain de l’école.
On a dit tout à l’heure, et j’ai entendu cela — je le savais du reste — avec beaucoup de plaisir (il s’agissait de mon département natal) qu’il y avait une chaire ambulante dans les Bouches-du-Rhône ; or nous avons aussi des chaires ambulantes dans chacun des villages de France, nous avons les chaires dans lesquelles montent les instituteurs qui s’occupent d’éducation populaire et en particulier d’éducation sociale.
Je demanderais donc à l’Alliance d’Hygiène sociale et surtout aux Comités régionaux (car il faut décentraliser), qu’on publiât par région une conférence-type, une causerie de propagande très simple, très facile, accessible aux intelligences moyennes, et qu’on l’envoyât aux instituteurs, qu’on envoyât même des illustrations, (car nous sommes des montreurs de lanterne magique, nous y montrons des choses qui sont quelquefois intéressantes). Nous promenons les enfants bien loin, pourquoi ne les promènerions-nous pas à travers les œuvres sociales du Nord et de la Gironde ? Toutes ces lois sociales, comme la loi Ribot, il faut les rendre vivantes, il faut les rendre parlantes ; elles sont insérées au Journal officiel, je le veux bien, mais il faudrait vulgariser le Journal officiel, le populariser officieusement.
Je demande donc qu’on émette ce vœu que les comités régionaux, en particulier le Comité du Nord, fasse une conférence-type et l’envoie à nos instituteurs, qui se vouent plus spécialement à l’éducation populaire.
M. Portevin, président du Comité de patronage des habitations à bon marché de la Marne. — Je désire dire quelques mots d’un moyen d’action employé par le Comité départemental de la Marne et qui semble devoir donner d’assez bons résultats. Nous avons pensé que s’il était bon de mettre à la disposition des familles ouvrières des logements salubres, il était non moins utile de rendre salubres les logements dont elles disposent actuellement ; nous avons donc consacré les modestes ressources dont disposent nos comités, augmentés des dons de certaines personnes généreuses, à instituer des concours annuels de propreté de l’habitation, et ces concours paraissent donner des résultats excellents. Voilà la troisième année qu’ils fonctionnent, et de plus en plus nous constatons chez les ouvriers dont nous visitons les logements, un progrès dans la façon dont les appartements sont tenus.
Les récompenses, qui consistent en prix de 50 francs, de 25 fr., de 20 francs, de 10 francs, sont attribuées en tenant compte à la fois de la bonne tenue de l’habitation, du nombre des enfants et des ascendants occupant l’appartement. Nous avons commencé à Reims et nous avons étendu la mesure à tout le département.
Nous arriverons ainsi, non seulement à l’amélioration de l’hygiène par l’occupant de l’habitation, mais aussi à inspirer un peu plus de confiance aux propriétaires qui hésitent beaucoup à faire des habitations à bon marché, craignant que les familles qui y logent n’en prennent pas soin.
M. Ambroise Rendu, conseiller municipal de Paris. — J’ai l’honneur de représenter devant vous le Comité de Patronage du département de la Seine, j’espère que vous voudrez bien m’excuser si je prononce quelques paroles.
Nous cherchons quels sont les moyens de propagande les plus efficaces pour éveiller l’attention ou plutôt les préoccupations publiques sur la nécessité de multiplier les logements ouvriers ; quels sont les moyens d’éveiller la sollicitude des personnes bienfaisantes, des philanthropes.
Nous cherchons à provoquer les initiatives, et nous constatons que ce qui manque le plus, comme toujours, c’est l’argent. Nous avons vu naître dans le département de la Seine un certain nombre de sociétés destinées à la construction d’habitations populaires ; ces sociétés sont très peu nombreuses, et sans vouloir déprécier leur œuvre je dois dire qu’elles sont aujourd’hui à bout de souffle. À part les fondations qui se perpétuent d’elles-mêmes et qui croissent comme la boule de neige, les sociétés dites « de constructions d’habitations à bon marché » n’ont plus d’argent. Il faut que nous trouvions le moyen de leur en procurer et que nous fassions une croisade dans ce but. Nous adressons un appel aux villes, aux départements, à l’État et nous espérons que les Pouvoirs publics comprendront la nécessité de faire en France ce qui a été fait en Belgique, en Angleterre, en Allemagne. Il faut que de notre Congrès sorte une voix puissante qui s’impose aux assemblées parlementaires et qui fasse comprendre à nos législateurs qu’il n’y a pas d’œuvre plus nécessaire que celle du logement, parce que c’est la base même de notre organisation sociale : voilà ce que je souhaite et ce que M. Siegfried demandera au Parlement, comme il l’a déjà fait avec tant de dévouement et de succès.
M. Le Dr Gautrez, de Clermont-Ferrand. — Au Comité du Puy-de-Dôme, nous avons fait quelque chose qui me paraît intéressant. Tout d’abord, nous avons renoncé aux concours d’architecture parce que très souvent il est difficile de fournir des maisons dans les conditions imposées. Puis nous nous sommes entendus avec la Chambre syndicale des entrepreneurs de Clermont-Ferrand et, par son intermédiaire, nous faisons construire en ce moment plusieurs types de maisons qui resteront pendant un certain temps sans être habitées de manière à former une petite exposition, puis nous les mettrons en vente et nous sommes persuadés que nous trouverons des acquéreurs. Je crois que c’est une bonne manière de remplacer les concours d’architecture.
M. le Président. — Je vais mettre aux voix le vœu qui est proposé par le rapporteur et qui est le suivant :
Le Congrès émet le vœu qu’une entente s’établisse entre les sociétés de secours mutuels et les comités de patronage à l’effet d’étudier les moyens pratiques les plus propres à développer et encourager la construction des maisons d’habitation à bon marché et à réaliser ainsi l’assainissement progressif des logements ouvriers.
M. Ambroise Rendu. — Il y a bien d’autres œuvres philanthropiques dont le concours serait utile. Il faut élargir un peu le vœu.
M. Leroy. — Les autres associations y viennent toutes seules.
M. le Président. — Je mets aux voix le vœu proposé. (Adopté.)
Nous passons au rapport de M. le docteur Dupeux.
Un Membre. — Il y a un vœu très intéressant de M. Édouard Petit.
M. le Président à M. Édouard Petit. — Rédigez votre vœu, M. Édouard Petit, s’il vous plaît, nous le voterons au moment de la discussion du second rapport[2].