1914-1916 : poésies
Mercure de France (p. 19-21).


LE SERMENT


Je jure de garder dans mon cœur cette haine
Jusqu’à son dernier battement ;
Que son venin sacré se mêle dans ma veine
À chaque goutte de mon sang !

Que l’on voie à jamais sur mon sombre visage
Sa rude ride sans pardon
Se creuser dans ma chair pour y dire l’outrage
Dont elle marque le sillon !


« Par mes champs dévastés, par mes villes en flammes,
Par mes otages fusillés,
Par le cri des enfants massacrés et des femmes,
Par mes fils tombés par milliers,

« Je jure de venger le Droit et la Justice,
De vaincre ou de mourir pour eux,
Moi, la France, et je veux que ma voix retentisse,
Au cœur de mes morts valeureux !

« Et ce double serment de colère et de haine,
En face du ciel, je le fais,
Devant les saintes eaux de la Marne et de l’Aisne
Rouges encor du sang français,


Tandis qu’éblouissante et sacrilège torche
Je regarde, avec un frisson,
Reims, ta sublime nef, du chevet jusqu’au porche,
Qui brûle et croule à l’horizon ! »


20 septembre 1914.