1914-1916 : poésies
Mercure de France (p. 49-54).
IN MEMORIAM


À la mémoire de mon cousin

le commandant Barrié
tué à la tête du 13e bataillon de chasseurs alpins

au combat de l’Hartmannsweilerkopf.


Comme tu regardais la vie
D’un beau regard loyal et franc
Ô fier soldat de la Patrie
Qui pour elle donnas ton sang !


Je te revois, enfant tranquille,
Jouant au seuil de la maison
Dans la calme petite ville
Dont les prés sont tout l’horizon,

Ou parfois courbé sur un livre
Avec ta blouse d’écolier,
Ou d’un œil vif aimant à suivre
L’hirondelle au vol familier.

Tu grandis. Ta voix plus sonore
A fait du blond collégien
Ce grave garçon que décore
Un plumet de Saint-Cyrien,


Et qui, lorsqu’il s’assied à table,
Chaque dimanche de congé,
Accroche un sabre véritable
Au mur de la salle à manger.

*


Air brûlant du mois héroïque
Où la France, d’un mâle élan,
Se rua vers la lutte épique
Sous les feux d’un soleil sanglant !


Comme tu dus avec ivresse
Le respirer à pleins poumons,
Cet air vaillant, chaude caresse,
Baiser de gloire à tant de fronts !

Comme tu dus bénir la peine
De ton devoir longtemps ardu,
Bien payé d’être capitaine
En cet âpre jour attendu

Et d’avoir là, sur ta poitrine,
Toute prête, à toucher des doigts,
La place que le sort destine
Au ruban rouge où pend la Croix !


*


Sous les sapins que l’hiver glace
Tu reposes au sol sacré,
Et la blanche neige d’Alsace
T’a fait un linceul empourpré ;

Et, songeant aux heures lointaines
D’où tu viens me parler tout bas,
Je suis fier que coule en mes veines
Ce même sang que tu versas


Pour la France et pour la Patrie,
— Battez tambours, clairons sonnez —
Ce même sang qui joint et lie
Les mères dont nous sommes nés.

1 mars 1915.