1914-1916/L’Anniversaire

1914-1916 : poésies
Mercure de France (p. 83-86).

L’ANNIVERSAIRE


« Sous la balle qui ricoche
Et sous l’obus meurtrier,
J’ai cueilli, au nez du Boche,
Cette branche de laurier ;

« Près d’une tranchée, en Flandre,
J’ai ramassé dans le sang
Ce jonc dont le vert si tendre
Fait un lien résistant ;


« C’est sur le bord d’une route
Boueuse, au pays d’Artois,
Non loin d’un poste d’écoute,
Que j’ai pris entre mes doigts

« Cette fleur, qui n’est pas rare,
Mais qui, pourtant, fait si bien
Près de celle-là que pare
Un reflet aérien ;

« Cette autre a fleuri dans l’Oise,
Et celle-ci, que voilà,
Est une fleur champenoise
Des champs que le Hun foula


« Auprès d’elle, vois encore
Cette autre, d’un ton si frais,
Que l’Argonne fit éclore
Dans l’air pur de ses forêts ;
 
« Sœurs de Lorraine et d’Alsace,
Ces deux-là n’ont qu’un seul cœur,
Ma main qui les entrelace
Les caresse avec douceur.

« De toutes ces fleurs, ô France,
J’ai composé un bouquet
Que parfume l’espérance,
Fier, héroïque, et coquet ;


« Pardon, si ma main le serre
Un peu trop, mais que veux-tu,
C’est le grand anniversaire
Où tous les cœurs ont battu !
 
« Et ce bouquet de victoire,
Poussé de ton sol sanglant,
Ce bouquet aux fleurs de gloire,
Ce bouquet bleu, rouge et blanc,

« C’est la gerbe de revanche
Que tes fils mobilisés
T’offrent dans l’affiche blanche
Où deux drapeaux sont croisés ! »


31 juillet 1915.